EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Longtemps sous-estimée et occultée, la réalité des violences sexuelles sur les enfants est encore aujourd'hui difficile à appréhender. Selon une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined), menée auprès d'un échantillon de plus de 27.000 femmes et hommes en 2015, 15,3 % des adultes aujourd'hui disent avoir subi des violences pendant l'enfance. Le juge Édouard Durand, qui co-préside la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles envers les enfants (Ciivise), estime quant à lui qu'il y aurait près de 160.000 enfants victimes de violences sexuelles par an. Dans chaque école, les associations affirment, elles aussi, que 3 à 5 enfants par classe ont été victimes, au moins une fois, de violences sexuelles .

En France métropolitaine, près d'une femme sur 10 dénonce en effet avoir subi des violences sexuelles avant l'âge de 18 ans.

Les victimes de violences sexuelles sont dans 80% des cas, des petites filles, âgées de 4 à 9 ans, et ces violences sont majoritairement exercées par les hommes, généralement un membre proche de l'entourage familial, le lieu de l'agression est, souvent d'ailleurs, le domicile familial.

Dans un cas sur deux, ces violences engendrent des épisodes dépressifs, des troubles de l'anxiété et phobiques qui rendent aussi parfois difficile la libération de la parole. Plus d'un tiers de ces victimes développe aussi des troubles du comportement alimentaire, et un quart de ces victimes tente de mettre fin à leurs vies, tandis qu'une victime sur six souffre encore d'état de stress post traumatique ou de troubles psychosomatiques, des années après la ou les agressions. Une victime sur dix tombe enceinte de son agresseur, ou se retrouve, en situation d'invalidité, du fait de l'agression. Et, pour plus de 5% de ces victimes, le long processus de désocialisation peut aussi conduire à la rue ou à la prostitution.

L'ampleur du phénomène de pédopornographie et la culture du silence sur ces violences subies par les enfants ne peuvent continuer à être ignorés davantage car « ce silence assassassin » 1 ( * ) éloignent de trop nombreuses victimes du droit à la réparation. Parmi les victimes d'abus sexuels dans l'enfance qui parviennent à surmonter ces douloureuses épreuves et traumas, et, ont réussi à déposer, faute de prescription, une plainte pour ce qu'elles ont subi, seules 43 % ont pu mener leur(s) agresseur(s) jusqu'au procès, suivi d'une condamnation.

Ainsi, a-t-il fallu bien du courage à la réalisatrice du film « Les Chatouilles » et auteure de « Et si on parlait ? », Andréa Bescond, et, longtemps avant elle, Flavie Flament, pour rompre ce silence qui plane autour des agressions sexuelles commises sur les enfants et sensibiliser le grand public. Le film autobiographique « Grâce à Dieu » de François Ozon, à son tour, a réouvert, sur le chemin de résilience, la voie de la libération de la parole sur ces crimes commis au sein de l'Eglise, nécessaire pour engager une action en réparation devant la Justice.

Le témoignage de la championne de patinage, Sarah Abitbol, « un si long silence », ainsi que le livre de Camille Kouchner « la familia grande » ont fait date à leur tour et constituent un nouveau point d'ancrage dans la lutte contre les violences sexuelles incestueuses en France.

Peu après leurs parutions, le #MeTooOINCESTE a d'ailleurs permis à des milliers de femmes et d'hommes de faire part, en quelques mots, sur les réseaux sociaux de leur expérience et de donner une visibilité médiatique à un phénomène social considéré comme tabou.

Grâce à cette prise de parole publique de Sarah Abitbol , dénonçant les violences dont elle avait été victime de la part de son ex-entraîneur, en janvier 2020, l'omerta sur le sujet des violences sexuelles qui a longtemps prévalu dans le milieu sportif s'est enfin brisée , faisant un douloureux écho aux témoignages de sportives victimes de violences, par le passé, comme Isabelle Demongeot, ou encore l'athlète Catherine Moyon de Baecque.

La médiatisation de la violence et des conséquences traumatiques graves de ces agressions sexuelles nous laisse espérer que le mouvement de libération de la parole ait enfin gagné le champ du sport pour que « la honte puisse changer de camp » car, hélas, près d'un sportif sur dix déclare, aussi, avoir fait l'objet d'atteinte à son intégrité.

Pour accompagner cette libération de la parole et mettre fin à un tabou, nous devons agir en amont, pour couper l'herbe sous le pied des prédateurs en s'assurant que pas un seul enfant ne soit exposé à des risques de violence dans les clubs sportifs .

Il nous appartient, en tant que législateurs, de changer la loi pour mieux protéger les mineurs.

Les adultes responsables des structures sportives comme leurs usagers doivent avoir conscience que l'organisation de la pratique sportive peut fournir un terrain favorable à l'apparition des violences sexuelles et qu'il existe un risque de voir les victimes conserver le silence, le secret des violences dont elles sont ou ont été l'objet.

Des situations à risque peuvent être identifiées en marge de la pratique sportive, dans les vestiaires, à l'occasion de déplacements, de stages, dans les internats etc..... Les soirées festives, peuvent également favoriser l'émergence de telles violences ; l'alcool, les substances psychotropes constituent des éléments aggravant ces risques.

Selon la cellule ministérielle qui recense les violences sexuelles dans le sport, 610 affaires ont déjà été signalées à la cellule qui traite le problème des violences sexuelles dans le sport depuis sa mise en place en 2020, affaires dans lesquelles 84% des victimes sont des mineurs. D'après les données publiées par le Ministère des Sports, 73 % des dossiers concernent des faits commis au cours des 10 dernières années et 107 affaires portent sur seule la saison sportive 2020-2021. Au total, 655 personnes sont mises en cause, dont 97% d'hommes. Actuellement, 449 dossiers sont clos alors que 206 enquêtes sont en cours. La majorité des fédérations sportives sont concernées c'est pourquoi, en juin 2021, le ministère des Sports a lancé un plan de prévention des violences sexuelles accompagné d'un kit de sensibilisation à destination des encadrants, éducateurs, bénévoles et familles.

Le constat est donc bien là, les violences sexuelles dans le sport existent et nous ne pouvons les ignorer davantage.

L'objet de la présente proposition de loi est de renforcer le dispositif de contrôle de l'honorabilité à l'égard des adultes intervenant auprès de mineurs au sein d'établissements dans lesquels sont pratiquées des activités physiques ou sportives, en complétant les obligations qui découlent de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 2 ( * ) « confortant le respect des principes de la République », entrée en vigueur au 26 août 2021, laquelle étend, avec la participation des fédération sportives, le contrôle de l'honorabilité à toutes les personnes licenciées intervenant auprès de mineurs au sein d'établissements dans lesquels sont pratiquées des activités physiques ou sportives.

Cette proposition de loi vise dès lors à s'assurer, par un double contrôle effectué par les clubs sportifs et mais également par les services de l'Etat , grâce au concours des Fédérations sportives, que tous les intervenants en milieu sportif, qu'ils soient bénévoles ou professionnels, placés au contact des mineurs, n'ont fait l'objet d'aucune inscription sur leurs casiers judiciaires au titre des infractions sexuelles ou fait l'objet d'une condamnation qu'ils auraient omis de déclarer .

Elle vise également à responsabiliser l'ensemble des acteurs du milieu sportif en les incitant, dans chaque club sportif, grâce à ce dispositif de double contrôle, à prévenir l'apparition de prédateurs identifiés par une inscription au casier judiciaire et ainsi éviter de nouvelles victimes .

La présente proposition de loi propose donc de cumuler les dispositifs de contrôle de la manière suivante :

- un premier contrôle par le responsable de l'établissement sportif, qui devra exiger la production du bulletin n° 3 3 ( * ) avant toute prise de fonction pour toute personne intervenant à quelque niveau que ce soit dans une association sportive au contact de mineurs , sachant que l'association est alors tenue de respecter les conditions de conservation de ces données conformément au règlement général de protection des données. Avec ce dispositif, dans l'hypothèse où une association conduirait des activités sportives avec des mineurs, dont la réglementation requerrait la présentation d'un extrait de casier judiciaire B3, celle-ci serait donc dans l'obligation de l'exiger pour toutes les personnes qui exercent l'activité concernée, quel que soit leur statut : adhérents, bénévoles, volontaires ou salariés.

- un second contrôle, par le biais du FAIJVS et du bulletin n° 2, réalisé par l'administration à l'appui des informations transmises par les Fédérations au titre de l'article D 131-2-1 du code du sport.

L'intérêt de la présente proposition de loi est donc d' inverser la charge de la preuve sur les adultes intervenant aux côtés des mineurs en milieu associatif sportif et, de s'assurer, dans le même temps, du respect de leurs obligations d'honorabilité et de l'éloignement strict des personnes condamnées au titre des infractions sexuelles à l'égard des mineurs .

La mention d'une condamnation ne fait pas nécessairement obstacle à l'exercice d'une fonction associative. La seule raison qui autorise l'association à refuser à une personne la conduite d'une mission au sein de l'association doit résulter du fait de l'existence dans le casier judiciaire de condamnations incompatibles avec l'activité.

Enfin, cette proposition de loi encourage le Ministère des Sports à étendre, par voie réglementaire, les sanctions prévues pour les intervenants en accueil collectif de mineurs aux intervenants en milieu associatif sportif, dès lors qu'ils manquent à leurs obligations de contrôle de l'honorabilité , à savoir une année d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende.


* 1 Extrait du livre de Livre d'Emmanuelle Anizon et Sarah Abitbol, « un si long silence »

* 2 Le premier alinéa du I de l'article L. 212-9 du code du sport relatif aux obligations d'honorabilité est en effet désormais ainsi rédigé :

« I. - Nul ne peut exercer les fonctions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 212-1 à titre rémunéré ou bénévole, ou aux articles L. 223-1 et L. 322-7, ni intervenir auprès de mineurs au sein des établissements d'activités physiques et sportives mentionnés à l'article L. 322-1 s'il a fait l'objet d'une condamnation pour crime ou pour l'un des délits prévus (...) »

* 3 Cet extrait comporte uniquement les condamnations les plus graves, notamment celles pour crimes et délits supérieures à deux ans d'emprisonnement sans sursis et les mesures de suivi socio-judiciaire et peines d'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page