EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le développement du numérique a fait apparaître de nouvelles formes de travail, avec l'émergence de plateformes de mise en relation permettant d'accéder à des services fournis par des tiers. La catégorie des travailleurs indépendants liés à ces plateformes représenterait 1% environ de la population active. Cette proportion est appelée à progresser, notamment concernant les services aux particuliers (livraisons, transports de personnes...).

Le développement de ces plateformes et du mode de travail qui l'accompagne répond à la fois à une demande des utilisateurs et au souhait d'indépendance exprimé par certains actifs, de moins en moins enclins à accepter la subordination et les contraintes que suppose le statut de salarié. Il a permis l'accès à l'emploi de personnes qui en étaient parfois éloignées. Les profils des personnes intéressées sont variés : anciens chômeurs, étudiants, actifs souhaitant compléter les revenus d'un emploi salarié, ...

Cette nouvelle forme d'organisation du travail place ces travailleurs dans une situation particulière. Ils sont dépendants économiquement des plateformes tout en conservant une forme d'indépendance juridique. Ils ne sont ni tout à fait des travailleurs indépendants compte tenu de l'absence de liberté dont ils disposent généralement dans l'exécution de la prestation ou de son prix, et de leur dépendance économique, ni vraiment des salariés en raison de l'absence de pouvoir de direction de la plateforme à leur égard et de lien de subordination.

La question de leur protection est essentiellement abordée par une réflexion sur leur statut. Ces dernières années, des actions en justice ont été engagées afin de requalifier certains contrats en salariat.

Si une protection est nécessaire, en raison de leur dépendance économique, cette approche ne paraît pas pertinente. Une requalification, si elle était retenue, conduirait à dénaturer la notion de salariat en incluant des travailleurs qui ne sont objectivement pas dans une situation de subordination. Un projet de directive, toujours en cours de négociation, a ainsi été présenté le 9 décembre 2021, propose en particulier de fixer une liste de critères permettant de définir une présomption de salariat.

La situation de dépendance économique qui caractérise la relation entre ces travailleurs et les plateformes impose une protection particulière afin de corriger une relation contractuelle déséquilibrée.

La présente proposition de loi s'appuie notamment sur les conclusions d'un rapport de la commission des Affaires sociales de mai 2020 « Travailleurs des plateformes : au-delà de la question du statut, quelles protections ? » de Mme Frédérique Puissat, M. Michel Forissier et Mme Catherine Fournier. Celui-ci estimait « nécessaire de dépasser le débat sur le statut des travailleurs des plateformes et de développer des droits et une couverture sociale indépendants du statut ».

Le présent texte met en oeuvre cette recommandation. La proposition de loi ne touche pas au régime des travailleurs indépendants mais organise les relations contractuelles entre les cocontractants, en prévoyant des dispositions d'ordre public protectrices des travailleurs. La proposition de loi crée un nouveau type de contrat « sur mesure », qui prendra en compte les risques auxquels peut être exposé le travailleur, tout en ne remettant pas en cause sa liberté.

Ce contrat intitulé « contrat de dépendance numérique » comportera des dispositions d'ordre public visant les droits et obligations des deux parties. Le texte permettra aux travailleurs de plateformes de bénéficier d'une protection sociale améliorée, de mesures de prévention en matière de santé ainsi que de garanties sur la transparence du fonctionnement des algorithmes gouvernant leurs activités. Enfin, la création d'un droit à la participation et à l'intéressement permettra d'associer pleinement les travailleurs à la réussite de la plateforme.

Le dialogue social défini par l'ordonnance du 21 avril 2021 pourra conduire à compléter les dispositions obligatoires de ce contrat.

L'article 1 er définit le « contrat de dépendance numérique ». Il y a « contrat de dépendance numérique » lorsque le travailleur est tenu de conclure un contrat avec une plateforme de mise en relation numérique pour pouvoir exercer son activité, cette situation le place en situation de dépendance économique qui ne permet pas de le considérer comme un travailleur pleinement et économiquement indépendant. Ce travailleur, étant libre de fixer ses heures de travail et de refuser les propositions de la plateforme numérique, ne peut non plus être considéré comme un travailleur « salarié ».

Le contrat doit obligatoirement comporter plusieurs dispositions d'ordre public, visant à préciser les obligations réciproques des travailleurs et des plateformes. Ainsi, le contrat devra préciser sa durée et prévoir des délais de paiement, ainsi que diverses garanties d'autonomie des travailleurs. Une information sur leurs droits sociaux devra, par ailleurs, figurer dans le contrat. Enfin, il est précisé que ce type de contrat étant conclu « intuitu personae », la pratique de sous-location de comptes, par laquelle des travailleurs de plateformes louent leur profil, est interdite.

L'article 2 vise à améliorer la protection sociale des travailleurs contre le risque d'accident du travail ou de maladie professionnelle, compte tenu de la gravité des conséquences d'un accident du travail et de la forte exposition à ce risque dans divers secteurs ayant recours à des plateformes de services (en particulier les livraisons). Ainsi, l'article rend obligatoire l'adhésion à l'assurance en l'absence de contrat collectif et étend l'obligation de prise en charge par la plateforme à tous les prestataires, même très occasionnels. Actuellement, cette prise en charge n'intervient que si le chiffre d'affaires réalisé par le travailleur sur la plateforme est supérieur à un seuil fixé par décret.

Cette prise en charge s'effectuera dans la limite d'un plafond dans le cas d'une adhésion individuelle et sera totale dans le cas d'un contrat collectif.

L'article 3 prévoit la prise en charge par les plateformes de la cotisation volontaire des travailleurs qui utilisent un service de prévention et de santé au travail interentreprises.

Cette disposition traduit une recommandation du rapport sénatorial du 29 septembre 2021 de la mission d'information « Uberisation de la société : quel impact des plateformes numériques sur les métiers et l'emploi ? », présidée par Mme Martine Berthet. Actuellement, la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail ouvre aux travailleurs indépendants la possibilité de s'affilier au service de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) de leur choix et leur permet de bénéficier d'une offre spécifique de services en matière, notamment, de prévention des risques professionnels (article L. 4621-3 du code du travail). La mission sénatoriale a relevé le risque élevé de non-recours à cette faculté compte tenu de la faiblesse des revenus des travailleurs indépendants.

Le présent article insère donc cette disposition après l'article L. 7342-2 du code du travail relatif à la prise en charge des cotisations de l'assurance couvrant le risque d'accidents du travail, sur le modèle actuel applicable à ces cotisations.

L'article 4 vise à associer les travailleurs à la réussite de la plateforme via un droit à la participation et à l'intéressement. Afin de ne pas créer d'exceptions au droit actuel, le champ d'application est aligné sur l'existant : intéressement par accord entre les plateformes, les travailleurs ou leurs représentants et obligation de participation pour les plateformes employant plus de 50 travailleurs en moyenne sur l'année, selon des conditions fixées par décret.

Les articles 5 et 6 prévoient des dispositions liées à l'utilisation d'algorithmes par les plateformes, qui figurent parmi les recommandations de la mission d'information précitée « Uberisation de la société : quel impact des plateformes numériques sur les métiers et l'emploi ? ».

L'article 5 oblige les plateformes à effacer, à intervalles réguliers, l'historique des notes les plus anciennes attribuées par les clients aux travailleurs.

L'article 6 garantit aux représentants des travailleurs des plateformes un droit de se faire communiquer un document compréhensible et actualisé détaillant les logiques de fonctionnement des algorithmes. S'ils estiment ne pas disposer d'éléments suffisants, ils pourront saisir le président du tribunal judiciaire en référé, pour qu'il ordonne la communication des éléments manquants. D'autre part, concernant les secteurs de la mobilité (VTC et livraison), l'article applique aux représentants des travailleurs des plateformes les obligations de confidentialité et de discrétion professionnelle qui incombent aux représentants du personnel des entreprises.

Tel est l'objet de la proposition de loi que nous vous demandons d'adopter.

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