EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

À travers cette proposition de loi, je souhaite améliorer la rémunération des auteurs et renforcer la protection des oeuvres littéraires.

Avec 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 80 000 emplois, le secteur du livre représente l'une des premières industries culturelles en France, loin devant la musique et le cinéma. Pourtant, la situation économique et sociale des auteurs s'est fortement dégradée. Sur 100 000 auteurs de livres en France, moins de 2 000 écrivains vivent exclusivement de leurs écrits. En effet, le rapport « L'auteur et l'acte de création » remis par Bruno Racine au Ministre de la Culture le 22 janvier 2020 dresse un constat alarmant de la situation des auteurs en France qui connaissent une érosion importante de leurs revenus, accentuée par l'essor du numérique et du marché de l'occasion et par une fragilisation des droits d'auteur dont les atteintes restent insuffisamment sanctionnées.

Face à ces dérives qui menacent la vitalité et la richesse de la création littéraire française, l'État doit raffermir le respect du droit d'auteur menacé par la prolifération de copies illégales diffusées sur internet et les messageries privées.

Il convient également d'adapter les règles qui entourent le prêt en bibliothèque en mettant en place un système plus réactif de comptabilisation des lectures et en instaurant un droit de prêt numérique afin d'accompagner le développement des livres numériques et audio en bibliothèque et d'améliorer la rémunération des titulaires des droits.

Enfin, je propose d'instaurer un droit de suite sur la vente de livre d'occasion. Le marché du livre d'occasion connaît une forte croissance, alimenté par des plateformes de revente qui prélèvent entre 20% et 30% sur le prix de la vente sans que celle-ci ne bénéficie aux auteurs et aux éditeurs. Si le marché de l'occasion permet de renforcer l'accès aux oeuvres à court terme, cette absence d'un juste partage de la valeur avec les auteurs et éditeurs de livres menace à long terme l'ensemble de la création littéraire.

La lecture, grande cause nationale 2021-2022, est le vecteur par excellence de la transmission du savoir, elle est le berceau de notre culture, le premier facteur d'égalité des chances. « La lecture agrandit l'âme » écrivait Voltaire. Elle le fait en démultipliant le champ de nos expériences, de nos rencontres, de nos réflexions, en nous donnant accès à plus de vies que la nôtre. Protéger les auteurs, c'est préserver notre civilisation d'une uniformisation délétère de la pensée, c'est lutter contre la confiscation du savoir et contre l'obscurantisme.

Offrir aux principaux acteurs du livre une digne rémunération, tel est l'objet de cette proposition de loi.

L'article 1 vise à réformer le prêt en bibliothèque. D'une part, cet article prévoit que la rémunération des auteurs au titre du prêt en bibliothèque tient compte du nombre de lecteurs comptabilisés par livre emprunté, et non du seul nombre de lecteurs inscrits à la bibliothèque. D'autre part, cet article prévoit l'instauration d'un droit de prêt numérique comptabilisant les livres numériques et les livres audio. Pour cela, il est prévu d'aligner la rémunération des titulaires de droits au titre du droit de prêt d'une oeuvre numérique sur celles prévues pour le livre papier : une partie assurée par l'État en fonction du nombre d'usagers inscrits dans les bibliothèques publiques et d'emprunts réalisés par ouvrage numérique, et une part dépendant de la déclaration de livres numériques acquis chaque année à la SOFIA.

L'article 2 vise à instaurer un droit de suite sur la revente de livres d'occasion à la charge du vendeur et au bénéfice des auteurs et éditeurs afin d'accompagner le développement équilibré du marché de l'occasion. La Sacem estime que le taux de substitution de l'offre d'occasion à l'offre de neuf est de 45% en moyenne, avec des livres vendus environ 60% moins cher qu'un exemplaire neuf. En captant une part de plus en plus importante de la valeur sans la redistribuer aux créateurs, la vente de livre d'occasion accentue la paupérisation des auteurs. Aussi, sur le modèle du droit de suite existant pour les auteurs d'oeuvres originales graphiques et plastiques, je propose d'instaurer une contrepartie de la revente des livres d'occasion versée aux auteurs et éditeurs. Il s'agirait d'une disposition d'avant-garde aux échelles européenne et internationale. La doctrine d'épuisement des droits visant à concilier les droits de l'auteur sur son oeuvre et le droit de propriété de l'acquéreur du support prévoit la liberté de revente d'une oeuvre légalement acquise, sans versement d'une rémunération à l'ayant droit (article 4.2 de la directive 2001/29/Ce du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001). Pour autant, face au développement du marché du livre d'occasion, la CJUE a estimé récemment que la vente d'occasion des livres numériques devait rester interdite afin de ne « pas affecter l'intérêt des titulaires à obtenir une rémunération appropriée de manière beaucoup plus significative que dans le cas de livres sur support matériel » (CJUE, 19 déc. 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers c/ Tom Kabinet Internet BV). Afin de ne pas assécher le financement de la création littéraire et de l'édition de livres, il conviendrait de réguler, au moyen d'un droit de suite, le marché du livre d'occasion qui connaît un essor fulgurant en particulier sur internet.

Les articles 3 et 4 visent à intensifier la lutte contre le piratage de livres en ligne et leur diffusion illégale via les messageries privées grâce à des sanctions plus dissuasives.

Les sanctions applicables au piratage de livres en ligne par un particulier sont portées de 3 750 euros d'amende - la peine la plus faible applicable à un délit - à 7 500 euros d'amende et six mois d'emprisonnement.

Afin de renforcer la lutte contre le piratage, une procédure de transaction pénale est instaurée, en reprenant le dispositif défendu par Mme Aurore Bergé, Rapporteur, au nom de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, lors de l'examen du projet de loi « audiovisuel » de 2019 et par la commission de la culture du Sénat lors de l'examen du projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique. Le dispositif prévoit que lorsque le comportement délictueux répété de l'internaute ne fait plus de doute, le membre de l'ARCOM chargé de la réponse graduée peut proposer une transaction, d'un montant de 350 euros, soit le tiers de la sanction maximum aujourd'hui encourue, destinée à éteindre l'action publique. Cette transaction, qui doit être homologuée par le Procureur de la République, constitue une procédure relativement légère. En cas de refus, l'internaute serait passible de poursuites comme actuellement. Cette mesure est très attendue par les ayants droits, et permettrait de mettre un terme au sentiment d'impunité des internautes « pirates », tout en épargnant les tribunaux.

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