SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (novembre 2004)

NOTE DE SYNTHÈSE

Les progrès de la médecine, qui entraînent l'allongement de l'espérance de vie et permettent également de maintenir artificiellement en vie des patients qui se trouvent dans un coma jugé irréversible, ainsi que le souhait ouvertement exprimé par un nombre croissant de personnes de pouvoir décider elles-mêmes du moment de leur mort expliquent l'importance du débat sur la fin de vie dans tous les pays développés.

Deux propositions de loi déposées au Sénat au cours de l'année 2004 témoignent de cette préoccupation : la proposition du 14 octobre 2004 de M. Michel Dreyfus-Schmidt et des membres du groupe socialiste et apparentés, relative au droit de bénéficier d'une euthanasie, et celle du 11 mai 2004 de M. François Autain et de plusieurs de ses collègues, relative à l'autonomie de la personne, au testament de vie, à l'assistance médicalisée au suicide et à l'euthanasie volontaire.

Si la Belgique et les Pays-Bas ont récemment dépénalisé l'euthanasie active - c'est-à-dire l'administration délibérée de substances létales dans l'intention de provoquer la mort - lorsqu'elle est pratiquée par un médecin qui respecte certaines conditions, la France ne s'est pas engagée dans cette voie.

En effet, la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie , déposée à l'Assemblée nationale le 21 juillet 2004 par M. Jean Leonetti et plusieurs de ses collègues à la suite des travaux de la mission d'information sur l'accompagnement de la fin de vie et redéposée le 26 octobre 2004 pour être renvoyée à une commission spéciale, vise à légaliser l'euthanasie passive dans certaines circonstances, puisqu'elle reconnaît au patient la possibilité de refuser un traitement nécessaire au maintien de la vie et institue l'obligation de suivre une procédure collégiale pour l'arrêt des soins sur une personne inconsciente.

Les dispositions du code de la santé publique sur l'expression de la volonté des patients, qui résultent de la loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, seraient modifiées, notamment pour prendre en compte le cas particulier des personnes en fin de vie.

La prise en compte de la volonté du malade en fin de vie dépendrait à la fois de la capacité de l'intéressé à s'exprimer et de son état.

Le malade conscient se verrait reconnaître le droit de refuser tout traitement, pour autant qu'il soit « en phase avancée ou terminale d'une affection grave ou incurable ». Le médecin aurait alors l'obligation de respecter le voeu du patient tout en dispensant les soins palliatifs nécessaires.

En revanche, dans l'hypothèse où le patient conscient ne se trouverait pas dans cet état, son droit au refus de traitement n'aurait pas les mêmes conséquences, puisque le médecin conserverait alors le devoir de « tout mettre en oeuvre pour le convaincre d'accepter les soins indispensables », plusieurs dispositions complétant la portée de cette affirmation. En effet, dans un tel cas, la proposition de loi prévoit que le médecin peut consulter un confrère et que si le patient réitère sa demande après un délai « raisonnable », celle-ci est inscrite au dossier médical. Par ailleurs, elle dispose que, de façon générale, les actes médicaux « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable, lorsqu'il n'existe aucun espoir d'obtenir une amélioration de l'état de la personne et qu'ils entraînent une prolongation artificielle de la vie ».

Face à un malade incapable d'exprimer sa volonté , le médecin garderait son pouvoir de décision, que le patient soit ou non « en phase avancée ou terminale d'une affection grave ou incurable ».

Dans le premier cas, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a aucun espoir de guérison et que l'espérance de vie du patient est limitée à quelques semaines, l'avis de la personne de confiance (1 ( * )) prévaudrait « sur tout autre avis non médical ». La proposition prévoit par ailleurs la possibilité pour toute personne majeure de rédiger, « pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté », des directives anticipées qui énonceraient les « souhaits relatifs à [la] fin de vie concernant les conditions de la limitation ou de l'arrêt de traitement ». Ces directives devraient être prises en compte par le médecin, mais elles n'auraient pas valeur obligatoire.

Dans le second cas, qui correspond essentiellement à des personnes plongées dans un coma profond et jugé irréversible, le médecin pourrait décider de l'arrêt des soins, mais dans le cadre d'une procédure collégiale et après avoir consulté la personne de confiance ou, à défaut, un membre de la famille.

Cette évolution envisagée des droits du malade en fin de vie conduit à s'interroger sur la situation dans les pays étrangers. Les règles en vigueur en Allemagne, en Angleterre et au pays de Galles, en Belgique, au Danemark, en Espagne et en Suisse ont donc été étudiées.

Selon que les pays étudiés ont ou non légiféré sur les droits du malade en fin de vie, l'analyse porte principalement sur la législation (Belgique, Danemark et Espagne), ou sur la jurisprudence et sur les règles internes à la profession médicale (Allemagne, Angleterre et pays de Galles, Suisse).

Seules, les dispositions applicables au patient majeur ont été retenues. De plus, l'expression « refus de soins » est employée aussi bien pour désigner la non-mise en oeuvre des soins que leur interruption.

Pour chacun de six pays, les points suivants ont été examinés :

- la faculté qu'a un malade conscient de refuser un traitement, alors que son refus risque d'entraîner son décès ;

- la valeur juridique des directives anticipées portant sur l'abstention thérapeutique ;

- la possibilité d'arrêter un traitement de survie quand le patient est incapable d'exprimer son opinion.

Cet examen permet de mettre en évidence que :

- le refus de soins de la part du patient est admis même lorsqu'il risque d'entraîner le décès, mais l'Allemagne, le Danemark et la Suisse réservent ce droit au malade en fin de vie ;

- les directives anticipées sont reconnues dans tous les pays étudiés, mais l'Allemagne, le Danemark et la Suisse font dépendre leur application de l'état de santé de l'intéressé ;

- des conditions restrictives sont généralement posées aux demandes d'arrêt de soins émanant du représentant du patient inconscient ;

- la situation juridique du médecin qui décide de l'arrêt des soins sur un patient inconscient n'est clairement définie qu'au Danemark.

1) Le refus de soins de la part du patient est admis même lorsqu'il risque d'entraîner le décès, mais l'Allemagne, le Danemark et la Suisse réservent ce droit au malade en fin de vie

Dans tous les pays étudiés, le patient jouit du droit au consentement éclairé pour tout acte médical (traitement, examen, opération...). Parallèlement, il peut refuser ou retirer son consentement après avoir été informé des conséquences de sa décision.

Certains pays font prévaloir la liberté de choix sur la vie elle-même, de sorte que l'abstention thérapeutique y est admise, même lorsqu'elle risque d'entraîner le décès de l'intéressé.

C'est le cas de l'Angleterre et du pays de Galles, où la jurisprudence considère que le droit pour tout patient de refuser un traitement revêt un caractère absolu et peut s'exercer indépendamment de la motivation de l'intéressé. C'est également le cas de la Belgique et de l'Espagne , où les lois relatives aux droits du patient ne restreignent pas l'application du droit au refus de soins.

En revanche, en Allemagne, au Danemark et en Suisse, ce droit s'applique essentiellement aux malades en fin de vie :

- la jurisprudence allemande reconnaît au malade incurable le droit de refuser des soins, mais seulement lorsque le processus létal est entamé ;

- la loi danoise sur le statut du patient limite l'application de ce droit au malade en phase terminale ;

- les directives de l'Académie suisse des sciences médicales, qui sont considérées comme de véritables lois supplétives bien qu'elles soient dépourvues de valeur contraignante, laissent le médecin décider en fonction de l'état du patient. Elles précisent qu'un « traitement médical contre la volonté exprimée du patient capable de discernement est inadmissible » lorsque l'intéressé est en fin de vie.

En Allemagne et en Suisse, la situation devrait évoluer prochainement : le ministre de la justice allemand prépare un projet de loi sur les droits du patient en fin de vie et le groupe de travail ad hoc , mis en place dans le cadre de la préparation du texte et qui a remis son rapport en juin 2004, suggère d'étendre l'application de la solution jurisprudentielle actuelle à tout patient incurable, que son décès semble ou non imminent. De même, après l'adoption de la motion parlementaire « Euthanasie et médecine palliative » en mars 2004, le gouvernement suisse a affirmé son intention de préparer un projet de loi sur l'euthanasie passive.

2) Les directives anticipées sont reconnues dans tous les pays étudiés, mais l'Allemagne, le Danemark et la Suisse font dépendre leur application de l'état de santé de l'intéressé

Chacun des six pays étudiés reconnaît au patient la faculté d'exprimer par avance son refus d'un traitement visant uniquement la prolongation de la survie, sans perspective de guérison. Cependant, tout comme le droit au refus de traitement, la valeur juridique de ces dispositions n'est pas absolue dans tous les pays.

Elle l'est en Angleterre et au pays de Galles, ainsi qu'en Belgique et en Espagne, pour autant que certaines conditions, définies par la jurisprudence dans le premier pays et par la loi dans les deux autres, soient remplies. Ainsi, en Belgique et en Espagne, la loi impose la forme écrite, mais aucun pays n'exige que les directives aient été établies récemment.

En revanche, en Allemagne, au Danemark et en Suisse, la valeur des directives dépend de l'état de santé de l'intéressé.

En Allemagne, la jurisprudence reconnaît la validité des directives anticipées lorsque l'intéressé se trouve en fin de vie, mais elle ne l'admet qu'exceptionnellement lorsque le patient, bien qu'incurable, ne se trouve pas en phase terminale. Le groupe de travail ad hoc prévoit d'introduire dans le code civil un article sur les directives anticipées et d'élargir l'application de celles-ci au malade dont la fin de vie ne paraît pas imminente.

La loi danoise sur le statut du patient souligne la force obligatoire de ces documents lorsqu'ils concernent des malades en phase terminale , mais ne donne aux directives émanant des malades qui souffrent d'affections graves ou invalidantes qu'une valeur indicative. Les voeux des patients sont consignés sur des imprimés spéciaux qui sont enregistrés , et la loi oblige le personnel soignant à consulter le registre des directives anticipées.

En Suisse, les directives médico-éthiques de l'Académie suisse des sciences médicales affirment l'obligation du médecin de tenir compte des directives anticipées , en particulier lorsqu'elles sont récentes et formulées clairement, et qu'aucun indice ne laisse supposer que l'intéressé a changé d'avis. De plus, comme la santé publique relève de la compétence des cantons, dans plusieurs cantons, surtout en Suisse romande, la loi sur la santé publique affirme la force obligatoire des directives anticipées. Le projet de loi portant révision des articles du code civil relatifs à la tutelle, actuellement en cours d'élaboration, vise à ancrer dans la législation fédérale la pratique des directives anticipées , dont la valeur juridique, identique dans tous les cantons, dépendrait du degré de précision.

3) Des conditions restrictives sont généralement posées aux demandes d'arrêt de soins émanant du représentant du patient inconscient

Lorsque le patient n'est pas en mesure d'exprimer sa volonté et qu'il n'a pas rédigé de directives anticipées, l'Allemagne, la Belgique et la Suisse permettent à un représentant spécialement désigné à cette fin de prendre les décisions médicales, en particulier celles qui concernent l'arrêt des soins. En Angleterre et au pays de Galles, le projet de loi sur les incapables, applicable que l'incapacité soit ou non permanente, retient la même solution. Le Danemark et l'Espagne laissent les proches ou le représentant légal exercer les droits du patient.

a) En Allemagne, en Belgique et en Suisse, le représentant thérapeutique peut demander l'arrêt des soins au nom du patient, mais dans des conditions restrictives lorsque la décision risque d'entraîner le décès

En Allemagne, le code civil prévoit que l'avis du mandataire doit être confirmé par le tribunal des tutelles si la décision prise risque de causer un préjudice important au patient, voire de provoquer son décès.

Il en va de même en Belgique : lorsque la décision d'abstention thérapeutique du mandataire risque d'entraîner le décès, le praticien a l'obligation d'y déroger à moins que le mandataire ne puisse démontrer que sa décision correspond à « la volonté expresse du patient ».

En Suisse également, lorsque les décisions du représentant thérapeutique paraissent contraires à l'intérêt du patient, le médecin doit entrer en contact avec le tuteur.

b) Le projet de loi anglais retient la même solution

Si la législation anglaise actuelle ne permet pas aux mandataires des majeurs de prendre des décisions dans le domaine médical à la place de leurs mandants, le projet de loi sur les incapables vise à créer une nouvelle catégorie de mandataires, habilités à agir dans le domaine médical.

D'après le projet de loi, le mandataire pourra en particulier se prononcer sur le maintien d'un traitement visant uniquement la survie, mais seulement à condition d'avoir reçu un mandat explicite de l'intéressé.

c) Au Danemark et en Espagne, les droits du patient sont exercés par les proches, qui peuvent en particulier requérir l'arrêt des soins

Les représentants du patient peuvent demander l'arrêt des soins dans les mêmes conditions que l'intéressé.

4) La situation juridique du médecin qui décide de l'arrêt des soins sur un patient inconscient n'est clairement définie qu'au Danemark

En l'absence d'indices révélant la volonté du patient et de représentant susceptible de se substituer à l'intéressé, le corps médical peut avoir à prendre des décisions susceptibles d'entraîner des poursuites judiciaires. C'est notamment le cas en Allemagne, où les proches n'ont pas la possibilité de se substituer au patient, ainsi qu'en Angleterre et au pays de Galles, où ni le représentant thérapeutique ni les proches ne peuvent à l'heure actuelle imposer leur point de vue au médecin. En revanche, cette situation devrait être exceptionnelle dans les autres pays, qui permettent aux proches d'exprimer la volonté du patient.

a) Le Danemark a légalisé l'euthanasie passive dans le cas de patients mourants

Lorsque le patient, devenu inconscient, est mourant et qu'il n'existe aucune perspective de guérison, la loi prévoit la possibilité pour le personnel de santé de s'abstenir de commencer ou de poursuivre un traitement qui vise seulement la survie.

L'application de cette disposition est limitée aux mourants, qu'une circulaire administrative définit comme les patients dont la mort devrait survenir dans le délai de quelques jours ou de quelques semaines, et ce malgré la mise en oeuvre de toutes les ressources médicales disponibles.

b) En Angleterre et au pays de Galles, en Belgique, en Espagne et en Suisse, les règles des professionnels insistent sur l'inutilité de tout acharnement thérapeutique

Ainsi, les codes de conduite des professionnels anglais précisent que ceux-ci n'ont pas l'obligation de commencer ou de maintenir des soins vains et douloureux. En cas de doute, il leur est conseillé d'obtenir un avis juridique , voire une décision de justice lorsque le patient se trouve dans un état végétatif persistant.

De même, le code de déontologie médicale belge limite aux seuls soins de confort les obligations des professionnels vis-à-vis du malade en phase terminale et devenu définitivement inconscient.

c) Dans le doute, l'Allemagne donne la priorité au maintien en vie

En revanche, en Allemagne, en l'absence d'indices de la volonté de l'intéressé, le médecin doit maintenir le patient en vie.

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Les droits du malade en fin de vie et les possibilités d'arrêter les traitements de survie paraissent d'ores et déjà plus développés dans les autres pays étudiés qu'en France. De plus, certains de nos voisins envisagent des réformes législatives tendant à renforcer le droit au libre arbitre du patient. Les dispositions prévues par la proposition de loi française permettront donc de rapprocher le régime français de celui des autres pays européens.

* (1) Instituée par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, la personne de confiance, qu'il s'agisse d'un parent, d'un proche ou du médecin traitant, est consultée avant toute intervention médicale à la place du patient lorsque celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté. La désignation d'une personne de confiance doit être faite par écrit.

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