La responsabilité pénale pour imprudence à l'épreuve des grandes catastrophes

Ouverture

Message de Gérard LARCHER ,
Président du Sénat
(lu par Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois)

Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation, Monsieur le Procureur Général près la Cour de Cassation, chers collègues, Mesdames et Messieurs, le Sénat est heureux de vous accueillir aujourd'hui, à l'occasion du dixième anniversaire de la loi du 10 juillet 2000 relative à la définition des délits non intentionnels, dite « loi Fauchon ». Je voudrais, à cette occasion, saluer le travail remarquable du sénateur Fauchon.

Les contraintes de mon emploi du temps ne m'ont pas permis d'être des vôtres ce matin, mais j'ai suivi avec attention l'organisation de ce colloque, et je tiens à adresser à toutes et à tous un chaleureux message de bienvenue.

Je regrette d'autant plus de ne pouvoir être parmi vous que cette manifestation est placée sous la double égide de la commission des Lois et de la Cour de Cassation. Cette collaboration, à laquelle je suis attaché, témoigne du dialogue constant et constructif entre nos deux Institutions, entre le législateur, qui vote la loi, et les magistrats, qui l'appliquent et j'y suis particulièrement attentif.

Le travail parlementaire, vous le savez, ne s'arrête pas avec le vote de la loi et le thème même du colloque qui vous réunit aujourd'hui illustre le souci constant de la commission des Lois et de son président, M. Jean-Jacques Hyest, d'évaluation et d'amélioration de la loi dans l'intérêt de nos concitoyens. Le Sénat est non seulement une chambre de réflexion, mais aussi une chambre de proposition et de contrôle.

De même la Cour de Cassation s'efforce chaque année par son Rapport de contribuer à la réflexion sur les améliorations qui pourraient être apportées aux lois en vigueur en raison des difficultés rencontrées par les juridictions lors de son application.

Un premier colloque organisé au Sénat à l'occasion des cinq ans de la loi Fauchon avait démontré le caractère équilibré d'une loi qui a su adapter la responsabilité pénale en cas de délits non intentionnels à une réalité contemporaine complexe.

Aujourd'hui, après dix ans d'application, il n'apparait pas inutile d'ouvrir de nouveaux champs de réflexions, de s'interroger à titre prospectif sur la responsabilité pénale pour imprudence à l'épreuve des grandes catastrophes, sous le regard croisé de nos deux Institutions, en présence de l'Université et du Barreau. C'est là toute la richesse du débat démocratique.

Je souhaite à toutes et à tous un excellent et fructueux colloque.

Vincent LAMANDA ,
Premier Président de la Cour de Cassation

Monsieur le président de la commission des Lois, Monsieur le sénateur, Monsieur le procureur général près la Cour de Cassation, Mesdames et Messieurs, c'est un privilège pour moi d'ouvrir avec vous, Monsieur le Président, ce colloque qui entend célébrer, en forme de bilan, le dixième anniversaire de la loi du 10 juillet 2000, tout en s'attachant à esquisser les perspectives d'évolution de ce texte à la lumière des interrogations contemporaines sur le risque et la garantie.

Inscrite dans le prolongement de la loi du 13 mai 1996, qui avait déjà modifié la rédaction de l'article 121-3 du Code pénal pour y faire figurer le principe de l'appréciation in concreto de la faute d'imprudence, la loi du 10 juillet 2010 est elle aussi issue d'une proposition de loi sénatoriale. Il n'est pas surprenant que votre assemblée, si proche des collectivités locales, ne soit pas restée insensible au risque que lui semblait pouvoir faire peser sur l'exercice de la démocratie la mise en cause, que d'aucuns estimaient par trop systématique, de la responsabilité pénale d'élus de terrain pour des faits d'imprudence ou de négligence.

Adoptée à l'unanimité par le Parlement, la loi du 10 juillet 2000 a redéfini les contours de la responsabilité pénale en matière d'infractions non intentionnelles. Les aménagements qu'elle a apportés à l'article 121-3 du Code pénal, d'une portée générale, concernent l'ensemble des justiciables et non seulement les décideurs publics et s'étendent non seulement aux homicides et aux blessures involontaires mais à l'ensemble des infractions d'imprudence, telles les atteintes à l'environnement ou les délits du droit du travail.

Le principe démocratique d'égalité des citoyens devant la loi est ainsi respecté par un texte qui tend à assurer un meilleur équilibre entre les risques d'une pénalisation excessive de la vie quotidienne et ceux d'une déresponsabilisation des acteurs sociaux. Ces deux écueils sont d'ailleurs au coeur des réflexions contemporaines que suscitent les aspirations contradictoires de notre société. Elle est si éprise de garanties qu'elle a donné valeur constitutionnelle au principe dit de précaution, tout en étant consciente que l'inflation des textes à portée répressive a peut-être atteint des limites que certains estiment difficile de repousser encore, à peine de remettre en cause les principes fondateurs de notre démocratie.

La multiplication contemporaine des procès à dimension exceptionnelle, mobilisant un grand nombre de victimes, d'experts, de témoins et de journalistes illustre de façon aigue la montée inexorable de contentieux de plus en plus techniques, face auxquels le juge pénal se retrouve sommé d'apprécier les comportements, en caractérisant les défaillances respectives de différents acteurs dont les interventions s'échelonnent dans le temps et dans des situations complexes où il n'y a parfois ni preuve ni évidence avérée. La tâche du juge n'est pas aisée. Une fois caractérisé un lien de causalité entre la faute d'imprudence et le dommage, il lui faut se prononcer sur le degré de faute pour justifier la prévention. Or plus le lien de causalité est ténu, plus la faute doit être caractérisée.

Loin de borner vos ambitions à un constat statique, vous avez souhaité que cette journée anniversaire soit animée par cette dynamique propre aux hommes d'action en lui conférant une dimension prospective. Puissent vos échanges d'aujourd'hui ouvrir la voie vers plus de sécurité et de justice et vers cet équilibre si fragile et si nécessaire à trouver.

Jean-Louis NADAL,
Procureur général près la Cour de Cassation

Mesdames et Messieurs, je suis particulièrement honoré d'ouvrir avec Monsieur le président du Sénat, Monsieur le président de la commission des Lois, Monsieur le premier président de la Cour de Cassation, ce colloque.

La loi du 10 juillet 2000 illustre à bien des égards la nécessaire adaptation de la loi aux évolutions techniques de la société. Quelques procédures dramatiques ont durablement marqué notre mémoire collective et ont donné raison à Albert Camus, qui, prophétiquement, prédisait que le XXI ème siècle serait celui de la peur. Ces grandes catastrophes raisonnent dans nos mémoires comme autant de drames nationaux : l'incendie du Dancing 5-7, la catastrophe des Thermes de Barbotan en 1991, l'effondrement de la tribune du stade de Furiani en 1992, les inondations de Vaison-la-Romaine en 1992 ou encore les noyades de la rivière du Drac en 1994, sans évoquer les procédures encore en cours liées à des catastrophes qui ont marqué le début des années 2000. Au coeur de ces affaires est principalement posée la question de la responsabilité des décideurs publics, dans un contexte marqué par l'appel à la sécurité, où l'incertitude et le risque doivent avant tout être maîtrisés. Est en effet considérée par nos concitoyens comme insupportable l'idée qu'un fait dommageable ne puisse pas être rattaché à une personne physique ou morale.

La loi du 13 mai 1996 avait été jugée inefficace par certains parlementaires comme ne mettant pas fin à la pénalisation croissante touchant les décideurs publics. Même si le principe constitutionnel d'égalité devant la loi imposait de rendre la loi du 10 juillet 2000 applicable à tous, ce texte a eu pour finalité affichée de mieux délimiter les contours de la responsabilité des décideurs publics en cas d'infraction d'homicide ou de blessures involontaires. L'innovation de cette loi, fruit d'un compromis entre les deux chambres, consiste à exiger en cas de causalité indirecte, une faute qualifiée. C'est ainsi que le législateur articule les concepts de faute et de causalité. Dans l'enchaînement causal, plus la faute sera indirectement liée au dommage, plus il conviendra qu'elle présente un degré certain de gravité pour entraîner une condamnation. Cette modification ne s'applique qu'aux personnes physiques, les personnes morales restant pénalement responsables même si une faute simple a causé indirectement un dommage.

La rencontre d'aujourd'hui repose me semble-t-il sur le postulat que les décisions rendues dans des affaires particulières n'auraient pas donné lieu à des sanctions pénales alors que des imprudences auraient été caractérisées. Serait en cause, selon vous, Monsieur le sénateur, la difficile question du lien de causalité entre ces imprudences constatées et le dommage, sujet conduisant à réfléchir à des voies alternatives, comme la mise en danger, pour traiter le cas des grandes catastrophes.

La régulation par le droit pénal commande que les concepts soient connus, maîtrisés, stabilisés afin de permettre aux personnes concernées de mesurer l'impact de leur responsabilité et d'adopter les comportements évitant la survenance d'un dommage. La justice pénale doit par ailleurs demeurer la véritable instance de prévention du risque, permettant un passage de la régulation publique à la régulation privée des comportements, par la mise en place de codes de déontologie ou de chartes éthiques au sein des entreprises. Se pose enfin la place de la victime. Or à la suite d'une transmission par la Cour de Cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a, le 23 juillet dernier, déclaré les dispositions de l'article 575 du code de procédure pénale contraires à la Constitution.