Colloque Sénat-UbiFrance sur l'Ukraine



Vendre et distribuer en Ukraine

Cette table-ronde était animée par Pierre COMPAGNON, Chef de la Mission économique à Kiev.

Participaient à cette table-ronde :

Matthieu DELAVENNE, Directeur, Schneider Electric Ukraine, CCEF ;

Charbel KANAAN, Directeur, Hexagone (produits de beauté) ;

Jean-Philippe BERNIER, Président directeur général, Alternativ ;

Eugène CHERNOV, Gérant, Abanico ;

Oxana GRIGOROVSKAYA, Directeur commercial, CGTT Voyages ;

Thomas HODGKINSON, Directeur commercial, ABX Logistics ;

Vladimir IVANOV, Représentant à Kiev, Société Générale, CCEF ;

Marina KHVATOVA, Directrice associée, Alest ;

Cyril LEFEBVRE, Directeur Routes Est, Daher.

I. Vendre à l'industrie et au Gouvernement

Matthieu DELAVENNE

L'environnement général et historique de l'Ukraine doit être rappelé. Ce pays est un véritable « patchwork » culturel de régions, dont les évolutions et le niveau de développement sont variables. La localisation des entreprises emporte donc des conséquences sur leur développement. Rappelons également que peu de personnes, en-dehors de Kiev, parlent le français et l'anglais. En outre, l'intégration verticale reste un fait marquant. En conséquence, les Ukrainiens font peu confiance aux sous-traitants ou aux partenaires.

Par ailleurs, la segmentation entre les différents secteurs de l'activité reste forte. Le fonctionnement en réseaux informels reste la règle. Peu de personnes ont une approche marketing. En effet, elles ont essentiellement une approche de producteur. Pour autant, les évolutions en la matière sont fortes. De manière générale, si les investissements sont plus faciles qu'auparavant, la situation demeure stable. Il convient donc d'être très strict, afin d'être certain de conserver le contrôle de son business.

En outre, il existe plusieurs types d'accès au marché ukrainien. Le bureau de représentation offre une certaine flexibilité, mais ne permet pas un accès complet au marché. En effet, il ne permet pas de travailler d'égal à égal avec un client ukrainien. Seule une filiale locale vous offre autonomie et accès facilité au marché.

L'Ukraine est un pays qui ne rémunère pas encore très bien la valeur intellectuelle. En conséquence, il est difficile de faire payer le service. Les processus de certification demeurent très complexes : de fait, la grande majorité des normes doit être revue. Les problèmes de propriété intellectuelle sont également très nombreux, aucun système ne permettant de reconnaître celle-ci. De plus, le système est limité par les contraintes fiscales et les problématiques de financement : les sociétés demeurent en effet sous-capitalisées.

Par ailleurs, le processus de vente aux entreprises publiques est lourd et très long. Les appels d'offres peuvent être remis en cause au gré des changements politiques. Toutefois, le Gouvernement s'est engagé à travailler sur le sujet. L'organisation, en outre, est souvent complexe : nombre d'interlocuteurs se déclarent être décideurs. C'est pourquoi il convient de décoder les rapports de force internes, pour identifier les vrais décideurs. Signalons que le financement reste le problème clé.

Enfin, je souhaite vous adresser quelques recommandations.

- Votre choix d'accès au marché doit dépendre de votre ambition en termes de business et de typologie de clients.

- Vous devez maîtriser, dès le départ, votre réseau de distribution.

- Vous avez intérêt à vous adjoindre les services d'un expatrié, qui sera chargé de former les collaborateurs ukrainiens. Il convient également de prendre des positions sur le marché de manière rapide et d'établir des bases saines et maîtrisées.

- Vous devez trouver les bons intermédiaires si vous voulez traiter avec les grandes sociétés d'Etat.

II. Animer un réseau de distribution

Charbel KANAAN

Notre société, Hexagone, est présente en Ukraine depuis 10 ans. PME, nous y distribuons des produits de beauté, en qualité de représentant unique de grandes marques françaises. En tant que PME, notre problématique est radicalement différente de celle des grands groupes.

Nous agissons dans le cadre du marché de la distribution sélective. Celle-ci n'existe pas comme concept légal. En outre, nous ne disposons d'aucune donnée relative à la taille du marché. Ce constat est notamment valable en matière d'évolution du marché des cosmétiques en Ukraine. En tant qu'acteur principal de ce marché, nous avons dû faire nos propres estimations. Il est à noter que leur calcul demeure très empirique.

En dépit de cette absence de données, nous savons que toutes les marques mondiales de cosmétiques sont représentées en Ukraine. Certaines procèdent à des exportations directes à des détaillants (Chanel) quand d'autres s'appuient sur des distributeurs exclusifs. Ce deuxième schéma est très majoritaire.

Il existe trois acteurs principaux en Ukraine. Nous en faisons partie. En parallèle, nous trouvons une multitude d'entreprises mineures. Cela dit, le marché est désormais très structuré et très concentré. Il repose sur quatre chaînes de distribution locales et de nombreuses sociétés ukrainiennes indépendantes : aucun distributeur occidental n'y est présent. Au total, nous comptons 140 points de vente, spécialisés dans le domaine de la distribution sélective, répondant aux standards de grandes marques. A titre d'exemple, signalons que la France compte 2 000 points de vente de ce type.

Certains des points de vente agréés présentent un chiffre d'affaires comparable à celui réalisé dans les meilleurs points de vente français. Leur organisation est typiquement occidentale. Nous trouvons, en parallèle, des points de vente non-agréés. Evidemment, ces derniers nous posent de nombreux problèmes. Leur assortiment de produits de grandes marques est relativement réduit et se cantonne à des produits peu chers ou à des produits accessibles sur le marché parallèle : il s'agit souvent de contrefaçons.

Notre société a été créée en novembre 1995 à Kiev. En décembre 2001, nous avons signé un contrat de partenariat stratégique avec Brocard, prévoyant des échanges d'actions entre les deux Groupes et une répartition des différents aspects de notre activité. Par ailleurs en 2003, nous avons décidé de nous développer en Russie. Cette démarche témoigne de la possibilité de s'implanter en Ukraine avant de s'attaquer au marché russe, plus concurrentiel et plus difficile.

Après dix ans d'existence et d'activité en Ukraine, Hexagone est le principal distributeur de parfums et de cosmétiques. Nous comptons 160 employés ukrainiens et sommes le premier annonceur dans la presse magazine nationale. Notre portefeuille de marques est le plus important en nombre et en chiffre d'affaires. Ainsi, nous représentons 96 marques en Ukraine, appartenant à Cosmopolitan Cosmetic, YSL Beauté, Procter & Gamble, Inter Parfums, Puig, Unilever etc., ce qui constitue un record mondial.

A présent, laissez-moi vous présenter notre mode de fonctionnement. Nos achats sont réalisés par une structure française, K&K, qui la refacture ensuite à Hexagone. Une telle logique donne des garanties de paiement à nos fournisseurs. En outre, d'un point de vue légal, nous avons tout intérêt à faire peser les contrats d'exclusivité sur une entité française. De surcroît, nous utilisons également une structure située à Berlin pour procéder à une partie de nos achats : dans ce cadre, nous recourons au même schéma que celui évoqué précédemment. En termes de structures, nous fonctionnons exactement comme une entreprise installée en Occident. Nos équipes sont composées de jeunes Ukrainiens, que nous avons entièrement formés. Certains d'entre eux, « partis de rien », occupent désormais des postes à très haute responsabilité.

Le marché ukrainien doit encore s'affranchir d'obstacles et de freins. La corruption, tout d'abord, est une réalité, présente à tous les échelons de la hiérarchie de la fonction publique. La bureaucratie reste pléthorique, quand les cadres légaux et réglementaires sont instables. Les habitudes de consommation sont radicalement différentes de celles constatées en Occident. Par ailleurs, la problématique du financement est évidemment cruciale pour une PME. Malheureusement, rappelons que les grandes banques françaises refusent de financer des PME travaillant avec l'Ukraine. Les grandes banques ukrainiennes, quant à elles, imposent des taux relativement élevés, de l'ordre de 13 % à 14 % pour des prêts en euro. Le personnel peut poser problème. En effet, si la main d'oeuvre qualifiée est abondante, nous avons besoin de compétences marketing, encore largement absentes. Enfin, l'existence d'un marché parallèle doit être signalée. Il repose très largement sur la contrefaçon. Au final, nous sommes confrontés à une concurrence déloyale forte, que ne se limite pas à cette simple problématique de la contrefaçon. En effet, certaines entreprises ne payent pas d'impôts. D'autres ne payent pas de droits de douane...

Le marché ukrainien présente néanmoins plusieurs attraits. Il est ouvert à la nouveauté. En outre, en pleine croissance, il n'est pas saturé. Les investissements publicitaires sont relativement peu élevés. De plus, des marques mineures ont la possibilité de s'y imposer. Enfin, une classe moyenne est en train d'émerger. Elle offrira des potentialités de développement très intéressantes.

III. Débat

Jean-François GREINER, ALIAXIS

En matière d'importations, l'Ukraine souffre-t-elle du même syndrome que la Russie ?

Charbel KANAAN

Il est évident que nous trouvons en Ukraine nombre d'importations « grises », voire « noires ». Certaines entreprises payent peu, voire pas, de droits de douane. Ces pratiques sont malheureusement courantes, et parfois banales. Pour notre part, nous payons tous nos droits de douane. Force est de reconnaître cependant que nous faisons figure d'exception.

Matthieu DELAVENNE

Les différences en la matière sont fortes selon les typologies de produits. Les droits de douane sont variables selon les produits. En conséquence, l'incitation à la fraude l'est tout autant. Signalons que les pouvoirs publics font preuve d'un grand volontarisme en la matière, souhaitant réellement rétablir une certaine équité.

De la salle

Monsieur Kanaan, êtes-vous confronté à ce que nous pouvons appeler une « véritable » contrefaçon ? Je pense notamment aux produits qui, bien qu'utilisant un label de luxe, sont en fait de faux produits.

Charbel KANAAN

Oui. Nous sommes confrontés à des produits contrefaits en provenance de Turquie, mais également d'Ukraine.

Elise ONDET, CCIP Hauts-de-Seine

Monsieur Kanaan a rappelé que les modes de consommation ukrainiens différaient des modes de consommation internationaux. Pourquoi les produits rencontrant un large succès dans le monde entier ne sont-ils pas des réussites en Ukraine, et inversement ?

Charbel KANAAN

Tout est question de goût. Par ailleurs, l'Ukraine, au contraire de la France par exemple, n'a pas de véritable histoire en matière de consommation de produits de grande marque. En effet, le marché ukrainien s'est ouvert au moment où les nouveautés étaient légion dans le domaine des produits de beauté. A cette date, elles sont toutes arrivées en Ukraine. Au final, les Ukrainiens ne font montre d'aucune fidélité aux marques.

De la salle

Qu'en est-il de la certification afférente aux produits d'équipement ?

Matthieu DELAVENNE

Cette certification existe. Elle suppose, de votre part, un investissement relativement lourd au départ. Enfin, force est de constater qu'elle se renforce.

Eugène CHERNOV

Il est possible de faire certifier des marchandises au cas par cas ou de manière permanente. Quoi qu'il en soit, il est important de disposer d'un partenaire local, en charge des questions de certification.

Valérie MARCELIN, L'Usine nouvelle

Considérez-vous que l'Ukraine peut constituer un bon apprentissage avant d'attaquer le marché russe ?

Cyril LEFEBVRE

Oui. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait au sein de l'usine Daher. Le développement en Ukraine permet de se familiariser avec le fonctionnement des marchés de la zone. L'Ukraine, de par sa position centrale, constitue une bonne plate-forme de distribution.

Marianne NUBLAT

Il faut rappeler, de manière générale, que l'Ukraine n'est pas un pays facile pour les PME.

Marina KHVATOVA

De plus en plus, les entreprises essaient de trouver leur place sur le marché russe en partant des pays voisins. Quoi qu'il en soit, tout dépend de votre stratégie et des produits que vous vendez.

Thomas HODGKINSON

Je considère, pour ma part, que le marché ukrainien est beaucoup plus facile à aborder que le marché russe, tant pour les PME que pour les grands Groupes.

Eugène CHERNOV

Le marché ukrainien présente un réel intérêt. Vous vous intéressez aux marchés polonais, tchèque et slovaque en raison de leurs tailles. Rappelons que l'Ukraine est un marché de 47 millions d'habitants, au potentiel industriel insuffisamment exploité.

De la salle

Des sociétés de négoce international peuvent-elles être référencées comme des centrales d'achat ? Doivent-elles, au contraire, référencer tous leurs produits ?

Charbel KANAAN

Elles doivent référencer tous leurs produits.

De la salle

Toutes les sociétés souhaitant s'implanter en Ukraine doivent faire attention aux noms de leurs marques. Blédina, par exemple, s'est implantée sous ce nom en Russie. Or « blédina » est un terme très vulgaire en russe. En conséquence, chaque entreprise doit être sensibilisée à cette question.

Marc GILLAUX, Bretagne International

Quels sont les modes de transport les plus appropriés pour accéder au marché ukrainien ?

Jean-Philippe BERNIER

Pour les Européens, la voie maritime n'est pas la plus appropriée. Si vous voulez exporter depuis l'Europe occidentale, le camion constitue le meilleur recours. En effet, la sécurité ne pose pas de problème particulier et les temps d'attente sont raisonnables.