Colloque Sénat-Ubifrance sur la Turquie (29 novembre 2005)



Les perspectives ouvertes par le projet européen
pour le développement des relations d'affaires

Pekin BARAN
Vice-président de TÜSIAD (patronat turc), Président de Denizcilik

Je voudrais vous faire partager mes convictions quant à la perspective d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, d'une part, et aux conséquences de cette adhésion sur les relations d'affaires entre la France et la Turquie, d'autre part. Quels sont les intérêts mutuels de la France et de la Turquie pour que le processus d'adhésion débouche sur une issue positive ? Toute adhésion a constitué un « pari » sur l'avenir : souvenons-nous de l'Espagne, du Portugal ou d'autres pays, pour lesquels les intérêts mutuels ne semblaient pas, au départ, aussi grands que ceux qui se sont fait jour depuis lors. Dans le cas de la Turquie, une dualité antinomique apparaît entre ce dont nous parlons et les relations que l'on observe parfois. Nous savons que les craintes qui s'expriment sont liées par exemple à la peur de perdre des avantages acquis ou de voir des bouleversements affecter par exemple le marché de l'emploi. Ces craintes sont-elles fondées ?

Dans un premier temps, la perspective de l'adhésion à l'Union européenne apporte une stabilité politique et macroéconomique au pays candidat, en rapprochant les conditions de production industrielle et des échanges des standards européens. Il en résulte un effet très net : les investissements des pays membres vers le pays candidat tendent rapidement à s'accroître, du fait de la plus grande stabilité économique et politique. Ce sont alors, peu à peu, les États membres qui commencent à percevoir les fruits de ce processus, car le volume d'échanges s'accroît, avec une part plus grande réservée aux États membres de l'Union européenne. Ce sont les pays riches, à l'économie avancée, de l'Union qui en bénéficient le plus car l'accroissement des échanges se traduit par une nécessité accrue d'importations de biens d'équipement et de biens intermédiaires. Un cercle vertueux se met ainsi en place, selon un processus qui s'auto-alimente et qui renforce les intérêts mutuels de l'Union et de la Turquie.

La phase de négociation vient de s'ouvrir mais nous sommes entrés, depuis trois ans déjà, dans un mécanisme produisant des résultats favorables sur l'économie du fait de la perspective d'adhésion. Les efforts immenses, sur le plan budgétaire et financier, consentis par la Turquie ont été salués par M. Blanc. Le PNB a crû de 110 % et les déficits publics ont été réduits de façon considérable. L'inflation a été ramenée de 69 % à 9,4 %. De façon concomitante, le deuxième effet que j'évoquais s'est fait sentir : nous avons assisté à une croissance extraordinaire des échanges commerciaux avec l'Union européenne. Ceux-ci ont en effet augmenté de 71 % entre 2001 et 2004, et si l'on analyse les choses de façon plus détaillée, on s'aperçoit que la part des importations de la Turquie, dans ces échanges, a bondi de 6 % à 11 %. La croissance des échanges a donc bénéficié à la Turquie mais aussi, de façon visible, aux États membres de l'Union.

En 2003 et 2004, les échanges entre la Turquie et la France ont crû de 78 % et les exportations françaises ont augmenté de 33 %, contre 23 % pour les importations. En outre, il ne fait pas de doute que les importations turques ont créé de l'emploi en France : 85 % des importations de biens français en Turquie ont concerné des biens industriels (automobile, biens d'équipement et biens intermédiaires). Ce profil dans les échanges entre nos deux pays n'est pas nouveau, ce qui permet d'affirmer que l'accroissement des échanges entre la Turquie et la France est loin de peser négativement sur le marché de l'emploi en France.

Il nous faut également évoquer les délocalisations. Par exemple, Peugeot exporte en Turquie, tandis que Renault, pour sa part, produit en Turquie pour l'exportation vers divers pays, incluant la France. Le secteur automobile est le secteur le plus vivant du point de vue des échanges entre la France et la Turquie. Quelles en sont les conséquences ? Entre 2000 et 2004, le volume des échanges entre nos deux pays a représenté 16,5 milliards d'euros et la balance de ces échanges est à l'avantage de la France : ses exportations ont représenté plus de 4 milliards d'euros, contre un peu plus de 3 milliards d'euros pour la Turquie. L'accroissement des échanges ne va donc pas davantage à l'encontre de l'industrie française.

Une conclusion s'impose : grâce à son ancrage dans l'Union européenne, la Turquie pourra poursuivre sa croissance, ce qui devrait diminuer, sinon éliminer les difficultés auxquelles elle doit faire face aujourd'hui, notamment sur le terrain de l'emploi. Surtout, cette croissance bénéficiera aux États membres de l'Union européenne et ne se fera pas à leur détriment, et la France devrait tout particulièrement tirer parti d'une intensification des échanges avec la Turquie.

Catherine MARTEL, Mutualité sociale agricole

Nous entendons nos partenaires turcs et nous partageons tout à fait leur point de vue. On peut en revanche s'inquiéter de la façon dont les Français s'organisent pour faire progresser ou maintenir leur présence en Turquie. Je souhaiterais aussi bénéficier d'éclairages sur la situation sociale en Turquie et sur la coopération institutionnelle bilatérale entre la France et la Turquie.

Jacques BLANC

Il existe un groupe d'amitié France-Turquie, qui soutient l'ensemble des initiatives prises, que ce soit dans le domaine économique ou dans d'autres domaines. Les moyens financiers prévus pour les groupes d'amitié ne permettent pas de constituer de grandes délégations mais les échanges sont également organisés au niveau des ministres ou du Président de la République. Il existe aussi une dimension d'échange, que je n'ai pas évoquée, mais qui pourrait voir le jour au niveau du Comité des régions d'Europe. Celui-ci organise des échanges et des coopérations décentralisées entre collectivités territoriales et un séminaire a par exemple eu lieu récemment à Istanbul, regroupant les maires de Turquie et les représentants de collectivités locales européennes.

La Mutualité sociale agricole, singulièrement, doit être partie prenante des échanges avec la Turquie, à un moment où l'Europe a besoin de développement rural mais commet parfois des erreurs d'analyse assez grossières concernant la Politique agricole commune. Mobilisons-nous pour maintenir le maximum de vie en milieu rural. Je vous propose que des échanges puissent avoir lieu entre les acteurs des politiques de développement rural en France et en Turquie, pour que le « boom » qu'a connu la Turquie ne s'accompagne pas d'un risque de fracture territoriale.

Pekin BARAN

Après l'affaire de 2001, la coopération bilatérale et les échanges de visites ont été assez limités entre la France et la Turquie. On assiste depuis peu à une reprise très vive de ces échanges, avec par exemple le voyage en Turquie du Président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, ou celle, toute récente, du groupe d'amitié du Sénat. Une délégation de la TÜSIAD (patronat turc) est également venue en France. Prochainement, deux ministres doivent se rendre en Turquie : Mme Alliot-Marie et M. Douste-Blazy probablement au début du mois de février.

S'agissant de l'agriculture, tous les villages de Turquie seraient ravis de coopérer plus étroitement dans le cadre de la coopération décentralisée. A l'OMC, les positions que défendront la France et la Turquie dans le domaine agricole ne devraient pas, en tout cas, être très éloignées.

Ender ARAT

Les réformes politiques ont constitué un préalable indispensable à l'ouverture des négociations avec l'Union européenne. Il n'en allait pas de même des réformes dans le domaine social, ce qui n'a pas empêché la Turquie de mener aussi de front des réformes ambitieuses dans ce domaine. Il ne faut pas oublier non plus que la Turquie ne va pas devenir membre à part entière de l'Union européenne du jour au lendemain : ceci se fera de façon progressive.