I - LE SAHEL DANS LA TOURMENTE TERRORISTE

Le déplacement de la délégation du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest au Niger et au Mali avait plusieurs objectifs :

- faire le point sur la situation sécuritaire dans la bande sahélienne , compte tenu du rôle du Niger dans la lutte contre les groupes armés terroristes, de l'état des forces au Mali et de l'implication de l'armée française dans la zone ;

- mesurer les enjeux politiques et économiques auxquels sont confrontés le Niger et le Mali, dans un contexte démographique tendu ; la situation politique du Niger a fait l'objet d'une attention plus particulière puisque quelques jours avant l'arrivée de la délégation dans ce pays, s'est produit le départ du président de l'Assemblée nationale, M. Hama Amadou, visé par la justice de son pays dans le cadre d'une affaire de « supposition d'enfant » 2 ( * ) ;

- évaluer le dispositif sanitaire mis en oeuvre dans la lutte contre la propagation du virus Ebola.

La délégation a également été très soucieuse de renforcer les liens d'amitié et de travail unissant les parlementaires français et ceux de ces deux pays. Elle a ainsi eu l'occasion de s'entretenir à plusieurs reprises avec les membres du groupe d'amitié Niger-France de l'Assemblée nationale, et de retrouver ceux du groupe d'amitié Mali-France de l'Assemblée nationale lors d'une rencontre organisée à l'Ambassade de France.

La situation sécuritaire dans la bande saharo-sahélienne a donc été au centre des discussions et des préoccupations de la délégation du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest. La sous-région est, en effet, confrontée depuis plusieurs années à une situation d'insécurité liée aux divers trafics et aux actions de groupes armés terroristes. Des facteurs historiques et géographiques permettent d'en comprendre la réalité : territoire en partie désertique, populations nomades, porosité des frontières, imbrication des intérêts économiques et politiques, ...

« Depuis quelques années, la zone sahélo-saharienne est perçue par les pays occidentaux comme un espace particulièrement dangereux marqué par la montée de l'insécurité, les crises politiques et les flux mal contrôlés d'hommes, d'armes et d'autres biens licites et illicites » . 3 ( * ) « L'urgence est aujourd'hui à une action globale (gouvernance, sécurité, développement...) à dimension régionale ». 4 ( * )

A. LE NIGER, UN ILÔT DE PAIX DANS UN OCÉAN TROUBLE

Le Niger apparaît comme l'allié principal de la France dans la zone et le plus sûr à l'heure actuelle. Il est l'élément stabilisateur au sein d'un ensemble de pays politiquement ou militairement plus fragiles. Lors de leurs entretiens avec la délégation, les responsables politiques nigériens l'ont décrit comme une « enclave dans une zone de foyers d'insécurité » . Ils ont ainsi fait part de leurs difficultés à assurer la protection et le contrôle d'un vaste territoire de plus d'1,2 million de km 2 dont la porosité des frontières est une réalité indéniable. Les problèmes religieux s'affranchissent des frontières, qui s'avèrent de toute façon très difficiles à contrôler en raison même de la topographie du terrain.

Les autorités politiques nigériennes ont tenu à mettre en avant les efforts remarquables accomplis par leur pays dans la lutte contre l'insécurité et le terrorisme.

Ce pays fait toutefois face à une situation intérieure et extérieure difficile liée à la crise sécuritaire qui frappe la région. Les trafics d'armes et de stupéfiants se multiplient.

Le pays partage, en effet, des milliers de kilomètres de frontières avec des voisins plutôt fragiles : Libye, Nigéria et Mali constituent aujourd'hui les principales menaces, dont l'apparition et le développement se sont échelonnés dans le temps. La menace terroriste y est très forte, l'expansion de la secte Boko Haram relevant le niveau d'insécurité

La question libyenne et la recherche d'une solution militaire et politique dans cette zone constituent un préalable à la stabilité de la bande sahélo-saharienne. La circulation des armes dans l'espace sahélien résulte en effet largement d'un conflit libyen resté en suspens.

Ainsi, très préoccupé par la situation de la Libye, « lieu de tous les trafics » , M. Mohamed Ben Omar, 4 ème vice-président de l'Assemblée nationale du Niger, a déploré un « service après-vente non assuré » par la France. M. Massaoudou Hassoumi, ministre de l'Intérieur du Niger, considère l'intervention des Occidentaux en Libye comme un « accélérateur puissant » de l'action des groupes terroristes dans la zone, la disparition du régime de Kadhafi ayant laissé place au chaos en l'absence de « politique de l'après ».

Le dispositif mis en place par les autorités nigériennes a pour objectif de bloquer toute velléité d'infiltration de groupes et d'hommes armés sur la frontière avec la Libye afin de « faire de la frontière Libye-Niger un verrou » , selon l'expression du ministre. Ce dispositif est appelé à monter en puissance. Selon M. Mohamed Bazoum, ministre des Affaires étrangères du Niger, les islamistes sont aujourd'hui majoritaires en Libye, mais divisés, avec de nombreuses milices et tribus qui offrent un potentiel de conflit très important.

Depuis le déplacement de la délégation, une intervention internationale en Libye a été demandée par cinq États du Sahel, le Niger, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Burkina-Faso, le 19 décembre dernier. Ces pays appellent à la mise en oeuvre d'une force internationale pour « neutraliser les groupes armés ». Cette option ne fait pas l'unanimité, suscitant notamment des réserves de la part des autorités libyennes réfugiées à Tobrouk et de plusieurs pays de la région. La France a par ailleurs écarté, au début du mois de janvier, toute intervention strictement française.

L'autre foyer d'inquiétude est le Nigéria, actuellement en prise aux assauts du mouvement Boko Haram, dont l'expansion est favorisée par une extrême pauvreté et l'absence de perspectives pour la jeunesse du pays. Alors que l'armée nigérienne a pu, par ses opérations, dans un premier temps, limiter les infiltrations des groupes terroristes et contrôler la frontière sud du Mali, l'efficacité de l'armée nigériane pâtit de sa désorganisation et de la corruption. Cette dernière, relevée par de nombreux interlocuteurs de la délégation, a affaibli la place de ce pays dans la sous-région alors même qu'il en était un élément important notamment sur le plan militaire.

L'implantation de la secte Boko Haram au nord du Nigéria, avec la prise de la localité de Damboa dans l'État de Borno et son influence grandissante sur ce territoire, est dès lors facilitée par l'affaiblissement de l'État et la déroute de l'armée nigériane. Considérées auparavant comme un problème circonscrit au nord-est du pays, les attaques de Boko Haram, qui ont fait plus d'une dizaine de milliers de morts et un million et demi de personnes déplacées depuis 2009, se sont propagées dans la région et ont révélé l'ampleur de la menace djihadiste. L'armée nigériane s'est depuis engagée dans des opérations militaires contre Boko Haram.

Suite à l'enlèvement, le 14 avril 2014, de plus de 200 lycéennes par le mouvement terroriste, qui a été condamné par l'ensemble de la communauté internationale et l'a mobilisée, la France a accueilli un sommet autour du Président nigérian, M. Goodluck Jonathan, pour établir une stratégie régionale contre la secte islamiste. Sans intervenir directement, Paris souhaite mettre son expertise à la disposition des pays frontaliers.

Sommet de Paris pour la sécurité du Nigéria - 17 mai 2014

Conclusions

Les Chefs d'État du Bénin, du Cameroun, de la France, du Nigéria, du Niger et du Tchad, ainsi que les représentants des États-Unis, du Royaume Uni et de l'Union Européenne, ont participé le 17 mai 2014 à Paris à un sommet consacré à la sécurité du Nigéria. Ce sommet a permis d'intensifier la mobilisation régionale et internationale pour lutter contre le terrorisme du groupe Boko Haram.

La réunion s'est conclue sur plusieurs décisions qui permettront de renforcer la coopération entre les États de la région, à la fois pour permettre la libération des jeunes filles enlevées [en avril 2014] et plus largement pour lutter contre Boko Haram. Les partenaires présents (France, États-Unis, Royaume-Uni, Union européenne) s'engageront à soutenir cette coopération régionale et à renforcer le dispositif international de lutte contre Boko Haram et de protection des victimes. Tous les États réaffirment leur engagement en faveur des droits de l'Homme, et en particulier la protection des droits des jeunes filles victimes de violences, de mariages forcées ou menacés d'esclavage.

- Coopération régionale : le Nigéria et ses voisins développeront des capacités d'analyse et de réaction qui contribueront à renforcer la sécurité de toutes les populations et l'État de droit dans les zones affectées par l'action terroriste de Boko Haram. Pour lutter contre la menace créée par Boko Haram, qui s'est dernièrement manifestée par plusieurs attentats meurtriers et par l'enlèvement de plus de 270 lycéennes, le Nigéria et ses voisins décident d'immédiatement de :

1. Sur une base bilatérale : procéder à des patrouilles coordonnées dans un objectif de lutte contre Boko Haram et de recherche des disparues ; mettre en place un système de partage du renseignement afin de soutenir cette action opérationnelle ; mettre en place des mécanismes d'échanges d'information sur les trafics d'armes et renforcer les mesures de sécurisation des stocks des armées et mettre en place des mécanismes de surveillance des frontières.

2. Sur une base multilatérale : mettre en place une cellule de fusion du renseignement ; instituer une équipe dédiée qui identifiera les moyens à mettre en oeuvre et élaborera dans un second temps une stratégie régionale de lutte contre le terrorisme, dans le cadre de la Commission du Bassin du Lac Tchad ; cette approche s'inscrit dans la logique du sommet de la Commission du Bassin du Lac Tchad de 2012. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l'UE coordonneront leur soutien à cette coopération régionale : expertise technique, programmes de formation, soutien à des programmes de gestion des espaces frontaliers.

- Action au niveau international : les participants s'engagent à accélérer la mise en place de sanctions internationales, en priorité dans le cadre des Nations Unies, à l'encontre de Boko Haram, d'Ansaru et de leurs principaux responsables.

- Mobilisation en faveur des zones marginalisées et de leurs populations fragiles, notamment les femmes exposées aux violences.

Le P3 et l'UE s'engagent à mobiliser les bailleurs de fonds en faveur de programmes favorisant le développement socio-économique des régions concernées, avec un accent particulier sur l'égalité femme-homme, les droits des femmes et des filles et notamment leur droit à l'éducation, le renforcement de la participation des femmes à tous les processus de décision ainsi que le soutien aux victimes de violences sexuelles (assistance juridique, aide médicale et soutien psycho-social). L'UE dédiera un certain nombre de ces programmes en ce sens et renforcera son action de lutte contre la radicalisation.

Les participants sont convenus que le Royaume Uni accueillerait une réunion de suivi le mois prochain au niveau ministériel pour faire un point des progrès de ce plan d'action.

Source : Site internet de la Présidence de la République (www.elysee.fr)

Le Niger entretient des liens historiques, linguistiques et culturels forts avec le Nigéria, ainsi que d'importants liens commerciaux.

Après avoir déployé des unités mixtes de police, de gendarmerie et de la garde nationale dans la zone de Zinder, à Diffa, en raison de la proximité de bases de Boko Haram situées sur la frontière ces derniers mois, le Niger a proclamé, le 10 février 2015, l'état d'urgence dans cette région suite aux récentes attaques répétées du groupe. La secte a en effet mené ses premières actions contre le Niger le 6 février. Le Parlement a d'ailleurs autorisé l'envoi de quelque 750 hommes au Nigeria pour le combattre. Ces militaires doivent rejoindre une force multilatérale mixte de 8 700 hommes venant des armées du Nigeria, du Tchad, du Cameroun et du Bénin. Ces pays veulent aussi déposer très rapidement un projet de résolution devant le Conseil de sécurité de l'ONU afin de rendre opérationnelle la force mixte. Les récents affrontements à Karamga, un village proche du lac Tchad, et l'assaut qui s'en est ensuivi ont malheureusement provoqué la mort de sept soldats nigériens.

L'appel à l'aide du président nigérian aux États-Unis traduit cette emprise croissante des djihadistes de Boko Haram sur le territoire frontalier avec le Niger et le Tchad. En visite au Niger le 22 février 2015, le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, a rappelé que le Nigéria devait s'engager pleinement dans la lutte contre les islamistes de Boko Haram.

Le groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest est particulièrement préoccupé par cette situation qui menace désormais directement quatre pays et qui témoigne malheureusement de l'impasse dans lesquels se trouve cette région pour faire face aux attaques d'ampleur du groupe islamiste terroriste. La délégation avait été alertée par les autorités nigériennes rencontrées en septembre dernier sur cette menace dont elle avait déjà mesuré l'ampleur du danger.

Les autorités nigériennes se sont également, à plusieurs reprises, fortement inquiétées auprès de la délégation du groupe d'amitié de la situation sécuritaire de leur voisin malien. Le Niger est engagé militairement dans les efforts de stabilisation régionale au Mali dans le cadre de la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali). L'armée nigérienne est considérée par les experts militaires comme l'une des plus opérationnelles de la force africaine. Actuellement, 675 soldats nigériens sont déployés au Nord-Mali.

Face à la dégration de son environnement, le Niger a axé sa politique sur des priorités essentiellement sécuritaires et engagé des efforts financiers considérables dans le domaine de la sécurité. Des ressources importantes ont été réorientées vers le budget de la défense, qui a doublé depuis 2012 et représente aujourd'hui 240 millions d'euros, soit 25 % de celui de l'État, effectifs compris. Ces efforts semblent pris en compte et reconnus par l'Union européenne, et plus particulièrement par la France, qui en apprécie l'ampleur. L'armée nigérienne comprend actuellement 12 à 13 000 hommes, dont 2 000 sont déployés dans le cadre de la « Minusma » et en Côte-d'Ivoire, et un peu moins de 2 000 sur les sites d'extraction de l'uranium et du pétrole. Il convient de noter que les effectifs des forces de sécurité augmentent de manière constante, avec le recrutement de plus de 1 000 policiers et 1 000 gardes nationaux chaque année depuis trois ans.

Par ailleurs, les autorités nigériennes sont extrêmement attentives à instruire tous les dossiers liés aux affaires de terrorisme et au trafic de drogues dans le respect des règles de procédure. Le Niger peut être considéré comme le pays le plus stable et le plus actif dans la lutte contre le terrorisme dans la zone sahélo-saharienne. Pour le Premier ministre du Niger le Président Issoufou a réussi à maintenir l'unité nationale, la présence de l'Etat dans le nord du pays et l'intégration de la communauté touareg dans les sphères politiques.


* 2 Délit qui consiste à attribuer la maternité d'un enfant à une femme qui ne l'a pas mis au monde en dehors de toute procédure d'adoption (délit de simulation en droit français).

* 3 Crisis group, Rapport Afrique N° 208, 19 sept. 2013.

* 4 Rapport d'information n° 720, Sénat, 2012-2013, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées par le groupe de travail « Sahel ».

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