B) Le Zimbabwe d'aujourd'hui : un rôle à jouer pour la France

Le cas des relations avec le Zimbabwe est exemplaire des atouts et de leurs limites, dont dispose la France pour s'implanter dans la partie australe du continent africain qui a longtemps constitué une "terra incognita" pour notre pays.

Que ce soit dans les domaines politique ou économique, la plus forte motivation à la création d'échanges - car ils sont jusqu'ici essentiellement formels -tient au désir mutuel de diversification des alliances. Reste que cette zone économique fait déjà l'objet d'une rude concurrence entre d'entreprenants pays occidentaux, ce qui risque de dissuader les capitaux français de s'y investir.

a) des atouts politiques à appuyer

Depuis la participation du Président Mugabe au sommet franco-africain de Biarritz, en novembre 1994, plusieurs membres du Gouvernement d'Harare se sont succédé en France, alors que le ministre délégué à la coopération, M. Jacques Godfrain, se rendait au Zimbabwe, au mois de janvier 1996, lors d'une tournée en Afrique australe.

Puis, le Président Mugabe, qui remplacera Paul Biya au mois de juin 1997 à la présidence de l'O.U.A. a été reçu en visite officielle à Paris, les 6 et 7 mars 1997.

Ainsi a été solennisée la volonté de Harare de s'ouvrir sur un pays européen non membre du Commonwealth et dont le rôle est influent en Afrique centrale.

L'organisation à Harare des jeux Panafricains, au mois de septembre 1995, a fourni l'occasion aux autorités de mesurer la place de la langue française dans le reste du continent, et a encore renforcé la fréquentation de l'Alliance française d'Harare, connue pour son rôle d'animation culturelle sans égal dans une capitale à cet égard un peu morne. Le moment semble ainsi venu de renforcer notre action envers un pays qui a longtemps semblé dépendre exclusivement du monde anglo-saxon et de l'Afrique du Sud.

1. L'effondrement du bloc de l'Est a redistribué les alliances au profit de l'Occident

Si, après l'indépendance, la politique intérieure du Zimbabwe a été singulièrement plus ouverte qu'on ne pouvait le craindre, en revanche, ses appuis internationaux se sont caractérisés par un non-alignement de tendance progressiste.

Harare était également un membre actif des pays de la "ligne de front" contre l'Afrique du Sud.

La considérable évolution internationale intervenue de 1989 (chute du mur de Berlin) à 1991 (libération de Nelson Mandela) a eu des effets décisifs sur la politique extérieure du Zimbabwe.

S'agissant des pays occidentaux. Robert Mugabe a alors amorcé un rapprochement avec plusieurs pays, au premier rang desquels l'ancienne métropole coloniale ; outre la Grande-Bretagne, des liens se sont également tissés avec le Canada, l'Allemagne, le Japon, la Suède et la France.

Le choix de ces pays était largement dû à l'importance des fonds qu'ils consacraient à l'aide au développement du Zimbabwe.

La France, pour sa part, n'a pas su faire preuve jusqu'à présent du même dynamisme, essentiellement du fait que son action est largement orientée vers d'autres parties du continent. Des potentialités existent cependant pour un rééquilibrage économique.

2. L'autorité régionale du Président Mugabe a pâti de l'émergence de l'Afrique du Sud

Tant que son puissant voisin sud-africain vivait sous la contrainte de l'apartheid, Robert Mugabe jouissait pleinement de l'autorité découlant de son combat victorieux pour l'indépendance et de la modération avec laquelle il avait su conduire son pays après cette échéance.

Aujourd'hui, plusieurs facteurs sont venus altérer cette aura : tout d'abord, le pouvoir s'est raidi lors de l'apparition des premiers grands conflits sociaux, notamment dans la fonction publique. Cependant, la division de l'opposition, comme la faible capacité d'expression qui lui est concédée par le pouvoir en place, ne permettent pas une traduction politique institutionnelle de ce mécontentement.

Les législatives d'avril 1995 ont, en effet, donné 82 % des voix à la ZANU-PF, qui remporte alors 118 sièges sur 120. De même, les élections présidentielles de mars 1996 ont reconduit Robert Mugabe pour un mandat de cinq ans, avec 92 % des suffrages exprimés, mais n'ont mobilisé qu'une faible partie de l'électoral (70 % d'abstentions).

Or, le mécontentement a crû, notamment du fait de l'application du programme d'ajustement structurel lancé en 1991 sous l'impulsion du Fonds Monétaire International. Cependant les mesures requises en matière fiscale et budgétaire ont tardé, au point que le FMI a suspendu son aide en 1995.

Les privatisations timidement amorcées et surtout le problème foncier ont donné lieu à des déclarations officielles inopportunes mettant en cause l'attitude de la communauté d'origine européenne.

Ces motifs internes de contrariété pour le Président ont été doublées par son relatif effacement sur la scène régionale, marquée par l'émergence de la figure charismatique de Nelson Mandela.

C'est pourquoi la France pourrait, pour accroître sa faible audience en Afrique australe, contrebalancer ce climat de relative désillusion par une action plus dynamique envers Harare.

b) des opportunités économiques à saisir rapidement

Avec un Produit Intérieur Brut de 600 dollars US par habitant, une inflation en nette régression (de 26 % en 1995 à 16 % en 1996) et de forts besoins d'équipement liés à une croissance soutenue (passée de 5 % à 8 % du PIB de 1994 à 1996), le marché zimbabwéen offre de multiples possibilités d'investissements.

Ceux-ci sont d'ailleurs ardemment souhaités par les hommes d'affaires locaux 6 ( * ) , qui désirent varier leurs partenaires, et sollicitent une plus forte implication de la France. La diversification de l'économie du Zimbabwe en fait un marché attractif, mais qui n'est pas exempt de risque.

1 . Un marché diversifié et attractif

Le climat tempéré et la fertilité des terres - qui ont été à l'origine de la colonisation européenne - concourent au dynamisme du secteur agricole, dont les points forts en valeur sont le tabac (le Zimbabwe est le premier exportateur mondial), et les fleurs coupées (envoyées quotidiennement par avions spéciaux sur les marchés européens). A ces productions s'ajoutent celles de céréales, viande, et pour des montants plus modestes, de soja et de paprika. Au total, la productivité du secteur agricole est jugée équivalente à celle des États-Unis.

Les ressources minières sont variées (or, platine, chrome). Les infrastructures de transport héritées de la colonisation, le fort potentiel hydroélectrique, comme la modicité des salaires locaux (le salaire mensuel de base se monte à 250 francs français, contre 1000 francs en Afrique du Sud) contribuent à valoriser un secteur manufacturier qui a été considérablement renforcé lorsque le pays était frappé de sanctions internationales (1965-1980).

Enfin, le tourisme est déjà un secteur prometteur, puisque le Zimbabwe est la troisième destination des touristes européens en Afrique, après le Kenya et l'Afrique du Sud.

A cela s'ajoute une bonne réputation financière du pays à l'étranger, qui se traduit par les taux pratiqués par la COFACE parmi les plus bas en Afrique australe, avec l'Afrique du Sud et le Botswana.

Les entreprises françaises ont d'ailleurs bénéficié de l'expansion de ce marché, en exportant pour 350 millions de francs en 1996, somme modeste, mais qui a cependant doublé depuis 1993.

Les principaux opérateurs en ce domaine sont : Total, Peugeot. Rhône-Poulenc, Schneider, Société Générale, et les groupes de télécommunications SAT et TRT.

2. Des facteurs d'incertitude dans un contexte très concurrentiel

La France occupait, en 1995, l'avant-dernier rang des fournisseurs, et le dernier rang des clients du Zimbabwe 7 ( * ) . En plus des traditionnels opérateurs économiques de la région, de nouveaux partenaires sont récemment apparus, dont l'Australie (secteur minier), et la Malaisie.

Cependant, une plus forte implication des opérateurs français est freinée par plusieurs incertitudes : tout d'abord, une indéniable opacité dans les conditions de passation de certains grands marchés, comme l'a récemment illustré l'attribution de la construction du nouvel aéroport d'Harare à une société chypriote, au détriment d'Aéroports de Paris.

Ensuite, la pratique d'un droit des affaires héritée de la tradition anglo-saxonne, très éloignée de notre propre tradition latine qui privilégie l'écrit.

Enfin, les incertitudes inhérentes aux conditions dans lesquelles s'opéreront les futures dénationalisations, dont le Président Mugabe souhaite ardemment qu'elles soient l'occasion d'une prise de contrôle par des opérateurs locaux, plutôt que par des sociétés étrangères.

Sous ces réserves, de nombreuses possibilités d'investissement s'offrent aux capitaux français, qui bénéficient d'une forte attente dans les secteurs où le savoir-faire de notre pays n'est plus à démontrer, tel que les grands projets d'infrastructure (eau, réseau ferroviaire et routier, télécommunications), et le secteur hôtelier.

De surcroît, l'union douanière qui est en projet au sein de la Communauté de Développement d'Afrique Australe (South Africa Development Community -SADC), rend attractive toute implantation dans l'un de ses membres par l'ouverture qu'elle facilite à un marché potentiel de 130 millions d'habitants.

Compte rendu de l'entretien avec

M. NCUBE, Président du Zimbabwe Investment Center

Vendredi 11 avril 1997

M. Ncube a souligné d'emblée combien l'économie de son pays avait changé durant ces cinq dernières années : le marché s'est substitué à l'économie dirigée, ce qui a entraîné la suppression de tous les contrôles sur les devises et les investissements.

Aussi, l'ouverture du marché local sur l'extérieur est-il nécessaire pour dynamiser encore la croissance.

Évoquant la place des entreprises françaises, il a regretté leur timidité : ainsi, tous les taxis, que ce soit en ville (Renault) ou en brousse (Peugeot) ont-ils été progressivement remplacés par des marques japonaises ou coréennes. Il a rappelé que l'aide publique française devait `s'accompagner d'investissements privés, qui ont malheureusement beaucoup décru depuis l'indépendance, alors qu'ils étaient actifs avant cette date.

Les secteurs d'élection de ces investissements lui semblent être le tourisme avec l'aménagement d'hôtels de toute catégorie, comme de bungalows pour l'écotourisme, avec les véhicules correspondants.

Les produits agricoles sont actuellement exportés bruts, alors que le Zimbabwe souhaite les transformer sur place, et ceci pour des produits aussi divers que le coton, ou les fruits et légumes.

La production minière est appelée à un considérable développement, notamment celle de platine, dont la demande a crû avec le développement des pots d'échappement catalytique.

Les services financiers, banques et assurances, l'équipement hydraulique et routier sont également demandeurs de capitaux étrangers.

Après les interventions de M. Lauret, qui a évoqué le voeu du Président Chirac que le département français de La Réunion joue un rôle actif vers l'Afrique australe et de M. Vigouroux, qui a rappelé l'importance de la barrière linguistique dans le domaine du tourisme. M. Ncube a conclu en rappelant que l'Afrique australe constituait le prochain marché émergent après l'Asie.

* 6 cf ci-dessous compte-rendu de l'entretien avec M. Ncube, Président du Zimbabwe Investment Center

* 7 cf annexe 2

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