Étude du service des collectivités territoriales n° 6 (2006-2007) - 20 juin 2007

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LES ASPECTS POLITIQUES ET FINANCIERS DE LA DÉCENTRALISATION

Compte rendu de la conférence-débat
de l'Observatoire de la Décentralisation

avec les Membres de son Comité d'Experts,

ouverte à l'ensemble des Sénateurs

Jeudi 1 er février 2007

Palais du Luxembourg

Paris

INTRODUCTION

L'Observatoire sénatorial de la Décentralisation a organisé, le 1 er février 2007, une conférence-débat avec son comité d'experts, qui a donné lieu à un fructueux échange de vues, ouvert à tous les sénateurs, sur les aspects politiques et financiers de la Décentralisation .

La première table ronde, qui a vu intervenir les sénateurs Jean Arthuis, Rémy Pointereau, Jacqueline Gourault, Adrien Gouteyron, François Fortassin, Charles Josselin et Michel Mercier, s'est notamment appuyée sur une analyse faite par M. Dominique Reynié, professeur des universités à Sciences Po, des résultats d'une enquête conduite par l'Institut TNS-SOFRES sur la perception de la Décentralisation par les élus locaux. S'agissant de la mise en oeuvre de la Décentralisation, le sondage fait apparaître qu'une majorité d'élus exprime une déception par rapport aux fortes attentes en matière de Décentralisation, d'autonomie et de gouvernance locales.

Au cours de la deuxième table ronde, ouverte par l'exposé du sénateur Yves Fréville, membre du comité d'experts de l'Observatoire, s'est engagé un second débat auquel ont participé les sénateurs Henri de Raincourt et Alain Vasselle mais aussi de nombreux experts 1 ( * ) sur l'avenir de notre système de finances locales, qui est apparu « réformable », malgré son ancienneté.

Cette conférence-débat, première du genre dans l'histoire encore très récente de l'Observatoire sénatorial de la Décentralisation, fut un vrai succès. Elle a constitué une étape importante dans le processus qui nous a conduit à publier le 21 février notre rapport d'étape « Être élu local : adapter notre gouvernance locale au défi de la Décentralisation » et nous invite aujourd'hui à approfondir notre réflexion dans la perspective de propositions qui devraient être formulées à la rentrée.

Jean PUECH

ALLOCUTION D'OUVERTURE DE M. JEAN PUECH : « L'ÉLU LOCAL AUJOURD'HUI »

Sénateur de l'Aveyron

Président de l'Observatoire de la Décentralisation

La République française est constitutionnellement décentralisée. La majorité des élus apprécie le processus régulé par les Actes I et II de la Décentralisation. Elle s'impose dans plusieurs domaines majeurs de l'action publique, comme j'ai pu moi-même le constater dans mon rôle de Président de Conseil Général. En effet, la Décentralisation nous a permis d'optimiser l'action dans le domaine social, la gestion des voiries, la gestion des établissements scolaires ou encore la formation professionnelle. Bien que les avancées dans le domaine des expérimentations restent, pour le moment, imparfaites, différentes étapes marquent la volonté des élus locaux et nationaux de poursuivre ce projet.

Il y a quinze jours, un hebdomadaire économique consacrait un grand dossier à la Décentralisation. Ce dossier s'intitulait « Chef d'oeuvre en péril ». Cette étude souligne l'existence d'un malaise, d'une déception, voire d'un ressentiment, face à un processus de Décentralisation plus lent que ce que les élus départementaux et régionaux ne l'espéraient.

Sous Pierre Mauroy, les débats sur les collectivités avaient réaffirmé l'existence hiérarchiquement organisée des communes, des départements et des régions. Aujourd'hui, le trop grand nombre de collectivités suscite une fois encore des débats. Les conseillers gouvernementaux, qui tentent d'imaginer de nouveaux schémas d'organisation telle que la substitution des intercommunalités aux départements, rendent l'action publique floue. Il conviendrait donc de redéfinir les termes du dialogue afin de pouvoir enfin avancer sur des bases solides.

Dans cette optique, nous avions par exemple adhéré à la démarche de la Charte Européenne des Collectivités dans les années 80. Vingt ans, et la pression de questions écrites au gouvernement, ont été nécessaires pour ratifier ce traité. Il définit l'existence des collectivités locales comme principe fondamental de tout régime démocratique. Ces principes démocratiques donnent au citoyen le droit de participer à la gestion des affaires publiques. Le niveau local, autonome et responsable de ses actions, paraît le plus propice à l'exercice de ce droit. Or l'esprit de la Décentralisation n'est actuellement ni accepté ni respecté.

Afin d'y remédier, le Sénat et l'Observatoire de la Décentralisation ont lancé une consultation confiée à l'Institut SOFRES. Dans l'analyse des premiers résultats proposée par le Professeur Dominique Reynié transparaît une très forte adhésion à la démarche de Décentralisation, malgré de nombreuses réserves formulées au sujet de la mise en oeuvre.

I. TABLE RONDE N° 1 : LES ASPECTS POLITIQUES DE LA DÉCENTRALISATION

A. EXPOSÉ DE M. DOMINIQUE REYNIÉ

Professeur des universités en Sciences Politiques à Sciences Po

Directeur de l'Observatoire interrégional du politique, Expert

Du 4 au 24 janvier 2007, la SOFRES a interrogé 453 maires, 41 présidents de Conseils Généraux et 11 présidents des Conseils Régionaux. Cette enquête témoigne en premier lieu de la force d'approbation de la Décentralisation. Les élus locaux en approuvent tant les principes que les mécanismes et les politiques publiques qui en découlent. Seule une minorité de 5 % rejette de façon relativement virulente le processus de la Décentralisation. Le principe fondamental de proximité, appelé aussi principe d'efficacité, est globalement approuvé. Le transfert au département des Transports Express Régionaux, le schéma gérontologique, le droit à l'expérimentation, le principe d'autonomie financière des collectivités locales, le droit de pétition, le référendum local décisionnel reflètent la sensibilité décentralisatrice plébiscitée par nos élus. En revanche, une incertitude apparaît concernant le transfert des personnels, TOS ou PTE, la gestion des politiques locales ou des infrastructures routières.

La Décentralisation a une visée pragmatique : elle exige plus d'efficacité dans la gestion publique. Mais elle a également une visée politique, car elle favorise la compréhension et le contrôle par les citoyens de l'action politique locale. L'enquête montre effectivement que les élus estiment que la Décentralisation rapproche la population de ses représentants. Toutefois, une proportion non négligeable reste dubitative sur ce point.

Concernant les instruments et politiques mis en oeuvre, une majorité des élus considère que la Décentralisation permet de mieux connaître l'activité politique locale. La possibilité de transformer les attentes des citoyens en décisions publique ne semble pas avoir convaincu tous les individus interrogés.

L'enquête souligne l'optimisme des élus dans la possibilité d'amélioration des grandes politiques locales par l'application de l'Acte II. Deux questions principales étaient posées :

• Les dispositions de l'Acte II étaient-elles de nature à favoriser le développement des politiques publiques locales ?

• Les résultats correspondent-ils à ce que vous attendiez ?

En répondant positivement à la première question, les élus ont reconnu la qualité des textes, bien que les niveaux d'approbation varient en fonction des considérations sur la politique des personnes âgées, l'aménagement du territoire, l'aide sociale, la politique environnementale, la formation professionnelle, la politique d'urbanisme et la gestion des équipements sociaux. En revanche, les réponses majoritairement à négatives à la seconde question reflètent les difficultés que les élus rencontrent dans la mise en oeuvre des mécanismes de la Décentralisation.

Une différence existe entre certaines lois concernant la Décentralisation. Les Français comprennent mieux certaines lois que d'autres. Trois textes législatifs ont fait l'objet d'une compréhension particulièrement bonne : la loi sur le handicap, la loi sur l'eau et la loi sur la Solidarité et le Renouvellement Urbain (SRU), toutes les trois ayant suscité de nombreux débats et commentaires dans la presse. Il ne s'agit pas de connaissances techniques, mais nos concitoyens connaissent l'existence de ces lois, ce qui constitue déjà un exploit.

Lorsque les dispositifs de lois sont plus politiques, dans les cas où le texte légifère de façon plus technique sur la démocratie de proximité, la responsabilité locale ou l'Acte II en général, les citoyens comprennent moins bien. Par conséquent, nos élus peinent davantage dans l'élaboration d'une stratégie d'approche des électeurs. La multiplication des textes supervisant la mise en oeuvre ne fait qu'« enfumer » le débat public et compliquer la perception par nos concitoyens. Ainsi, parce que les Français connaissent les lois sur le handicap, sur l'eau, ou la loi SRU, les élus considèrent que ces lois sont bonnes bien que leur mise en application semble très difficile. D'une manière générale, l'Acte II engendre les mêmes difficultés.

En résumé, un tableau comparatif de l'appréciation d'un texte législatif décentralisateur dans son principe par les élus et de l'évaluation des difficultés de mise en oeuvre illustrerait un schéma binaire conjuguant l'approbation du changement et l'expression d'une difficulté importante à le mettre en oeuvre. L'écart le plus important chez nos élus a trait aux questions financières. Les représentants des communes, départements et régions se déclarent très favorables à la révolution historique qu'incarne l'autonomie financière. Néanmoins, ils ressentent un réel malaise dans ce domaine. L'enquête souligne leur quasi-unanimité sur le problème financier.

Tout d'abord, la problématique des compensations suscite un débat permanent et provoque un ralentissement dans la mise en oeuvre de la Décentralisation. Dans une certaine mesure, l'histoire joue contre les élus : les charges progressent de façon dynamique sans être compensées. Ensuite, le débat sur la taxe professionnelle effraie les élus. L'autonomie financière et les ressources propres sont des avancées très positives, contraintes cependant par l'obligation d'équilibrer des comptes. Les élus vivent cette situation comme un noeud qui devient très difficile à desserrer et pèse beaucoup sur la perception qu'ils ont de la difficulté de leurs charges. Ainsi, 90 % des élus estiment que l'avenir des finances locales est sombre. Le clivage politique à ce sujet n'existe pas. De la même façon, 43 % sont très inquiets par la mise en oeuvre de la Décentralisation. Par conséquent, les élus ne demandent pas - sinon marginalement - de poursuite de la Décentralisation. Avant de poursuivre le processus, il est urgent de faire une pause et de sauver les avancées déjà opérées. La pause demandée par la majorité des élus n'est pas conservatrice mais salvatrice.

Enfin, les élus ressentent un profond malaise à propos de leur statut. L'échantillon regroupait 453 maires, souvent représentants de petites communes, en raison de l'organisation territoriale française. Les élus ne se plaignent pas mais, à juste titre, ils font valoir leur difficulté à remplir leur tâche dans toute sa dimension, incluant leur statut, leur protection sociale ou le niveau des indemnités. Le problème n'est plus aujourd'hui d'améliorer leur statut mais d'en empêcher la dégradation. L'Acte II a un fort impact sur une charge devenue croissante, et leur donne davantage de responsabilités mais aussi de préoccupations. L'appel au secours des maires révélé par l'enquête, est à prendre très au sérieux sous peine d'assister à une dégradation dynamique non seulement des finances mais surtout de leur statut considéré de façon global. Ce problème ne relève pas de la question classique du statut de l'élu, mais d'une nouvelle dynamique déclenchée par la Décentralisation.

Les structures intercommunales suscitent elles aussi de nouvelles interrogations. Les élus locaux, et notamment les élus municipaux, se montrent inquiets quant à l'avenir de leur collectivité. Selon eux, les départements ont été les principaux destinataires des transferts de compétences organisés par l'Acte II. Près de la moitié des élus craignent un effet de tutelle par la région. En résumé, les maires ont le sentiment d'être écrasés sous le poids d'une communauté plus grande et plus populaire. Ainsi, s'ils approuvent dans la majorité les intercommunalités parce qu'ils savent que les projets importants nécessitent des fonds que seule la coopération et la solidarité de communes voisines peuvent fournir, ils appréhendent des montages complexes requérant de leur part un travail supplémentaire, la crainte de l'erreur et celle de disparaître dans la structure s'ils ne font pas partie des pilotes. Il n'y a en effet pas autant de pilotes que de communes associées. Les élus craignent que le maire président de la structure intercommunale n'avantage sa propre commune. Par conséquent, les Français et leurs représentants locaux refusent presque unanimement l'élection au suffrage universel direct du représentant de la structure intercommunale.

En conclusion, le principe de la Décentralisation est plébiscité, les mécanismes en sont approuvés, les politiques publiques contenues potentiellement dans l'Acte II sont légitimées, mais la mise en oeuvre pose problème pour des raisons principalement liées à la question du financement, de l'évolution et du statut de l'élu. Les moyens financiers, mais aussi humains, juridiques et politiques doivent d'abord être rassemblés avant de poursuivre une tâche que tous les élus approuvent.

B. ÉCHANGE DE VUES SUR LES ASPECTS POLITIQUES DE LA DÉCENTRALISATION

Jean ARTHUIS, sénateur de la Mayenne

François FORTASSIN, sénateur des Hautes-Pyrénées

Jacqueline GOURAULT, sénatrice, expert désigné par l'AMF, première vice-présidente

Adrien GOUTEYRON, sénateur de Haute-Loire

Alain GUENGANT, professeur à l'Université de Rennes I, directeur de recherche au CNRS, CREM (Centre de Recherche et Economie et en Management), expert

Dominique HOORENS, expert désigné par Dexia, directeur des études

Charles JOSSELIN, sénateur des Côtes-d'Armor

François LANGLOIS, expert désigné par l'ARF, délégué général

Marie-Christine LEPETIT, expert désigné par la Direction Générale des Impôts (directrice adjointe à la DGI, directrice de la législation fiscale)

Michel MERCIER, sénateur du Rhône, vice-président de l'Observatoire de la Décentralisation

Rémy POINTEREAU, sénateur du Cher

Jean PUECH, président de l'Observatoire de la Décentralisation

Henri de RAINCOURT, sénateur de l'Yonne

Renaud ROUSSELLE, expert désigné par la Direction Générale de la comptabilité publique, sous-directeur du service public local

Michel ROUZEAU, expert désigné par l'ADF, délégué général

Alain VASSELLE, sénateur de l'Oise

Luc-Alain VERVISCH, administrateur de l'association finances-gestion-évaluation des collectivités territoriales (AFIGESE-CT), expert

Paul de VIGUERIE, membre du Conseil Economique et Social

Jean ARTHUIS

Quelle était la proportion de maires et d'élus municipaux dans la population sondée ? Les personnes interrogées demandent une pause dans la Décentralisation et manifestent de la satisfaction ou de l'inquiétude au niveau financier. Or il n'y a pas eu de Décentralisation et de transferts de compétences à l'échelon municipal. Par conséquent, leur inquiétude et la demande de pause me laissent perplexe.

Dominique REYNIÉ

Outre les maires, nous avons interrogé des conseillers régionaux et des conseillers départementaux. Toutefois, pour que l'échantillon soit représentatif des élus locaux de France, nous avons interrogé une majorité de maires. Nos élus, y compris les maires, ont le sentiment que l'Acte II n'est pas un moment législatif qui établit des règles définitivement, mais un moment où l'on ouvre un mécanisme de transferts qui doit se poursuivre. L'inquiétude des maires vient du fait que leur niveau de compétence et leur échelon de gestion sont affectés par les transferts, les compensations insuffisantes et les montées dynamiques de charges.

Jean PUECH

Précisons que 505 élus ont été consultés : 453 maires, 41 présidents de Conseils Généraux et 11 présidents de Conseils Régionaux.

Jean ARTHUIS

Les maires sont peut-être sensibles aux inquiétudes qu'expriment les Conseils Généraux avec lesquels ils sont en partenariat. Ils entendent depuis quelques mois, du fait de cette grande proximité, les élus départementaux exprimer leur inquiétude face à cette nouvelle dynamique de dépenses qui asphyxient leurs budgets et créent des difficultés financières. La dotation des municipalités dépend en petite partie des versements du Conseil Général, ce qui expliquerait la sensibilité et la solidarité des élus municipaux à l'égard des départements.

Dominique REYNIÉ

La population des élus est une population spécifique. Le monde politique local est un monde où tous travaillent ensemble, et dont la structure est complexe : plusieurs personnes détiennent parfois plusieurs fonctions, certaines personnes ont eu une fonction dans le passé ou souhaiteraient obtenir une fonction supplémentaire. Nos élus ont souvent eu plusieurs mandats. Par ces cumuls passés, présents, espérés ou par le jeu des financements croisés ou des projets collectifs associant plusieurs collectivités locales, les maires ont acquis une véritable culture de la Décentralisation, qu'ils connaissent comme de vrais spécialistes.

Rémy POINTEREAU

Je fais partie des élus pour lesquels la Décentralisation doit être vécue comme une chance, non comme un handicap. Il y a quelque temps, il était question de la suppression des départements. Le transfert de compétences supplémentaires a, au contraire, permis de rétablir une meilleure gestion des opérations de proximité. Aujourd'hui, il est nécessaire d'être transparent sur les effets non compensés de la Décentralisation, précisément concernant la fiscalité. Beaucoup d'erreurs sont commises à ce sujet. Les Conseils Généraux parlent de compensations non conformes à celles annoncées par la DGSR et par l'Etat. Par exemple, au niveau départemental, une compensation de 85 % avait été annoncée pour le RMI, et elle n'est plus que de 77 % en 2007. Il est nécessaire de dire la vérité sur ce qu'a coûté en fiscalité la non-compensation des transferts. En comparaison avec la Décentralisation de 1982, tout le monde semble approuver la dynamique dans certains domaines, tel que celui de la gestion collèges. Les départements ont hérité de structures scolaires délabrées, et ont dépensé des sommes extrêmement importantes sans compensation de l'Etat afin de les restaurer. Tout le monde s'en réjouit. Les chiffres devraient être transparents afin que nous puissions régler certains problèmes. Contrairement à l'opposition, nous exigeons de savoir la réalité des choses.

Jacqueline GOURAULT

La Décentralisation affecte d'abord essentiellement les départements parce que ceux-ci ont accepté ou se sont battus pour le transfert d'un certain nombre de pouvoirs. Jean Arthuis avait raison lorsqu'il expliquait que la Décentralisation ne touchait pas directement les communes, mais seulement indirectement. Actuellement, a lieu un recentrage des missions des départements sur leurs obligations. Par conséquent, la majorité de ces collectivités locales réduit les aides aux communes. Nécessairement, ces dernières le ressentent comme un effet de la Décentralisation.

Je souhaiterais aborder deux points qui n'ont pas été discutés pour le moment : en premier lieu, le malaise des élus se traduit, en particulier dans les petites communes, par une solitude due au manque d'entourage administratif. En effet, dans les petites communes, personne n'aide plus les maires dans la gestion administrative de leur charge. Les instituteurs ne jouent plus le rôle de secrétaire de mairie. Le couple indissociable du maître d'école et du maire rural n'existe plus tout simplement parce qu'il n'y a plus d'école. La pénurie de personnes compétentes pour assister les maires dans ces communes se fait véritablement ressentir. L'intercommunalité doit en cela apporter beaucoup à la gestion des communes rurales. Ceux qui résistent à ce qui est parfois appelé de façon peu claire la mutualisation doivent comprendre que les moyens administratifs fournis par l'intercommunalité sont très importants.

En second lieu, la peur d'une domination par la région sur les autres collectivités pose le problème de la compétence générale et de l'attribution des rôles. Cette impression de tutelle peut nuire au travail des élus qui se sentent dominés.

Adrien GOUTEYRON

Les maires, constatant que les départements ont désormais des charges considérables, ressentent en effet, par une sorte d'effet optique, une forte domination. Ils expriment de façon récurrente la crainte de ne plus bénéficier du soutien nécessaire du département qu'ils ont eu jusqu'à présent. Il s'agit moins d'une réalité que d'un constat. Il est évident de mettre l'accent sur l'inquiétude majeure s'agissant de la progression des charges. La compensation calculée selon la loi fait l'objet de peu de contestation. En revanche, le problème vient du fait que les charges progressent beaucoup plus vite que les recettes et les effets de la compensation.

L'analyse de la problématique du ressenti d'une tutelle par la région m'a beaucoup étonné dans cette enquête. Cette crainte n'existe pas chez les élus de base, les maires, dans mon département. Les élus des départements ressentent cette crainte à juste titre, mais les maires le ressentent sans doute moins. Le sondage propose-t-il des éléments qui permettent d'affiner cette analyse et de montrer qui ressent exactement cette tutelle de la région ?

Dominique REYNIÉ

Ce résultat m'a, à moi, également paru surprenant, mais il doit être significatif dans la mesure où le clivage est très fort et que beaucoup de maires nous ont fait part de cette angoisse. Nous disposons des éléments nécessaires pour approfondir et détailler ces résultats, mais vous ne pourrez en prendre connaissance qu'à une date ultérieure. La prise en compte de la ventilation permettra à terme d'affiner notre étude. La date de clôture de l'enquête devait être aussi proche que possible de cette réunion pour pouvoir opérer l'analyse en fonction de la conjoncture appropriée. Nous n'avons donc pas eu le temps, matériellement, de détailler précisément nos résultats.

Par hypothèse, l'inquiétude des maires de passer sous la tutelle d'un autre élu local peut être associée à la préoccupation générale des maires dominés par différents problèmes tels que ceux de l'intercommunalité, l'absence de soutien du département et la domination par la région bien qu'elle ne soit pas une collectivité locale agressive. Les départements ont davantage bénéficié de la Décentralisation parce qu'ils se sont préoccupés de leur sort. L'inertie des régions m'a, au contraire, surpris. Lors des débats des assises sur la Décentralisation pour lesquels j'étais membre du comité de pilotage, elles ont refusé tout transfert de personnel parce qu'elles craignaient de devenir des administrations de gestion. A travers ce retrait, ces structures ne se montraient en rien inquiétantes. En réalité, l'inquiétude des maires ne constitue que le symptôme d'un malaise qui s'exprime partout où il le peut. Il est certain que la Décentralisation s'accompagne d'un retrait de l'Etat jacobin. Les maires souhaitent ce processus malgré l'isolement et les structures incertaines qui l'entourent. Il est conscient de ces éléments lorsqu'il débute son mandat. Néanmoins, les maires peuvent avoir le sentiment de perdre le contrôle et de passer de facto sous une tutelle.

Alain VASSELLE

Je me reconnais bien dans les propos tenus par mes collègues, notamment dans ceux de Madame Jacqueline Gourault. J'ai participé hier à une réunion de mon association départementale de maires. Ils m'expliquaient leur mal de vivre et leurs préoccupations quant à leur avenir au regard de l'évolution de leurs recettes fiscales. Indirectement, les effets Acte II de la Décentralisation se manifestent dans les communes à travers le concours financier qu'apportent le département et la région. Ainsi, la région Picardie a annoncé explicitement la révision de sa politique d'aides aux collectivités locales en raison de leurs nouvelles charges. Le président de gauche du Conseil Général dénonce également quotidiennement les transferts et les charges supplémentaires que supportent les départements, à travers le RMI par exemple. Par conséquent, les délais d'attentes des communes pour le concours financier des Conseils Généraux augmentent. Les communes, notamment les communes rurales, dépendent presque exclusivement de leurs partenaires financiers. Plus de 600 communes sur 700 dans mon département comptent moins de 2 000 habitants et aucune ne peut investir et acquérir des équipements si elle ne bénéficie pas du concours de ses partenaires que sont la région mais surtout le Conseil Général.

Les communes bénéficiaient autrefois des services de l'Etat. Or progressivement, ces services de l'Etat disparaissent. J'ai alerté plusieurs fois l'Association des Maires de France à ce sujet, mais je n'ai jamais obtenu de véritables réactions en faveur de l'inversion du processus. La réduction des effectifs de fonctionnaires touche d'abord les Services de l'Etat au niveau local avant d'affecter les services ministériels. Aujourd'hui, pour bénéficier des services de la Direction Départementale de l'Equipement (DDE), les maires doivent payer. Autrefois, ces services se rémunéraient sur les travaux réalisés. La Direction Départementale de l'Agriculture connaît la même évolution. Nous sommes contraints de payer conformément aux normes. Le transfert de dépenses et de charges a entraîné la perte de tous les services dont bénéficiait gratuitement une commune.

Les grands programmes structurants dans l'intercommunalité entraînent en réalité de la fiscalité supplémentaire. Les Conseils Généraux doivent donc maîtriser leur fiscalité afin qu'elle ne devienne pas trop importante. Ils sont contraints de revoir à la baisse leurs programmes de dépenses pour pouvoir compenser les dépenses supplémentaires provoquées par l'intercommunalité. Elles sont peut-être justifiées mais elles deviennent très pesantes dans les secteurs ruraux. Les communautés d'agglomérations qui bénéficient de l'apport d'une grande ville ne connaissent pas de problèmes parce que la ville possède des ressources. En revanche, si la communauté d'agglomération ne réunit que des communes rurales, le fait de s'associer nécessite, pour faire face à des dépenses nouvelles, de percevoir de nouveaux moyens.

Il existe un réel problème s'agissant du statut des maires. Deux maires, qui concilient leur métier avec leur rôle de responsable de commune, m'ont hier interpellé. L'un est fonctionnaire à La Poste, l'autre travaille dans un établissement bancaire. Ils se plaignaient à juste titre que le Conseil Général fixe une date de réunion en journée sous prétexte que les fonctionnaires travaillant au niveau départemental acceptent de moins en moins de participer aux réunions le soir. Ces élus salariés ne peuvent pas participer à ces réunions diurnes, parce que leurs supérieurs refusent qu'ils s'absentent de leur travail. Si toutefois ils participent à la réunion, ils ne sont pas rémunérés pendant ce temps-là et sont contraints de rattraper leur temps de travail. Je comprends cela. Je suggère que, suivant le modèle de ce qui existe pour les sapeurs pompiers volontaires, l'entreprise soit indemnisée pour le temps consacré par l'élu local à l'exercice de sa fonction. Il y aurait un fort intérêt, dans le cadre des enquêtes, à pousser plus loin les investigations et à s'intéresser davantage au statut de l'élu qui devient un véritable problème pour un certain nombre d'entre eux.

François FORTASSIN

Élu président du Conseil Général des Hautes-Pyrénées en 1979, j'ai été spectateur de l'ensemble du processus de la Décentralisation. J'ai en outre exercé la fonction de Conseiller Régional pendant dix-neuf ans et je suis désormais sénateur. Il est difficile de comparer la situation précédant la Décentralisation avec celle d'après la Décentralisation. Les élus de la majorité estiment que la situation leur convient si les compensations ne sont pas totalement oubliées. En revanche, les élus de l'opposition considèrent que les dédommagements sont insuffisants.

Au cours de ces quinze dernières années, ma structure est passée de 500 à 1 400 personnes. Malgré la « mode » actuelle, il serait malvenu de les abriter dans des tentes devant le parvis du Conseil Général. A ces problèmes de locaux et d'équipements s'ajoutent des problèmes d'assurance souvent oubliés, l'Etat étant son propre assureur. Nous devons gérer seuls ces problèmes d'assurance, dont le Glissement Vieillissement-Technicité (GVT) constitue un bon exemple.

La contradiction entre la Décentralisation choisie et la Décentralisation subie pose problème ; dès l'instant où les TOS, auxquels je ne suis a priori pas hostile, sont sous la responsabilité du chef d'établissement et du Président du Conseil Général, divers troubles apparaissent. Ainsi, considérant qu'il s'agissait de personnel départemental, je leur attribuais 1 600 heures de travail par an. J'ai signé un protocole avec chaque chef d'établissement afin que les employés travaillent pendant les périodes de vacances. Toutefois, si le chef d'établissement, sur lequel je n'ai strictement aucun pouvoir, ne fait pas appliquer cela, personne ne peut résoudre la situation. Les TOS expliqueront alors qu'ils n'ont pas pu venir travailler en raison de la fermeture de l'établissement. Il ne semble pas y avoir de solution à de tels problèmes.

Le RMI-RMA ressemble sur le plan intellectuel à une escroquerie. Nos travailleurs sociaux sont relativement bien formés et compétents en matière de prestations sociales. Passer un partenariat avec une entreprise nécessite l'invention d'un métier nouveau. Nos salariés n'ont pour ce métier ni compétence ni souvent disposition d'esprit. Il est souvent conseillé aux élus d'encourager les individus au chômage depuis peu de temps à s'inscrire à l'ANPE qui gérera leur démarche. En revanche, la gestion des chômeurs de longue durée nous revient. L'ANPE est bien plus compétente pour gérer une telle situation. Les résultats d'entrée sur le marché du travail en témoignent. Je soutiens donc qu'un réel problème se développe.

L'Etat devrait être fort et les Conseillers Généraux devraient peser dans les décisions. Les préfets ont un rôle très important à jouer. En revanche, les jugements de valeur qu'ils portent sur la politique sont inacceptables. Les Conseils Généraux, par exemple, paient la majorité de la gestion des pompiers. Pourtant, le préfet continue de clamer à plusieurs publics qu'il organise le système. De tels comportements sont malsains, et ne pourront perdurer. La réduction complète des services de l'Etat en direction des communes me semble catastrophique. La DDA ne s'occupe que de la sauvegarde des écrevisses à pattes blanches et délaisse la culture du maïs. On ne voit plus la DDA et la DDE dans nos cantons. Ces problèmes surpassent les problèmes de compensations financières qui paraissent contestables.

Charles JOSSELIN

J'ai été longtemps Président d'un Conseil Général. En 1997, j'ai dû renoncer à ce mandat après que Lionel Jospin a exigé de ses ministres qu'ils respectent la règle du non-cumul des mandats qu'il avait instituée. J'exerce toujours la fonction de vice-président du Conseil Général. J'aurais souhaité interroger le professeur Reynié, non sur les aspects directement financiers du dossier, mais davantage sur la relation institutionnelle entre les différents niveaux de collectivité et de territoire. Un élu interrogé sur deux craindrait la tutelle de la région. Ce jugement est-il connoté politiquement ou non ? La réponse de l'élu dépend-elle de sa situation dans l'opposition ou dans la majorité ? Cette crainte à l'égard de la région vaut-elle pour tous les départements et quelle que soit la sensibilité politique du département ?

Les procédures que les régions mettent en oeuvre pour essayer de consolider leurs relations communes par le biais des contrats avec les communautés de communes ou les syndicats de pays, contournent parfois le département. Cette pratique que nous voyons en Bretagne se développe-t-elle dans d'autres départements ?

Pour sortir de la trappe financière dans laquelle les élus se sentent enlisés émerge une question du recentrage des compétences. Elle n'a encore que peu d'impact dans la réalité, mais appartient aux points à analyser. Les élus préfèrent souvent se contenter de faire ce que la loi les oblige à faire, et laissent l'autre collectivité locale, la région, en l'occurrence, s'occuper du champ économique pour lequel le département n'a pas de compétence. Avez-vous ressenti ces prémisses de recentrage, non rémunéré, sur ces blocs de compétences, chez les élus que vous avez interrogés ?

Dominique REYNIÉ

Malheureusement, l'enquête que nous avons menée ne permet pas l'analyse de l'évaluation de la poussée éventuelle de combinaisons entre collectivités locales et de structures telles que les pays. Le détail des ventilations ne nous renseignerait vraisemblablement pas davantage à ce sujet.

En revanche, sous réserve de cette analyse des ventilations, il ne semble pas y avoir de connotation politique dans l'expression de ces craintes. 90 % des élus interrogés se déclarent très inquiets au sujet de l'avenir de leurs capacités financières. Ce chiffre révèle une quasi-unanimité. Cette crainte de la tutelle de facto par les régions exprime une inquiétude généralisée, et qui n'est ni adossée ni déterminée par une doctrine ou une idéologie.

Charles JOSSELIN

Vous évoquez ici les élus des départements. Les élus des grandes villes ont-ils cette même crainte ?

Dominique REYNIÉ

Sous réserve d'une analyse plus précise effectuée après la ventilation des résultats, les élus des grandes villes ne semblent pas craindre une telle tutelle. Deux variables justifient ce point : la commune se sent moins forte que le département et que la région, relativement à sa taille. Dans le cas le plus typique des petites communes, l'élu se sent opprimé par des problèmes de financements et des structures dominantes. Ce sentiment n'est pas idéologiquement clivé et ne concerne pas les maires des grandes villes et de la plupart des villes moyennes.

Le recentrage sur des blocs de compétences représente une réelle difficulté pour les élus. Les dynamiques ayant des externalités négatives comme le vieillissement démographique se multiplient. Cette augmentation a un effet de proximité : le concitoyen exerce une pression plus efficace, plus forte, sur les élus. Le niveau de compétence se rapproche de la population. Par conséquent, celle-ci en a une vision plus claire, sans être capable de distinguer les rôles attribués à chacun - et il n'est pas possible de le lui demander. Les explications sont toujours complexes. Les lecteurs ne parviennent pas à faire les distinctions. La pression est constante. Les Français se montrent très favorables à la Décentralisation. Des enquêtes ont souligné à certaines périodes l'émergence d'une forme de scepticisme. Toutefois, cet état d'esprit dépendait non seulement de la conjoncture mais aussi beaucoup de la question posée. De manière fondamentale et dans une vision de longue durée, l'opinion française se prétend très favorable à la Décentralisation, notamment parce qu'elle a le sentiment que cette nouvelle organisation lui permettra de vérifier davantage les actions de leurs élus et de s'adresser plus directement à ses représentants. Une nouvelle pression grandit, caractérisée non par la dynamique démographique mais la dynamique démocratique. Le nouvel élu qui annonce à ses citoyens qu'il se recentre sur un bloc de compétences spécifiques pourra intellectuellement mais non politiquement l'assumer.

Michel MERCIER

Ces choses sont vécues de facto , et expliquent partiellement le malaise des maires. Théoriquement, les lois sur la Décentralisation ou qui vont dans le sens de la Décentralisation, comme les lois instaurant des pauses dans la Décentralisation, font de façon récurrente l'objet de multiples discours. Aucune session parlementaire ne se déroule sans que nous votions un texte d'attribution de nouvelles compétences à une collectivité locale. Au cours des quinze prochains jours, nous en produirons une douzaine, parmi lesquelles une grande loi sur le transfert de la tutelle. La majorité de droite aura enfin financé un projet aussi bien que celui de l'Aide Personnalisée à l'Autonomie. Les Conseils Généraux recevront de nouvelles compétences sans toucher aucun moyen financier. Cela leur coûtera très cher bien qu'ils ne paient pas la première année. L'Assemblée des Départements de France a estimé, en considérant l'avenir, que des transferts effectués en 2009 coûteraient moins chers qu'en 2007. Dès lors que la loi ne s'appliquait qu'en 2009 elle devenait acceptable.

La Décentralisation se définit donc effectivement comme la spécialisation des collectivités et la fin de la clause de compétences générales. En effet, les compétences nouvelles qui nous sont transférées pèsent lourdement sur nous, le département est contraint de gérer tous les aspects sociaux, tandis que les régions, qui pouvaient se féliciter de leur statut il y a encore deux ou trois ans, feront bientôt face aux coûts surélevés pratiqués dans le domaine du ferroviaire qui leur est transféré. Le prix des rails dépasse celui des routes, parce que c'est la SNCF qui s'occupe de la conception des trains. Aidés par Réseau Ferré de France, nous sommes assurés d'avoir les meilleurs prix possibles. Ce « meilleur prix » est en fait l'un des plus chers du monde, et les collectivités risquent de peiner à assumer ces nouvelles évolutions prévues par les textes. Le maire qui recevait de nombreuses aides à la fois de la région et du département, dans le cadre des clauses de compétences générales établies par la loi du 10 août 1971, bénéficiait d'une sorte d'assurance. Le poids de l'opinion sera salvateur pour les maires. L'opinion publique a envie de quelque chose et en fera la demande. Les financements croisés seront rétablis très fortement localement.

Ainsi, mon département, petit territorialement mais fort démographiquement, a besoin de l'organisation d'un vaste réseau de transports, incluant le ferroviaire. La région approuve le projet et accepterait de le faire si elle possédait suffisamment d'argent. La région n'ayant pas ces moyens financiers, le département la remplacera sur ce projet. Les maires bénéficieront aussi d'une aide. La tentation du repli sur soi et la pression pour continuer à répondre globalement aux requêtes des concitoyens coexistent. Afin de parvenir à atteindre tous ces objectifs, il devient urgent d'aménager dans le système un certain nombre de marges de manoeuvre en particulier pour les départements. Le pire pour ces collectivités territoriales ne vient pas des compétences qui leur sont transférées. C'est en effet au citoyen de juger de la capacité ou de l'incapacité du département à gérer ces compétences.

Le problème vient du fait que nous n'avons aucune marge de manoeuvre. Quelqu'un nous dicte à chaque instant ce que nous devons faire et la façon dont il faut le faire. C'est insupportable, comme l'illustre cet exemple très trivial : depuis décembre 2006, le Conseil Général attend que la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie de Monsieur Piveteau et la Direction Générale de l'Action Sociale parviennent à un accord de tarif horaire pour la rémunération des aides à domicile. Des milliards de francs sont en jeu pour l'APA et la prestation de compensation du handicap. Un décret a fixé le tarif de 14,33 euros pour le handicap. De son côté, malgré un important déficit, la caisse vieillesse publie deux fois par an un communiqué stipulant que la rémunération par heure de l'aide ménagère serait de 16,75 euros. Les dirigeants agissent comme si un déficit supplémentaire ne se verrait pas et comme si, à terme, quelqu'un paierait de toute façon pour compenser les pertes. Les départements sont enserrés entre ces deux exigences : le décret, la caisse vieillesse, les associations qui reconnaissent leurs difficultés et les entreprises privées labellisées par Monsieur Borloo qui se vantent de leur succès. Nous ne disposons d'aucune marge de manoeuvre. Nous ne pouvons pas fixer nos propres tarifs qui diffèreraient vraisemblablement de l'un et de l'autre mais nous permettraient de nous consacrer à d'autres compétences. La Décentralisation, par exemple, aboutit d'abord à un transfert de personnel.

Lorsque j'ai été élu au Conseil Général il y a plus de trente ans, moins de 1 000 agents travaillaient dans mon département. Ils sont actuellement plus de 5 000, et pèsent un poids différent dans le budget et les décisions. Nous ne savons jamais le salaire que nous paierons à nos agents si nous ne lisons pas le journal le 31 décembre. Ainsi, nous ignorons combien nous allons payer nos 1 380 pompiers professionnels. Lorsque nous observons les deux ou trois décrets promulgués ces deux derniers mois, nous pouvons constater qu'en fonction du vainqueur, les impôts augmenteront de 1,5 à 2 points. Nous ne l'apprenons toujours qu'au dernier moment. Une marge de manoeuvre, les capacités de retrouver une certaine liberté sont les seuls éléments qui permettront de répondre aux angoisses des maires, et à travers eux, à nos citoyens. Le vrai problème de la Décentralisation vient de la définition de la liberté de gestion : les législateurs nous avaient proposé de définir le statut des TOS dans un chapitre particulier de la fonction territoriale. Pour dépasser tout problème, j'ai choisi la solution la plus simple en supprimant les TOS. Chacun peut choisir la solution qu'il estime la meilleure, mais cette solution permet de bénéficier d'une plus grande liberté de manoeuvre. Ainsi, les TOS travaillant dans quatre-vingt collèges de mon département ont été replacés. Nous laissons les plus âgés partir à la retraite, les cuisiniers ont été replacés dans des entreprises privées qui en sont très satisfaites. Nous avons trouvé un accord avec le Président de la Région, qui souhaitait augmenter son nombre de TOS. Bien que nous n'ayons pas les mêmes affinités politiques, les liens créés par nos études supérieures communes ont fait que nous sommes tombés d'accord rapidement. Je lui ai donné tous mes TOS et tout le monde se sentait gagnant. Cette solution est la seule que nous ayons trouvée pour pouvoir enfin retrouver notre efficacité.

Les rigidités de gestion imposées par les textes sont contraires à l'esprit de la Décentralisation. Si des pauses ralentissaient le processus pour l'approfondir, il faudrait donner de vraies responsabilités aux élus locaux. Aujourd'hui, un élu départemental contraint de dédier plus de 80 % du budget de fonctionnement au social, ne dispose d'aucune marge de manoeuvre. Il ne me semble pas nécessaire de payer une aide ménagère au même tarif horaire à Paris et à Mende sous prétexte que toutes deux sont des villes. Il n'est pas nécessaire de donner le même taux de RMI et d'APA à Paris et à Mende alors que toutes deux sont des villes. Tout le monde n'a pas besoin de percevoir la même chose. La Décentralisation se caractérise en effet avant tout par l'adaptation aux nécessités de terrain.

Henri de RAINCOURT

Le sondage révèle peut-être une prise de conscience qui commence à se généraliser. Notre gouvernance publique est gérée de telle sorte qu'elle a conduit à un taux d'endettement et de déficits publics très importants. Les élus ont pris conscience de la nécessité de rétablir l'équilibre et l'ordre dans les finances. Pour des raisons politiques, les élus témoignent de leur désir d'être de bons gestionnaires en manifestant leur volonté de réduire les déficits tout en restant généreux socialement. Il ne faut pas hésiter à agréer une convention collective des travailleurs familiaux, il ne faut pas hésiter à ne pas remettre en cause la durée du temps de travail. Les effectifs ont augmenté effectivement en raison des transferts de compétences suscités par la Décentralisation mais aussi en raison du passage des 39 heures de travail hebdomadaire à 35 heures. 400 000 ou 500 000 emplois ont dû être créés en quelques années dans la fonction publique territoriale. Les maires reçoivent dans leur commune une demande de service public et ils s'efforcent d'y répondre. Cependant, les maires veulent être bons gestionnaires. Or il est rare que maire et conseillers municipaux augmentent les taux des impôts municipaux. Afin de tenir compte des requêtes de la population, ils sont par conséquent contraints de s'adresser au Conseiller Régional et au Conseiller Général, voire à l'Etat et à l'Europe, pour réunir les fonds nécessaires. Les échelons intermédiaires entre l'Etat et les municipalités se trouvent alors dans des positions qui deviennent extrêmement difficiles à gérer. Il arrive un moment où, si l'impôt n'est pas augmenté, le système risque d'imploser. En outre, le surplus de l'impôt ne représente qu'une fraction des recettes.

Cette position de plus en plus inconfortable donne conscience aux maires que des changements vont venir bouleverser le système. Nous avons tous pris conscience de l'ampleur de la dette publique. Dans quelques jours, le gouvernement nous détaillera le problème lors d'une conférence des finances publiques semblable à une concertation à Bercy. Quelles qu'en soient les conclusions, nous savons tous que des réformes sont nécessaires pour maîtriser et structurer la dépense publique, et probablement gérer autrement les collectivités.

Nous ne sommes en réalité que des sous-traitants. Le gouvernement se vante des mesures en faveur des droits des handicapés et du droit au logement opposable. Il pourrait multiplier les bonnes nouvelles et les promesses, mais il est incapable de les tenir, et le système risque d'imploser. Une réflexion collective sur la gouvernance publique et sur les transferts de vraies responsabilités permettrait d'améliorer la situation des finances publiques. De même, le Parlement devrait renoncer à cette volonté d'apparaître toujours généreux en proposant de l'argent qu'il n'a pas.

Jean PUECH

Les résultats de cette enquête, qui nécessitent encore beaucoup de travail d'analyse, apparaîtront dans les différentes nouvelles missions de l'élu qui feront l'objet du rapport que je présenterai dans quelque temps. Néanmoins, le consensus semble clair entre nous tous.

II. TABLE RONDE N° 2 : LES ASPECTS FINANCIERS DE LA DÉCENTRALISATION

A. EXPOSÉ DE M. YVES FRÉVILLE

Sénateur d'Ille-et-Vilaine

Professeur de finances publiques à l'Université de Rennes I, Expert

Vous m'attribuiez le rôle d'expert engagé. Je ne suis pas certain d'être encore un expert parce que j'ai quitté la chaire il y a déjà bien longtemps, et je ne suis plus engagé comme élu local. Je présente donc toutes les caractéristiques pour exprimer des propos désagréables. Vous m'avez demandé en outre de commenter deux rapports publiés récemment. Le premier rapport, intitulé « Solidarité et performances en matière de dépenses publiques », a été écrit par Pierre Richard. Le second rapport, écrit par Monsieur Valletoux, avait été commandé par de grandes associations de collectivités locales.

Si le système fiscal actuel ne fonctionne pas de façon satisfaisante, il est toujours réformable. Ainsi, entre 1970 et 1975, le gouvernement a réformé la fiscalité locale. Dans la situation actuelle, les relations entre l'Etat et les collectivités locales sont préoccupantes. Tout d'abord, la place de la dépense publique locale dans la dépense publique globale crée des dissensions. Le contrôle maastrichtien, qui n'a toutefois qu'un lien de parenté partiel avec le Traité de Maastricht, nous impose de réduire le besoin de financement global. Les collectivités locales s'interrogent sur leur capacité à maintenir le taux d'accroissement de dépenses qui est actuellement le leur. Ce taux dépasse largement le taux de dépenses publiques de l'Etat après correction de transferts de compétences, alors que nous supportons tous la croissance des dépenses maladie et des dépenses de retraite. Les collectivités locales risquent donc de voir leur niveau de dépense diminuer pour égaler le taux que l'Etat s'impose actuellement.

Les transferts de compétences sont financés de façon instantanée, mais le dynamisme des assiettes et le dynamisme des recettes et des dotations de l'Etat ne permettront peut-être pas de compenser à long terme le dynamisme des compétences transférées. Tout le monde oublie quels ont été les mécanismes initiaux de compensation. Ainsi, nous avons parlé beaucoup de l'Acte II et personne n'évoque plus l'Acte I. Les droits de mutations sont considérés comme une recette fondamentalement différente de leur nature originelle de recette de compensation. L'Etat intègre les droits de compensation dans le potentiel fiscal des départements et nous venons de créer la grande Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) à 40 milliards incluant des compensations d'impôt et des DGT. Après un certain temps, nous ne savons plus quelle recette financera quelle compétence, et seule la vision globale importe.

L'analyse de plusieurs thèmes éclaire sur le sujet : les déterminants de la dépense, l'assiette des recettes et les mécanismes de la régulation. Selon Monsieur Richard, il est nécessaire de s'interroger, pour connaître au mieux la performance, non seulement sur la dépense mais aussi sur les coûts. Des pays entiers, comme la Grande-Bretagne, ont basé tout leur contrôle de la dépense sociale sur un contrôle des coûts. En Angleterre, une équipe de 1 200 personnes se consacre à l'étude des coûts des 60 collectivités locales. Dans le cas extrême de l'Australie, 100 personnes étudient le coût des collectivités locales des six Etats. Un tel raisonnement entraîne de grandes conséquences. Si nous nous lançons dans une telle démarche, il faudra considérer de nombreux coûts et être capable d'évaluer le coût de chacun, de chaque élève ou RMIste. Les individus dépassant les coûts seront montrés du doigt, et en suivant le raisonnement anglais, ces mêmes individus pourraient être pénalisés. Ainsi, Madame Thatcher, considérant que les coûts de certaines villes reflétaient une mauvaise gestion de leurs performances, en avait adapté les dotations à ce qu'elles auraient dû être, le dépassement des dépenses entraînant des sanctions. La délégation générale des collectivités locales se montre très réticente à la mise en oeuvre de solutions si extrêmes et du pilotage par les coûts. L'examen de la performance au niveau local implique un examen par rapport à un référentiel comparatif. Je ne pense pas qu'il soit opportun de suivre un tel raisonnement, mais cette problématique des dépenses suscitera vraisemblablement des débats. Pierre Richard a insisté sur la nécessité de limiter les financements croisés.

La prolifération des financements croisés, c'est-à-dire l'existence d'un co-financement par l'agence de bassin, par le département, par la région, rend difficile la lisibilité du rôle de chacun. Lors de l'inauguration d'investissements locaux dans mon département, le maire ne cherche plus à expliquer la source de tous les financements. Il inscrit sur un tableau noir les différents financements. Tout le monde le félicite bien sûr d'avoir su tirer parti du système de subvention. Cette prolifération ne facilite pas le contrôle efficace de la dépense publique. Pierre Richard recommande donc de limiter le financement à un seul agent, ce qui impliquerait d'interdire que pour une compétence donnée, deux « subventionneurs » contribuent à un niveau plus élevé. Il faudrait supprimer les financements entre l'Etat et les collectivités locales, donc remettre en cause la philosophie traditionnelle de ce que l'ancienne nomenclature appelait contrat de Plan Etat-Région.

Lorsque j'étais rapporteur du budget de l'enseignement supérieur à l'Assemblée Nationale et que Monsieur Jospin était ministre, nous avions lancé le plan « Université 2000 ». Absolument nécessaire, il envisageait de mettre en place un co-financement entre les Etats et les collectivités locales, chacun contribuant à hauteur de huit milliards de francs. La récolte des fonds auprès des collectivités locales nous a rapporté 16 milliards de francs. Cela témoigne, dans un premier temps, des ressources importantes obtenues à l'époque grâce aux droits de mutation. Cette anecdote nous montre qu'il faudrait revoir la philosophie des contrats de Plan Etat-Région. En effet, attribuer de l'argent par donation puis le reprendre ensuite pour financer un projet complique inutilement le système.

La réflexion sur les assiettes des impôts locaux appelle trois positions.

Premièrement, la création de nouvelles assiettes locales est difficilement envisageable. Dans une économie où les services dépassent les limites nationales, un enfermement dans des limites communales, voire départementales ou régionales, semble impossible. Trouver des assiettes locales ou localisées deviendra de plus en plus difficile. La seule proposition faite par Monsieur Valletoux est la re-création de la vignette automobile. Cet impôt avait l'avantage d'être localisable et correspondait relativement bien aux besoins des départements, titulaires de la compétence « voirie ». Logiquement, je n'ai trouvé aucune invention de nouveaux impôts locaux. Certains suggèrent la création d'un impôt sur la téléphonie mobile, mais enserrer les ondes dans les limites des communes est inimaginable.

Deuxièmement, si la création de nouveaux impôts locaux semble impossible, il est nécessaire de trouver un moyen de substitution. L'attribution d'un impôt d'Etat partagé pourrait être envisageable. Il paraîtrait logique d'avoir un impôt partagé sur la consommation. Cependant, la TVA, base de notre système fiscal, ne peut pas être localisée. Le droit d'accise que constitue la taxe intérieure sur les produits pétroliers a été localisé de façon médiocre et d'autres bénéficient des taxes sur le tabac. Ces deux taxes sont les deux principaux droits d'accise français. En résumé, les impôts sur la consommation ne portent aucune promesse d'avenir. Mettre en place une TVA sociale est envisageable, mais la création d'une TVA locale semble impossible.

Troisièmement, compenser les collectivités locales pour la perte ou la réduction d'autres impôts semblerait alors logique. Le revenu servirait de base à cette part d'impôt. Deux impôts de cette nature sont possibles : d'un côté des centimes additionnels à la Cotisation Sociale Généralisée pour les départements, et de l'autre côté des centimes additionnels à l'impôt sur le revenu pour les régions. En tant que professeur, j'ai toujours enseigné que la redistribution ne devait pas être une compétence locale (une moindre Décentralisation de l'aide sociale aurait d'ailleurs pu être bénéfique). La Décentralisation d'un impôt local assis sur l'Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques confèrerait 50 % des recettes à la région parisienne et la contraindrait à mettre en place un mécanisme correcteur de péréquation lui faisant perdre son intérêt. L'éventualité d'une CSG locale se pose donc.

Est-il alors envisageable politiquement, socialement, syndicalement, de dire que quelques centimes de plus sur la CSG pourraient revenir aux collectivités locales, en émettant la réserve que ces centimes additionnels devraient être les mêmes partout. Il s'agit d'un problème politique sujet à débats. Je doute que l'organisation actuelle de la sécurité sociale et la force du syndicalisme français rendent possible un tel impôt, en contrepartie de la réduction d'autres impôts locaux qu'il conviendrait de réformer. Ce problème politique doit faire l'objet de débats au plus haut niveau. Se contenter d'un rapport annexé à la loi de finances ne suffit pas. Un débat commun doit avoir lieu en début de loi de finances sur le partage des ressources entre l'Etat, les collectivités locales et la sécurité sociale. Un arbitrage reste à faire entre la dépense sociale et la dépense locale.

Les modes de régulation proposés sont au coeur du problème. La Décentralisation est un processus bénéfique, à condition que le marché politique fonctionne correctement. L'élu est responsable du niveau des dépenses devant le contribuable. Si l'élu augmente sa dépense, cela doit avoir un impact sur le contribuable. Si le contribuable désire payer moins d'impôts, il doit accepter une diminution des dépenses. Ce principe définit le fonctionnement fondamental de l'impôt local. S'il n'est pas fonctionnel, la Décentralisation ne fonctionnera pas non plus. La totalité des recettes ne provient pas de l'impôt local, mais une fraction des recettes des collectivités locales doit nécessairement obéir à cette équation selon laquelle plus de dépenses entraînent plus d'impôts, et moins de dépenses entraînent moins d'impôts.

Un premier problème se pose dans la suppression du « coin fiscal ». L'Etat est devenu le premier contribuable de France par la technique du dégrèvement de taxes professionnelles et de taxes d'habitation. Nous n'avons ni su ni voulu réformer les impôts locaux, bien que la réforme des valeurs cadastrales ait été quasiment prête. Il restait à résoudre le problème des HLM et le problème des vignobles. Ce problème a été résolu lorsque le législateur a décidé qu'il n'y avait plus de propriété foncière non bâtie au niveau du département ou de la région, mais seulement au niveau communal. En revanche, l'évaluation des valeurs locatives pour les HLM relevait du défi. Le problème demeure si nous voulons réformer les assiettes locales actuelles. Parce que le coin fiscal n'a fait l'objet d'aucune réforme, il est devenu trop lourd, et l'Etat l'a pris en charge. De la même façon, si la taxe d'habitation dépasse 4,3 % du revenu après abattement, l'Etat la prend en charge et si la taxe professionnelle dépasse 3,5 % de la valeur ajoutée, l'Etat la prend en charge. Enfin, en cas de financement d'investissements nouveaux, l'Etat prend en charge la taxe professionnelle pendant deux ans. Ces contributions étatiques représentent 13 milliards d'euros.

Pour que fonctionne la règle du marché politique, le contribuable doit supporter l'impôt et l'élu doit savoir qui paie l'impôt. Le fonctionnement est altéré si c'est l'Etat paie et perçoit l'impôt. L'idéal serait alors la suppression intégrale de ces 13 milliards de dégrèvement. Les deux rapports proposent la même idée. Une telle réforme s'annonce extraordinairement difficile. Lors de la rédaction de mon rapport sur la taxe d'habitation, j'ai réalisé les inégalités que cela engendrait. La mise en route de la mécanique est chose aisée, mais aller en sens inverse s'avèrera bien plus difficile. Si ces avantages étaient répartis également sur le territoire, la suppression des dégrèvements ne poserait pas de problème majeur. Cependant, ils se concentrent dans quelques communes, qui ne sont pas nécessairement les plus riches ni les plus pauvres. Certaines communes très pauvres ne bénéficient pas de dégrèvements en raison d'une politique fiscale très modeste. D'autres communes très pauvres les utilisent au maximum et ont su faire fonctionner la mécanique. La réforme visant à supprimer le coin fiscal et à se re-saisir des 13 milliards d'euros dus au dégrèvement nécessitera une mise en place progressive, marquée de transitions très difficiles à instaurer, au niveau des contribuables en particulier. Ce problème exigera un doigté extraordinaire.

Toutefois, il est urgent de prendre des mesures : plus le mécanisme se développe, plus il est difficile de l'arrêter et plus l'alternative est difficile à mettre en place. Nous devrons réformer les assiettes des collectivités locales. Plus nous attendons, plus la réforme devient nécessaire, plus elle sera douloureuse, et plus nous nous décourageons devant l'obstacle. Une grande partie de la solution en matière de réforme de la fiscalité locale ne consistera pas à encourager à plus d'autonomie financière locale, mais à détenir une portion d'impôts locaux qui fonctionne bien, même si elle est inférieure à l'ensemble actuel.

La deuxième régulation de l'impôt est celle de sa spécialisation. Il est possible d'imaginer de multiples nouvelles donnes. L'imposition des ménages à chaque niveau serait idéale. Sans cet impôt le marché politique ne fonctionnerait pas. Le problème de la définition de l'impôt ménage, se pose dans les mêmes termes que celui de la définition de la CSG. Par ailleurs, l'impôt sur l'entreprise est nécessaire. Comme le suggère Monsieur Valletoux, une division du foncier bâti en deux permettrait de distinguer le foncier bâti entreprise du foncier bâti ménage. Les niveaux communal et intercommunal conserveraient la gestion du foncier bâti ménage, tandis que le niveau département se saisirait de la gestion du foncier bâti entreprise.

Ce problème semble extraordinairement difficile à résoudre dans la mesure où, s'il est facile de distinguer un foncier bâti usine d'un foncier bâti ménage logement, toute une zone intermédiaire existe entre ces deux extrêmes. Cette zone, comprenant les bureaux et les commerces, représente parfois 30 % du foncier bâti. Tout partage me paraît impossible. Lors de la mise en place de l'intercommunalité, la taxe professionnelle était confiée à cette nouvelle collectivité alors que les communes conservaient une part essentielle de l'impôt entreprise local par les fonciers bâtis. Si les communes acceptent, dans le régime de Taxe Professionnelle Unique, d'accueillir des usines et des activités qui peuvent ne pas être agréables à accueillir, c'est parce qu'elles bénéficient alors du retour du foncier bâti entreprise. Cela justifie ma réticence à l'égard de l'un des piliers de la réforme proposée qui proposait la création d'un cinquième impôt local opérant la distinction entre les deux formes d'entreprises.

Le troisième problème de régulation de l'impôt réside dans la liberté des taux. Si ce problème est à peine évoqué, la liberté des taux risque d'être de plus en plus restreinte. Les impôts modernes que nous voulons ne peuvent s'accommoder d'une liberté absolue des taux mais d'une fourchette de taux qui présente le danger de voir tout le monde passer aux taux supérieurs.

Enfin, la régulation concernant les dotations est un sujet très délicat. Les rapports recommandent incessamment le développement de la péréquation. La définition même de ce concept est floue. Avant de la recommander, il conviendrait de rédiger des rapports l'explicitant davantage. Les ambiguïtés sont telles sur cette notion que tout le monde parle un langage différent. Si la Constitution exige la péréquation des charges et des ressources, dans la pratique du Parlement ou au niveau des finances locales, nous utilisons toujours les mêmes indicateurs sans chercher à peaufiner les formules. Les logements sociaux, la longueur des voiries - qui favorise les montagnes, la densité de la population, le nombre d'allocations logement, le revenu, servent de base à l'organisation de la péréquation. Nous répartissons nos dotations sur le plan vertical de telle sorte que nous additionnons un nombre important de dotations, sans savoir quel est le résultat final, même lorsque nous globalisons la DGF. Nous ne savons plus quel territoire reçoit réellement. Enfin, tous nos mécanismes sont bloqués par des systèmes de garanties. Nous souhaitions cette année réformer la DFM des départements, ce qui nous a amené à voter immédiatement un mécanisme de garantie. Nous devrions alors toujours faire le calcul qu'avait autrefois fait Monsieur Guengant lors de la réforme de la DGF. Au moment de la détermination des dotations en garanties, nous constaterions qu'il ne reste pas grand-chose. Les résultats finaux en matière de répartition des dotations (40 milliards pour la DGF seule) sont tels que des collectivités, et notamment la ville de Lourdes, vivent encore avec des systèmes fiscaux âgés de plus de quarante ans. L'année d'une compensation, il est logique, pour ne pas détruire l'équilibre des budgets locaux, d'assurer des recettes de remplacement.

Pour autant, il n'est pas logique qu'une collectivité locale continue à percevoir des recettes parce que son système fiscal l'avantageait quarante ans auparavant et en l'occurrence, pour Lourdes ou Vichy, il s'agissait de la taxe locale à 8,5 % sur les cafés, hôtels et restaurants. Il n'est pas normal non plus que Paris continue de recevoir, au nom des mêmes principes, les dotations les plus fortes. Les indicateurs de performance en matière de redistribution des subventions et des dotations de l'Etat devraient être étudiés dans le cadre de la loi relative aux lois de finances. Ainsi, 4, 5 ou 6 milliards pourraient être récupérés.

S'agissant des dotations de 2006, je n'ai pu calculer le total, ni ajouter le Fonds de Compensation de la TVA et de beaucoup d'autres dotations. Les dégrèvements ne sont pas encore pris en compte. J'ai cherché à connaître la répartition des 34 milliards de dotations aux communes, aux départements et aux régions, en vertu des dispositions de l'actuelle DGF, compensations comprises. La situation interdépartementale des 2 500 établissements publics intercommunaux, les 36 000 communes et tous les départements ne m'ont pas rendu la tâche aisée. Mon exercice a débouché sur une courbe parabolique, qui reflète bien la réalité : les nombreux petits départements, et en premier lieu la Lozère, sont les principaux bénéficiaires. Le Territoire de Belfort est mal situé, parce que malgré sa petite taille, il a une forte densité. Or la densité est le facteur important. Ces résultats illustrent le fait que les 5 euros offerts par hectare ou kilomètre carré de montagne n'expliquent pas les fortes dotations. Des quantités de mécanismes, tels que les centimes superficiels, existent. Les départements de la région parisienne sont les autres grands bénéficiaires. Les départements des Hauts-de-Seine et de Seine-Saint-Denis font l'objet des mêmes traitements. Cela ne signifie pas que les communautés de communes ne perçoivent pas davantage et les départements moins. L'argent du contribuable apporte 60 % des dotations.

J'ai ensuite effectué le même calcul en ne considérant que les communes en EPCI et Paris. J'ai obtenu un nuage de 2 500 points montrant un important fossé pour les grandes agglomérations. En effet, la taxe locale sur le chiffre d'affaires était répartie dans une échelle s'étalant de 1 à 4. La dernière loi a réduit cette échelle de 1 à 2 mais grâce aux compléments de garantie, les conséquences restent faibles. Paris se situe très bien dans la redistribution. Dans notre système, quels que soient les mécanismes de péréquation, la situation des différentes collectivités est inégale. Le montant de la fiscalité locale à Paris et celui des dotations laissent croire à un lien entre l'un et l'autre. Dans tous les cas, la fiscalité n'est pas trop élevée à Paris.

Toute réforme nécessite au préalable une vision claire des statistiques. Nous manquons d'informations. Nous avons une bonne information macroéconomique, nous avons une information sectorielle acceptable, mais nous avons une très mauvaise information sur les disparités locales. Nous ne savons pas traiter les conséquences de ces disparités et toute réforme négligeant ces spécificités est vouée à l'échec.

B. ÉCHANGE DE VUES SUR LES ASPECTS FINANCIERS DE LA DÉCENTRALISATION

Jean ARTHUIS, sénateur de la Mayenne

François FORTASSIN, sénateur des Hautes-Pyrénées

Jacqueline GOURAULT, sénatrice, expert désigné par l'AMF, première vice-présidente

Adrien GOUTEYRON, sénateur de Haute-Loire

Alain GUENGANT, professeur à l'Université de Rennes-I, directeur de recherche au CNRS, CREM (Centre de Recherche et Economie et en Management), expert

Dominique HOORENS, expert désigné par Dexia, directeur des études

Charles JOSSELIN, sénateur des Côtes-d'Armor

François LANGLOIS, expert désigné par l'ARF, délégué général

Marie-Christine LEPETIT, expert désigné par la Direction Générale des Impôts (directrice adjointe à la DGI, directrice de la législation fiscale)

Michel MERCIER, sénateur du Rhône, vice-président de l'Observatoire de la Décentralisation

Rémy POINTEREAU, sénateur du Cher

Jean PUECH, président de l'Observatoire de la Décentralisation

Henri de RAINCOURT, sénateur de l'Yonne

Renaud ROUSSELLE, expert désigné par la Direction Générale de la comptabilité publique, sous-directeur du service public local

Michel ROUZEAU, expert désigné par l'ADF, délégué général

Alain VASSELLE, sénateur de l'Oise

Luc-Alain VERVISCH, administrateur de l'association finances-gestion-évaluation des collectivités territoriales (AFIGESE-CT), expert

Paul de VIGUERIE, membre du Conseil Economique et Social

Henri de RAINCOURT

Il me semble nécessaire de renoncer à un impôt progressif pour un impôt additionnel. Cet impôt ne pourrait alors qu'être proportionnel. La CSG serait le meilleur support si elle n'était collectée par localisation de l'employeur qui exerce la retenue à la source. Il faudrait trouver les moyens pour que la CSG soit prélevée sur les revenus y compris les revenus salariaux, non pas en fonction du siège de l'entreprise, mais en fonction du domicile du contribuable. Cela doit pouvoir être possible.

Nos débats sur l'autonomie financière et sur la péréquation mettent en évidence une contradiction flagrante : nous revendiquons l'autonomie des communes tout en exigeant de la péréquation. Cette logique mènerait à généraliser les dotations. La spécialisation de l'impôt est une donnée intéressante. Le foncier bâti reste un élément enraciné, non délocalisable, qui devrait conserver son statut d'impôt local de base. Nous devons être capables d'obtenir des évaluations homogènes en cas d'élargissement de l'assiette. D'un secteur à l'autre, les évaluations sont très contrastées, et dans l'intercommunalité existe une vraie offense à l'égalité devant l'impôt, parce qu'un taux unique s'applique à des assiettes évaluées de façon très hétérogène.

S'agissant des dotations de l'Etat, il est nécessaire d'agir vite et efficacement. Dans cet objectif, une base de données devrait être bientôt mise à la disposition du Sénat. Les opérations doivent se faire dans la plus grande transparence. D'insupportables injustices existent encore aujourd'hui. La discordance entre les discours prononcés en séance publique au Sénat et les situations qui les justifient ne peuvent continuer ainsi. Seule la transparence peut nous mener au succès. L'autorité du comité des finances locales a une tâche importante mais la délégation est excessive et le Sénat, grand conseil des collectivités territoriales, jouerait parfaitement son rôle s'il exerçait une mission de vigilance en se portant garant de la transparence et en mettant un terme à ces pratiques inadmissibles proclamant des péréquations, des rattrapages, s'empressant ensuite de multiplier les garanties de telle sorte que rien ne change. Cette situation n'est pas tenable. Une ère nouvelle doit s'ouvrir sous votre autorité.

Jean PUECH

Vous me confiez une grande responsabilité. Où en est votre projet de banque de données ?

Henri de RAINCOURT

Il progresse. Je pense que nous y arriverons.

Yves FRÉVILLE

Quant à moi, je le fais tout seul.

Jacqueline GOURAULT

Monsieur Richard propose d'accroître l'implication du Comité des Finances Locales. Quel est le rôle du Comité des Finances locales en comparaison avec les assemblées et notamment le Sénat, qui est chargé de cette mission ?

Michel MERCIER

Ces graphiques, ainsi que les vrais chiffres, devraient être mis à la disposition des sénateurs. Chaque année, lors des débats concernant les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, les deux mêmes catégories de collectivités locales sont particulièrement bien représentées : les 24 départements historiques et les communautés urbaines. Sur le graphique indiquant le montant par habitant de la DGF cumulée par population départementale, des trois points situés au-dessus de l'extrémité gauche de la courbe, un doit être en Basse-Normandie. La publication claire des chiffres permettrait de gagner deux journées de débats sénatoriaux.

Jean ARTHUIS

Il est déterminant que soient très précisément identifiées les recettes associées aux dépenses, qu'il s'agisse de celles des collectivités, de l'Etat ou de la sécurité sociale. L'idée d'une contribution généralisée représentant une nouvelle ressource financière pour les collectivités n'appelle pas de réserves de ma part. Toutefois, il conviendrait d'éviter que cette contribution, par son appellation, ne trouble la clarté de la perception de la clarté à l'égard de ses dépenses et n'entraîne une confusion dans l'esprit des citoyens entre la Sécurité Sociale d'une part et les collectivités locales d'autre part... Si une CSG locale devait voir le jour, il faudrait la baptiser autrement. L'existence de cette CSG est importante, mais il est nécessaire de distinguer les dépenses de nature très différente de la Sécurité Sociale de celles du budget de l'Etat, et de celles du budget des collectivités locales. Seule cette distinction confèrera de la crédibilité aux différents budgets auxquels nos concitoyens sont appelés à contribuer.

Alain GUENGANT

Dans le cadre de la mission relation avec les collectivités locales, au titre non des crédits budgétaires mais des prélèvements sur recettes, sont calculés des indicateurs de performance de la péréquation en France à partir de la méthodologie développée par le commissaire général du plan. Les informations concernant les communes, les départements, les régions, actuellement disponibles pour la période 1994-2001. Dans le cadre du projet de loi de Finances pour 2008, ces indicateurs de performance de prélèvements sur recettes, plus précisément la DGF et au-delà de la DGF, seront actualisés pour la période allant de 2002 à 2006. Dans le cadre de la préparation de la loi de finances de 2008, une série longue de l'évolution de la péréquation en France sera présentée.

Cette évaluation des performances de la péréquation présente diverses caractéristiques : répondant à un choix explicite, il ne s'agit pas d'une évaluation individuelle mais d'une évaluation globale mesurant la réduction des inégalités de pouvoir d'achat des collectivités locales sous l'impact de la redistribution des concours de l'Etat. Un seul chiffre accompagne chaque catégorie de collectivités. Il serait possible de publier l'ensemble des résultats individuels, que nous pouvons obtenir parce qu'ils découlent de l'ensemble du protocole de l'évaluation, mais, dans le cadre des indicateurs de performance de la LOLF, une seule information globale sur la péréquation est dévoilée.

Ces résultats ont été commentés dans les rapports parlementaires. La péréquation a progressé en France de 1994 jusqu'en 2001, la dernière année pour laquelle nous disposons à ce jour d'une information. Cette progression aboutit à un taux de correction de 40 % des inégalités de pouvoir d'achat entre les communes, avec un gain de six points supplémentaires par rapport à 1994. Les péréquations ont corrigé de plus de 50 % les inégalités de pouvoir d'achat pour les départements et les régions. Les départements gagnent 8 points et les régions 16. L'égalisation la plus importante des inégalités de pouvoir d'achat des régions est liée en partie au recul de l'autonomie fiscale des régions et notamment aux suppressions d'impôts locaux. Le ratio de ressources propres des régions françaises n'est que de 36 %, alors qu'il dépasse 56 % pour les départements et les communes. L'actualisation des indicateurs confirmera ou infirmera la lente montée en puissance de la péréquation, sous le poids du passé et des compensations. Cette actualisation permettra de mesurer l'impact des réformes de la DGF en 2004. L'Etat a assigné comme cible de la péréquation pour 2006 un taux de correction de 50% pour les communes et les communautés, et un taux de correction de 60 % pour les départements et les régions.

Henri de RAINCOURT

Les taquets de garantie provoquent l'inefficacité de l'opération. Cette année encore, le gouvernement a introduit un amendement qui freine les effets positifs de la péréquation. Nous voulons proclamer des objectifs très rassembleurs avant de mettre en place des taquets qui font obstacle à tout effet.

Michel MERCIER

Les débats sur la péréquation permettent d'organiser des colloques et de discourir pendant de longs mois durant sans que personne ne se préoccupe jamais des décisions de dépenses de l'Etat. Or ces décisions font l'économie de toute péréquation. L'Etat ferait mieux de ne pas décider des dépenses et de déléguer cette tâche aux élus locaux. S'il s'obstine à décider des dépenses, il devrait mettre en place des formules de péréquation. Une note qu'on m'a communiquée vient de m'annoncer que le Ministre des Affaires Sociales a pris la grande décision de porter de 14,33 euros à 16,95 euros le tarif horaire des aides aux personnes handicapées. Cette augmentation de 17,70 % du taux horaire, soit 17,16 francs de l'heure. En multipliant ce chiffre par des millions d'heures, il est facile de comprendre la démesure de la décision du ministre.

Jean PUECH

Vous auriez pu éviter cette mauvaise nouvelle en fin de réunion.

Henri de RAINCOURT

Cette schizophrénie politique est accablante. Ils exhibent leurs qualités d'un côté pour amasser suffrages et popularité et de l'autre côté proclament que nous sommes dans une logique de responsabilité, de Décentralisation.

Yves FRÉVILLE

En réponse à Jacqueline Gourault, il me semble que le rôle assigné au Comité des Finances Locales est très difficile à tenir. Pierre Richard souhaitait en faire un organisme tampon entre les collectivités territoriales et l'Etat. Cette relation est semblable à celle qui existait en Angleterre entre le Ministère de l'Enseignement et les Universités. L'organisme tampon réglait tous les problèmes et l'Etat payait. Un CFL disposant d'une fonction telle que celle que lui accordent les rapports n'aurait aucune légitimité. Il deviendrait un organisme indépendant alors qu'il ne me semble pas avoir la capacité d'expertise que les rapports lui attribuent, à moins que ses moyens ne soient réformés. Il est difficile de se prononcer sur un problème si délicat. A l'origine, le principe de base respecté par les présidents actuel et antérieurs du CFL consistait à donner au Parlement le pouvoir décisionnel et à mettre en pratique ses décisions. La responsabilité première incombe donc au Parlement. Le Parlement devrait détenir l'instrument d'observation qui apparaît. En revanche, il me paraît essentiel que les deux grands instruments d'observation existants, l'un au Ministère des Finances où nous progressons très rapidement, et l'autre au Ministère de l'Intérieur, fusionnent progressivement. Notre connaissance des finances locales a été longuement perturbée par l'absence de lien entre l'impôt d'une part et la dotation d'autre part. Nous devons obtenir cette réforme fondamentale malgré toutes les grandes difficultés posées par des problématiques telle que celle des dégrèvements.

Lorsque nous partons d'un système A avec des anciens impôts qui disparaissent, une ancienne dotation est supprimée, et que l'on souhaite arriver à un point B qui représente le nouveau système de dotation, le nouveau système de fiscalité, il faut travailler sur la transition. En France, nous n'avons jamais su étudier cette transition. La mise en oeuvre d'une telle réforme priverait une collectivité locale d'un impôt qui représentait 30 % de son budget ; il s'avère donc bien nécessaire d'organiser la transition. Inversement, ne rien faire amène à décrire la situation de l'immobilisme. La seule réforme, qui avait suscité une démarche pratique, est la réforme de 1966. Les dirigeants avaient envisagé une transition en 20 ans pour passer de la taxe locale au système de la DGF généralisée. Cette solution a fonctionné dix ans durant, jusqu'à la récession économique des années 70 qui a provoqué le blocage du système. Nous n'avons pas su faire face à cela. Le problème essentiel de la réforme du système des finances locales est l'étude du système de transition.

Luc-Alain VERVISCH

Le rapport Valletoux suggère un taux national pour la CSG sans préciser s'il s'applique à une assiette départementale ou à la répartition d'une assiette nationale. Dans le premier cas, les disparités de revenus par habitant dans le département risqueraient d'aller à l'encontre de l'effet recherché parce que les départements susceptibles d'avoir des dépenses plus fortes, notamment en raison du faible niveau de revenus par habitant, seraient désavantagés. Dans le cas d'une répartition nationale, la question des critères demeure. Cette question posée sur les critères du Fonds Départemental pour l'Insertion introduit la problématique de la performance publique en matière de politique sociale.

Nous gagnerions à réfléchir sur la localisation d'un impôt national sur les télécommunications. Certains éléments de télécommunication sont facilement localisables, comme tout simplement, le bénéficiaire des appareils.

Dominique HOORENS

Le but du rapport n'était pas de fournir des solutions « clés en main ». Nous voulions ouvrir quelques portes et suggérer des axes de réflexion. Dans toutes ces réflexions sur la réforme des finances de collectivités, il est notable de voir qu'au-delà des constats et objectifs globaux, de très fortes disparités continuent d'exister tant sur le constat que sur les propositions. Une réforme imaginée dans un but précis, pour une collectivité locale, peut avoir l'effet inverse sur une collectivité locale autre. Le passage du global à l'individuel s'avère très compliqué. Il est possible de résoudre les systèmes de passage parce que nous disposons d'une base de dotation de l'Etat pouvant servir à neutraliser le passage.

En cas de réforme fiscale, pour les collectivités, existe un tampon, mais la problématique du contribuable n'est pas résolue. J'ignore comment les systèmes de transition, déjà en place dans les collectivités, peuvent s'appliquer aux contribuables, considérés individuellement. Philippe Valletoux montre que la DGI réfléchit à des comptes individuels en termes fiscaux. Toutefois, la complexité est plus importante. Ce ne sont pas 50 000 agents mais 30 millions de ménages qui sont concernés.

Yves FRÉVILLE

Les assiettes modernes sont concentrées spatialement. Le problème intervient avec l'impôt sur le revenu mais le même problème se pose avec la réforme de l'assiette de la taxe professionnelle. L'échec de la commission Fouquet s'explique par le fait que la concentration des services s'effectuait dans les grandes agglomérations alors que l'industrie est beaucoup plus dispersée spatialement. Par conséquent, il faudra parvenir à une valeur assiette de type valeur ajoutée sur un impôt entreprise. Cet impôt sera très concentré dans les grandes agglomérations, ce qui nécessitera l'invention de nouveaux mécanismes de péréquation, remplaçant les logements sociaux pour parvenir à répartir correctement une fraction de cette manne.

Henri de RAINCOURT

Il faut veiller à favoriser des assiettes relativement simples. L'assiette des valeurs ajoutées sera extrêmement difficile à calculer. Des mécanismes d'optimisation pour échapper à l'impôt se développeront. Le maintien de l'impôt sur les entreprises devient de plus en plus aléatoire, dans notre économie d' « hyper concurrence ». Par conséquent, les territoires qui maintiendront des impôts de production risquent, à terme, de se vider du potentiel de production. Nous sommes dans une économie mondiale. Dans ce contexte, il faut refonder le pacte républicain sur un impôt payé par le citoyen. En effet, tous les impôts payés par les entreprises sont répercutés sur les consommateurs. Ce transit, parfaitement acceptable en économie étanche, joue contre l'économie et jouera de plus en plus comme un levier de délocalisation. Il est nécessaire de réfléchir à des impôts payés directement par le citoyen. Les entreprises ont raison de maintenir quelque chose. Le foncier est une bonne chose, mais imposer la valeur ajoutée relèvera à l'avenir d'une tâche d'autant plus ardue que certains risquent de venir optimiser leur placement avant de partir ailleurs.

Jean PUECH

Nous avons bien compris que le chantier qu'il nous faut ouvrir est considérable.

III. CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DU COMITÉ D'EXPERTS EMPÊCHÉS D'ASSISTER À LA RENCONTRE-DÉBAT

A. « LA RÉFORME DE LA FISCALITÉ LOCALE : ÉLÉMENTS MÉTHODOLOGIQUES »

par M. Michel Bouvier, Professeur de Finances publiques et fiscalité
à l'Université Paris I Sorbonne

Il existe un hiatus entre l'ampleur des enjeux concernant la réforme de la fiscalité locale et l'approche technicienne, réductrice qui en est faite. Il manque une réflexion véritablement politique et sociale sur le pouvoir fiscal local. On peut s'en étonner car les enjeux contemporains de la réforme de la fiscalité locale portent prioritairement et fondamentalement sur celle du pouvoir fiscal et sont étroitement liés aux transformations à venir de nos sociétés.

A notre sens, l'approche de la fiscalité, et a fortiori de la réforme fiscale, ne peut s'enraciner sur le seul terrain économique dans lequel elle est trop souvent envisagée. Ce ne sont pas uniquement les conséquences économiques de la création, de la modification, ou de la suppression de tel ou tel impôt qui doivent retenir l'attention lorsque l'on se pose le problème d'une réforme fiscale. Dès lors que la réforme d'un impôt quel qu'il soit, entraîne outre des transformations de l'équilibre antérieur du système fiscal lui-même, mais aussi, inévitablement, des transformations de l'ensemble du système financier et institutionnel, l'approche doit être politique au sens large. Si l'on considère en effet que les systèmes fiscaux ne sont pas isolés de leur environnement, les modifier provoque immanquablement des modifications de l'ordre général auquel ils participent.

Ce dernier élément ne se comprend que si l'on garde à l'esprit que la fiscalité ne peut être considérée d'un point de vue purement instrumental. Elle est un fait social et politique dans la mesure où elle participe d'une manière d'organiser la vie en société non pas en fonction de règles scientifiques qui, mises en action, produiraient des effets mécaniques, mais plutôt selon des cohérences le plus souvent « aventureuses » visant toutes cependant à instituer une solidarité entre les individus, un lien social.

Instrument de ce lien social, la fiscalité est un phénomène que l'on peut qualifier de « phénomène citoyen ». Érigée en bonne place dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 au sein de laquelle elle occupe deux longs articles, elle témoigne d'une approche éminemment politique et juridique de la fiscalité dont la problématique est toujours très actuelle. Il en est ainsi notamment avec cette préoccupation des rédacteurs de la DDHC de ne pas considérer l'impôt comme une simple technique, mais plus fondamentalement de la voir comme l'expression d'un pouvoir essentiel à la création et à l'affirmation du pouvoir politique, c'est-à-dire le pouvoir fiscal. Un pouvoir à travers lequel s'est enraciné, historiquement, le pouvoir politique, avec comme conséquence que toute limitation apportée au premier de ces deux pouvoirs a toujours engendré, nécessairement, la limitation du second.

Il en résulte que chaque fois que se pose la question de la réforme fiscale, c'est bien d'abord dans la perspective du pouvoir fiscal qu'elle doit être analysée. On observera que l'approche d'un impôt qui ne se replacerait pas dans cette perspective et qui se voudrait seulement technique ne le serait qu'en apparence. D'une part parce que les questions politiques de base n'y seraient pas mises en évidence, d'autre part parce que ne seraient pas explicités dans ce cas les postulats idéologiques sur lesquels reposent les analyses alors que l'idéologisation de la fiscalité est devenue chose banale.

Pour tous les éléments rappelés brièvement ci-dessus, c'est donc sous l'angle de la logique du pouvoir fiscal et non sur la seule analyse de tel ou tel impôt qu'une réflexion sur la réforme des impôts locaux devrait être menée, ce qui permettrait tout à la fois d'intégrer recherche de l'efficacité , de la justice et processus démocratique de prise de décision.

Faut-il le préciser ? Il ne s'agit pas de substituer ou privilégier une légitimité politique et sociale à une légitimité économique mais de considérer que l'organisation des sociétés doit prioritairement reposer sur la qualité de la tradition démocratique. Cette logique politique qui confère la première place au citoyen devrait à notre sens constituer le référent de la logique économique et gestionnaire et non l'inverse.

Ce rappel nous semble d'autant plus important qu'on assiste dans la période contemporaine à la remise en cause de tout un ensemble de valeurs, et avec elles de tout un corps de références, qui permettaient d'interpréter et de justifier les choix et les prises de décision en matière fiscale. L'élément le plus notable dans cette évolution d'ensemble est que les concepts se brouillent, se font confus, en particulier du fait des confrontations et mouvements de va-et-vient qui se produisent aujourd'hui entre diverses conceptions des finances publiques et de la fiscalité.

Il convient ainsi d'intégrer dans une perspective locale les enjeux fiscaux dont il est ou a été débattu dans le cadre de discussions concernant les impôts d'Etat. Il s'agit par exemple des différentes manières de concevoir la justice fiscale et de la concrétiser (progressivité, proportionnalité, taxation de la dépense, des revenus etc...) ou de se représenter la fiscalité (expression d'un prix ou de la solidarité sociale ). Il doit être question également de l'étendue du pouvoir fiscal que l'on entend conférer aux élus locaux et par conséquent d'un éventuel partage du consentement de l'impôt.

Conjointement à un partage du pouvoir fiscal, ou indépendamment de celui-ci, il devrait être procédé à un nouveau partage des impôts entre l'Etat et les collectivités locales. A cet effet il pourrait être constitué trois catégories d'espaces fiscaux locaux : des espaces économiques, des espaces de solidarité, des espaces citoyens.

Il convient aussi de repenser le processus de décision financier . En effet, une observation attentive des réformes menées en matière de fiscalité locale met en évidence que celles-ci ne cherchent pas, face à la complexification du milieu local, à instituer un réseau diversifié de lieux et de procédures de contrôle ; ces réformes vont au contraire dans le sens d'une régulation par le haut, d'un contrôle central par le biais d'une disparition progressive des impôts locaux. Ce mouvement aboutit à limiter l'autonomie fiscale des collectivités décentralisées et à renforcer la capacité de régulation de l'Etat, qui redevient de la sorte l'organe supérieur de contrôle qu'il était autrefois. Tout se passe comme si l'on estimait qu'une trop grande autonomie des collectivités locales était susceptible de rendre aléatoire le processus de décision.

Une telle logique va à rebours de la Décentralisation qui suppose une diversification des moyens associée à une responsabilisation des acteurs. Elle n'aboutit qu'à une simplification du système financier. Or, toute restriction de la variété des ressources autonomes de financement d'une collectivité la rend nécessairement dépendante des stratégies de son principal bailleur de fonds.

Une autre approche est cependant envisageable qui consiste, à l'opposé de la précédente, à laisser se développer librement le processus de Décentralisation en se fondant sur le principe qu'il est plus efficace de construire un Etat intégrant des diversités locales relativement autonomes. Dans un tel cadre, la complexité sociale est prise en compte et acceptée comme une forme positive de développement.

Bien entendu se pose alors la question du pilotage et de la cohérence d'un tel ensemble et par conséquent celle de la réorganisation du processus de décision. Cette dernière peut sans doute s'envisager à travers des organes paritaires de régulation de la fiscalité nationale et locale ainsi que des dépenses publiques, en veillant à ce que ces organes ne constituent des freins au développement de l'autonomie financière des institutions locales.

B. « LA PÉRÉQUATION FINANCIÈRE » PAR M. MICHEL BOUVIER,

Professeur de finances publiques et fiscalité
à l'Université Paris I Sorbonne

Résumé : La constitutionnalisation de la péréquation se justifie pleinement dès lors qu'il convient de tirer les conséquences de la reconnaissance d'une autonomie financière locale ancrée dans l'autonomie fiscale. Cependant la définition donnée par la loi nécessite dès à présent un travail d'interprétation. Une conception contemporaine de la péréquation financière ne peut se construire en dehors de l'évolution générale de la gestion financière publique dont l'un des principes essentiels est celui de responsabilité. Or la péréquation entendue strictement comme le moyen de compenser des inégalités ne favorise en rien la responsabilisation des acteurs qui en bénéficient. Elle est plutôt source de dépendance et donc en contradiction avec le principe de l'autonomie de gestion, voire même de décision, qui est reconnu par ailleurs. Pour éviter cet écueil, la péréquation doit s'inscrire dans une culture financière qui se caractérise aujourd'hui par la substitution d'une logique de résultat à l'ancienne logique de moyens. C'est au regard de la question de la bonne gouvernance d'un système financier public local et national complexe que doit être pensée la péréquation.

Il faut bien le constater, nombre de concepts des finances publiques sont aujourd'hui plus ou moins brouillés, plus ou moins flous, en raison des transformations qui se sont produites dans ce champ depuis environ un quart de siècle. Ainsi, des termes qui allaient de soi ne veulent plus dire la même chose pour tous. C'est le cas notamment de la notion de péréquation financière locale qui ne fait pas l'objet d'une définition unanime alors même qu'elle tient une place essentielle dans les débats relatifs à la libre administration des collectivités territoriales et qu' elle fait l'objet d'une inscription dans la Constitution depuis mars 2003.

L'objectif le plus couramment affiché de toute forme de péréquation financière au niveau local est, on le sait, de favoriser une harmonisation de l'espace, une redistribution des richesses et par là même une réduction des inégalités. Il s'agit de rapprocher les situations en termes de capacité de dépenser, en tenant compte des différences de ressources mais également de charges, et de faire concorder le niveau de services rendus avec l'effort fiscal demandé aux contribuables.

Il n'est pas inutile de rappeler qu'au-delà de la réduction des inégalités entre collectivités locales, c'est bien la satisfaction des besoins des citoyens qui est recherchée, de même que pour les collectivités les plus défavorisées il s'agit de compenser les différences de niveau de revenus, d'offre d'emplois ou de logement, et plus récemment de lutter contre les nuisances (« incivilités », actes de violence...) qui affectent plus particulièrement les zones urbaines.

Par ailleurs, la péréquation des ressources fiscales constitue d'une certaine manière un contrepoids à la compétitivité entre collectivités. Autrement dit il s'agit de satisfaire à un impératif de rééquilibrage, ou encore d'équité entre collectivités territoriales dont la raison fondamentale d'exister est le mieux être des citoyens ainsi que l'organisation d'une certaine solidarité entre eux.

C'est bien cette conception que le législateur semble avoir consacrée à travers la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Désormais en effet, selon l'alinéa 5 de l'article 72-2 de la Constitution « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités ».

La nécessité d'un tel dispositif se justifie pleinement d'un premier point de vue en raison des nouvelles compétences transférées aux collectivités locales, mais aussi parce que se trouve affirmée par le même texte l'autonomie financière de ces collectivités. Il est patent en effet que l'accentuation de l'autonomie locale ne peut que provoquer la compétition, une accentuation des différences, des inégalités de situations des unes par rapport aux autres.

Plus encore, la constitutionnalisation de la péréquation se justifie pleinement d'un deuxième point de vue dès lors qu'il convient de tirer les conséquences de la reconnaissance d'une autonomie financière locale ancrée dans l'autonomie fiscale. Cependant, et à notre sens, la définition donnée par la loi nécessite un travail d'interprétation. Car on peut se demander si la notion de péréquation telle qu'elle est généralement comprise et à laquelle on se trouve implicitement renvoyé par le texte constitutionnel - c'est à dire une compensation non pas absolue mais quasi arithmétique des inégalités - est encore pertinente. En effet, elle a trop souvent conduit jusqu'ici à la construction de véritables « usines à gaz » qui, on le sait se sont révélées très insatisfaisantes, voire inaptes à atteindre les buts leur étant fixés et ont eu pour conséquence de compliquer toujours plus une sorte de « machinerie » dont les effets finissent par devenir immaîtrisables.

Il est certes indispensable de prendre en compte les inégalités qui existent entre territoires, comme il est légitime de vouloir égaliser les situations. Toutefois s'en tenir là est insuffisant car c'est se borner à penser la péréquation à travers une conception strictement comptable des finances publiques, celle qui lui a été attribuée dès le 15 e siècle (du latin juridique « péroequatio », du verbe « paroequarer », c'est-à-dire « égaliser »).

Bien entendu on ne veut pas dire que cette conception est totalement erronée, mais elle n'est pas non plus absolument exacte car elle ne tient pas compte de la nécessité de situer les questions financières dans la dynamique qui est la leur aujourd'hui. Elle correspond à vrai dire à une conception statique de la société et ignore que la péréquation est un facteur de régulation, d'harmonisation, du système local ainsi qu'un outil qui permet la réorientation des circuits de financement et la restructuration du réseau financier local . Elle laisse également de côté le fait que la péréquation devrait s'inscrire dans une logique de responsabilisation inhérente à tout processus de Décentralisation et tout particulièrement à l'acte II au sein duquel l'autonomie financière tient une place centrale.

Or, une conception contemporaine de la péréquation financière ne peut se construire en dehors de l'évolution générale de la gestion financière publique dont l'un des principes essentiels est celui de responsabilité. La péréquation entendue strictement comme le moyen de compenser des inégalités ne favorise en rien la responsabilisation des acteurs qui en bénéficient. Elle est plutôt source de dépendance et donc en contradiction avec le principe d'une autonomie de gestion, voire même de décision, qui est reconnu par ailleurs. Elle ne s'inscrit pas davantage dans la culture financière qui se développe aujourd'hui dans la plupart des pays du monde, en France depuis 2006 avec l'application de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 ; une culture qui se caractérise là encore par la substitution d'une logique de résultat à l'ancienne logique de moyens.

En d'autres termes et à notre sens, le couple autonomie/péréquation tel qu'il figure dans le texte n'apparaît pas en cohérence avec son environnement nouveau dans la mesure où la notion de péréquation ne semble pas avoir été repensée dans le contexte financier auquel répond parfaitement le premier terme, l'autonomie, mais seulement en partie le second, la péréquation.

Il convient de considérer pour le moins que la péréquation doit permettre aux collectivités les plus défavorisées non pas de s'installer dans l'assistanat mais d'avoir la capacité à terme d'offrir des services à leurs administrés par leurs propres moyens et d'agir par elles-mêmes sur les origines des inégalités. Or, les dispositifs existants, horizontaux (redistribution par des collectivités de même niveau) ou verticaux (redistribution par l'Etat), ne sont pas conçus en fonction de cet objectif. Qu'il s'agisse également de péréquation extensive (dotation allouée à toutes les collectivités d'une même strate) ou intensive (dotation versée en fonction de critères de ressources ou de charges) le résultat est le même : les procédures mises en oeuvre agissent sur les symptômes sans prendre en considération les causes et surtout sans faire en sorte que les collectivités concernées soient en situation de se prendre en charge.

On observera encore que la bonne régulation du système local nécessite une harmonisation des situations qui ne peut se produire sans un développement économique susceptible de générer de nouvelles sources de richesses. Si l'institution de péréquations financières est certes indispensable, elle ne peut se concevoir qu'associée à des mesures favorisant le développement économique, et par conséquent l'investissement, à peine de voir s'instaurer une sorte de nivellement par le bas qui trouverait vite ses limites et qui deviendrait insupportable pour les financeurs, c'est-à-dire d'un côté les collectivités territoriales les plus riches et de l'autre l'Etat.

Il est bien admis aujourd'hui qu'il est crucial que l'Etat maîtrise ses dépenses ; à notre sens le même état d'esprit doit présider à toute réflexion impliquant les finances locales. En effet, même si d'une manière globale leur situation apparaît satisfaisante, l'incertitude qui préside au fonctionnement de nos sociétés ne peut en aucun cas laisser présumer qu'il en sera toujours ainsi ; par ailleurs, et dans la mesure où la gestion des finances locales n'est pas indépendante de celle de l'Etat, c'est nécessairement dans un contexte de rationalisation et de réforme des finances publiques qu'il convient de repenser la péréquation financière . Autrement dit c'est à travers un point de vue gestionnaire, celui de la nouvelle gestion publique, qu'elle doit être refondée . Non seulement son coût doit demeurer constant sans que les collectivités locales ne voient leur situation se dégrader, mais le cadre dans lequel il convient de l'inscrire doit être empreint d'une logique d'évaluation des résultats et non plus d'une « logique de guichet ». On veut dire qu'il est indispensable d'intégrer la question de la péréquation dans le nouveau processus de Décentralisation qui participe quant à lui d'une réforme financière de l'Etat. Il est ainsi indispensable de comprendre qu'il convient de placer un principe de responsabilité et d'évaluation de l'action au centre de toute réflexion. C'est à travers la question de la responsabilisation du système politique et administratif que se pose celle de la péréquation.

En définitive , c'est au regard de la question de la bonne gouvernance d'un système financier public local et national complexe que doit être pensée la péréquation. C'est dans un cadre financier public général en pleine évolution qu'il convient de la situer. Mais le problème de fond n'est pas directement financier, il consiste principalement à organiser et assumer la régulation d'un système local/national complexe à multiples acteurs et d'éviter un développement incontrôlé de celui-ci. C'est pourquoi, du point de vue du pilotage des finances publiques, il apparaît indispensable d'instituer des organes paritaires Etat/Collectivités locales ayant pour fonction de réguler, dans le temps et dans l'espace, et par la concertation d'une part les évolutions des ressources et des dépenses publiques, d'autre part les péréquations à instituer et ce aux différents niveaux de collectivités (régions, départements, groupements). Ces structures devraient non seulement avoir pour tâche de coordonner, d'harmoniser, par la négociation et de manière pluriannuelle, les décisions financières envisagées par les uns et par les autres, mais aussi de juger des performances c'est-à-dire d'évaluer la bonne ou la mauvaise réalisation des projets financés en vue d'assurer à telle ou telle collectivité défavorisée une plus grande capacité à se développer.

* 1 Ont participé à la conférence-débat :

- M. Yves FREVILLE, Sénateur, Professeur de finances publiques à l'Université Rennes I

- Mme Jacqueline GOURAULT, Sénatrice, expert désigné par l'AMF, première vice-présidente

- M. Alain GUENGANT, professeur à l'Université de Rennes I, directeur de recherche au CNRS, CREM (Centre de Recherche et Economie et en Management), expert

- M. Dominique HOORENS, expert désigné par Dexia, directeur des études

- M. François LANGLOIS, expert désigné par l'ARF, délégué général

- Mme Marie-Christine LEPETIT, expert désigné par la Direction Générale des Impôts (directrice adjointe à la DGI, directrice de la législation fiscale)

- M. Dominique REYNIE, Professeur des universités en sciences politiques à Sciences Po, Directeur de l'Observatoire - interrégional du politique

- M. Renaud ROUSSELLE, expert désigné par la Direction Générale de la comptabilité publique, sous-directeur du service public local

- M. Michel ROUZEAU, expert désigné par l'ADF, délégué général

- M. Luc-Alain VERVISCH, administrateur de l'association finances-gestion-évaluation des collectivités territoriales (AFIGESE-CT), expert

- M. Paul de VIGUERIE, membre du Conseil Économique et Social

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