« Emplois non pourvus en France : quelles réponses ? Quelles actions ? »

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : emplois non pourvus en France : quelles réponses ? Quelles actions ?

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents.

Je vous rappelle que l'initiateur du débat disposera d'un temps de parole de 8 minutes, le Gouvernement aura une durée équivalente.

L'initiateur du débat ne nous ayant pas encore rejoints, je vous propose que Mme la ministre commence.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - Merci au groupe Les Indépendants d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour. Nous poursuivons ainsi nos discussions sur la mission « Travail-Emploi » avec ce thème très important.

Le paradoxe est grand entre des demandeurs d'emploi représentant 9,1 % de la population active et un nombre croissant d'entrepreneurs qui peinent, voire renoncent, à embaucher.

En 2018, la pénurie de candidats est à 83 % le motif de renoncement à l'embauche. En 2017, ce furent 250 000 à 330 000 emplois non pourvus. Ce sera davantage encore en 2018, du fait de la dynamique de l'emploi - il y a eu 211 000 créations nettes d'emplois l'an passé, l'équivalent de la population de Rennes. Il y a un manque de corrélation entre compétences disponibles et compétences recherchées.

Sur les 3,5 millions d'offres d'emplois déposées dans l'année, et la très grande majorité sont pourvues, mais les 300 000 non pourvues sont insupportables. D'après une étude de la Dares parue hier, il y a deux situations différentes où des emplois ne sont pas pourvus : des secteurs où il y a très peu de chômage et où des emplois qualifiés ne trouvent pas preneur - et où le problème tient principalement à la qualification, c'est le cas par exemple pour les soudeurs, les ingénieurs informatiques, les chefs-cuisiniers, les électriciens, ou encore les métiers de la maintenance ; des secteurs où la demande est forte pour des emplois peu qualifiés, avec une rotation forte - le problème à régler tient alors beaucoup à la faible attractivité des métiers, en raison de leurs salaires et de leurs conditions de travail et de recrutement, par exemple dans la restauration, le bâtiment, l'aide aux personnes.

Certains territoires connaissent plus de tension mais la situation est assez similaire sur tout le territoire. La raison ? La France connaît le chômage de masse depuis trente ans. Former pour former semblait ne pas avoir de sens. Aussi la qualification de la main-d'oeuvre est plutôt basse. Il faut sortir de cette fatalité. Un demandeur d'emploi seulement sur dix est formé et un salarié sur trois a accès à la formation.

Il y a des visions datées, par exemple sur l'apprentissage, qui heureusement change : + 6 % d'inscrits et + 45 % de demandes cette année, dans la dynamique de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Les règles de l'assurance chômage, enfin, n'incitent pas suffisamment à reprendre un emploi - c'est l'un des enjeux de la réforme en cours de négociation.

Le plan d'investissement dans les compétences (PIC) apporte lui aussi des réponses, pour mieux ajuster l'offre et la demande, renforcer l'attractivité des métiers en tension, ou même simplement l'information sur le fait que des métiers sont en tension - le phénomène est méconnu. On quantifiera en temps réel les besoins. Nous avons lancé le 20 septembre l'opération #VersUnMétier avec Pôle Emploi. Il faut faire savoir que des offres ne sont pas pourvues, et qu'il faut se former par exemple en cybersécurité, ou en développement des sites web alors - c'est possible en quelques mois.

Nous travaillons avec les régions sur le PIC, avec un très grand volet sur les métiers en tension. Le premier pacte sera signé la semaine prochaine avec le Grand Est à Metz. Il y aura 10 000 formations dans le numérique, autant dans les métiers verts qui se développent à toute vitesse. Le PIC sera aussi mobilisable pour accompagner la gestion prévisionnelle des emplois.

Le travail doit aussi payer mieux pour que l'emploi soit attractif.

Nous devons agir sur tous les leviers pour réussir. C'est ce à quoi nous sommes attachés.

M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants .  - Chaque année des centaines de milliers d'offres ne trouvent pas preneur alors que le chômage est de plus de 9 %. Nous nous souvenons de la phrase du président de la République, qui a tant choqué : il suffirait de « traverser la rue » pour trouver un emploi. Or, sur les 300 000 offres non pourvues, 97 000 ont été annulées par l'entreprise, 53 000 demeurent, 150 000 ont été abandonnées faute de profil adéquat et 19 500 n'ont fait l'objet d'aucune candidature. Ces chiffres sont à rapporter aux 24 millions de déclarations d'embauche réalisées dans l'année.

Les postes non pourvus - cuisiniers, chaudronniers, assistantes maternelles, cadres technico-commerciaux, carrossiers... - ne sont pas des surprises. Ce sont souvent des métiers peu valorisés, peu rémunérateurs, mais aussi peu connus.

En Loire-Atlantique, plus de 50 % des 54 236 projets de recrutement sont classés difficiles comme ouvrier, marin, personnel navigant, vendeur en gros, concierge. Mission, salaire ou pénibilité ne rendent pas ces métiers attractifs. Le Gouvernement incite à aller voir dans d'autres secteurs quand on ne trouve pas dans le sien, mais quand on élargit ses recherches dans des secteurs où l'on n'a pas toutes les qualifications, on trouve des salaires moindres.

Il y a bien d'autres problèmes à régler, ensuite, que ceux de la formation. Entre 2007 et 2011, environ 500 000 personnes ont dû renoncer à un poste pour des problèmes de logement. Un postulant qui se rend compte qu'il ne pourra pas trouver de logement ou de transport adapté peut renoncer. Le mouvement des gilets jaunes a mis l'accent sur le coût du carburant - et l'on hésite d'autant plus à faire des kilomètres que l'emploi proposé est en CDD. Les collectivités territoriales doivent donc améliorer l'environnement de l'emploi, en particulier le logement.

Les entreprises doivent, elles, adapter leurs offres. Se pose aussi le problème des filières qui forment trop de jeunes pour le nombre de débouchés disponibles. Les pouvoirs publics doivent y réfléchir. À l'heure où les services représentent 75 % des offres d'emploi et où numérisation et robotisation sont une réalité, la politique de formation est un enjeu stratégique. Il faut mieux cibler les formations.

Le monde du travail est en perpétuelle évolution et a besoin de souplesse.

Pour changer la donne, chacun doit prendre ses responsabilités. Ce débat a pour objet d'esquisser des pistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Le président de la République a dit regretter ses propos blessants. On se souvient tous de la phrase : « Je traverse la rue et vous trouve un emploi » qui reprenait avec arrogance l'argument du patronat selon laquelle les chômeurs ne veulent pas travailler. Plus de neuf offres d'emploi sur dix ont été pourvues. Seules 18 000 offres sont restées sans candidats, soit 0,6 % des offres - cela représente un emploi pour 333 chômeurs, c'est dire que l'enjeu n'est pas à la hauteur du problème du chômage...

Le président de la République a dit vouloir faire de la formation professionnelle une priorité. Pourtant l'Agence nationale pour la formation professionnelle adulte (AFPA) envisage de fermer 38 centres et de supprimer 1 541 postes en CDI : Madame la ministre, laisserez-vous faire cette réduction de compétences sur le territoire ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Oui, tout n'est pas qu'une question de formation. Mais une fois sur deux, la question des compétences se pose. C'est pourquoi nous travaillons à augmenter significativement l'apprentissage, en particulier via la contractualisation avec les régions pour le PIC - l'apprentissage est une filière trop méconnue, qu'il faut renforcer, parce qu'elle mène à l'emploi.

Depuis dix ans, l'AFPA survit avec des aides d'urgence. En cinq ans, l'État a abondé l'agence de 700 millions de déficit, plongeant les salariés dans l'incertitude. C'est pourquoi la direction générale de l'agence a proposé une réforme structurelle, pour la recentrer sur ses missions régaliennes et vers les publics les plus difficiles, plutôt que de la faire répondre à tous les appels d'offres qu'elle remporte de moins en moins. Cela n'empêchera pas une offre mobile de formation. Sur le plan social, nous voulons que la transition se fasse sur la base du volontariat Quelque 600 personnes partent à la retraite - nous espérons que les autres départs seront volontaires.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - L'AFPA est un établissement public qui fonctionnait bien. Le taux de réinsertion dans l'emploi est de près de 66 %. Nous regrettons que tant de centres ferment, c'est un recul du service public. Quant à l'apprentissage, je conviens avec vous qu'il peut être une filière d'excellence, y compris pour accéder aux études supérieures.

Mme Corinne Féret .  - Ce sujet des emplois non pourvus est trop méconnu, il fait trop souvent l'objet d'incompréhension. Il ne suffit pourtant pas de traverser la rue...

Si la plupart des offres d'emploi qui restent non pourvues manquent d'attractivité, le problème de la formation est primordial.

Le Gouvernement précédent avait formé 500 000 chômeurs ; vous lancez le PIC, avec l'objectif de former un million de demandeurs d'emploi peu ou pas formés et un million de jeunes éloignés de l'emploi.

Cependant, la loi de finances pour l'an prochain diminue les moyens de la mission « Travail et emploi », vous affaiblissez les opérateurs : Pôle emploi perd 425 millions de subventions et 800 emplois, les missions locales sont fragilisées, l'AFPA est en crise... est marquée par un affaiblissement des acteurs. Comment pourront-ils porter le PIC ?

Madame la ministre, quel est le premier bilan du PIC ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Nous n'avons pas voulu lancer trop vite le PIC ; quand il y a des à-coups, les opérateurs ne suivent pas forcément. En 2018, le niveau était supérieur à 2017, mais de peu. En 2019, il va doubler.

L'investissement varie selon les régions. En Bretagne et en Normandie, il n'y a pas de fermeture de centre AFPA, car les régions ont toujours joué le jeu.

Les ressources de Pôle Emploi étant liées à la masse salariale, elles continuent à augmenter, de plus de 100 millions, malgré la baisse de la subvention ; la baisse d'ETP sera compensée par la numérisation. Le budget des missions locales baisse de 1,1 % et sera aussi compensé par les gains de productivité en numérisation. Vous le voyez, nous continuerons d'avoir les moyens d'accompagner les opérateurs pour mettre en place le PIC.

M. Jean-Pierre Moga .  - Au troisième trimestre 2018, 5,6 millions de personnes étaient inscrites à Pôle Emploi, dont 3 millions sans emploi, mais 300 000 offres étaient non pourvues, en particulier dans l'hôtellerie, la chaudronnerie, le bâtiment. Seules 150 000 ont fait l'objet d'un abandon d'embauche.

Il y en a très peu dans les grandes entreprises, alors que les TPE ont du mal à recruter. Il faut rendre ces métiers plus attractifs, en trouvant des leviers autres que l'existence d'offres. Une enquête auprès des employeurs de ces secteurs montrait que les réticences à s'y présenter étaient à trouver dans les faibles salaires et dans le nombre important d'heures supplémentaires non rémunérées.

Les accords de branches sont une piste. Les CCI ne pourraient-elles pas accompagner les petites entreprises ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Les entreprises qui ont le plus de besoins d'embauche sont les plus mal équipées en ressources humaines : les petites entreprises. Dans le PIC, une partie est prévue pour l'accompagnement des PME pour l'ingénierie RH des opérateurs de compétence - que nous mettons en place grâce à la loi.

Nous avons déjà beaucoup parlé du développement de l'apprentissage. Les conditions de travail sont souvent peu attractives : santé, pénibilité et précarité. Car s'il faut se déplacer pour un emploi difficile et en plus temporaire, un demandeur d'emploi peut hésiter. Cependant, ces difficultés ne sont pas une fatalité. Il faut y remédier.

M. Jean-Pierre Decool .  - Dans l'apprentissage, de nombreuses offres ne sont pas pourvues. Dans ma région, les Hauts-de-France, l'hôtellerie, mais aussi le numérique, cherchent en vain des apprentis. Dans les Hauts-de-France, ce sont plus de 530 diplômes disponibles via l'apprentissage dans 380 centres de formation. Il faudrait 50 000 jeunes pour pourvoir les offres.

Choisir l'apprentissage, c'est choisir l'excellence et la promesse d'un emploi rapidement : plus de 70 % des apprentis trouvent un emploi en un an. Il faut encourager cette voie.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Nous partageons cette conviction. L'apprentissage est une voie pour juguler le chômage des jeunes. Xavier Bertrand a été le premier à soutenir notre réforme pour renforcer l'attraction des métiers et de l'apprentissage.

L'un des principaux problèmes est le manque de connaissance des métiers. Les élèves auront désormais 54 heures de présentation des métiers de la 4e à la 1ère - et les demandes ont crû de 45 % à la sortie de 3e, cela n'était jamais arrivé auparavant. L'Éducation nationale présente enfin l'apprentissage à égalité des autres filières, c'est un progrès.

J'ai visité une cinquantaine de CFA : plus de la moitié des apprentis ont connu cette filière par un membre de leur famille : c'est encore trop ! Les professionnels et les organismes publics doivent rapprocher apprentis et entreprises.

Notre opération avec des YouTubeurs a eu un grand succès.

Le moindre accès à l'apprentissage des jeunes issus des quartiers en difficulté est aussi un problème à régler. Patrick Toulmet a été nommé pour donner aux jeunes des quartiers prioritaires accès à cette voie vers la réussite.

Mme Frédérique Puissat .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) C'est bien un mal bien français que cette inadéquation de l'offre et de la demande. Le Figaro en parlait encore aujourd'hui concernant la logistique et les transports.

Les entreprises de l'Isère ont voulu présenter leurs métiers dans leur diversité. Ne serait-il pas temps de casser les codes et lier davantage élèves et entreprises ?

La phrase du président de la République est blessante, mais elle est aussi parlante : les Français doivent comprendre qu'il faut parfois sortir de la voie où l'on s'est formé, pour trouver un emploi.

En Isère, un pôle d'intelligence logistique a été monté avec Pôle Emploi et le préfet pour faire valoir les métiers. Les préfets et les agents de l'État ont-ils des consignes suffisamment claires et précises en ce sens ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - La filière de la logistique est effectivement en forte tension, avec le développement rapide de l'e-commerce. Nous déclinons des plans régionaux du PIC. La région Rhône-Alpes refuse cependant de s'y associer. Avec la baisse de 65 % des crédits régionaux pour les demandeurs d'emploi peu formés, c'est difficile de faire quoi que ce soit.

Il faut, bien sûr, mobiliser l'Éducation nationale, nous y travaillons. Bientôt les jeunes pourront rencontrer un maître d'apprentissage - tous les élèves, du collège et du lycée. Jean-Michel Blanquer et moi avons écrit aux préfets et aux recteurs pour que les jeunes à la sortie de la 3e puissent ainsi découvrir le monde du travail. Problème majeur, neuf offres sur dix sont en CDD. Peut-être les partenaires sociaux peuvent-ils faire des propositions ?

Mme Patricia Schillinger .  - Un des secteurs avec le plus d'offres non pourvues est l'aide à la personne : 78 % des responsables de structures déclarent avoir des difficultés à recruter. Or on estime qu'il y aura 300 000 offres dans ce secteur en 2030 en raison du vieillissement démographique. On compte aujourd'hui 15 millions de personnes de plus de 60 ans, elles seront 20 millions en 2030.

La pénibilité des métiers de l'accompagnement est aussi en cause.

Enfin l'aide aux autres est un métier, une vocation qui nécessite une formation.

Que ferez-vous, madame la ministre, pour donner à ces emplois non délocalisables et d'intérêt social, stabilité et perspectives ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - C'est en effet de plus en plus essentiel. Il y a 2 100 offres sur le site du CESU ; en réalité, il y en a beaucoup plus. Les raisons ? La non valorisation symbolique et financière de ces métiers qui sont encore bien plus subis, que choisis. La société n'a pas encore reconnu que les aides à domicile étaient essentielles. Les classifications de branches pour ces métiers de femmes sont les plus floues. La précarité étant générale, dès que les personnes trouvent autre chose, elles quittent le métier. Nous devons rassembler les acteurs pour rendre plus attractif le métier qui doit devenir un métier d'avenir, y développer des carrières, des passerelles : nous y travaillerons dans le cadre des opérateurs de compétences.

Mme Patricia Schillinger.  - Merci, madame la ministre. Il y a urgence, les CAP et bac professionnels doivent être revus.

Mme Michelle Meunier .  - « Combien sommes-nous aujourd'hui ? » se demandent quotidiennement les employés du secteur médico-social. Derrière les sous-effectifs, se cachent le tabagisme, les maladies cardio-vasculaires, des horaires décalés, l'invalidité.

Un tiers des agents, qu'il s'agisse d'infirmières ou d'aides-soignantes, ont le sentiment que l'effectif présent ne garantit pas la sécurité et la dignité des patients. Deux-tiers des Ehpad qui peinent à recruter ont des postes vacants depuis six mois et plus.

Que ferez-vous concrètement pour de véritables déroulements de carrière, des formations, qui redonneront leurs lettres de noblesse à ces métiers de soin ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Vous avez entendu Mme Buzyn en parler. La question de la possibilité d'avoir un ascenseur social est centrale. Il est très important que les professionnels dans le privé ou le public, dans l'associatif et le lucratif se retrouvent, construisent ensemble les carrières et les mobilités dans ces métiers : c'est l'enjeu des opérateurs de compétences, de regrouper des acteurs aujourd'hui dispersés.

Dans la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel, ce sont les professionnels qui décideront des parcours à mettre en place. Ces métiers neufs, sauf pour le médical pur, en ont besoin.

Mme Michelle Meunier.  - Merci madame la ministre. Bon nombre des blouses blanches se sont associées aux gilets jaunes ; il faut sortir de la politique du chiffre pour aller plus dans la qualité.

M. Jean-Claude Luche .  - Dans l'Aveyron, 3 000 offres d'emploi ne sont pas pourvues ; et il y a 6,6 % de chômeurs. Toutes les offres ne sont pas dans les métropoles ; les territoires ruraux ont des atouts. Mais nous devons trouver des solutions à ce paradoxe. Comme d'autres départements, nous voulons attirer de nouveaux habitants. Président du conseil départemental, j'avais créé le site « L'Aveyron recrute » pour ce faire. Le maintien des services publics, haut débit et réseau routier sont indispensables. Il faut investir dans les infrastructures.

Pourquoi ne pas créer un début d'exode urbain ? Madame la ministre, comment prendrez-vous en compte l'aménagement du territoire ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Toutes les régions ne sont pas égales face au chômage : 6,6 % dans l'Aveyron, 5,8 % dans la Mayenne, 9,1 % pour la moyenne nationale ; mais 25 ou 30 % en outre-mer. On ne peut pas appliquer les mêmes mesures partout.

Le mouvement récent a révélé le problème des villes moyennes, dont les habitants ont le sentiment d'être loin de l'emploi qui se trouve dans les métropoles.

Après les compétences, le deuxième frein du retour à l'emploi, c'est la mobilité. Certes, il faut encourager le co-voiturage. Mais il faut aussi se poser la question de la capacité à déménager. Emploi et logement sont aujourd'hui dans des silos séparés. Il faudra développer les aides à la mobilité - actuellement jusqu'à 5 000 euros par an, peu connues  - pour offrir à la fois un emploi et un logement. Il est aussi possible d'aller plus loin dans le télétravail, c'est aussi un atout pour les territoires ruraux.

Mme Sophie Primas .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La France est le dernier grand pays industrialisé à ne pas s'être remis de la crise de 2008 : plus de 9 % de chômeurs, 300 000 emplois non pourvus.

L'inadéquation de notre système de formation vient, en grande partie, de ce que les entreprises n'y ont pas leur place. Résultat, la formation n'est pas adaptée aux besoins réels des entreprises, les jeunes méconnaissent totalement l'entreprise et son fonctionnement ainsi que la palette des métiers.

Une voie qui fonctionne aujourd'hui est l'apprentissage. J'ai entendu votre engagement en faveur de l'objectif partagé de 500 000 apprentis, mais nous stagnons. Sur 300 000 apprentis, 100 000 dépendent des chambres consulaires qui sont asséchées, projet de loi de finances après projet de loi de finances. Pour 2018, la recette affectée est réduite de 100 millions d'euros ; Bruno Le Maire a répété qu'il ne fallait pas que cela ait un impact sur les CFA sans dire comment.

Comment garantirez-vous que le nombre d'apprentis des chambres consulaires ne diminuera pas mais, au contraire, augmentera des deux tiers ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel libère les capacités de développement et de création des CFA. Il y a quelques jours, on a lancé un kit sur ce sujet. Désormais, une collectivité territoriale, une association, une chambre consulaire, une entreprise pourra créer un CFA.

La loi réglera un problème qui était patent : la moitié des régions n'utilisaient pas l'argent de l'apprentissage pour l'apprentissage. Certains CAP de cuisiniers ne faisaient l'objet d'un financement que de 2 500 euros par an - je ne sais pas ce qu'on peut faire avec si peu d'argent, contre 14 500 ailleurs, et les CFA devaient compléter. Dorénavant, les professionnels fixeront le coût au contrat et les CFA auront leur propre comptabilité analytique. Nous sommes allés sur le terrain expliquer tout cela, les CFA sont rassurés.

Nous allons aussi développer les préparations d'apprentissage, notamment pour les jeunes qui n'ont pas encore le savoir-être professionnel nécessaire. Plus de 300 CFA se sont déjà portés candidats.

Mme Nadine Grelet-Certenais .  - Ce débat n'est pas étranger aux propos que le président de la République a tenus lors de la journée du patrimoine. Il suffirait de traverser la rue pour trouver un emploi, c'est signifier que le chômage est un choix personnel.

Si les offres d'emploi n'aboutissent pas, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de candidats. L'étude de Pôle Emploi de décembre 2017 intitulée « Offres pourvues et abandon de recrutement » le montre. Se pose la question de l'attractivité : les offres non pourvues sont d'abord des contrats courts, qui explosent, et des emplois aux horaires décalés où les coûts induits dépassent le salaire. Les gilets jaunes ont rappelé que la mobilité était un enjeu clé, et je le constate dans la Sarthe.

L'expérimentation « Territoire zéro chômeur » s'est révélée efficace. L'accompagnement social a permis de démythifier la rhétorique habituelle sur les offres non pourvues. Pourquoi ne pas l'avoir étendue ? Attractivité des métiers, mobilité et accompagnement, quelles mesures concrètes allez-vous prendre sur ces trois volets sans peser sur les collectivités qui sont déjà fortement mises à contribution ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Notre stratégie porte d'abord sur les savoir-être professionnels puisque, selon Pôle Emploi, un demandeur d'emploi sur trois n'a pas les basiques comme savoir s'exprimer, se présenter ou encore respecter les horaires.

Elle s'appuie, ensuite, sur un tissu associatif qui est très riche. Le budget 2019 prévoit des moyens pour augmenter de 40 000 le nombre de places en entreprise adaptée et porter de 130 000 à 230 000 les places dans l'insertion par l'activité économique. Ce sont des tremplins vers l'emploi avec le triptyque : situation d'emploi, accompagnement social et formation.

L'expérimentation « Territoire zéro chômeur » est étendue l'an prochain, avec un doublement des places, pour que nous puissions en dresser tout le bilan comme cela avait été prévu.

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il y a 6 millions de demandeurs d'emploi en France. Les difficultés de recrutement qu'ont rencontré 23 % des entreprises au premier semestre 2018 mettent en lumière des phénomènes endémiques : 70 % des entreprises ayant eu du mal à recruter évoquent des problèmes de qualification ; 63 %, l'absence de candidature. Les difficultés sont les plus marquées dans les entreprises d'un à quatre salariés. Par exemple, les projets de recrutement sont difficiles à 74 % dans la boucherie, 72,9 % pour les charcutiers-traiteurs et 67 % pour la boulangerie-pâtisserie.

Le Gouvernement doit mener des actions fortes. Que prévoyez-vous ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Il n'y a pas 6 millions de chômeurs mais 6 millions d'inscrits à Pôle Emploi : certains peuvent être en emploi et en chercher un autre. Il y a 2,6 millions de demandeurs d'emploi disponibles immédiatement selon le BIT. C'est énorme et nous devons tout faire pour réduire ce nombre.

Quelques règles de l'assurance chômage font que retrouver un travail occasionne une perte de revenus. D'autres personnes sont découragées d'avoir frappé à toutes les portes. L'an dernier, sur 300 000 contrôles effectués par Pôle emploi, 14 % ne cherchaient plus du tout d'emploi, les 20 % qui étaient découragées ont été remis dans une dynamique et cela a porté ses fruits.

L'apprentissage est une grande voie qui ouvre vers tous les métiers, y compris de l'agriculture pour laquelle des jeunes ne se pensent pas faits parce qu'ils ne viennent pas d'un milieu rural. Avec l'Éducation nationale, nous essayons de changer le regard des jeunes sur les métiers, notamment en raison des stéréotypes de genre. Les jeunes filles croient que la technique n'est pas pour elles. Dans le numérique, il y a 90 % de jeunes hommes... Mais les nouvelles générations entrant en 4e auront un autre regard.

M. Serge Babary .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Les propos du président de la République le 16 septembre ont braqué le projecteur sur les emplois non pourvus mais les données manquent pour préciser le phénomène.

En 2018, les projets de recrutement ont augmenté de 18,7 %. C'est + 37 % dans la construction et 27,4 % dans l'industrie. Mais quelque 44,4 % des projets de recrutement sont jugés difficiles par les employeurs, contre 37,5 % l'an passé. Cela explique probablement pourquoi ce début de reprise économique n'est pas encore perçu par les Français.

Quel plan d'action le Gouvernement entend-il mettre en oeuvre pour anticiper le besoin de main-d'oeuvre pour 2019 ? Ne faut-il pas encourager les AFPA plutôt que de les fermer ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Des problèmes de recrutement, si je puis dire, ce sont des beaux problèmes. Cela signifie qu'on recrute davantage en France et de nouveau en CDI - une première depuis dix ans. Il faut tout reconstruire puisque, par exemple, les jeunes n'ont plus l'idée d'aller dans l'industrie qui a perdu un million d'emplois en quinze ans et ne paraît plus être un secteur d'avenir.

On a besoin de soudeurs, de forgerons numériques... Les jeunes ont de ces métiers une image à la Zola mais, en réalité, ils ont beaucoup changé et ils sont plutôt bien rémunérés. (Mme Sophie Primas renchérit.)

La priorité des priorités, c'est travailler sur les compétences. Un montant de 110 millions d'euros ont été prévus dans le plan d'investissement compétences pour les territoires d'industrie. Les demandes de recrutement dans l'hôtellerie-restauration sont aussi en hausse mais on manque de compétences : il faut une formation pour être chef-cuisinier.

J'en profite pour dire que la France s'est portée candidate pour les championnats WorldSkills de 2023, qui seront l'occasion de mettre en valeur les métiers et le travail.

M. Yves Bouloux .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Les 300 000 emplois non pourvus sont un paradoxe français. Quelque 97 000 ont été annulés par les entreprises, 53 000 sont encore en attente et 150 000 ont été abandonnés faute de candidats.

Comment l'État peut-il favoriser l'apprentissage ? Concourir à l'attractivité accrue des métiers en tension ? Comment aider les TPE-PME dans le recrutement ? Comment aider les territoires loin des métropoles, notamment outre-mer ? Comment adapter le contrôle des chômeurs à la réalité des emplois non pourvus ? Quelles mesures au plan européen avec le réseau Eures ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Nous devons changer notre approche de recrutement. Si l'on cherche uniquement un homme entre 28 et 40 ans avec le bon diplôme et la bonne expérience qui n'habite pas un quartier prioritaire, sans handicap, on va avoir des difficultés. Il faut s'ouvrir aux femmes, aux seniors, aux réfugiés, aux habitants des quartiers prioritaires. Il y a des stéréotypes sur les métiers chez les demandeurs d'emploi mais il y a aussi des stéréotypes chez les recruteurs, voire de la discrimination.

Chez Pôle Emploi, on teste un processus qui ne se penche pas sur le CV mais sur les compétences. Les résultats sont très prometteurs. À Poitiers, une entreprise a accueilli des réfugiés, avec un taux de réussite de 100 %. Le dispositif des emplois francs a mis le temps à démarrer, mais il a maintenant du succès.

Au niveau européen, nous voulons l'Erasmus de l'apprentissage. Comme les étudiants, les apprentis doivent pouvoir se former ailleurs et découvrir d'autres cultures.

M. Jean-Raymond Hugonet .  - « Tout est dit, et l'on vient trop tard » disait La Bruyère... Plus d'un tiers des entreprises ne parviennent pas à recruter. Selon Pôle Emploi, 44,4 % des recrutements sont jugés difficiles par les employeurs en 2018, contre 37,5 en 2017.

Les causes sont multiples, les réponses doivent l'être tout autant. La préparation opérationnelle à l'emploi en est une. L'incitation à reprendre un emploi doit l'être aussi : est-il acceptable qu'un salarié qui refuse un CDI à l'issue d'un CDD puisse s'inscrire à Pôle Emploi ? Une chose est sûre : il est urgent d'agir.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Tous ceux qui pensent qu'il y a une baguette magique pour résoudre le chômage se trompent. Il faut un panel de réponses pour donner les moyens à chacun d'accéder au travail.

Nous finançons massivement les préparations vers l'emploi. L'opération #VersUnMétier fonctionne très bien car c'est le professionnel lui-même qui vient expliquer son métier. Cela a un grand succès. J'ai ainsi assisté à la présentation du métier de référent web dans une agence Pôle Emploi du XXe arrondissement devant une cinquantaine de chômeurs. Aucun diplôme nécessaire, une formation intense de quatre mois avec un CDI à la clé. C'est en multipliant les micro-solutions de ce type que nous ferons reculer le chômage.

M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants .  - Le marché du travail présente une inadéquation entre offre et demande dans le bâtiment, l'aide à la personne, les secteurs saisonniers. Les recruteurs incriminent le manque de formation, le déficit d'image, les conditions de travail ou l'éloignement. Chaque année, 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans formation et le chômage des jeunes atteint 22 %. Il n'y a que 300 000 apprentis en France, contre 1,4 million et seulement 7 % de jeunes au chômage en Allemagne. En France, les jeunes sont 50 % à dire qu'ils ont été mal accompagnés dans leur établissement scolaire. En Finlande, l'orientation est pleinement intégrée dès le primaire, avec des visites d'entreprises, des films sur les métiers et des entretiens individuels avec des enseignants spécialisés.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel réforme avec bonheur l'apprentissage. La loi Travail apporte plus de dialogue dans l'entreprise. Les branches et l'Éducation nationale doivent travailler ensemble pour faire de l'apprentissage une voie d'excellence.

Le Gouvernement a misé sur la formation professionnelle avec 15 milliards d'euros entre 2018 et 2022. L'aide à la mobilité est essentielle. Le réseau emplois compétences pourrait jouer le rôle de plateforme de coordination, chargée de centraliser les données locales et d'anticiper les besoins de compétences dans les bassins d'emplois.

Il faut une coopération plus étroite avec les entreprises les plus à même de définir les besoins. Il faut redonner du sens et de la valeur au travail. L'apprentissage est une voie d'excellence. Nous devons favoriser les mobilités internes et géographiques.

Merci à Joël Guerriau, à madame la ministre et à tous nos collègues pour leurs interventions. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et Les Républicains)

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Merci pour cette conclusion qui montre que le Gouvernement s'est donné tous les moyens de développer l'apprentissage, la formation et la mobilité sur laquelle il doit encore y avoir des progrès.

J'ai confiance : le secteur du bâtiment, qui a lancé le plan « 15 000 bâtisseurs », espère créer 60 000 places de plus avec la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. L'industrie s'est engagée à créer 40 000 places.

Il n'y a pas de fatalité, pas de raison que la sixième puissance économique du monde affiche un taux de chômage de 9,1 % et de 20 % chez les jeunes. Vue d'ensemble, détermination sur le terrain, c'est ainsi que, tous ensemble, nous engrangerons des résultats. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants, Les Républicains et UC)

Prochaine séance demain, jeudi 13 décembre 2018, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 25.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus