Projet de loi de finances rectificative pour 2017

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances rectificative, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2017.

Discussion générale

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances .  - Ce projet de loi de finances rectificative vise à trouver les recettes nécessaires à la suite de l'annulation de la taxe de 3 % sur les dividendes instaurée en 2012 : celle-ci a fait l'objet d'un premier rappel à l'ordre de la Commission européenne en 2015, puis d'une annulation par la Cour de justice de l'Union européenne, confirmée par le Conseil constitutionnel le 6 octobre dernier.

Sur la base de la décision de la Cour de justice, il semblait que seule une partie de la taxe serait annulée. Nous avions donc provisionné 5,7 milliards d'euros sur le quinquennat. Mais le Conseil constitutionnel est allé plus loin : il faut en fait rembourser l'intégralité des sommes perçues, soit 10 milliards d'euros, intérêts moratoires compris.

Depuis plusieurs semaines, nous avons examiné toutes les options, nous en avons discuté avec les entreprises concernées. Avec le président de la République et le Premier ministre, nous avons finalement décidé de rembourser sans délais ces 10 milliards d'euros.

Il aurait été beaucoup plus facile de reporter ou d'étaler le remboursement, quitte à augmenter la charge, avec des intérêts moratoires à 4,5 % par an. Mais cela aurait été irresponsable.

Nous aurions pu déclarer à la Commission européenne, comme on le fait depuis dix ans, qu'une fois de plus nous ne pouvions pas, à cause de cet héritage du passé, respecter nos engagements. Ce n'était pas, au surplus, de notre fait. Notre choix a été différent, et il est à l'honneur de ce Gouvernement : assumer toutes nos responsabilités, y compris celles de nos prédécesseurs.

Au-delà de l'affiliation politique des uns et des autres, il y a l'intérêt général.

Pour maintenir l'équilibre budgétaire, nous avons donc fait le choix d'une contribution exceptionnelle et immédiate qui ne touchera que les 320 entreprises dont le chiffre d'affaires excède 1 milliard d'euros.

Nous créons un second seuil à 3 milliards d'euros. Au-delà de 1 milliard, le taux de l'impôt sur les sociétés sera porté de 33 à 38,33 %. Pour les 110 autres entreprises, dont le chiffre d'affaires dépasse 3 milliards, le taux sera porté à plus de 40 %. Toutes les autres, les centaines de milliers de PME et TPE notamment, ne seront pas concernées.

Je mesure l'effort demandé aux entreprises contributrices. Ce n'est que pour 2017 ; ensuite, on oublie ! Dans un souci de transparence, un rapport identifiera, parmi les contributeurs, les gagnants et les perdants.

Je n'ai jamais caché que cette contribution serait concentrée sur un très petit nombre d'entreprises. J'ai conscience que les banques mutualistes, notamment, seront pénalisées. Nous assumons ce choix, au nom de la bonne maîtrise des finances publiques et du respect de nos engagements européens.

Ce choix ne modifie en rien les grandes orientations financières et fiscales du Gouvernement. Nous baisserons le taux de l'impôt sur les sociétés dès 2018 pour le porter à 25 %, la moyenne européenne, en 2022. Cet effort représente 11 milliards d'euros, à comparer aux 5 milliards de la contribution exceptionnelle. Nous visons la stabilité fiscale qui crée la confiance.

Comme l'a indiqué la Commission européenne hier, ce choix permet à la France, pour la première fois en dix ans, de passer enfin sous la barre des 3 % dès 2017 - 2,9 % exactement - et de sortir de la procédure pour déficit excessif où elle se trouve depuis 2009.

Si nous voulons que la France puisse défendre la refonte de la directive sur les travailleurs détachés, la taxation des géants du numérique, un commerce équitable fondé sur la réciprocité, l'harmonisation fiscale dans la zone euro, nous devons tenir nos engagements.

L'enjeu dépasse de très loin cette contribution exceptionnelle : c'est la bonne tenue des comptes de la Nation, le respect des engagements européens et la crédibilité de la France.

J'ai suivi vos débats, j'ai entendu que les choses iraient beaucoup mieux que prévu, que la croissance dépasserait 1,7 %, que nous aurions par conséquent des recettes exceptionnelles rendant inutile cette contribution. Je ne partage pas cette appréciation.

Je suis un ministre sincère et rigoureux. Les recettes fiscales peuvent être meilleures que prévu, mais il peut y avoir aussi des dépenses exceptionnelles... Nous parlons d'une croissance à 1,7 %. Certes, l'INSEE parle de 1,8 %, mais la Commission européenne de 1,6 %.

Je me méfie des châteaux en Espagne : si, comme Perrette, on trébuche sur une crise nouvelle, adieu veau, vache, cochon ; adieu respect des 3 %, adieu sortie de la procédure pour déficit excessif ! Je revendique de ne pas faire prendre de risque aux contribuables français.

Nous avions proposé de plafonner cette taxe à 300 millions d'euros. Le Conseil d'État a disjoint le plafonnement du reste de notre proposition, le jugeant constitutionnellement risqué.

Il y a déjà eu trop d'amateurisme dans cette affaire (Protestations sur les bancs du groupe SOCR). Je ne veux pas faire prendre le moindre risque en pariant sur une croissance mirifique, ce ne serait pas raisonnable. (M. Michel Canevet approuve.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - J'ai plaisir à vous voir, monsieur le ministre, mais nous nous serions tous passés de ce projet de loi de finances rectificative...

La mission Remboursements et dégrèvements sera impactée à hauteur de 5 milliards d'euros ainsi que le volet recettes, pour 200 millions d'euros, car la contribution devait aller jusqu'au 31 décembre 2018.

Le rendement attendu de la contribution exceptionnelle ponctuelle est de 4,8 milliards en 2017 et de 600 millions en 2018, soit environ 10 % du montant total de l'impôt sur les sociétés.

Le Gouvernement n'avait provisionné que 5,7 milliards d'euros, dont 300 millions en 2018 et 1,8 milliard sur les exercices suivants. Avec l'abrogation complète de la taxe, l'ensemble des contributions peut faire l'objet de demandes de remboursements jusqu'à fin 2019. Le coût du contentieux a donc été revu à la hausse de 4,3 milliards d'euros.

L'État prend la moitié à sa charge et ferait payer l'autre moitié par les entreprises, à travers la contribution présentée par le ministre.

Chacun s'accorde sur l'objectif d'éviter que le déficit ne dépasse les 3 %, pour enfin sortir du volet correctif du pacte de stabilité. Reste que la fragilité constitutionnelle de la taxe était connue depuis longtemps. Relisez mon rapport sur le collectif 2016 !

La mesure proposée s'accompagne d'importants biais, puisque 223 sociétés sur les 318 redevables seront perdantes : industrie, commerce, services financiers notamment. Le produit de la taxe est très concentré : 30 sociétés représentent 71 % des recettes.

La tentation aurait été d'équilibrer les montants, mais cela reproduirait les dispositions censurées. Modifier les paramètres entraînerait un important risque juridique. Vous le reconnaissez avec honnêteté, il n'y a guère d'alternatives, le Conseil d'État ayant repoussé le plafonnement. Votre solution est la moins mauvaise.

Reste qu'une telle contribution, dont le montant est très élevé et le calendrier contraint, envoie un signe négatif aux entreprises.

Surtout, le Gouvernement a calculé le montant sans actualiser ses hypothèses de croissance ni d'élasticité des recettes à la croissance. Dans votre lettre à la Commission européenne du 31 octobre, vous estimez pourtant que les recettes pourraient être supérieures en 2017 aux prévisions du projet de loi de finances, ce qui permettrait de moins solliciter les entreprises...

Le conseil des économistes établit sa prévision de croissance à 1,8 % en fin d'année. L'effet de cette variation de 0,1 point aboutirait spontanément à un surcroît de recettes de 2,5 milliards d'euros.

La commission des finances en tire les conséquences : à défaut de pouvoir en réviser les paramètres, elle souhaite ajuster la contribution demandée aux grandes entreprises au montant strictement nécessaire. C'est le sens de notre amendement, qui la réduit de moitié.

M. Jean-Marc Gabouty .  - Décidé dans l'urgence, ce collectif est une réponse à la censure de la taxe sur les dividendes pour différence de traitement entre les sociétés mères, selon que les dividendes proviennent de filiales françaises ou étrangères.

C'était en effet incompatible avec la législation européenne. Conséquence, l'État est tenu de rembourser près de 10 milliards d'euros.

La contribution exceptionnelle que le Gouvernement propose concernerait 320 entreprises, avec deux surtaxes à des taux différents en fonction du chiffre d'affaires. Le solde public 2017 sera ainsi inchangé à 2,9 %. La prévision de solde 2018 est réévaluée de 2,6 à 2,8 %. Au-delà, le coût serait intégré à la trajectoire.

Ce bricolage brouille le message du Gouvernement, qui annonce par ailleurs une baisse du taux de l'impôt sur les sociétés. On fait supporter aux entreprises un impôt exceptionnel pour compenser la suppression d'une taxe qui n'était pas perçue sur le même périmètre : 200 entreprises y perdront, 90 y gagneront. Ce n'est pas très équitable, ni très cohérent.

Mais il n'y avait pas d'autre solution. L'État prend à sa charge 5 milliards d'euros. En augmentant cette part de 2,5 milliards, la commission des finances s'écarte de la rigueur à laquelle elle nous a habitués. Et si nous ne récupérons que 2,5 milliards sur 10, cela a-t-il encore un intérêt ? S'il devait y avoir un surcroît de recettes, nous trouverions à l'employer autrement !

Sans enthousiasme, le groupe RDSE soutiendra les propositions du Gouvernement.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Bien.

M. Julien Bargeton .  - Le premier collectif pour 2017 m'inspire des sentiments partagés. Il ne redore certes pas l'image de l'action publique, au moment où l'on cherche à redonner confiance. Il nous invite surtout à repenser nos méthodes de travail, conséquence d'une « décision absurde », selon la terminologie du sociologue Christian Morel, caractérisée par erreur persistante : les alertes dataient de 2015...

Il m'inspire de l'insatisfaction. Mais je me félicite de l'action responsable du Gouvernement, qui sécurise notre trajectoire budgétaire pluriannuelle. Après avoir d'abord provisionné 5,7 milliards après la première décision de la Cour de justice de l'Union européenne, il a, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel, présenté sans tarder ce collectif juridiquement solide, budgétairement viable et économiquement juste. Tout le monde reconnaît à demi-mot qu'il n'y a pas d'autre solution. Diluer la contribution aurait eu un impact négatif sur les PME. Le rapporteur général de l'Assemblée nationale a en outre introduit un dispositif de lissage.

Satisfaction aussi de soutenir un Gouvernement qui ne cède pas à la procrastination, comme le héron de la fable.

M. François Bonhomme.  - François Hollande ?

M. Julien Bargeton.  - Le Gouvernement envoie par ailleurs des signaux forts et durables aux entreprises : baisse de l'impôt sur les sociétés de 33 à 25 %, fiscalité du capital au service du financement de l'économie, transformation du CICE en allègement pérenne.

Le Sénat a toujours su se réinventer, innover, conformément à sa tradition. Il convient de fiabiliser les initiatives parlementaires et gouvernementales en matière fiscale. On ne peut légiférer sans filet, sans évaluation préalable, surtout avec les QPC : parce que la loi fiscale peut être contestée, elle doit devenir incontestable. Il faudrait aussi un suivi des contentieux de l'État. Enfin, la fluidité de l'information entre le ministère et la commission des finances pourrait être améliorée.

L'état d'esprit du groupe est pragmatique, déterminé et imaginatif.

M. Pascal Savoldelli .  - Ainsi, parce que les services juridiques de quelques grandes entreprises, après avoir tenté de faire censurer une mesure fiscale, ont saisi le juge européen, nous voici devant un collectif budgétaire d'urgence...

M. François Bonhomme. - Cela s'appelle le droit ! (M. Julien Bargeton s'amuse.)

M. Pascal Savoldelli. - ...toutes sirènes hurlantes, pour trouver de quoi compenser, le 20 décembre prochain, la perte d'une dizaine de milliards !

Au moment où l'on supprime l'ISF et où l'on réinvente le prélèvement libératoire sur les revenus financiers, cela fait désordre. Vous avez pris soin de ne pas critiquer le gouvernement précédent - or il aurait fallu revenir au collectif budgétaire d'août 2012.

La solution du Gouvernement est peut-être la moins mauvaise, mais elle pénalise les entreprises qui ont réinvesti plutôt que de distribuer des dividendes... Pour certaines, le télérèglement du 20 décembre sera le plus important de l'année, vu qu'il ne pourra être corrigé des diverses niches, variations saisonnières ou imputations...

L'article premier, c'est l'impôt brut de décoffrage. La compétitivité des entreprises est-elle menacée ? À ce niveau de chiffre d'affaires, l'optimisation fiscale est fort pratiquée. Les 109 sociétés bénéficiaires qui dépassent le seuil de 3 milliards ont un chiffre d'affaires moyen de 14,9 milliards d'euros, pour 412 millions de bénéfices. Il y a certes une très forte concentration de l'impôt sur les sociétés - mais, au taux facial de 33,33 %, il ne représente que 1 % du chiffre d'affaires. Cela fera 40 à 45 millions d'euros de surtaxe - soit 0,3 % du chiffre d'affaires - pour l'entreprise moyenne dans ce panel. À comparer avec les mesures qui ciblent les plus modestes et les retraités...

Notre groupe ne votera pas ce collectif.

M. Bernard Delcros .  - Ce projet de loi présente un caractère exceptionnel. La taxe censurée générait une recette annuelle de 2 milliards d'euros depuis 2013. Au-delà des critiques, il nous incombe de trouver une solution pragmatique et efficace.

En mai 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a fait savoir que la taxe était contraire à la directive « mère-fille » de 2011, vous contraignant à provisionner 5,7 milliards, lissés sur quatre exercices.

Mais le 6 octobre, après le dépôt du projet de loi de finances, le Conseil constitutionnel a censuré l'intégralité du dispositif. Il faut désormais trouver 10 milliards, dont près d'1 milliard pour les intérêts - ce qui mérite discussion.

Vous y répondez par une contribution exceptionnelle d'un rendement attendu de 5,4 milliards d'euros. Ce mode opératoire avait déjà été retenu en 2011 pour faire face à la crise. L'État complètera, à hauteur de 400 millions en 2017 et de 4,4 milliards en 2018.

Cette solution est pragmatique et raisonnable. Le déficit public sera contenu en 2017 et légèrement dégradé en 2018 : 2,8 % contre 2,6 %. Laisser courir le déficit aurait malmené notre engagement européen.

Nous aurions préféré ne pas avoir à voter cette contribution, mais c'est l'option la plus responsable. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Notre groupe votera unanimement ce texte. (MM. Michel Canevet et Julien Bargeton applaudissent.)

M. Bruno Le Maire, ministre. - Très bien !

M. Claude Raynal . - Ce texte trouve sa source dans le contentieux sur la retenue sur les OPCVM, appliquée depuis 1979. En mai 2012, la Cour de justice de l'Union européenne retoquait cette taxe jugée contraire à la liberté de circulation des capitaux. La Cour des comptes évaluait le coût du contentieux à 5 milliards d'euros - montant réévalué par la suite. On prépara donc à l'automne 2012 une solution de compensation, qui incitait les entreprises à réinvestir plutôt que distribuer des dividendes. Si elle fut adoptée sans tenir compte de l'incompatibilité avec la directive européenne, c'est que celle-ci relevait à l'époque de l'interprétation prospective - au demeurant, le Conseil constitutionnel n'avait pas été saisi.

Espérons que la contribution du présent Gouvernement passera le test du Conseil constitutionnel... Il serait regrettable qu'elle soit qualifiée à son tour de « scandale d'État » ! La réforme de la taxe d'habitation pourrait bien, elle, être censurée... Le Premier ministre, en prévision de cette censure, évoque même une réforme globale de la fiscalité locale. Apprécieriez-vous d'être taxé alors d'amateurisme juridique ? Nous lirons avec intérêt les conclusions du rapport de l'IGF.

Sur le fond, nous ne nous opposerons pas à votre proposition. La situation est néanmoins paradoxale : les entreprises qui ont le moins distribué de dividendes, donc le moins touchées par la taxe, seront les plus mises à contribution.

Nous regrettons également de ne pas avoir une vue plus complète sur les entreprises « gagnantes » et « perdantes ». Il y a aussi les groupes mutualistes, exonérés de la taxe mais contributeurs de la surtaxe, pour un montant très important : 1,2 milliard d'euros. Vous avez fait part aux députés, monsieur le ministre, de votre volonté de trouver une solution. Nous avons déposé un amendement pour vous interroger.

Il y avait d'autres voies, comme reporter d'un an ou deux la réforme de l'ISF...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Oh non ! Pour une fois qu'il y a une bonne réforme !

M. Claude Raynal.  - ...et la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU)...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Non plus !

M. Claude Raynal.  - La rapporteure spéciale de la mission « Remboursements et dégrèvements » s'est inquiétée de la capacité de Bercy à traiter ce type de dossiers, de plus en plus nombreux. Quel est votre avis, monsieur le ministre ? Nous n'approuvons pas l'article 5 qui ratifie le décret d'avance du 20 juillet 2017.

Avec ces réserves, pour sauvegarder l'intérêt général, notre groupe s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. le ministre remercie.)

M. Vincent Éblé, président de la commission.  - Position responsable !

M. Emmanuel Capus .  - C'est un collectif budgétaire singulier, comme l'a dit le Haut Conseil des finances publiques. Il n'a rien d'une bonne surprise. En effet, 318 entreprises françaises seront taxées par la faute de la politique punitive et instable du précédent gouvernement. C'est un cadeau empoisonné !

Mon groupe partage la volonté de votre Gouvernement et du président de la République de donner la priorité à la sortie de la procédure pour déficit excessif. Il s'agit de restaurer sans délai le crédit de la France en Europe. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! Nous ne nous opposerons donc pas à ce texte.

Plusieurs réserves néanmoins, au-delà des prestations juridiques. Comme souvent, la raison d'État laisse un goût désagréable d'injustice. Les entreprises qui investissent sont en effet pénalisées. Ainsi, 95 d'entre elles seront gagnantes, 223 seraient perdantes dont une dizaine « très perdantes », selon vos propres termes, monsieur le ministre. J'attire votre attention sur la situation des mutuelles, qui n'ont pas acquitté un euro de la taxe et sont lourdement affectées. La créativité fiscale proverbiale de Bercy aurait pu être mise au service d'une mesure plus fine...

Nous demandons que les raisons institutionnelles qui ont conduit à ce fiasco soient établies. Une réflexion sur le « mieux légiférer » en matière fiscale s'impose.

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Très juste !

M. Emmanuel Capus.  - Nous ne pouvons accepter qu'une telle malfaçon se reproduise un jour. Tirons collectivement les leçons de cette affaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et LaREM)

M. Philippe Dominati .  - (M. Gérard Longuet : « Très bien ! ») Un nouveau président de la République présentait un collectif budgétaire dont le principe était : « Mon ennemi, c'est la finance ! ». C'est pourquoi mon groupe avait voté contre.

Il semble que le monde politique ait changé avec ce nouveau Gouvernement plus ouvert au monde des entreprises, faisant montre de plus d'écoute, d'attention, de pragmatisme... Las ! Au lieu de cela, nous assistons en un temps record à une véritable conversion. Je soupçonne une solidarité avec l'ancien gouvernement, l'ancien président. En quelques semaines, les grandes déclarations en faveur de l'entreprise, annonçant une baisse de l'impôt sur les sociétés, une ouverture sur le libéralisme, ont été brusquement oubliées !

Vous parliez d'innovation, monsieur le ministre ? Bercy a ressorti ses vieilles recettes, déjà vendues à plusieurs Premiers ministres, pour, soi-disant, faire face dans l'urgence à une situation exceptionnelle... La proposition n'a rien d'innovant : elle est d'un classicisme absolu. Il fallait trouver une cible. On a laissé de côté les footballeurs, les kinés et on s'est arrêté aux grandes entreprises, quelles qu'elles soient, qu'elles aient été déficitaires les années précédentes, qu'elles aient fourni des efforts, subi des restructurations, peu importe ! La méthode du Gouvernement a consisté à en faire un seul bloc.

Vous mettez en valeur votre sincérité ; elle n'excuse pas tout ! Vous parlez d'exception. Mais elle n'excuse pas qu'on renie les grandes déclarations du Premier ministre contre l'instabilité fiscale. L'exception, c'est le taux le plus élevé dans le monde d'imposition des sociétés, 43,3 % à comparer avec 25,6 % en Allemagne, 23,6 % en Italie, 21,5 % au Royaume-Uni.

C'est en novembre, lorsque les entreprises ont préparé leurs investissements, que l'État jacobin fait fi du monde économique pour résoudre ses problèmes à la louche. La sincérité aurait voulu que les engagements français soient modifiés : l'urgence aurait été comprise.

Aucune mesure n'est avancée. Demain, on rase gratis, mais aujourd'hui, nous sommes champions d'Europe de l'impôt sur les sociétés.

Sénateur de Paris, je connais la rivalité de notre place financière avec Francfort pour récupérer, après le Brexit, les activités de la City.

Vous auriez rassuré tous les entrepreneurs si vous aviez promis de corriger cette injustice dès 2018. C'est un problème éthique plus que financier. Le Gouvernement fait semblant d'écouter le monde économique.

C'est une double faute politique : elle redouble une faute d'un autre président de la République il y a cinq ans. On espérait autre chose... Sur les 318 entreprises, toutes sont perdantes avec cette mesure de nature socialiste...

M. le président. - Veuillez conclure !

M. Philippe Dominati.  - L'exception, pour certains, justifie les moyens ? Le groupe Les Républicains ne l'accepte pas. Nous présentons donc un amendement de suppression de cette taxe. Sinon, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson .  - L'État doit 10 milliards à 5 000 entreprises.

Présenté le 2 novembre en Conseil des ministres, en commission à l'Assemblée le lendemain, adopté par les députés le lundi 6, examiné en commission au Sénat hier, le voici dans notre hémicycle ce jeudi 9 ; nous légiférons au pas de charge, en un temps record !

Pourtant, nous avions du temps. Dès décembre 2016, notre rapporteur général évoquait la fragilité de cette taxe au regard du droit européen et de la Constitution.

Le président Macron aurait pu percevoir le problème auparavant. Conseiller du président de la République en 2012 en charge des affaires économiques, il était aux manettes.

M. Eckert, alors rapporteur général du budget à l'Assemblée, le dit : Emmanuel Macron ne pouvait pas dire qu'il ne savait pas. Il est devenu ministre de l'économie ; Christian Eckert, toujours lui, était son secrétaire d'État au budget et déclarait, ici même, le 23 novembre 2015, lors de l'examen du budget 2016 : « il est vrai que le dispositif de cette contribution additionnelle a fait l'objet d'une mise en demeure de la Commission européenne ». Dès le recours devant le Conseil d'État, en 2016, l'issue de cette affaire ne faisait aucun doute.

Vous aviez donc la possibilité d'anticiper dès cet été, de rectifier le tir, de vendre des participations de l'État, par exemple, pour faire face à ce défi. Se payer sur le dos des entreprises a peu de sens, car le déficit pourrait être impacté dès 2018. Il n'est pas certain en effet qu'il soit possible aux yeux d'Eurostat de ne compter que la moitié de la facture pour 2018, ses règles pouvant différer de celles de l'Insee.

Solution de facilité ubuesque, que des entreprises soient sommées de rembourser une taxe illégale imposée à d'autres entreprises... C'est d'autant plus inepte que non seulement plusieurs centaines d'entreprises vont payer plus de surtaxe qu'elles ne percevront de remboursement, mais plusieurs dizaines d'entreprises vont payer alors même qu'elles ne recevront aucun remboursement. Ainsi, les entreprises mutualistes qui ne versent pas de dividendes vont payer la somme astronomique d'un milliard d'euros, soit 20 % du total !

C'est une charge excessive, qui constitue une atteinte inacceptable et disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre...

M. le président. - Veuillez conclure.

M. Jean-François Husson.  - Nous voterons contre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)

M. Bruno Le Maire, ministre .  - J'entends les remarques des Républicains, mais je ne vois pas quelles sont les solutions alternatives qu'ils proposent...

L'amendement de Bruno Retailleau placera le déficit bien au-dessus de 3 %, au moins à 3,1 %. Les Français doivent le savoir : vous êtes prêts à prendre le risque que la France ne sorte pas de la procédure de déficit excessif. (M. Philippe Dominati s'exclame.) Notre première décision fiscale a été de baisser l'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % sur cinq ans -  première décision favorable aux entreprises, décision attendue depuis des décennies.

Vous parlez d'attractivité de la place de Paris. Peut-être auriez-vous dû supprimer la taxe sur les salaires...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Je l'ai proposé !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - ... ou encore faire un prélèvement forfaitaire unique, réclamé par les banques anglo-saxonnes ? Vous nous reprochez de faire la politique du précédent gouvernement : nous n'aurions pas dans ce cas supprimé la taxe infra-journalière. (M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, le confirme.)

En fin d'exercice budgétaire, on ne peut pas tabler pour 2017 sur une meilleure élasticité des recettes. En revanche, la conjoncture s'améliorant, nous partons de l'hypothèse d'une augmentation de 8 % du rendement de l'impôt sur les sociétés dès cette année.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus