Lutte antiterroriste (Suite)

Mme la présidente.  - Nous reprenons la suite de la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste.

Discussion des articles (Suite)

ARTICLE ADDITIONNEL APRES L'ARTICLE 11

Mme la présidente.  - Amendement n°12, présenté par M. Lemoyne.

Après l'article 11

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa de l'article 434-1 du code pénal est complété par les mots : « et les actes de terrorisme définis au chapitre 1er du titre II du livre IV du code pénal ».

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - L'article 434-1 du code pénal punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de ne pas informer les autorités d'un crime dont on a connaissance et dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets.

Cet article exonère de cette obligation une liste exhaustive de personnes proches de l'auteur ou du complice : les parents en ligne directe, par exemple, ou encore les frères et soeurs. Cette exemption ne s'applique toutefois pas pour les crimes commis sur les mineurs de quinze ans.

Cet amendement propose d'ajouter une exception supplémentaire, celle des actes terroristes.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Le législateur a toujours considéré que le contexte familial devait atténuer les effets de la règle pénale, que la solidarité familiale l'emportait sur l'obligation sociale de dénonciation, sauf pour les crimes sur les mineurs.

Il est possible d'inverser cette logique en levant l'immunité familiale ; mais cette modification profonde d'un principe essentiel de notre droit nécessite une réflexion approfondie, que nous pouvons mener d'ici l'examen du texte du Gouvernement. Retrait, sinon rejet.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Avis défavorable. Merci, monsieur le rapporteur, pour votre disponibilité à intégrer le projet de loi dans la réflexion collective... Le droit satisfait pour l'essentiel l'amendement : une personne qui ne dénonce pas un crime peut être poursuivie pour complicité, y compris dans le cadre de l'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Le rapporteur incitait tout à l'heure le Gouvernement à être attentif aux propositions du Sénat. Je ne vois que des avantages à poursuivre la réflexion pendant les quelques jours qui nous séparent de l'examen du projet de loi.

M. Alain Richard.  - La réflexion ouverte par l'amendement de M. Lemoyne mérite d'être approfondie. Il faudra que nous appréciions bien, lors de l'examen du projet de loi du Gouvernement, si la non-dénonciation peut avoir des suites pénales. Nous cherchons l'efficacité, sans jamais être certains de la trouver... Si les membres des familles se rendaient compte de la responsabilité qu'ils prennent en ne disant rien, peut-être des drames pourraient-ils être évités...

M. André Reichardt.  - Merci à M. Lemoyne d'avoir soulevé cette question. Avec Mme Goulet et M. Sueur, nous avions vu combien le signalement par la famille était important - nous en faisons état dans notre rapport. Tout ce qui peut être fait pour rappeler ses obligations à la famille, y compris celle de signaler la dérive d'un proche, est opportun. Même s'il faut être prudent, la réflexion doit se poursuivre.

Mme Nathalie Goulet.  - Je serai plus prudente que les collègues s'étant exprimés. Selon l'Uclat, plus de 50 % des signalements viennent de la famille. La pénalisation du non-signalement doit être envisagée avec prudence. Certaines personnes maîtrisent mal le français ou sont en situation irrégulière... Les familles sont placées devant un terrible dilemme... C'est seulement après une évaluation des dispositifs en place qu'il pourra être envisagé une disposition de ce type. Je me rendrai d'ailleurs à cette fin dans les services la semaine prochaine.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Merci à M. Lemoyne d'avoir retiré son amendement. Il ne faut pas confondre le signalement administratif, qui est un appel à l'aide des familles, et la dénonciation judiciaire. Je redis mon engagement d'examiner, d'ici la deuxième lecture ou la première du texte amélioré du Gouvernement, les conséquences de la disposition proposée.

M. Marc Laménie.  - Cet amendement cosigné par de nombreux collègues peut être une première étape pour sensibiliser les esprits à une solution possible.

L'amendement n°12 rectifié est retiré.

L'article 11 bis est adopté.

ARTICLE 12

Mme la présidente.  - Amendement n°20, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Supprimer cet article.

Mme Esther Benbassa.  - L'article 12 crée un nouveau délit, le séjour intentionnel sur un théâtre étranger d'opérations terroristes, sanctionné de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Si le seul séjour suffit à caractériser cette infraction, cela revient à sanctionner une hypothèse ou une éventuelle intention.

De surcroît, la définition floue de « groupements terroristes » pourrait être utilisée à d'autres desseins que ceux qui sont les nôtres aujourd'hui.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Pourquoi créer ce délit ? Pour autoriser les poursuites judiciaires contre les personnes de retour de ces zones et remplacer les assignations à résidence administratives par des mesures de suivi judiciaire. Nous renforçons le rôle du juge judiciaire, ce qui devrait vous convaincre de retirer votre amendement. Sinon avis défavorable.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Sagesse. Le droit existant est suffisant. Il est possible de placer en détention provisoire ou d'assigner à résidence les personnes de retour de Syrie. Il y a un risque de redondance avec l'incrimination d'entreprise individuelle terroriste. Le champ d'application de cet article est en outre très large. L'objectif de contacter des groupements terroristes suffirait. Quid si une personne cherchait à contacter les Peshmergas ou l'Armée syrienne libre ? La sanction des actes préparatoires existe déjà. Le Gouvernement est constant dans son hostilité à cet article.

L'amendement n°20 n'est pas adopté.

L'article 12 est adopté.

ARTICLE 13

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Le Gouvernement est favorable, sinon enthousiaste, à cet article. Je ne résiste pas au plaisir de vous le dire. (Sourires)

L'article 13 est adopté.

ARTICLE 14

Mme la présidente.  - Amendement n°21, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Supprimer cet article.

Mme Esther Benbassa.  - L'article 14 exclut du champ de la peine de contrainte pénale toutes les infractions susceptibles d'être considérées comme terroristes.

La contrainte pénale est une peine qui exige un suivi intense des condamnés. Il revient au magistrat de décider de la peine la plus pertinente selon la personnalité de l'individu qu'il a à juger.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°31, présenté par le Gouvernement.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Le Gouvernement est hostile à l'idée de supprimer la contrainte pénale - dispositif auquel il est très attaché - dans ce domaine. Il fait confiance aux magistrats. Le suivi en est bien plus étroit que dans le sursis avec mise à l'épreuve.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Pour les prochains textes comme pour celui-ci, il faut se méfier des symboles... La contrainte pénale n'a pas séduit les magistrats : 80 ont été prononcées par 23 tribunaux contre 140 000 décisions de suivi avec mise à l'épreuve.

Une contrainte pénale peut valoir pour les faits les moins graves, pas pour le terrorisme. Avis défavorable à ces deux amendements.

M. Jacques Bigot.  - L'auteur de la proposition de loi et président de la commission des lois est opposé à la contrainte pénale et compte la supprimer un jour... Soit, nous verrons... Il n'y a guère de cohérence entre l'article 13, où on accepte le sursis avec mise à l'épreuve, et l'article 14, qui interdit la contrainte pénale, pourtant plus contraignante et assortie de sanctions plus sévères. Dommage de s'en tenir à une pétition de principe. L'idéologie n'a pas sa place dans un tel texte.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Excellent !

Les amendements identiques nos21 et 31 ne sont pas adoptés.

L'article 14 est adopté.

ARTICLE 15

Mme la présidente.  - Amendement n°22, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Supprimer cet article.

Mme Esther Benbassa.  - L'article 15 rend obligatoire la peine complémentaire d'interdiction du territoire français (ITF) en cas de condamnation pour certaines infractions terroristes. Un régime dérogatoire pour les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation et pour les actes de terrorisme est déjà prévu dans le droit en vigueur.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Avis défavorable. Une proposition de loi signée entre autres par M. Le Roux utilise la même formule que la nôtre. Le juge est libre de décider ou non de la peine complémentaire, mais il doit se prononcer.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Défavorable. Le Gouvernement partage les objectifs de l'article 15, mais demande une modification rédactionnelle : remplacer « est prononcée » par « peut être prononcée ».

Mme la présidente. - Ce sera l'amendement n°33.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - D'accord.

Mme Nathalie Goulet.  - Je suis extrêmement favorable aux mesures d'ITF, mais la réalité est que nous avons bien du mal à les exécuter, comme en témoigne la présence sur le territoire d'imams salafistes sous le coup de plusieurs arrêtés d'interdiction...

M. André Reichardt.  - Très bien.

L'amendement n°22 n'est pas adopté.

M. Jacques Bigot.  - Si on modifie le texte dans le sens souhaité par le Gouvernement, l'alinéa 2 devrait tomber.

M. André Reichardt.  - Tout à fait !

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Mieux vaut en rester pour l'instant au texte de la commission, nous verrons plus tard... (M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, en convient)

L'amendement n°33 est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°4 rectifié ter, présenté par MM. Reichardt, Allizard, Baroin, Béchu, Bizet, Bouchet, Buffet, Calvet et Cambon, Mme Canayer, MM. Cantegrit et Cardoux, Mme Cayeux, MM. César, Chaize, Charon, Chasseing, Chatillon, Commeinhes, Danesi, Darnaud et Dassault, Mme Debré, MM. Delattre et Dériot, Mmes Deroche, Deromedi, Deseyne et Di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, M. Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Falco, B. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. J. Gautier, Genest et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Gremillet, Grosdidier, Houel et Houpert, Mme Hummel, M. Huré, Mme Imbert, MM. Joyandet, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Leleux, P. Leroy, Longuet, Magras, Mandelli, A. Marc, Masclet et Mayet, Mmes M. Mercier, Micouleau et Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, Nougein, Panunzi, Paul, Pierre, Pinton et Pointereau, Mmes Primas et Procaccia, MM. de Raincourt, Rapin, Retailleau, Revet, Savin et Trillard, Mme Troendlé et MM. Vogel et Vasselle.

Alinéa 3

Remplacer cet alinéa par neuf alinéas ainsi rédigés :

« La durée de l'interdiction ne peut être inférieure aux seuils suivants :

« 1° Un an, si le délit est puni de trois ans d'emprisonnement ;

« 2° Deux ans, si le délit est puni de cinq ans d'emprisonnement ;

« 3° Trois ans, si le délit est puni de sept ans d'emprisonnement ;

« 4° Quatre ans, si le délit est puni de dix ans d'emprisonnement ;

« 5° Six ans, si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention ;

« 6° Huit ans, si le crime est puni de vingt ans de réclusion ou de détention ;

« 7° Dix ans, si le crime est puni de trente ans de réclusion ou de détention.

« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine ou de la prononcer pour une durée inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur. »

M. André Reichardt.  - Peut-être cet amendement peut-il régler le problème... Il introduit un mécanisme d'interdiction plancher du territoire français pour les infractions terroristes les plus graves commises par des étrangers, avec différents seuils selon la gravité des faits. Pour garantir le principe constitutionnel de la personnalisation des peines, la juridiction de jugement pourrait décider, par une décision spécialement motivée, de ne pas prononcer cette peine ou de prononcer une interdiction d'une durée inférieure à ces seuils.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Cet amendement intéressant théoriquement ne tient pas assez compte de la pratique des juridictions, qui prononcent surtout des ITF à titre définitif. Son adoption serait contreproductive. Il pourrait être retravaillé. Retrait.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Avis défavorable à cet amendement : le Gouvernement est défavorable aux peines plancher, problématiques au regard du principe d'individualisation des peines.

M. André Reichardt.  - L'individualisation de la peine est tout à fait possible grâce au dernier alinéa.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - C'est vrai !

M. André Reichardt.  - Mon but n'étant pas de réduire la durée de l'interdiction du territoire, je retire mon amendement.

L'amendement n°4 rectifié ter est retiré.

L'article 15 est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

Mme la présidente.  - Amendement n°10 rectifié, présenté par M. Reichardt.

Après l'article 15

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 702-1 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le présent article est inapplicable aux personnes condamnées à une interdiction du territoire français prononcée pour une infraction prévue au titre II du livre IV du code pénal, à l'exception de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-6. »

M. André Reichardt.  - Cet amendement a pour objet d'exclure, pour les infractions terroristes les plus graves, la procédure de relèvement d'interdiction du territoire français demandée par la personne à la juridiction l'ayant condamnée.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Toute personne ayant fait l'objet d'une peine peut demander à la juridiction qui l'a prononcée de la relever : c'est un principe bien établi de notre droit. Y contrevenir serait contraire à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. Supprimer la possibilité d'un relèvement rendrait la peine complémentaire automatique, ce qui serait inconstitutionnel. Retrait, sinon rejet.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Même avis.

M. André Reichardt.  - Compte tenu des propos de M. le rapporteur, je retire l'amendement. Mais les motifs de droit sont peu de chose au regard des actes dont nous parlons. Cela me fait penser à un ouvrage de Jean-François Revel intitulé Comment les démocraties finissent ...

L'amendement n°10 rectifié est retiré.

ARTICLE 16

Mme la présidente.  - Amendement n°9, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Supprimer cet article.

Mme Éliane Assassi.  - Cet article aggrave la durée de détention des mineurs. Il est contraire à la Convention internationale des droits de l'enfant et à l'ordonnance de 1945.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°23, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa.  - Défendu.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°32, présenté par le Gouvernement.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Ce dispositif ne concernerait qu'une ou deux personnes. Le Gouvernement est hostile sur le principe - un régime spécifique de prise en charge des mineurs est indispensable - et dubitatif sur son application.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Avis défavorable. Sur la centaine de personnes mises en examen pour terrorisme, seize sont mineures, dont douze âgées de plus de 16 ans. Ils sont peu nombreux, réjouissons-nous-en. Mais ce n'est pas une raison pour désarmer. Je ne suis pas un fanatique de l'emprisonnement des mineurs. J'ai contribué, en tant que garde des sceaux, en créant les centres éducatifs fermés, à réduire leur nombre en prison. Mais nous parlons ici de jeunes radicalisés et violents ; 8 250 personnes se sont radicalisées...

M. Jean-Pierre Sueur.  - La radicalisation est un vaste problème. Les membres de la commission d'enquête ont pu mesurer combien il était complexe. Certains ont inventé un mot magique, la déradicalisation... Mais lorsqu'un être humain a été sous l'emprise de telles idées - si l'on peut parler d'idées - c'est un travail considérable de le sortir de là. Cela a peu avoir avec le temps pénitentiaire...

Nous pouvons remettre sur le métier la justice des mineurs. Mais ne le faisons pas à la faveur d'un article de proposition de loi sur la lutte contre le terrorisme. (Mme Éliane Assassi approuve)

Les amendements identiques nos9, 23 et 32 ne sont pas adoptés.

L'article 16 est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

Mme la présidente.  - Amendement n°13 rectifié, présenté par MM. Bizet, Karoutchi, Pellevat, Joyandet, Danesi, Savary, Milon, Trillard et Doligé, Mmes Morhet-Richaud et Mélot, M. Gournac, Mmes Lamure et Deromedi, M. Laménie, Mmes Imbert et Deseyne, MM. Mayet, Pierre, Vaspart et Pointereau, Mmes Lopez et Duranton et MM. Vasselle et Revet.

I.  -  Après l'article 16

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l'article 25 du code civil est ainsi modifié :

1° Les mots : « L'individu qui a acquis » sont remplacés par les mots : « Tout individu ayant » ;

2° Les mots : « , sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride » sont supprimés.

II.  -  En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :

Titre ...

Possibilité de déchoir de sa nationalité française tout individu ayant la qualité de Français et condamné définitivement pour crime ou délit de terrorisme

M. Jean Bizet.  - Cet amendement concerne la déchéance de nationalité, qui devrait concerner tout Français, binational ou non, s'il est coupable de terrorisme.

Cette proposition est dans la droite ligne de la résolution du 30 mars 2015 adoptée après une journée de travail avec sept parlements européens. C'est une affaire de symbole, mais les symboles ont leur importance... La nationalité se mérite au quotidien. Soyons clairs, les conventions signées par la France, celles de New York de 1954, celle de 1961 ou la Convention européenne de 1997 restreignent les possibilités de créer des apatrides mais ne l'interdisent pas. Le président de la Cour européenne des droits de l'homme, lors de sa dernière visite en France, a déclaré que cette juridiction devait devenir réaliste. Le fait de ne pas être juriste me fait peut-être inconvenant mais aussi proche, politiquement et socialement, du sentiment de nos concitoyens.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Cet amendement est intéressant, le sujet va nous occuper quelques heures dans quelques jours... M. Bizet a raison de poser quelques jalons... Mais le texte traite de procédure pénale et vous proposez de modifier l'article 25 du code civil...

Vous avez raison de souligner qu'aucun texte n'interdit à la France de créer des apatrides : elle a signé les conventions ad hoc mais ne les a pas ratifiées...

Seul l'article 25 du code civil, disposition du droit interne, interdit de créer des apatrides. De plus, le code civil distingue la perte de nationalité de la déchéance de nationalité. Certains envisagent de faire de celle-ci une peine complémentaire. Autant dire que nous sommes dans un droit mouvant.

Monsieur Bizet, vous avez lancé le débat. Mieux vaut retirer ce riche amendement, qui relève du code civil et non du code de procédure pénale, plutôt que de l'exposer à un vote négatif.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Le Gouvernement ne peut que suivre le rapporteur. Dans notre esprit, la question de la déchéance ne relève pas du symbole mais du principe. Le juge prendra acte de la décision du terroriste de se mettre au ban de la collectivité nationale. Le terroriste rejette la nation, ce n'est pas la nation qui le rejette.

M. Jacques Bizet.  - Je le retire mais resterai vigilant. Il y va de la survie de notre démocratie.

L'amendement n°13 rectifié est retiré.

ARTICLE 17

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre .  - Avis de sagesse du Gouvernement sur cet article. Cela se fait sans passage par la loi. Cet article n'est donc pas utile mais puisque cela se fait nous n'avons pas non plus lieu de nous y opposer.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Le groupe socialiste votera cet article qui permet de créer des unités spécialisées au sein des maisons d'arrêt. Je salue le rapporteur qui a accepté notre proposition de modification évitant l'automaticité du placement en unités spéciales. Tirons les leçons de l'unité créée à Fresnes : le personnel pénitentiaire craint ce qu'il appelle l'effet cocotte-minute des regroupements trop nombreux de radicalisés.

M. André Reichardt .  - Je voterai l'article 17, malgré l'atténuation acceptée par le rapporteur, qui est pourtant réductrice. Rendre simplement possible l'encellulement individuel des radicalisés me laisse perplexe. Ces personnes sont dangereuses. Faut-il encore examiner si leur comportement en prison pose problème ? N'attendons pas que le mal soit fait pour agir.

Mme Nathalie Goulet.  - Je ne voterai pas cet article. Il est incohérent. La radicalisation existait bien avant Daech et nous n'avons pas les moyens pour lutter contre elle en prison : nous manquons d'aumôniers formés, de personnel, de logistique, de places en prison... Nous tâtonnons en cette matière. Dommage qu'un texte aussi brillant soit entaché par cet article 17.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Le législateur est dans son rôle de légiférer en ce domaine, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2009.

Je tiens à rendre hommage à l'administration pénitentiaire, à ses unités d'analyse de la personnalité des prisonniers avant leur libération, à son service de renseignement. Pourquoi ai-je accepté la modification ? Par pragmatisme : la mesure ne peut être applicable dans certains établissements. Il y a plus de prisonniers que de places théoriques en prison, et c'est encore plus vrai aujourd'hui qu'en 2012.

Laissons aux directeurs de prisons le soin de décider. Puis nous aurons à reprendre le programme de construction pénitentiaire.

L'article 17 est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

Mme la présidente.  - Amendement n°14 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, M. Maurey, Mme Goy-Chavent, MM. Guerriau et Kern, Mmes Doineau et Morin-Desailly, MM. Delahaye, Roche, Cadic, Bockel et Détraigne, Mme Férat, MM. Houpert, Mandelli, Kennel et Huré, Mme Deromedi, MM. Gremillet, Joyandet et Bouchet, Mmes Duranton et Di Folco, MM. Reichardt et Laufoaulu et Mme Billon.

Après l'article 17

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La libération d'un détenu, à titre exceptionnel ou à l'issue de l'exécution de sa peine, si elle s'accompagne de mesures de surveillance ou de reconduite à la frontière ayant été décidées par la juridiction de condamnation, ne peut avoir lieu que si ces mesures peuvent effectivement être intégralement mises en oeuvre.

Mme Nathalie Goulet.  - Cet amendement fait suite à une question au Gouvernement posée récemment par M. Maurey. Un jeune couple a été assassiné en Haute Normandie par un prisonnier récemment libéré dont la reconduite à la frontière n'avait pas été exécutée en raison d'un doute sur sa nationalité. Les décisions de justice doivent être exécutées.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Vous proposez rien de moins que de maintenir en détention des personnes sans décision de justice.

Mme Nathalie Goulet.  - Oui !

M. Michel Mercier, rapporteur.  - C'est contraire à la Déclaration des droits de l'homme ! Et à notre Constitution. Avis défavorable.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Même avis.

Mme Nathalie Goulet.  - A quoi bon prononcer des peines si elles ne sont pas appliquées ? La reconduite à la frontière avait été décidée par un tribunal.

Et si je remplace « détention » par « rétention ».

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Encore une fois, selon l'article 66 de la Constitution, seul le juge peut décider de priver quelqu'un de liberté. Nul ne peut être détenu arbitrairement en France. C'est un principe constitutif de notre droit, de notre vivre-ensemble que les terroristes veulent détruire. Ne les y aidons pas.

Mme Nathalie Goulet.  - Je maintiens mon amendement au nom des victimes d'une telle personne.

M. André Reichardt.  - J'ai cosigné cet amendement. J'ai été touché par le fait évoqué par M. Maurey dans sa question d'actualité : un double assassinat perpétré par une personne qui n'a pas été reconduite à la frontière car on ne connaissait pas sa nationalité.

J'avais, quant à moi, proposé un amendement qui a été refusé au titre de l'article 41. Il disposait que, 72 heures avant la levée d'écrou d'une personne condamnée à être expulsée, l'administration pénitentiaire devait en informer la police aux frontières pour qu'elle puisse préparer sa reconduite à la frontière. Monsieur le garde des sceaux, s'il est vrai que cet amendement est de niveau réglementaire, vous engagez-vous à rédiger un texte dans ce sens ?

M. Philippe Bonnecarrère.  - La question qui est posée est celle de l'effectivité des décisions de justice : la reconduite à la frontière est une peine complémentaire et, en l'occurrence, elle n'a pas été exécutée. Pourquoi le Gouvernement ne cherche-t-il pas à régler cette question ?

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Le débat parlementaire présente cette richesse qu'il amène à préciser les choses. Nous tenons à fluidifier la circulation d'informations entre les administrations, qui sont trop verticales. Un protocole a été conclu en 2014 en ce sens. En tant que co-rapporteur de la mission de l'Assemblée nationale sur le suivi de l'état d'urgence, j'ai constaté sur le terrain que les mentalités avaient évolué et que l'échange d'informations était devenu une réalité. Certes il faut aller plus loin et je rencontrerai prochainement tous les directeurs de mon administration centrale.

L'amendement n°14 rectifié bis est adopté et devient un article additionnel.

L'article 18 demeure supprimé.

ARTICLE 19

Mme la présidente.  - Amendement n°24, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Supprimer cet article.

Mme Esther Benbassa.  - L'article 19 rend plus rigoureuses les conditions d'exécution des peines des personnes condamnées pour terrorisme. Il crée, en matière d'exécution des peines, un véritable régime dérogatoire, à quoi nous sommes très hostiles. Jusqu'où irons-nous dans la surenchère législative ? Je rappelle que d'aucuns ont été jusqu'à proposer des camps d'internement pour les personnes fichées « S ». Restons-en au droit commun.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Avis défavorable à cet amendement contraire à la position de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Avis favorable au nom du principe de l'individualisation des peines, de la confiance que nous devons aux magistrats. L'article 19 est trop rigide.

M. Jacques Bigot.  - Nous voterons cet amendement. Ne cédons pas au climat de défiance envers les magistrats. La question de l'application des peines est centrale. Il faut aussi préparer les sorties de prison et le retour à la vie civile. Les juges d'application des peines ont de plus en plus de travail. Donnons-leur tous les outils dont ils ont besoin. Le législateur doit voter des textes applicables.

Les magistrats ne sont pas laxistes. Ils prononcent déjà des interdictions de séjour définitives à l'encontre d'étrangers ayant commis des infractions graves.

L'amendement n°24 n'est pas adopté.

L'article 19 est adopté.

ARTICLE 20

M. Jean-Pierre Sueur .  - (On s'impatiente, à droite) Insérer dans le fichier des personnes recherchées des personnes ne respectant pas leurs obligations imposées par les services pénitentiaires d'insertion et de probation créerait un mélange des genres. Nous nous abstiendrons sur cet article.

L'article 20 est adopté.

L'article 21 demeure supprimé.

ARTICLES ADDITIONNELS

Mme la présidente.  - Amendement n°15 rectifié ter, présenté par Mmes N. Goulet et Goy-Chavent, MM. Guerriau et Bockel, Mmes Doineau et Morin-Desailly, M. Delahaye, Mme Férat, MM. Houpert, Mandelli, Kennel et Huré, Mme Deromedi, MM. Gremillet, Joyandet et Bouchet, Mme Duranton, M. Kern et Mme Billon.

Avant l'article 22

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Sur simple demande, le maire d'une commune, ou le maire délégué, peut obtenir communication des éléments relatifs à des faits liés à des infractions terroristes ou démontrant toute forme de radicalisation issus du fichier des personnes recherchées.

Mme Nathalie Goulet.  - Les maires, officiers de police judiciaire, doivent pouvoir participer pleinement à la lutte contre le terrorisme. Il serait naturel qu'ils connaissent les personnes fichées « S » résidant dans leur commune.

Quelle est la suite donnée aux signalements des maires ? Comment les associer à la lutte contre le terrorisme après la disparition du renseignement territorial ? Je m'associe à la demande de la commission sécurité de l'AMF. Mon amendement est sans doute imparfait mais comment faire ?

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Madame Goulet, on peut tout modifier, tout détruire. Avec cet amendement, tous les maires auraient accès au fichier des personnes recherchées.

Ce fichier est avant tout un instrument de la police et de la gendarmerie, pas des maires. Le ministre de l'intérieur l'a dit à la commission des lois ce matin, il a demandé aux préfets d'informer les maires, et même d'envoyer les comptes rendus de ces réunions au ministère. Il y a aussi les comités de prévention de la délinquance. Ouvrez un tel fichier aux maires, autant le supprimer ! Ne remplaçons pas la police par l'Association des maires de France. La sécurité est une affaire régalienne. Je suis élu local depuis très longtemps, et j'y suis très attaché ; mais je suis encore plus attaché à l'État, qui est consubstantiel à la France. Ne le réduisons pas en bouillie.

Mme Nathalie Goulet.  - Merci pour cette réponse limpide ! Je vais m'empresser de la faire connaître à tous les maires qui manifestent leur inquiétude en la matière.

L'amendement n°15 rectifié ter est retiré.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Je m'en félicite. On prête beaucoup trop à ce fichier qui n'est qu'un instrument de la police. Il a été créé en 1969 et recense 400 000 personnes. Et il n'y a pas que les fiches « S », il y a aussi les fiches « V » pour les évadés, les fiches « AL » pour les aliénés, les fiches « M » pour les mineurs recherchés, etc. Laissons la police travailler tranquillement, c'est une condition de son efficacité.

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par MM. Karoutchi, Commeinhes, Pellevat, Huré, de Raincourt, Gilles et B. Fournier, Mme Procaccia, MM. Bizet et Laufoaulu, Mmes Duchêne et Cayeux, MM. D. Laurent, Cambon, Houel et Lefèvre, Mme Garriaud-Maylam, M. Charon, Mme Micouleau, MM. Reichardt et Pierre, Mme Hummel, M. Joyandet, Mme Deromedi, MM. Mandelli, Savary, Trillard, Grand, Dufaut, Kennel, Grosdidier, Gournac, Chaize et Allizard, Mme Morhet-Richaud, M. Masclet, Mme Lamure, M. Chasseing, Mme Giudicelli, MM. Milon et Forissier, Mmes Deseyne et Estrosi Sassone, MM. Gremillet et J.P. Fournier, Mme Mélot, MM. Panunzi, Pointereau et Mayet, Mme Gruny et MM. Vaspart, Cornu, G. Bailly, Mouiller, Vasselle et Laménie.

Avant l'article 22

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le titre VI du livre II du code de la sécurité intérieure est complété par un chapitre ainsi rédigé :

« Chapitre ...

« Partage d'informations en matière de sécurité intérieure

« Art. L. 264.  -  Le représentant de l'État dans le département, sur la base des informations transmises par les services de police ou de gendarmerie, transmet aux employeurs publics ainsi qu'aux employeurs de secteurs dits sensibles dont la liste est définie par décret en Conseil d'État la liste de ceux de leurs salariés qui font l'objet d'un signalement "fiche S". »

M. Bruno Retailleau.  - Défendu.

L'amendement n°3 rectifié bis, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 22 demeure supprimé.

ARTICLE 23

Mme la présidente.  - Amendement n°29, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission.

Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

II.  -  À la première phrase du 2° de l'article 422-3 du code pénal, les mots : « le deuxième alinéa » sont remplacés par les mots : « les deuxième et troisième alinéas ».

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Amendement rédactionnel.

L'amendement n°29, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 23, modifié, est adopté.

L'article 24 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Jacques Bigot .  - Merci pour ce débat. Quoique nous soyons tous ici, ce soir, des républicains, il n'est pas toujours facile de ne pas céder aux sirènes du tout sécuritaire, de respecter les conventions internationales et nos libertés. D'autant qu'il faut répondre aux attentes de nos citoyens.

Le débat de ce soir prélude bien à la discussion à venir sur le projet de loi constitutionnelle. Nous n'en acceptons pas toutes les dispositions mais nous n'avons pas cru bon de nous y opposer, ni même de tenter de l'amender. Nous nous abstiendrons.

Mme Esther Benbassa .  - Rien sur la prévention et la réinsertion. Ces mots sont devenus tabou. Le tout répressif est devenu la seule option. Croyez-vous vraiment que des peines de quarante ans de prison incompressibles nous protègeront contre la radicalisation ?

La lutte contre le terrorisme engage toute la société, les formateurs, les éducateurs, les associations comme les forces de l'ordre. Ce texte se trompe de réponse en s'en tenant à la répression. Le groupe écologiste votera contre.

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Je présenterai demain au Conseil des ministres le projet de loi dont nous aurons à débattre bientôt. Merci à vous pour vos propositions. Le Gouvernement s'en inspirera, parfois littéralement, respectueux qu'il est de l'initiative parlementaire, dans son souci de fermeté et de renforcer la sécurité.

La séance est levée à 23 h 25.

Prochaine séance, demain, mercredi 3 février, à 14 h 30.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus analytiques