Nouvelle organisation territoriale de la République (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Discussion générale

M. René Vandierendonck, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Nous voilà parvenus au terme de l'examen du projet de loi NOTRe, déposé sur le bureau du Sénat le 18 juin 2014. Son principal objet était de clarifier les compétences des collectivités territoriales. Avec Jean-Jacques Hyest, nous avons très vite participé, avec l'ADF, l'AMF et l'ARF, aux réunions organisées sous l'égide du président du Sénat, avec le souci, non de révolutionner la répartition des compétences mais de clarifier, de rationaliser, d'optimiser la mise en oeuvre des politiques publiques. Nous nous y sommes attelés avec constance. Le succès de la CMP doit également beaucoup au Premier ministre et aux membres du Gouvernement ; je ne connais pas beaucoup d'exemples d'un Premier ministre venant devant le Sénat lui demander de se saisir d'un texte... Les échanges entre Olivier Dussopt et Jean-Jacques Hyest ont été fructueux. Gide disait : « Il est bon de suivre sa pente pourvu que ce soit en montant »...

La région devient pleinement stratège en matière économique. Les Schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT) et les Stratégies régionales de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) n'étaient pas opposables, le Sénat s'est beaucoup battu pour leur conférer cette portée pratique. À quoi s'ajoute la possibilité de contractualiser leur mise en oeuvre avec les EPCI. La question a été réglée de belle manière.

De nombreux rapports, dont celui de Jean-Jack Queyranne, avaient insisté sur la nécessité d'unifier les compétences économiques des régions. Le cap a été tenu d'une rationalisation des aides économiques. Il est heureux qu'une majorité transpartisane se soit dégagée sur ces questions dès l'examen de la loi Maptam.

Une déception personnelle toutefois : ce n'est pas un texte de décentralisation.

Mme Isabelle Debré.  - Eh non !

M. Bruno Sido.  - Pas du tout !

M. René Vandierendonck, rapporteur.  - Sur le Service public de l'emploi, c'était pourtant envisageable ; ce l'était de même sur l'association des régions à la définition de la carte de l'enseignement supérieur. Nous avons toutefois obtenu de haute lutte la mise en place d'un système qui obéit encore à la délégation. Nous tâcherons de faire vivre le dispositif et d'en tirer les leçons.

Les départements ont évité la dévitalisation dont personne ici ne voulait. L'équilibre trouvé n'est pas parfait. Mais sur les transports scolaires et les ports intérieurs, les questions ont été posées à qui de droit... Le Gouvernement a avancé sur les routes et les collèges. On verra que la solidarité territoriale, la période électorale passée, contient en germe davantage de latitude d'action que la fameuse clause de compétence générale...

Je remercie le Gouvernement et le Premier ministre d'avoir partagé nos vues sur les trois chiffons rouges du texte : l'élection au scrutin universel direct des conseillers communautaires, le Haut Conseil des territoires, le retour sur les dispositions de la loi Alur relatives aux PLU.

Je me réjouis du résultat obtenu en CMP, à mettre au crédit des remarquables rapporteurs qu'ont été Olivier Dussopt et Jean-Jacques Hyest. (Applaudissements)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Initialement, les intentions du Gouvernement étaient évidentes : disparition à terme des départements, montée en puissance des intercommunalités visant à vider de leur substance les communes.

M. Pierre-Yves Collombat.  - C'est toujours le cas !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Certains, j'en veux pour preuve certaines déclarations récentes, n'ont pas abdiqué...

Le Sénat a pris appui sur les États généraux de la démocratie locale et le rapport Raffarin-Krattinger qu'il avait approuvé unanimement. Sa responsabilité institutionnelle, son devoir a été de clarifier les compétences des différents niveaux de collectivités.

À la région la compétence économique, la formation, l'aménagement du territoire, les transports - nous aurions aimé plus de décentralisation de l'enseignement supérieur et de l'accompagnement vers l'emploi. Au département la proximité et pas seulement les compétences sociales, les routes, les collèges, la solidarité territoriale. Le Sénat a été largement entendu.

Sur le bloc communes-intercommunalités, la position du Sénat est constante : oui à l'intercommunalité volontaire, non à la supra-communalité imposée. La commune reste le socle de notre démocratie. Exit, donc, la folle idée de faire élire au suffrage universel direct les conseillers communautaires. Le Sénat, pas plus que sur les PLUI, n'aurait pu transiger sur ce point.

L'objectif premier du texte était de diviser par deux le nombre d'intercommunalités sans tenir compte de la diversité des territoires ; l'Assemblée nationale s'accrochait au seuil de 20 000 habitants ; pour calmer la colère des élus, des dérogations ont été consenties, que le Sénat avait intégrées à ses réflexions. Le seuil de 15 000 retenu par la CMP est plus acceptable. Cinquante-sept départements sont de fait exclus, et la moitié des communes de montagne plutôt que leur totalité.

À titre personnel, je regrette que le cas des départements comportant une zone rurale étendue et une partie agglomérée concentrée n'ait pas été traité. Il appartiendra désormais à la sagesse des CDCI et des préfets de tenir compte des spécificités locales. Le seuil de 12 000 a été retenu pour les intercommunalités récentes.

Une grande improvisation a régné au cours des lectures successives. Nous souhaitions nous aussi une diminution du nombre de syndicats intercommunaux. Une évolution est nécessaire. L'horizon de 2020 est raisonnable pour rationaliser les choses en ce qui concerne l'eau et l'assainissement pour les communautés de communes et les communautés d'agglomération.

Nous avons pu reprendre certaines des dispositions facilitant le fonctionnement des collectivités et figurant dans la proposition de loi de M. Doligé.

La dernière version des dispositions relatives au Grand Paris reste décevante. La position du Sénat a été balayée pour des raisons qui ne tiennent guère à l'intérêt général... D'autant qu'on trouve dans le texte une modalité inouïe de désignation des représentants de Paris au conseil de la métropole. Je comprends la colère de nos collègues de Paris et de la petite couronne.

Le Sénat a-t-il rempli son rôle constitutionnel ? Oui. Sans un accord en CMP, les dispositions dont nous ne voulions à aucun prix auraient été votées. Nous espérons encore une grande loi de décentralisation...

La sagesse a prévalu grâce au président de la commission des lois et au président du Sénat, qui s'est fortement engagé. Pour notre institution, pour l'avenir de nos collectivités, je vous invite à approuver ce texte, sans enthousiasme, mais en responsabilité. (Applaudissements)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - Je veux d'abord saluer le travail remarquable de René Vandierendonck et Jean-Jacques Hyest. (Applaudissements) Ils ont travaillé non pour le compromis à tout prix, mais dans la quête incessante du meilleur pour nos concitoyens et nos territoires. C'est cela, l'esprit sénatorial : la transposition au plan national de la démocratie municipale, l'écoute, le respect, la sincérité.

Nous revenons de très loin... Notre souci a été de remettre cette réforme d'aplomb. Souvenons-nous du souhait originel du Premier ministre : supprimer les départements ! Constatant qu'il n'aurait pas de majorité pour réviser la Constitution, il a dû y renoncer - mais le texte soumis au Conseil des ministres le 18 juin 2014 portait encore la trace cette ambition...

Au cours de l'été 2014, nous avons entendu tout et son contraire : création de fédérations d'intercommunalités, maintien des départements ruraux, reprise par les CAF des compétences sociales des départements... Dans ce concours Lépine de la réforme des collectivités territoriales, personne n'y comprenait plus rien... Il est heureux que le président Larcher ait demandé au Premier ministre de venir clarifier sa position devant le Sénat. Ce qui a été fait le 28 octobre. Le débat pouvait alors s'engager, débarrassé des oppositions de principe.

Nous avons cheminé avec nos deux rapporteurs de sensibilités différentes pour approcher un compromis. Nous avons refusé l'évaporation des départements vers le haut, les régions - qui doivent se consacrer à la stratégie - comme leur aspiration vers le bas, les intercommunalités, qui ne peuvent assurer la solidarité territoriale. Chacun ayant renoncé à ce double mouvement, un accord devenait possible.

Le texte de la CMP n'a rien à voir avec celui présenté en Conseil des ministres le 18 juin 2014. Les départements gèreront les politiques de solidarité, mais aussi les routes, les collèges, le tourisme, le numérique, les ports s'ils le souhaitent... En Normandie, l'investissement est à 60 % le fait des départements, à 40 % celui des régions.

Les régions portent encore la marque de la réforme de 1973. Même élargies, elles restent faibles. Faire passer les grandes régions pour une innovation puissante est une supercherie tant qu'il n'y aura pas de vraie décentralisation. Quoi qu'il en soit, le pire a été évité, et beaucoup reste à faire pour bâtir des régions non seulement de taille mais de puissance européenne. À quoi sert une grande région sans moyens ? Les projets du Gouvernement inquiètent, qui consistent pour l'heure à déshabiller Pierre pour habiller Paul... S'il persiste à vouloir attribuer une part importante de la CVAE aux régions, il trouvera le Sénat sur son chemin.

Nous nous réjouissons que le seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités ait été abandonné ainsi que l'élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct. Le Haut Conseil des territoires n'avait aucune raison d'être, le Sénat représente les collectivités territoriales... L'établissement des PLUI contre la volonté des communes ne sera pas facilité.

Le cadre du Grand Paris est mal bâti. L'ouvrage devra être mis une troisième fois sur le métier. La disposition anti-NKM n'a pu être écartée ; le Gouvernement se serait honoré à déposer un amendement pour la faire disparaître avant que le Conseil constitutionnel ne s'en occupe... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je vous invite à adopter un texte heureusement rattrapé. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale .  - Vous examinez ce texte après la réforme des régions et la loi Maptam. Ce chantier en trois volets a fait l'objet de nombreuses controverses, dans un pays où l'on est enclin à entraver les réformes qu'on a réclamées... La réalité du travail parlementaire a conduit à scinder la réforme, mais tout était sur la table dès le départ. Aurions-nous fait le choix inverse qu'on nous l'aurait également reproché...

Deux ans pour mener à bien trois réformes : qu'aurait apporté un délai supplémentaire ? Les départementalistes et les régionalistes auraient-ils changé de perspectives ? Les rapports successifs plaidaient tous pour une clarification des compétences et un renforcement des métropoles et des régions : c'est ce que font ces trois textes.

Première exigence : la clarté et la démocratie. C'est le sens de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Il fallait clarifier des compétences dont la répartition n'était plus lisible par nos concitoyens. Nous supprimons la clause de compétence générale des régions et des départements, constituons trois grands blocs de compétences - la proximité et les services publics de la vie quotidienne au bloc communal, les solidarités au département, le développement économique à la région.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'était déjà le sens de la réforme de 2010 !

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Autre exigence : la compétitivité, avec des régions plus fortes, moteurs du développement économique, pour un plus grand dynamisme et une plus grande attractivité de tous les territoires. Les départements sont confirmés dans leur rôle de garant des solidarités sociales, confortés dans celui de garant des solidarités territoriales. Le Premier ministre l'a dit en octobre, quand régions et intercommunalités auront pris une nouvelle dimension, la question se posera d'une évolution des départements, éventuellement différenciée. La France n'a plus besoin d'être administrée d'une façon uniforme.

Reste la question des économies. Elles n'apparaîtront certes pas en six mois, mais elles sont certaines sur le long terme : suppression des doublons, rationalisation de la dépense publique locale, économies d'échelle.

M. Pierre-Yves Collombat.  - On se retrouvera dans dix ans !

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Nous dénonçons tous le court-termisme de la vie politique... la réforme produira ses effets sur une décennie au moins.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Nous voici rassurés !

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Le Grand Soir territorial n'est pas plus réaliste que le Grand Soir fiscal. Quand on a la volonté et l'audace de réformer, on rencontre toujours des résistances, même au Parlement... Il ne faut pas s'en affliger mais réformer progressivement, avancer avec ténacité dans la bonne direction.

C'est ce que nous faisons collectivement, administrations, Parlement. Le texte a bénéficié d'une contribution essentielle du Sénat, grâce à vos deux rapporteurs, René Vandierendonck et Jean-Jacques Hyest. Votre vote sera une manière de saluer leur travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Marie-Christine Blandin .  - Nous saluons la philosophie et le sang-froid des ministres, l'écoute et la pédagogie du président de la commission des lois.

Nous nous réjouissons qu'un accord ait été trouvé, mais regrettons qu'il affaiblisse un texte déjà en recul en refusant de renforcer le couple région-intercommunalité. La droite sénatoriale n'a pas permis la clarification des compétences. L'occasion de faire progresser la démocratie locale a été manquée, c'est dommage. Certaines de nos propositions n'ont pas prospéré, comme le droit d'expérimentation pour les régions ou l'adaptation législative.

Nous regrettons surtout la suppression de l'élection des conseillers communautaires au suffrage direct, seule solution pour assurer l'égalité entre les citoyens et renforcer le débat démocratique autour des enjeux qui touchent vraiment nos concitoyens.

Nous attendons d'examiner la question des moyens dans le cadre de la prochaine loi de finances.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Vous ne serez pas déçus !

Mme Marie-Christine Blandin.  - Nous regrettons également l'absence de débat sur les inégalités au sein des grandes régions.

L'opposabilité des schémas régionaux est en revanche une vraie avancée, comme l'intégration aux SRADDT de la biodiversité. Enfin, nous saluons le choix de ne pas ranger les collèges dans la même escarcelle que les lycées.

Le groupe écologiste s'abstiendra. Sa forte ambition décentralisatrice, moyens à l'appui, n'ayant pas trouvé son compte dans ce texte, nous ne pouvons le faire... nôtre. (Sourires)

M. Christian Favier .  - À l'issue de la CMP et contre toute attente, la droite sénatoriale, en soutien de la majorité gouvernementale, a remis en cause trente ans de décentralisation. Que sont devenus les discours enflammés sur les communes et les départements ? Quelques heures ont suffi pour aboutir à un accord dans le dos des citoyens.

Le texte de la CMP est un bien mauvais signal pour notre République unitaire et décentralisée. Le regroupement autoritaire des communes, qui est en cours depuis des années, encouragé par les préfets, vide la démocratie territoriale de sa substance. La droite a capitulé en rase campagne sur le seuil de 15 000 habitants - 700 intercommunalités, des milliers de communes vont disparaître. L'objectif est toujours le même : éloigner les citoyens des centres de décision, faire des économies, ouvrir de nouveaux marchés aux grands groupes du CAC 40. Or l'échelon communal est la base irremplaçable de notre démocratie, il sort affaibli de dix ans de réformes chaotiques.

Après vous être attaqués aux communes, vous menacez les départements, comme le souhaitait la commission Balladur. Peu de collectivités territoriales revendiquaient la reprise des compétences sociales des départements, auxquels l'État doit 7 milliards... Même les transports scolaires leur seront retirés au profit des régions : belle pagaille et beau gâchis financier en perspective.

Une fois les conditions de leur affaiblissement réunies dans le périmètre des métropoles, il sera facile de les rayer de la carte - pour complaire à Bruxelles.

Les régions n'échapperont pas à la nouvelle tutelle de l'État avec le contrôle d'opportunité des préfets sur leurs schémas de développement. Ceux-ci, opposables, concrétisent la mise sous tutelle d'une collectivité territoriale par une autre.

Le processus de décentralisation est rompu. Nous ne pouvons l'accepter. Alors que la loi de 2010 sur l'intercommunalité rentre tout juste en vigueur, que l'on a redécoupé les régions en très grands ensembles, que de nouveaux exécutifs vont être élus, le transfert des nouvelles compétences sera source de nombreux dysfonctionnements.

Le groupe CRC votera contre ce texte - changements de pied du Gouvernement et navigation à vue prouvent l'absence de vision cohérente d'une décentralisation ambitieuse, porteuse de projets pour les territoires. Nous le voterons d'autant moins que les dotations aux collectivités territoriales baissent de 28 milliards d'euros et que les régions, avec votre soutien, madame la ministre, revendiquent 50 % de la CVAE. Nous appelons élus locaux et citoyens à la mise en place d'une vraie décentralisation dans le cadre d'une VIe République. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également)

M. Jacques Mézard .  - Aucun membre du groupe RDSE ne votera ce texte. Non pour nous donner le beau rôle mais tout simplement parce qu'il est mauvais. Nous ne sommes pas contre les réformes : nous en votons souvent et en sollicitons parfois. Ce texte forme un tout avec la loi sur le redécoupage des régions et la loi Maptam.

Je salue le travail de nos rapporteurs qui ont fait preuve d'un état d'esprit constructif pour parvenir à un armistice. Armistice, le terme est approprié car le combat n'est pas terminé : bientôt se reposera la question de la suppression des communes ou des départements.

Le texte du 19 juin 2014 n'était pas conforme aux engagements du président de la République, qui avait souhaité préserver les départements et les ressources des collectivités territoriales, et n'avait jamais évoqué une fusion des régions. D'où des incohérences. Une réforme pour réussir doit être consensuelle et affichée clairement.

Vous prétendiez initialement que la fusion des régions ferait économiser 20 milliards d'euros. Aujourd'hui vous dites qu'on évaluera les choses dans dix ans. Les économies seront réalisées pour l'État, mais pas pour les collectivités.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'est vrai.

M. Jacques Mézard.  - Nous avons évité le pire, nous dit-on. Mais le pire en question, ce n'était que des provocations agitées comme des chiffons rouges que sont la création d'un Haut Conseil des territoires, l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires introduite au dernier moment.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Cela venait de l'AMF...

M. Jacques Mézard.  - On pourrait rappeler vos variations sur le sujet !

Les transports scolaires sont affaire de proximité. Je le sais pour représenter le Cantal ; loin de Lyon...

M. Michel Mercier.  - Nous tenterons un rapprochement !

M. Jacques Mézard.  - Leur transfert aux régions poursuit une seule fin : justifier le transfert de CVAE aux régions. Il y aura toujours des gens pour vouloir supprimer le Sénat, les départements et communes... De ce grand charivari territorial sortira-t-il du mieux-être pour nos concitoyens ? J'attends toujours qu'on me le démontre. Ces textes, je le crains, contribueront à creuser les inégalités territoriales. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Michel Mercier .  - Je remercie nos deux rapporteurs et le rapporteur de l'Assemblée nationale qui ont su guider le bateau...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Un bateau ivre.

M. Michel Mercier.  - :...à bon port. Ce texte, modeste, répond d'abord à la question « qui fait quoi ? »

M. Roger Karoutchi.  - Et qui ne fait rien. (Sourires)

M. Michel Mercier.  - Monsieur Karoutchi, Laissez-moi mon temps de parole ! Vous m'appellerez quand vous aurez réussi à créer la métropole du Grand Paris. (Sourires)

M. Roger Karoutchi.  - Ce ne sera pas de sitôt !

M. Michel Mercier.  - Cette loi revient à la loi de 2010, sur la clause de compétence générale, la compétence économique, la formation et l'apprentissage aux régions. En matière de transports scolaires, sujet complexe, il fallait faire un choix, entre régions et départements. Que de temps perdu !

Après une invention comme celle du binôme, il fallait bien que le département survive encore un peu !

Le regroupement des communes en intercommunalités était déjà en cours. Avec le fléchage, les délégués communautaires dans les intercommunalités sont déjà élus au suffrage universel direct. Mais nous tenions à ce que cela se fasse dans le cadre de la commune. Quelle cohérence entre la volonté de faire élire ainsi les conseillers communautaires dans les communautés de communes et pas à Paris ? Pourquoi imposer un cadre infra-communal uniquement pour Paris ? Peut-être la raison est-elle ailleurs ? (Sourires entendus)

L'abaissement du seuil de l'intercommunalité et les dérogations prévues donnent l'occasion au préfet et au conseil des territoires d'agir en souplesse.

La CMP a aussi supprimé des scories de la loi Alur, notamment sur les PLUI. L'idée d'un Haut Conseil des territoires, idée qui revient régulièrement.

J'espère que nous laisserons aux territoires et aux citoyens le temps de s'approprier ce texte avant de modifier à nouveau la loi. Le groupe UDI-UC le votera. (Applaudissements au centre)

M. Mathieu Darnaud .  - Nous voici enfin parvenus au terme de ce texte, marqué par la contribution du Sénat. Le Gouvernement voulait rayer de la carte les départements au profit des grandes régions. Finalement, la loi NOTRe s'est perdue dans de multiples directions, donnant le tournis aux élus. L'objectif était de réaliser dix milliards d'économies. Qui y croit encore ?

Le Sénat a su écouter les élus locaux, inquiets par ce chamboule-tout territoriale qu'ils interprétaient comme une marque de défiance à leur égard ; eux qui sont souvent bénévoles et dévoués à la cause publique.

Mieux aurait valu une réforme décentralisatrice, qui donne aux maires et aux élus plus de responsabilités, comme le souhaitait Gaston Defferre.

Franchement, nous sommes loin du Grand Soir territorial. Le Sénat a été à la hauteur de son rôle constitutionnel grâce à nos rapporteurs qui ont su défendre nos positions. Sur les points contraires à l'intérêt général et à la décentralisation, le Sénat a tenu bon. Nous avons tordu le cou à l'idée selon laquelle le département serait surnuméraire. Qu'il aura fallu de temps et de débats pour expliquer au Gouvernement que la France n'est pas uniforme et que l'on ne pouvait répartir des bassins de vie avec une calculatrice ou un compas. Non, il n'y a pas de nombre d'or en matière d'intercommunalité ! Les intercommunalités sont avant tout des communautés de projet. Les mariages forcés ne fonctionnent pas.

Nous nous félicitions du report à 2020 du transfert de la compétence sur l'eau ainsi que du maintien des règles de majorité pour le PLUI. Les communes, cellules de base de notre vie publique, doivent rester maîtresses de leur destin : être libres de se regrouper, si elles le souhaitent, grâce à la loi Pélissard.

Les maires incarnent la démocratie locale. Qu'adviendrait-il si les élus des petites communes, apolitiques pour la plupart, étaient remplacés dans les intercommunalités par des élus sur des listes partisanes ?

Le Haut Conseil des territoires a été heureusement supprimé. C'était une mascarade inutile car le Sénat assure son rôle.

Le texte de la CMP reste cependant insatisfaisant. Nous regrettons le caractère prescriptif des schémas régionaux. Nous aurions préféré renforcer la coproduction. De même, les Franciliens méritent mieux que la coquille vide du Grand Paris. Que dire aussi du meccano institutionnel pour écarter une personne précise du conseil de cette métropole ? (Applaudissements à droite) Nous saisirons le Conseil constitutionnel.

Le groupe Les Républicains votera, sans enthousiasme, ce texte dont nous avons amélioré considérablement le contenu. Le Sénat a fait la preuve qu'il défendait les territoires de la République. (Applaudissements à droite)

M. Michel Delebarre .  - Ah, nous avions pris l'habitude de passer beaucoup de temps ensemble... Nos retrouvailles seront brèves, non que nous ne prenions pas plaisir à passer du temps ensemble, mais la CMP a abouti. Quelle heureuse surprise ! Je salue le travail de nos rapporteurs et, au sein du groupe socialiste et républicain, l'implication de MM. Kaltenbach et Botrel.

Nos propositions ont été entendues. L'élection des conseillers communautaires au suffrage universel supra-communal et le Haut Conseil des territoires sont supprimés et la minorité de blocage au sein des intercommunalités maintenue. Le groupe socialiste et républicain est satisfait. Le pouvoir économique des régions est clarifié, grâce à deux nouveaux schémas.

Le texte, qui rationalise les compétences, renforce la coopération. Un compromis a eu lieu sur le service public de l'emploi, grâce à plus de coordination. Bref, le projet de loi respecte les objectifs qui sont les nôtres : clarification, coopération, rationalisation.

Le tourisme est une compétence partagée. Les ports restent aux communes et départements. L'accord trouvé à l'initiative du Gouvernement sur le Grand Paris est bon. Le cadre fiscal sera plus juste, pour garantir à tous un même niveau de services. Grâce à la métropole, l'on pourra rééquilibrer l'est et l'ouest de Paris pour mieux répartir logements et bureaux.

Le seuil des intercommunalités a été fixé à 15 000 habitants - nous l'avions proposé dès le début - tout en donnant toute la souplesse nécessaire. Avec ses 36 000 communes, la France fait figure d'exception. Il ne s'agit pas de les dissoudre mais de renforcer les coopérations, de faciliter les mutualisations. Les petites communes pourront ainsi bénéficier de services qu'elles n'auraient pu fournir seules.

En dépit de la technicité de ce texte, nous avons gardé l'objectif : rendre plus facile la vie de nos concitoyens. Peut-être qu'un jour prochain, nous parlerons de décentralisation. Cela est une autre affaire... (Sourires et applaudissements)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Il fallait vous écouter jusqu'au bout !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Rendez-vous après 2017.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Nous sommes parvenus à un accord. Le temps n'est plus aux regrets, aux remords, aux circonvolutions ni aux circonlocutions.

Cet accord est bien accueilli par les territoires.

M. Jean-Pierre Bosino.  - Ah bon ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Grâce au Sénat, plusieurs points ont été clarifiés. Je rends hommage aux ministres, Mme Lebranchu et M. Vallini ; il fallait de la ténacité pour mener à bien ce long travail. Je remercie aussi nos rapporteurs. Quelque chose tient à la richesse du Sénat : cette capacité à travailler à deux, comme ont su le faire aussi MM. Collomb et Mercier, ou Mme Gourault et moi-même.

S'agissant de l'élection au suffrage universel direct supra-communal des délégués communautaires, il faut tenir compte de la diversité des territoires. Rien n'aurait été pire qu'une déclaration de principe dans la loi qui n'aurait pas été suivie de mesures. La situation ne peut être la même dans une communauté de communes et dans une grande métropole.

Il était cohérent d'articuler des intercommunalités plus fortes et de grandes régions. Les intercommunalités, répétons-le, ne sont pas l'ennemi des communes, mais leurs alliées. La mutualisation, indispensable, rendra les communes plus fortes.

Je me réjouis que l'équilibre de la loi Alur ait été préservé.

Le seuil de 25 % des communes représentant 25 % de la population est pertinent.

Quant au Haut Conseil des territoires, je ne pleurerai pas sur son sort. Il existe déjà assez de conseils ; M. Mézard fait diligence pour les évaluer. Il faut respecter les institutions et le Sénat dans sa spécificité. (« Très bien » à droite) Ce Haut Conseil était inutile.

Je voterai ce texte de compromis, avec le coeur et la raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

La discussion générale est close.

Vote sur le texte élaboré par la CMP

Mme la présidente.  - Je rappelle que le Sénat, conformément à l'article 40 de notre Règlement, se prononcera en un seul vote sur ce texte adopté par l'Assemblée nationale.

M. Pierre-Yves Collombat .  - Aller moins loin dans la mauvaise direction est-ce aller dans la bonne ? Évidemment non. Que le texte ait été purgé des provocations des députés ne le rend pas acceptable. Redistribuer les compétences entre départements et régions, communes et intercommunalités, ce n'est pas décentraliser. Remplacer la clause de compétence générale des régions et des départements par un Gosplan régional prescriptif assorti de conventions et de délégations n'est ni clarifier ni simplifier.

La question des transports scolaires est réglée seulement sur le papier. Quant à l'équipement des territoires en haut débit, le sfumato domine. Et cette usine bureaucratique est censée doper la compétitivité de notre pays...

Oublier d'équilibrer les budgets sociaux explosifs des départements, c'est leur interdire d'exercer leur mission de solidarité.

Les communes sont transformées en zombies - en « interface » pour reprendre le vocabulaire de M. Vallini. Leur compétence générale sera vidée de sa substance par l'intercommunalité.

Le Gouvernement a reculé sur le PLUI obligatoire et un scrutin spécifique pour les délégués communautaires, ce n'est que partie remise.

La vassalisation des petites communes au nom de l'équité démographique - oubliée d'ailleurs quand il s'agit de DGF ou du Fpic - est en marche.

La tactique électorale est passée avant les grands principes sur le Grand Paris.

Voter ce texte, même pour des motifs respectables, c'est voter l'euthanasie des communes et la désorganisation territoriale. En votant contre, le groupe RDSE ne se donne pas le beau rôle, il prend ses responsabilités.

M. Roger Karoutchi .  - Les Républicains de Paris voteront contre ce texte. Franchement, il n'y a plus de limites à la provocation. Les maires découvrent les découpages proposés par les préfets, qui ne les ont pas écoutés : 94 % des élus franciliens avaient adopté une proposition, on ne les a pas suivis.

Vous aurez réussi, madame la ministre, à faire voter de la même manière M. Dallier et moi, qui portons des projets différents. Nous réprouvons votre méthode de passage en force, la suppression des pouvoirs des communes et des départements, sans étude d'impact.

Nous saisirons le Conseil constitutionnel au moins de cet amendement scélérat qui vise une seule personne.

M. René-Paul Savary .  - Si je salue le travail remarquable de nos rapporteurs qui ont sauvé l'essentiel, l'existence des départements, je m'abstiendrai. La région conserve ses prérogatives. Je regrette que nous ne soyons pas allés jusqu'au bout en leur transférant le service de l'emploi. Les conventions se multiplieront avec les départements. Ce n'est pas une simplification.

De même, mieux aurait valu laisser la liberté aux communes de se regrouper plutôt que d'utiliser la voie autoritaire.

M. Didier Guillaume .  - Jamais un texte réformant les collectivités locales n'est voté dans l'enthousiasme. Songez aux débats très houleux sur la loi Defferre, la loi Sarkozy de 2010 votée grâce au rappel de tous les récalcitrants. Au départ, nous n'étions pas favorables au texte du Gouvernement. Je salue le Premier ministre qui nous a entendus...

Mme Catherine Procaccia.  - ... Mais qu'il était sourd !

M. Didier Guillaume.  - Le Gouvernement nous a écoutés : Le Sénat a joué son rôle. Les positions restent partagées entre adversaires et partisans.

M. Roger Karoutchi.  - Et résignés...

M. Didier Guillaume.  - Le groupe socialiste votera ce texte de clarification.

À la demande de la commission des lois, le texte est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°231 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 308
Pour l'adoption 259
Contre    49

Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi NOTRe.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)