Débat sur l'avenir des trains intercités

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : L'avenir des trains intercités.

Orateurs inscrits

Mme Évelyne Didier, au nom du groupe CRC .  - Le rapport Duron a soulevé de nombreuses inquiétudes, qui méritent que les parlementaires que nous sommes en débattent, avant que des décisions soient prises.

Auparavant, la rentabilité ligne par ligne n'était pas la priorité. Désormais, on applique les méthodes du privé : segmentation, massification, socialisation des pertes, privatisation des gains... Les mêmes qui veulent confier au privé ce qui est rentable et aux collectivités ce qui ne l'est pas prétendent que les collectivités coûtent trop cher...

Depuis 2010, les lignes d'équilibre du territoire, bénéficient d'une convention avec l'État, conformément au règlement européen dit « OSP » définissant précisément les obligations de service public devant être assurées par la SNCF, en échange d'une compensation financière, de l'ordre de 340 millions d'euros. Sur tous les bancs, nous avons défendu nos trains.

Le conventionnement avec les collectivités territoriales est un jeu d'écritures puisque la SNCF finance à 96 % ces trains ; c'est sans doute pourquoi est sortie dans la presse une proposition qui fait apparaître le rapport Duron comme raisonnable ! SNCF Mobilité joue le jeu de la concurrence, au point qu'il va bientôt falloir la rebaptiser sans « N » ni « F », SIM, ou société internationale de mobilité !

Les propositions du rapport procèdent de l'idée que l'État a été inconséquent, et préconisent une action ligne par ligne, dans une logique purement comptable, en contradiction avec toute idée de politique nationale, avec l'inspiration des conventions TET.

Nous devrions plutôt que de rentabilité et de concurrence, parler d'aménagement du territoire. Les régions enclavées risquent de l'être davantage, comme dans les pays que vous citez en exemple, comme en Auvergne ou en Lorraine, où le seul TET existant est menacé, ainsi que le train de nuit reliant le Luxembourg à la Méditerranée, qui ne manque pourtant pas de voyageurs.

Comment lutter contre la désertification en supprimant des dessertes ? Comment être exemplaire à l'approche de la COP21 en continuant à privilégier la route ? La route, que les entreprises polluantes empruntent gratuitement, alors que l'accès au réseau ferroviaire est payant, ce que la loi Macron encourage, comme par hasard, en libéralisant le transport par autocar.

L'obsolescence du réseau ferré a été encouragée ; sous l'influence de Bruxelles, l'opérateur public a été morcelé, démantelé, il est à présent grevé par une dette à côté de laquelle celle des TET n'est rien. Les collectivités territoriales n'ont plus de moyens, privées qu'elles sont du versement transport interstitiel voté par le Sénat et que le Gouvernement a supprimé, et les grandes régions n'arrangeront rien. Privatisation des autoroutes et abandon de l'écotaxe participent de la même logique.

Mme Fabienne Keller.  - Absolument !

Mme Évelyne Didier.  - L'État, en France, est toujours loin derrière ses voisins en termes d'investissement ferroviaire : il n'y participe que pour 32 % contre 50 % en Allemagne.

La logique est globale, comme le démontre la loi Macron.

L'ouverture du fret en 2006 a justifié le désengagement de l'État ; résultat : le secteur est moribond. Le statut des cheminots est aussi en cause, car toute protection est considérée comme une entrave au marché, qui encourage le dumping social. Or la fragmentation de l'offre fragilise le réseau et crée des ruptures de lignes. Nous considérons que les TET, TER et TGV sont des offres de mobilités distinctes et complémentaires. Les TET desservent mieux les territoires et sont moins chers que les TGV. Ils parcourent des trajets plus longs que les TER.

Le rapport Duron a le mérite de faire un diagnostic complet et partagé et de préconiser des mesures bien plus équilibrées que celles que la SNCF voulait imposer. Mais ses propositions font preuve d'un manque d'ambition pour le ferroviaire.

À l'État de reprendre tout ou partie de la dette dans une structure de défaisance, ce qui rapporterait plus d'un milliard d'euros chaque année et de trouver de nouveaux financements, pour développer le ferroviaire en France. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Annick Billon .  - Ce débat est la suite indispensable aux travaux de la commission Duron. Les conclusions de son rapport, remis le 26 mai, doivent en effet être discutées par la représentation nationale.

Les voyageurs sont unanimes : l'offre s'est dégradée, en termes de fréquence, de temps de parcours, de régularité et de correspondances.

Le matériel roulant a vieilli, le service rendu par la SNCF n'est pas satisfaisant. Sa politique « tout TGV » et sa pratique commerciale de désinformation sur les transversales ou radiales concernées par une desserte longue vitesse, a entrainé leur dévitalisation.

Membre de la commission, qui a entendu 155 personnes en une cinquantaine d'auditions, je peux témoigner du sérieux des ambitions menées. J'ai aussi entendu les associations d'usagers, fort au fait des dossiers.

Le constat est clair : les TET coûtent de plus en plus cher pour de moins en moins de monde. Les autocars, le covoiturage prennent progressivement le pas sur les intercités.

Une concurrence encadrée est nécessaire pour rendre un meilleur service. La Deutsche Bahn l'a fait. Le bilan carbone devra aussi être pris en compte.

La convention État-SNCF arrive à échéance le 30 juin prochain. Quelles sont vos intentions, monsieur le ministre ? Selon quel calendrier ? Le Gouvernement ouvrira-t-il le secteur à la concurrence sans attendre passivement les injonctions de Bruxelles ? Des appels à manifestation d'intérêt seront-ils lancés pour une meilleure offre ?

Sur de nombreux trains, il faut une desserte conjointe TET-TER.

Il y a lieu de se préoccuper de la situation des trains de nuit, et d'abord de la liaison Nantes-Bordeaux. Le sud Vendée se voit infliger une double peine : l'appel d'offres de l'A831 n'a pas encore été lancé, La Roche-sur-Yon est encore heureusement desservie, mais la suppression de l'arrêt à Luçon pénaliserait les étudiants qui souhaitent aller à Nantes. Dans le Finistère, M. Canevet a les mêmes inquiétudes pour la ligne Paris-Quimper. Rassurez-nous monsieur le ministre, car les attentes sont fortes, dans nos territoires et particulièrement en Vendée. (Applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur les bancs RDSE)

Mme Fabienne Keller.  - Bravo !

M. Louis Nègre .  - Je remercie le groupe CRC pour son initiative, et salue la qualité du travail de la commission Duron, qui a fait un panorama complet du secteur.

L'inadéquation de l'offre a conduit à des subventions publiques croissantes ; or la qualité du service s'est progressivement dégradée.

Comment être attractif dans ces conditions ? L'offre a aussi dérapé, de 10,8 centimes d'euros par voyageur-kilomètre il y a peu, la subvention a augmenté de 28 % en deux ans, pour atteindre 330 millions d'euros pour SNCF Mobilités et 450 millions d'euros pour SNCF Réseau.

L'action de l'État a été défaillante ; l'État n'a pas joué son rôle d'autorité organisatrice. L'ouverture maîtrisée à la concurrence est devenue nécessaire. Je l'ai réclamée dès 2009, je la crois bénéfique pour notre système ferroviaire.

Je veux sauver le soldat SNCF ! En Allemagne, après l'ouverture à la concurrence, le trafic régional s'est accru entre 1994 et 2012 de 68 % tous opérateurs confondus, celui de la Deutsche Bahn de 46 % - et le report modal de 25 %. De nouvelles lignes ont été ouvertes. En proposant la disparition de lignes entières, nous donnons le sentiment d'être atteint du syndrome de la ligne Maginot ! Soyons offensifs ! La Grande-Bretagne, l'Allemagne ont choisi, dans une situation semblable à la nôtre, de densifier leur réseau et leurs services... Cherchez l'erreur !

Le remplacement du matériel vétuste est un autre impératif. Le véritable concurrent, c'est le covoiturage aujourd'hui, le car demain. C'est une erreur de ne pas être ambitieux, de ne pas croire au ferroviaire. À l'approche de la COP21, nous devons être exemplaires, c'est un enjeu de crédibilité. L'État doit prendre ses responsabilités.

M. Jean-Jacques Filleul .  - La Commission TET, à laquelle j'ai participé, avait vocation à clarifier l'offre TET, redresser le modèle économique de ce maillon faible de notre système ferroviaire, entre TGV et TER. Je me réjouis que ce débat ait lieu.

Les TET peuvent devenir un marqueur de modernité au même titre que les TGV. Notre rapport est sans complaisance. Si rien n'est fait, ils disparaîtront comme cela, au fil de l'eau. Les nombreuses auditions que nous avons conduites, nos nombreux déplacements ont nourri nos réflexions pendant six mois.

Les TET recouvrent différentes offres - trains cadencés dans le bassin parisien, lignes transversales, trains de nuit ; elles ne répondent plus aux besoins des usagers et la qualité du service rendu s'est dégradée - délais, infrastructures, matériel roulant... La fréquentation est à présent faible, alors que la subvention publique de ces lignes n'a cessé de croître, atteignant jusqu'à 275 euros par voyageur par ligne, ce qui n'est pas soutenable à long terme.

Bon nombre de difficultés sont liées au partage confus des responsabilités entre l'État et SNCF Mobilité. Ne jouant pas son rôle d'autorité organisatrice, l'État a contraint l'opérateur à s'adapter. Nous proposons de confier le rôle d'AOT à une agence ad hoc.

Les tronçons à fort potentiel doivent proposer un service attractif cadencé à l'heure. Sur les autres tronçons, à plus faible trafic, le service TET ne se justifie pas nécessairement, notamment à cause de l'existence d'offres alternatives - TGV ou TER. L'opérateur historique devra faire des efforts de productivité.

Il n'y aura pas de TET d'avenir sans renouvellement d'ici 2020-2025 du matériel roulant, qui atteint parfois quarante ans d'âge. Les procédures doivent être lancées sans attendre - 1,5 à 3 milliards d'euros devront être mobilisés par l'État. Le rapport préconise de stabiliser au même horizon le déficit.

Mise à l'étude de la reprise par les régions de certaines dessertes du grand bassin parisien à vocation pendulaire avec contreparties, expérimentation de l'ouverture à la concurrence sur certaines lignes, nouvelles modalités d'acquisition des matériels roulants, le rapport fait des propositions audacieuses. Seul l'État peut conduire une vision stratégique. Le rapport met l'usager au coeur de sa réflexion. Le déclin des TET n'est par une fatalité. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du groupe RDSE)

M. Jean-Vincent Placé .  - Le rail a une place particulière dans le coeur des écologistes ; je remercie le groupe CRC pour ce débat. Le rapport de la commission Duron, dont j'ai été membre, a suscité un émoi légitime, tant les TET irriguent nos territoires. Il fallait poser le débat sans détours, c'est un premier mérite de ce rapport.

Nous connaissons le constat, il est sans appel : le réseau est vieillissant et connaît des problèmes de régularité. La situation est critique. Faute de décisions stratégiques et courageuses pendant des décennies, un cercle vicieux s'est enclenché et le réseau TET, encore équilibré en 2008, a décliné.

La Commission TET a effectué une analyse ligne par ligne. Elle n'est pas allée à la facilité. Nous proposons de renforcer les lignes à fort potentiel et posons la question des doublons. Appeler l'État à s'engager pour renouveler le matériel roulant est de bon sens. Je suis pour un opérateur fort, mais il faut reconnaître que la concurrence arrivera : autant nous y préparer en expérimentant.

Les écologistes prônent un audit indépendant sur la convention TET, l'identification des coûts de production, une politique commerciale offensive. La rénovation des infrastructures ne peut plus être repoussée, ce qui peut impliquer l'abandon de certains grands projets comme la desserte de Notre-Dame-des-Landes... Il y a des priorités...

Nous défendons aussi l'idée d'un train à haut niveau de service : une ligne Lozanne-Roanne serait plus opérante pour relier Lyon à Bordeaux que certains projets plus onéreux. Certaines régions accepteraient de reprendre ces lignes, encore faudrait-il leur transférer des financements et préalablement rénover le réseau, au moins en partie.

Dans l'intérêt de nos concitoyens, de la planète et de notre économie, nous devons pouvoir nous reposer sur un maillage Intercités solide et efficace, qui valorise le savoir-faire du monde ferroviaire français, à commencer par celui de ses cheminots. Le rapport Duron a posé les premières bases de ce chantier. Osons les choix qui s'imposent. L'efficacité ne s'oppose pas au service public, elle en fait partie. En l'occurrence, elle le protégera.

Mme Marie-France Beaufils .  - Nous partageons le constat du rapport Duron mais ses préconisations ne sont pas acceptables. Jusqu'en 1994 la péréquation permettait de financer toutes les lignes. Depuis l'exigence de rentabilité financière s'est imposée au détriment des valeurs de solidarité. Une tarification illisible, incompréhensible, inspirée des compagnies aériennes, a été mise en place. Des lignes ont été sacrifiées. Dans certains territoires, le désert s'est installé. L'ouverture à la concurrence va aggraver la situation au coeur de la France. Des villages vont mourir, c'est ce que craignent leurs habitants.

M. Jean-Jacques Filleul.  - Il y a les TER.

Mme Marie-France Beaufils.  - La loi NOTRe, qui privilégie les intercommunalités et les métropoles, a conforté le mouvement de concentration et de suppression des communes. L'enjeu de rentabilité s'impose partout ; le libéralisme exacerbé s'immisce dans tous les pans de notre société ; d'un côté nous faisons des cadeaux aux entreprises avec le CICE, de l'autre nous mettons au régime sec les collectivités. Le rapport Duron est dans cette veine en proposant de supprimer des lignes, des trains ou des arrêts. Grâce à la loi Macron, des lignes de car prendront le relais. Quelle aubaine ! Comme si on avait oublié l'accident de Beaune de 1982... C'est que le libéralisme vise à la disparition des services publics, SNCF en tête. Terrible acharnement... Le rapport Duron va accroître les inégalités et consacrer la fracture territoriale.

Le mauvais état du réseau est connu depuis longtemps, mais rien n'a été fait. L'État aurait dû agir, en renonçant à ses dividendes pour abonder l'Afitf.

Les présidents des régions Normandie, Pays-de-Loire ou Centre-Val de Loire ont tiré la sonnette d'alarme, alertant qui sur l'intérêt de la ligne Caen-Le Mans-Tours, qui sur celui de la ligne Montluçon-Vierzon-Paris, indispensables au développement des petites villes. Le désengagement de l'État sur la ligne Bordeaux-Lyon via Montluçon serait dramatique.

La création d'une agence ad hoc ouvrirait la voie à la privatisation. Les 13 et 14 juin, élus et population vous rappelleront ce que doit être un service public. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-Claude Requier .  - Les TET n'ont pas fait l'objet des investissements nécessaires alors qu'ils assurent le maillage des territoires et une indispensable mission de service public. Il a fallu attendre le dernier moment pour entamer le renouvellement des locomotives diesel... Dans cinq ans, plus de la moitié des matériels sera en fin de vie. La Cour des comptes a souligné l'absence de vision à long terme.

Le rapport Duron n'épargne pas Toulouse, puisqu'il supprime les lignes Bordeaux-Nice, Bordeaux-Toulouse, Toulouse-Quimper et Toulouse-Hendaye. Les trains de nuit Paris-Toulouse et Paris-Rodez sont sauvés, mais pour combien de temps ? Comment expliquer la fermeture de lignes, au mépris de leur utilité sociale, économique, environnementale, d'aménagement du territoire ? Mieux vaudrait moderniser l'offre et améliorer le service et la ponctualité, parce que les besoins sont réels - comme cela a été fait avec les TER. Il faut investir dans le matériel et le réseau.

Les lignes TET sont essentielles à la survie des territoires ruraux. La Cour des comptes, qui évalue la subvention de fonctionnement à 330 millions d'euros, estime que le déficit ne pourra baisser si les modalités de financement ne sont pas clarifiées. N'oublions pas que la SNCF contribue à financer elle-même sa subvention d'équipement.

Nous sommes favorables à une péréquation entre la route et le rail, et à une meilleure articulation avec les TER. L'État doit prendre ses responsabilités.

M. Philippe Adnot .  - Comme de nombreux élus, je suis intéressé par ce rapport. La SNCF est en passe d'abandonner le fret et les petites lignes. À l'approche de la COP21, nous allons reverser sur les routes des milliers de camions supplémentaires parce que les silos des coopératives n'auront plus de branchement. Il n'y a pas de volonté politique en faveur du ferroviaire.

Le matériel et le réseau ont été délaissés, les usagers logiquement dissuadés, et on nous explique que ces lignes doivent être fermées...

M. Louis Nègre.  - CQFD !

M. Philippe Adnot.  - Mais ces lignes étaient rentables ! Et elles ont servi à financer le TGV... Quelle France voulons-nous ? Faut-il garder les services uniquement là où ils sont rentables et les supprimer ailleurs ?

Mme Évelyne Didier.  - C'est ce que l'on fait partout.

M. Philippe Adnot.  - En effet, sur la couverture mobile et numérique également... Or la politique consiste à donner plus à ceux qui ont moins, à s'opposer au flux naturel des choses... Les Français n'accepteront pas cet abandon.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx .  - Difficile d'être à la fois élu local et élu national... Le rapport Duron nous donne l'occasion de débattre de sujets cruciaux pour les collectivités territoriales.

Le rapport pose un diagnostic partagé. Les TET sont de plus en plus coûteux, avec un déficit d'exploitation supérieur à 300 millions ; depuis des années, la desserte n'est pas questionnée ; le matériel est obsolète ; la concurrence du covoiturage et du car est vive. Mais les TET sont indispensables pour desservir certains territoires enclavés.

Comment en est-on arrivé là ? Je dénonce depuis des années, dans mon rapport spécial, le tout TGV qui conduit à délaisser les autres lignes. L'État n'a pas pris la mesure de ses responsabilités d'AOT. Notre collègue Duron recommande de ne laisser aucun territoire sans solution de mobilité... Certes, mais comment faire ? Il faut étudier le coût, ligne par ligne, des investissements en infrastructures et en matériel roulant. Évitons les doublons TET/TER ou TET/TGV. Le trajet Bordeaux-Toulouse coûte le même prix en TET ou en TGV.

Mme Françoise Laborde.  - Il n'y a pas encore de TGV entre Bordeaux et Toulouse...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Le rapport se prononce pour une expérimentation de la mise en concurrence sur certains tronçons.

M. Louis Nègre.  - Ce n'est pas assez !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Comme rapporteure spéciale, je suivrai avec attention la traduction budgétaire des annonces que s'apprête à faire le Gouvernement. Le débat ne fait que s'engager. (Applaudissements à droite)

M. Daniel Percheron .  - Vive le rail ! Je ne me prends pas pour Jean Gabin mais un président de région n'est--il pas un peu un chef de gare ? Les casquettes sont aujourd'hui monocolores mais les choses évolueront... Dans le Nord-Pas-de-Calais nous savons que le train est plus que le train, que le TGV c'est la modernité -n'écoutez pas la Cour des comptes-, que les TER sont un succès, que les TET sont les TET, un peu dépassés mais nécessaires.

Je viens de signer une convention de dix ans avec la plus grande entreprise ferroviaire du monde, la SNCF. Je lui fais toute confiance. Dans ma région du Nord-Pas-de-Calais, nous avons réglé la question des TET ; investissement, 250 millions d'euros, 0,2 % du PIB régional... Est-ce une folie ? Alors 300 millions au niveau national... Le tout est de savoir ce que nous voulons. La ligne Paris-Saint-Quentin-Maubeuge... À Maubeuge, où le chômage est à 16 %, le train c'est tout un symbole ! Et on abandonnerait la liaison ?

Ce rapport est formidable, il donne des chiffres qui sont pour nous sans surprise, nous finançons les TER à 80 %... Comment faire ? Par la décentralisation. Le Gouvernement a voulu sans concertation la grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, nous sommes prêts à prendre les TET à la condition « Marini », un centime de TIPP par ligne... Cela nous rapporterait 30 millions d'euros. Qu'en pensez-vous ?

Les TER sont un succès. Je crois au TGV, le TGV c'est la France. Les TET peuvent prendre le même chemin si nous avons, monsieur le ministre, un dialogue équilibré. Je sais que vous allez dire oui. Nous nous retrouverons les meilleurs frères d'armes du monde...

M. François Commeinhes .  - Je salue l'initiative du groupe CRC. La liaison Bordeaux-Nice est particulièrement visée par le rapport Duron. Les arrêts à Sète et Arles sont supprimés, comme la ligne Marseille-Nice.

La logique économique est prise en compte ; mais n'a-t-on pas oublié l'aménagement du territoire ? Les TET sont l'ossature du territoire. Leur disparition consacrerait une France à deux vitesses. Les politiques de transport sont plus que jamais des vecteurs d'aménagement du territoire. Comment avoir demain un maillage cohérent ? Non seulement l'État pousse à la suppression de lignes mais il soutient le développement des lignes de cars longue distance - comme si celles-ci pouvaient remplacer celles-là.

Si le rapport Duron était suivi, cela serait lourd de conséquences pour les territoires et les villes petites et moyennes. Nous vous demandons de surseoir à appliquer ses préconisations.

M. Cyril Pellevat .  - Le rapport Duron devrait clarifier l'offre et doter les TET d'une stratégie d'avenir.

Il a opté pour la rentabilité et la suppression de nombreuses lignes. Il préconise le transfert de plusieurs lignes aux régions. C'est irréaliste ! Dans ma région, un TER sur quatre arrive en retard, et les agressions ont été multipliées par trois en sept ans.

Autre préconisation : le développement des lignes de cars - une aberration écologique. Le rapport Duron préconise de supprimer la ligne de nuit Paris-Savoie. Ce serait préjudiciable aux stations touristiques et engorgerait encore davantage le transport de jour.

L'État doit se donner les moyens d'agir dès lors qu'il s'agit d'aménagement du territoire, pour remédier aux fractures territoriales. Il n'est pas acceptable, dans un pays comme le nôtre, que des territoires riches et bien desservis côtoient des territoires privés de tout.

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. Cyril Pellevat.  - L'État doit négocier avec les régions. Nous sommes inquiets : monsieur le ministre, le Gouvernement entend-il investir dans le ferroviaire et veiller au respect des territoires ? (Applaudissements à droite)

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Je remercie le groupe CRC pour avoir pris l'initiative de ce débat.

En 2010, l'État est devenu autorité organisatrice des TET et une convention a été signée avec la SNCF. Mais l'offre des TET est très hétérogène : trains de nuit, lignes à fréquence hebdomadaire, lignes TER en semaine et TET le samedi. Cette hétérogénéité est grande.

Le service aux usagers n'est plus à la hauteur des attentes : ponctualité défaillante, matériel vieux en moyenne de trente-cinq ans, voire quarante-trois ans pour les locomotives thermiques...

Le modèle économique est à reconstruire. Les TET coûtent 800 millions d'euros par an à l'État, en hausse continue : 450 millions pour les péages à SNCF Réseau, 350 millions pour financer le déficit d'exploitation. Le déficit attendu sera de 500 millions en 2025. Vouloir maitriser les déficits, est-ce du libéralisme exacerbé ? Défendre le service public et maîtriser le déficit, ce n'est pas incompatible. (M. Jean-Jacques Filleul approuve). Avec 5 millions de voyageurs par jour dont 3,5 en Île-de-France et 13 500 trains, comment dire que nous n'aurions pas de politique ferroviaire ? Nous souhaitions modifier la convention actuelle pour améliorer les services et garantir le droit à la mobilité.

C'est pourquoi j'ai demandé à la mission Duron de me faire des propositions. Mme Billon, M. Placé et M. Filleul ont participé activement à ses travaux. Elle s'est rendue à l'étranger, a auditionné de nombreuses personnes, s'est entourée d'une expertise technique très fine ; elle a même reçu 6 000 contributions du grand public.

Faut-il ouvrir à la concurrence ?

M. Louis Nègre.  - Cela fonctionne en Allemagne.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Malraux voulait « transformer l'expérience en conscience » : songez à l'ouverture non préparée du fret à la concurrence...

La concurrence a été décidée mais elle doit être préparée. Ne mettons pas la charrue avant les boeufs. Le libre accès n'est pas une régulation en termes d'appels d'offres. Nous devons réfléchir aux modalités d'application du quatrième paquet ferroviaire. D'ailleurs, nos voisins européens n'ont pas toujours tranché sur les modalités de cette mise en concurrence.

Mme Évelyne Didier.  - C'est vrai.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État - Mais on ne peut continuer à supporter un déficit de 265 euros par voyageur et par voyage, comme cela peut se produire.

M. Rémy Pointereau.  - Caricature !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État - Les usagers n'attendent plus du train que la vitesse. Ils sont attentifs à l'offre de services. Le train est aussi un moment de vie : on y travaille, on s'y repose... Les voyageurs doivent avoir le choix de leur forme de mobilité.

Réfléchissons aussi au prix. Dans l'aérien, les compagnies françaises ont refusé le low cost. Résultat : 5 millions de voyageurs en plus au total, mais aucun pour les compagnies françaises. Pour beaucoup de voyageurs, le prix est un critère déterminant.

Le rapport ne concentre pas le train sur les seules lignes rentables ; il tient compte de l'aménagement du territoire. Il faut clarifier la différence entre les TET, d'intérêt national, et les TER, régionaux ; à la suite de quoi, une seule autorité organisatrice pourrait être compétente.

Le Gouvernement présentera fin juin sa feuille de route. Elle visera à mettre fin à la dérive des déficits tout en garantissant le droit de tous à la mobilité. Elle privilégiera la concertation avec les régions et mettra les usagers au coeur de ses préoccupations. Je veillerai à garantir une offre de qualité sur tout le territoire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La séance est levée à 20 h 45.

Prochaine séance demain, mercredi 10 juin 2015, à 14 h 30.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus analytiques