Croissance, activité et égalité des chances économiques (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

Discussion générale

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique .  - (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Je veux dire l'émotion du gouvernement à la suite du décès de Jean Germain et m'associer à vos propos, monsieur le président.

Ce projet de loi est un texte d'ambition. L'ambition des Français, pour eux-mêmes, pour leur famille, nous oblige. C'est notre principal atout. Ce n'est rien d'autre que la volonté ardente d'avancer, de s'en sortir, de retrouver des perspectives après des années de crise. C'est l'ambition d'investir, d'entreprendre, de travailler, trop souvent bridée par la défiance, la complexité ou les corporatismes.

Nous avons le devoir de répondre à cette exigence, de débloquer ces obstacles à l'ambition de nos concitoyens : à nous de porter leur ambition, de nous battre pour celles et ceux qui se battent, de défendre l'énergie de ceux qui veulent avancer. Depuis 2015 nous obtenons des premiers résultats, effets d'une meilleure conjoncture et des efforts du gouvernement. Ce n'est pas un quitus, mais un aiguillon pour continuer à travailler sans relâche car trop peu d'emplois se créent en France, malgré une nouvelle donne économique encourageante.

Ce projet de loi a été élaboré par le gouvernement en concertation dès l'automne dernier, puis largement enrichi à l'Assemblée nationale : 82 heures de débat en commission, 111 heures en séance, 495 amendements adoptés en commission, 559 en séance, en provenance de tous les bancs. L'usage de l'article 49-3 fut un acte de responsabilité face à l'urgence économique. (Mme Éliane Assassi proteste)

Le texte issu de l'Assemblée nationale est bien meilleur que le texte initial, je ne crains pas de le dire...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Le nôtre sera encore meilleur !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Il ira vers plus de simplicité au quotidien, plus de justice ; il offrira plus d'opportunités aux Français. (M. Roger Karoutchi en doute) Il s'agit d'offrir des droits réels, en ne se laissant pas obnubiler par le formalisme du droit existant.

Nous sommes réunis pour enrichir, améliorer et débattre. Enrichir le texte pour en faire le vecteur de nouvelles réformes de structure : modernisation des chambres de commerce et d'industrie (CCI), équilibre des territoires... Je vous y sais attachés, notamment en ce qui concerne l'égalité d'accès au numérique.

Deuxième objet : améliorer le texte, par exemple sur les concessions d'autoroutes, en incluant dans la loi les conclusions du groupe de travail auquel plusieurs d'entre vous ont participé, l'interprofessionnalité des professions du droit, leurs rapports avec les professions du chiffre, le commerce de détail.

La troisième exigence est celle du débat, par exemple sur les professions réglementées, le droit d'information des salariés... Le gouvernement s'opposera aux amendements à ces sujets, car nous devons respecter le temps de la négociation avec les partenaires sociaux.

Votre commission spéciale, qui a adopté 124 articles conformes, a aussi modifié et enrichi le texte. Je tenterai de vous convaincre de l'intérêt des mesures qui n'ont pas reçu son aval.

Le gouvernement a en effet déposé 170 amendements, dans les délais...

Voix à droite.  - Heureusement !

M. le Président.  - Sinon ils n'auraient pas été recevables... (Exclamations à droite)

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Il aurait pu le faire au cours de la discussion en séance...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Oh non !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - J'ai refusé de considérer que le débat au Sénat n'en valait pas la peine, et c'est pourquoi je proposerai le rétablissement de certains articles.

Mme Nicole Bricq.  - Nous vous soutiendrons.

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Une cinquantaine d'amendements ont, en revanche, été retirés. (Exclamations)

Il serait regrettable de revenir sur certaines avancées, qui concernent les professions réglementées, par exemple, ou le permis de construire.

Je ne considère le Sénat ni comme une chambre d'enregistrement, ni comme une chambre de rejet. Je n'aurai qu'un seul objectif : l'intérêt général.

Libérer, investir et travailler, tels sont les trois axes de ce projet de loi.

Libérer d'abord, par exemple le secteur du transport par autocar. Aujourd'hui, on ne peut rejoindre Nantes depuis Bordeaux autrement qu'en train ou en voiture. L'an dernier, seuls 110 000 Français ont voyagé par autocar contre, tenez-vous bien, huit millions en Allemagne et trente millions au Royaume-Uni.

Votre commission spéciale a réduit la partie de la mesure en portant la distance kilométrique à 200 kilomètres, en dessous de laquelle un service de liaison par autocar peut être limité ou interdit. Nous en débattrons. Gardons à l'esprit qu'il s'agit de favoriser la mobilité des Français et de créer des emplois.

Favoriser la mobilité, c'est aussi réformer le permis de conduire. L'Assemblée nationale a créé de nouveaux droits et une organisation administrative, pour réduire les délais d'attente de présentation à l'examen à 45 jours - la moyenne européenne - contre près de 90 jours voire 200 dans certains territoires.

Il fallait lever cette véritable injustice, cette entrave à l'emploi. Réduire l'ambition de la réforme, ce serait renoncer à offrir aux Français de nouvelles opportunités.

Il faut aussi mieux favoriser la concurrence et lutter contre les quasi-monopoles et les monopoles. Nous faisons le choix de la transparence, sur la grande distribution comme sur les concessions autoroutières, au sujet desquelles l'Araf (autorité de régulation des activités ferroviaires), devenue Arafer (autorité de régulation des activités ferroviaires et routières), sera désormais compétente. Je salue ici le rapport du groupe de travail parlementaire qui s'est réuni pendant près deux mois afin de rendre une expertise sur le sujet. Plusieurs amendements ont été déposés par Jean-Jacques Filleul.

Le Parlement sera informé avant la conclusion des contrats, qui devront comporter des clauses de bonne fortune. Je salue le travail des parlementaires sur ce point.

Autre objectif : moderniser les professions du droit. La réforme de 2009 a échoué : la création des 3 000 à 4 000 postes de notaires n'a pas donné lieu aux mesures promises de la part de la profession. Nous ne touchons pas à ce qui fonctionne bien.

Voix à droite.  - Les notaires ! (M. Jean Desessard s'exclame)

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Nous ne revenons pas, par exemple, sur l'acte authentique, au nom de la sécurité juridique. Le maillage territorial est fondamental. Il existe des déserts notariaux et les règles d'accès à ces professions manquent de transparence. Il ne s'agit pas pour nous de libéraliser entièrement cette profession, mais d'établir une cartographie des manques : là où les professionnels font défaut, la liberté d'accès ne peut, à l'évidence, déstabiliser la profession.

Sur l'interprofession, toutes les garanties sont prises pour éviter la financiarisation ou des guerres de territoire entre professionnels du droit et du chiffre, mais l'ouverture est nécessaire, notamment pour les jeunes.

Le système tarifaire n'est pas non plus satisfaisant, car il est déconnecté des coûts réels. Nous y remédierons.

Il faut aussi lever les blocages au développement du logement intermédiaire : réglementation excessive ou hétérogène entre zonages fiscaux et réglementaires, complexité des régimes d'autorisation, redondance des études environnementales... Une simplification est nécessaire, sans renoncer à nos exigences environnementales et démocratiques, et en évitant toute concurrence avec le logement social. Un juste équilibre est assuré entre protection des locataires et incitation à l'investissement.

Deuxième axe du texte : investir. Notre économie a besoin d'investissements. Dans le domaine numérique, d'abord, car il s'agit aussi d'assurer l'accès réel de nos concitoyens à l'économie, à de nouveaux droits. Le texte peut, sur ce point, être encore enrichi.

Le projet de loi facilite la réalisation de grands projets, en étendant les expérimentations d'autorisation unique et de certificats de projet : les porteurs auront un interlocuteur unique et disposeront d'une plus grande sécurité juridique. Je regrette que la commission ait rejeté cet élément d'accélération de notre économie qui aurait profité à l'Ile-de-France.

M. François Marc.  - C'est vrai.

M. Emmanuel Macron, ministre.  - N'imposons pas aux acteurs économiques ce qui relève parfois de nos propres turpitudes !

Favoriser l'association des salariés au capital, l'épargne salariale et traquer la rente : c'est un objectif que j'assume. On débat beaucoup dans notre pays des salaires des grands dirigeants d'entreprise. Il y a une exigence de moralisation sinon de clarté. L'État actionnaire s'y efforce dans les entreprises où il est au capital. (M. Pierre Charon proteste)

D'où une réforme de l'actionnariat salarié, rendu plus attractif : c'est une condition de la compétitivité de notre économie (Mme Nicole Bricq approuve) On ne peut se résoudre à ce que les comités exécutifs de nos entreprises s'expatrient. Nous ne faisons que nous aligner sur le modèle allemand, qui me paraît constituer une bonne référence en la matière.

Les bons de souscription pour créateurs d'entreprises permettent d'attirer des talents que de jeunes entreprises n'ont pas les moyens de salarier, en les intéressant au capital.

Mme Éliane Assassi.  - Il faut oser !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - S'agissant des retraites chapeau, nous introduisons pour la première fois des règles de moralisation : rémunérer le risque, oui ; garantir des rentes de situation, non.

Nous voulons aussi corriger l'inégalité d'accès à l'épargne salariale, en l'étendant davantage aux PME-TPE. Sur le forfait social, la commission est allée au-delà du gouvernement : nous en discuterons, cela a un coût.

Nous favorisons aussi une gestion plus active du portefeuille de l'État. (Exclamations sur les bancs CRC) Les sociétés de projet en matière de défense nationale (Exclamations amusées à droite) feront l'objet de débats en séance. Nous ouvrons aussi la voie à la privatisation de certains aéroports...

M. Charles Revet.  - C'est incroyable...

M. Emmanuel Macron, ministre.  - ...pour rembourser notre dette et pour réinvestir sur des secteurs prioritaires.

L'État n'est pas un bon actionnaire dans ce secteur, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) assure à elle seule le respect des règles. Il n'y va donc pas de la souveraineté. Mieux vaut libérer de l'argent, pour venir en aide à des entreprises en difficulté. Autant nous avons été un actionnaire dormant des sociétés gestionnaires d'aéroport (Exclamations amusées sur les bancs CRC)... Mais nous pouvons continuer à dormir ! Autant nous avons prouvé, avec PSA, notre capacité à agir...

M. Pierre Charon.  - Le PS en action !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - C'est aussi dans cet esprit que nous voulons réformer les procédures collectives. En cas de liquidation d'une entreprise, le droit de propriété ne saurait prévaloir jusqu'au bout : c'est pourquoi nous proposerons que la justice puisse imposer la reprise de l'entreprise par de nouveaux investisseurs (Marques d'impatience à droite)

Je veux avoir avec vous un débat approfondi mais je peux m'adapter si vous ne voulez pas débattre.

M. Henri de Raincourt.  - Présentez-vous aux élections !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Un mot encore, donc, sur le travail du dimanche. La situation actuelle n'est pas satisfaisante, car elle est très hétérogène. Le projet de loi simplifie et homogénéise les règles de compensation : partout sur le territoire, une compensation devra être versée, fixée par accord de branche ou d'entreprise. Dans les zones touristiques internationales (ZTI), l'encadrement sera strict, la compensation généreuse. Enfin, le maire pourra autoriser l'ouverture des commerces douze dimanches au lieu de cinq, car il faut plus de souplesse. Sur certains territoires, cinq dimanches, c'est trop ; ailleurs, ce n'est pas assez. Cela préservera l'équilibre des territoires.

Il s'agit de protéger le petit commerce en redonnant des marges de manoeuvre aux maires ; je pense aussi aux commerces alimentaires de plus de 400 m2 qui ouvrent aujourd'hui sans compensation.

Ce projet de loi réforme également la justice prud'homale. Les délais sont trop longs : vingt-sept mois en moyenne...

M. Pierre Charon.  - Il y a quelques intervenants après vous ! On veut entendre Catherine Deroche !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - ... et le taux de conciliation est faible : 6 %. Nous entendons favoriser celle-ci.

Nous luttons contre la concurrence déloyale : réforme de l'Inspection du travail, lutte contre les prestations internationales de services illégales, nouveaux moyens de contrôle. Certaines dispositions peu utilisées sont supprimées, telle la peine de prison pour délit d'entrave  -parallèlement, l'amende pénale est augmentée. Enfin, le texte clarifie le dispositif de sécurisation de l'emploi issu de l'Accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2013.

Voilà ce que j'avais à vous dire...

Plusieurs voix à droite.  - Enfin !

M. Didier Guillaume.  - Excellente intervention !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - ...Je ne paie pas de mots : je crois au débat, je veux aller au fond et servir l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)

Mme Catherine Deroche, co-rapporteur de la commission spéciale .  - (Applaudissements à droite) J'ai l'honneur d'ouvrir ce débat au nom de la commission spéciale. J'ai été chargée du volet social de ce texte, dont fait partie au premier chef le travail dominical, sujet passionnel s'il en est. Des dérogations à la règle du repos dominical existent depuis la loi du 13 juillet 1906 ; la loi Maillet n'a pas apporté les simplifications nécessaires. À l'heure où le commerce en ligne fonctionne à toute heure, la commission spéciale a suivi les conclusions du rapport Bailly de novembre 2013.

Tout en respectant les équilibres du travail de l'Assemblée nationale, et sans prôner la libéralisation, nous avons voulu garantir l'effectivité du dispositif et éviter que les commerces qui ouvrent aujourd'hui le dimanche soient contraints de fermer. Pour les commerces situés dans les zones où le travail du dimanche est autorisé, nous avons ouvert la possibilité subsidiaire d'une décision de l'employeur, si l'accord de branche a échoué - décision qui devra être approuvée par référendum par les salariés et assortie de contreparties. Si le dialogue social est un bon principe, on ne peut pas nier que des organisations refusent par principe le travail dominical, contre la volonté des salariés. Les petits commerces de moins de onze salariés pourront également se passer de dialogue social et de contrepartie ; souvent, ils n'ont pas d'organisations représentatives ni habitude de la négociation collective. Ils jouent un rôle important d'animation dans nos territoires. Je constate d'ailleurs avec satisfaction que Mme Delga nous rejoint sur ce point.

En revanche, notre commission spéciale s'est montrée plus ferme que vous en supprimant l'article 82 bis relatif à l'adaptation des jours fériés outre-mer.

Elle a aussi refusé la réforme par ordonnance de l'inspection du travail, qui suscite des inquiétudes des entreprises comme des inspecteurs. Ella a parachevé la réforme du délit d'entrave, supprimé de nombreux freins au développement des accords de maintien de l'emploi, pour que les entreprises puissent mieux s'adapter aux fluctuations de leur activité.

L'esprit est le même pour le lissage dans le temps des franchissements des seuils sociaux, la hausse du nombre de salariés - de 11 à 21  - obligeant à l'élection de délégués du personnel ou la suppression de la fiche individuelle de suivi pour le compte pénibilité et le recentrage sur les trois facteurs de pénibilité opérationnels.

Pour encourager l'épargne salariale, elle a réduit le taux du forfait social de 16 à 12 % du Perco, exonéré de contribution pendant trois ans les entreprises de moins de 50 salariés qui concluent pour la première fois un accord de participation ou d'intéressement, suspendu pendant trois ans l'obligation de conclure un accord de participation pour les entreprises franchissant le seuil de 50 salariés si elles disposent déjà d'un accord d'intéressement en application.

L'investissement est au point mort. Face à l'urgence, et plutôt que d'attendre une hypothétique Macron II, la commission spéciale a rendu éligible au plafonnement global la réduction d'impôt Madelin et doublé le plafond de la réduction ISF-PME.

Faire preuve d'efficacité économique et de responsabilité budgétaire, voilà quel sera mon état d'esprit tout au long de la discussion de ce texte. Nous n'entendons pas servir des intérêts particuliers, mais oeuvrer pour la relance économique.

En dépit de votre bonne volonté affichée, monsieur le ministre, vous avez déposé des amendements rétablissant systématiquement un texte que vous n'avez même pas réussi à faire adopter par les députés... (Applaudissements à droite) Vous avez retiré 50 amendements juste avant la séance, soit ; mais vous semblez faire comme si le texte de l'Assemblée nationale était l'optimum de la législation... Je pense à la consultation du conseil municipal pour l'ouverture des bibliothèques le dimanche, disposition proposée par une ancienne ministre de la culture, députée frondeuse...

Les désaccords entre les deux assemblées sont courants. Si la CMP échoue, l'Assemblée nationale aura le dernier mot ; je regrette que le gouvernement ait pris ouvertement parti. Si nous étions susceptibles, nous y verrions du mépris pour le bicamérisme... (Applaudissements au centre et à droite) Mais je suis optimiste. Monsieur le ministre, votre compagnonnage législatif n'est pas achevé ; j'espère que vous aurez plaisir à découvrir le Sénat et que vous comprendrez que les sénateurs défendent aussi bien l'intérêt général que les députés ! (Vifs applaudissements à droite)

M. Pierre Charon.  - Bravo !

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

Mme Dominique Estrosi Sassone, co-rapporteur de la commission spéciale .  - Qu'avons-nous fait pour mériter cela ? Vous déposez 170 amendements à la dernière minute, vous en retirez une cinquantaine vers 14 h 30 pour ne laisser que ceux identiques à ceux du groupe socialiste... Ce sont autant de coups de gomme portés à notre texte. La commission spéciale a beaucoup discuté, travaillé...

Mme Nicole Bricq.  - À sens unique !

Mme Dominique Estrosi Sassone, co-rapporteur.  - Vous avez dit devant la commission vouloir co-construire le texte avec nous ; il faut croire que votre bonne volonté s'est émoussée... Comment débattre quand nombre de vos amendements n'ont d'autre objet que « le rétablissement du texte issu de la première lecture à l'Assemblée nationale » ?

La commission spéciale n'a pas travaillé de façon fantaisiste, elle a procédé à des centaines d'heures d'auditions, entendu quatre de vos collègues ; adopté des amendements sur le fondement d'arguments juridiques ou d'opportunité. Nos travaux, notre rapport sont publics. Rétablir systématiquement le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, c'est nier le bicamérisme ! (Applaudissements à droite) Nous assumons notre esprit critique !

M. Charles Revet.  - C'est notre responsabilité !

Mme Dominique Estrosi Sassone, co-rapporteur.  - Comprenez notre courroux : vous voulez rétablir un texte, sans aucun argument à l'appui, dont les députés n'ont même pas voulu... Pardon, mais le Sénat ne se borne pas à déplacer quelques virgules...

Nous partageons votre ambition pour la croissance mais votre texte s'arrête au milieu du gué. S'il comporte quelques bonnes mesures, comme vos projets pour les entreprises publiques, il ne lève pas les verrous à l'emploi, au logement, à la croissance. Nous le faisons en revenant sur des rigidités de la loi Alur, ou encore en favorisant les prêts interentreprises.

Nous verrons, monsieur le ministre, si vous ne vous contenterez pas de faux-semblants pour prendre le problème du chômage à bras-le-corps. Allons plus loin que la libéralisation du transport par car en ouvrant à la concurrence le transport ferroviaire régional dès 2019 : nous redonnerons ainsi du pouvoir d'achat aux Français, créerons de l'emploi. Nous avons adopté un dispositif pour une meilleure couverture des zones blanches et grises en téléphonie mobile, supprimé l'article 10, teinté, aux dire mêmes d'un sénateur socialise, d'une forme de jacobinisme. Nous avons renforcé le volet numérique du texte, dans l'attente du projet de loi déjà annoncé, en encadrant notamment les relations entre les plateformes de réservation et les établissements d'hôtellerie.

Si nous avons vu d'un oeil bienveillant des micro-mesures, il faut savoir raison garder. Nous avons amendé ou supprimé des mesures libérales mais maladroites, qui auraient mis à mal notre maillage social ou territorial ou des entreprises publiques qui fonctionnent bien. Nous avons modifié des dispositions applicables au transport par autocar pour mieux protéger les services conventionnés, et supprimé des dispositions improvisées, sans étude préalable. Ainsi du recours à des fonctionnaires ou à des agents publics pour faire office d'examinateurs de l'épreuve du permis de conduire.

Plus largement, la commission spéciale a veillé au respect du Parlement en supprimant des demandes d'ordonnance non justifiées, au respect du principe de libre administration des collectivités territoriales et de la distinction des domaines respectifs de la loi et du règlement. Elle a enfin clarifié le droit existant, précisé certaines dispositions, comme celles relatives aux relations locataire/bailleur.

Vous le voyez, la commission spéciale a pris à bras-le-corps ce conglomérat de mesures ; nous voterons celles qui vont dans le sens de la croissance et rejetterons celles qui sont sans impact sur elle ou contreproductives. Nous formulerons des propositions fortes et visibles. Espérons que nos débats montreront que le dépôt des amendements gouvernementaux provenait d'une mauvaise compréhension de notre travail. (Applaudissements à droite et au centre)

M. François Pillet, co-rapporteur de la commission spéciale .  - J'ai été saisi des mesures concernant les professions réglementées, le droit commercial, les obligations comptables des entreprises, le droit des sociétés, le droit civil pour le recouvrement des petites créances, le droit des entreprises en difficulté, la délicate réforme des prud'hommes ou des tribunaux de commerce ou encore les pouvoirs de l'Autorité de la concurrence. Projet fourre-tout, sinon éclectique...

Mme Nicole Bricq.  - La formulation est plus élégante !

M. François Pillet, co-rapporteur.  - S'il eût été légitime de demander pour chacun des sujets abordés un véhicule législatif particulier, le Sénat a refusé de suivre cette voie.

J'ai procédé à 70 auditions, toutes les contributions spontanées ont fait l'objet d'une lecture attentive, nous avons ouvert un espace sur le site du Sénat afin de recueillir des avis. Avec pragmatisme et en évitant les postures partisanes, nous avons cherché les voies raisonnables du compromis, de sorte que l'objectif du gouvernement ne fût pas remis en cause. Sous l'autorité souriante du président Capo-Canellas, la commission spéciale n'a pas dénaturé le texte. Je peux vous en faire la démonstration pour la réforme des professions réglementées, le renforcement des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence ou la spécialisation des tribunaux de commerce.

Monsieur le ministre, ne laissez pas passer votre chance en renouvelant votre engagement d'accepter encore des enrichissements au Sénat. Il est des lois qui se diluent immédiatement dans le droit existant, d'autres qui restent dans les mémoires parce qu'elles engagent un avenir. Ces lois-là portent un nom ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale .  - (Applaudissements au centre) Je veux d'abord vous rendre hommage, monsieur le ministre. Avant vous, le texte était marqué par des intentions que vous avez su remiser avec soin... Par exemple, rendre 6 milliards de pouvoir d'achat aux Français... Comme si une loi pouvait le faire. L'essentiel de l'idéologie a disparu, comme sur les professions règlementées. Le Sénat veillera à ce que vos actes suivent vos discours...

Nous mesurons la responsabilité qui est la nôtre : agir pour les Français en des temps qui appellent de la clarté. Je vous donne acte du retrait de certains de nos amendements, de votre volonté de débattre. Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à bouger ? En matière de compétitivité, la situation du pays est telle que nous pouvons trouver des accords - si vous sortez du flou. Si je cédais à la caricature, je dirais que vous nous proposez trop souvent des mesures trop peu opérationnelles. Trop tard et trop peu... Partons d'un constat : seule l'Italie a une croissance par tête plus faible que la nôtre depuis 25 ans. La France est à la traîne.

J'ai relevé quelques paradoxes : parler de compétitivité et traiter des professions réglementées, empiéter sur les compétences des autres ministères, au point que certains se sont sentis dépossédés... Au total, on perd le fil de l'ambition initiale, de la croissance et de l'activité. Le levier essentiel est le numérique, notre commission spéciale a bien fait de l'intégrer au texte.

Grâce à elle, le projet de loi mérite enfin son nom. Nous avons entendu les propos du Premier ministre sur l'emploi dans le magazine Challenge. Il veut ouvrir le chantier de l'emploi dans les PME. Selon un excellent quotidien du soir, il avance à tâtons... Nous voulons le guider en portant l'accent sur le marché du travail, comme le demande d'ailleurs l'OCDE. À dire le vrai, on pourrait croire que notre désaccord tient surtout au tempo. L'argument du dialogue social dénote d'abord un problème de volonté politique, il y a urgence.

« La justice et le droit ne peuvent être abordés sous un regard uniquement économique. » Voilà les propos que Mme le garde des Sceaux a tenu devant notre commission spéciale. Ils ont guidé le travail de M. Pillet. (Applaudissements à droite)

En économie, il faut de la clarté, par exemple sur les sociétés de projet - il y a un arbitrage présidentiel, paraît-il, mais lequel ? Un mot du ferroviaire encore : une expérimentation encadrée de l'ouverture à la concurrence plutôt que d'un coup serait bienvenue, mieux vaut que la SNCF s'y prépare...

Pour conclure, je salue l'atmosphère constructive de nos travaux en commission et reprends à mon compte les propos de M. Attali qui a inauguré les auditions : « Ce texte est anecdotique au regard du besoin d'adaptation du pays mais votez-le, il sera peut-être un starter ! » Alors, mettons-y du peps. La commission lui a ajouté un moteur et du carburant... (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Nicole Bricq .  - Par son ampleur, sa diversité, par la personnalité de celui qui le porte, ce texte est d'exception, (Exclamations à droite) au sens étymologique du terme.

Un mot d'abord du contexte macro-économique. Nous assistons à une reprise, l'Insee anticipe une embellie et le désendettement se poursuit.

Mme Éliane Assassi.  - Et les salariés, alors ?

Mme Nicole Bricq.  - Tout concours à accélérer les réformes, les annonces du président de la République en faveur de l'investissement sont de bon augure. Il faut redonner confiance et visibilité aux salariés et aux entreprises.

À ce titre, le gouvernement demande habilitation pour un certain nombre d'ordonnances. Une fois pour toutes, disons-le : le Parlement encadre les habilitations, les parlementaires peuvent être associés à l'élaboration des ordonnances et le Parlement les ratifie. (Mme Éliane Assassi se récrie)

L'économie doit marcher sur ses deux jambes : l'investissement productif et l'emploi marchand. L'ouverture régulée du travail dominical et du transport par car - régulée bien sûr  - auront des effets positifs sur l'emploi.

Un fil rouge traverse l'action du gouvernement : la reconnaissance du rôle des salariés et de leurs organisations syndicales. Force est de constater la défiance de la commission spéciale à leur égard ! (Exclamations à droite)

Nous, socialistes, sommes attachés au statut des salariés protégés et à la défense syndicale dans la procédure prud'homale. Nous, socialistes, sommes attachés à la négociation préalable à l'ouverture des commerces le dimanche. Nous, socialistes, tenons à la négociation des plans sociaux d'entreprise, qui responsabilise chacun. Nous, socialistes, sommes favorables à la relance de l'actionnariat salarié. (Applaudissements sur les bancs socialistes, brouhaha à droite)

Pour nous, l'entreprise est l'association d'investisseurs, de dirigeants et de salariés. La droite, au contraire, a une conception purement patrimoniale de l'entreprise.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale.   - Caricature !

Mme Nicole Bricq.  - La majorité sénatoriale prétend n'être pas dans l'opposition systématique, mais affirme sa volonté de détricoter le texte. Paradoxe !

Mme Dominique Estrosi Sassoneco-rapporteur  - Allons ! Nous avons adopté 125 articles conformes !

Mme Nicole Bricq.  - Autre paradoxe : le protectionnisme de la commission spéciale à l'égard des professions réglementées mais son libéralisme à tout crin quand il s'agit de nuire aux salariés. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; protestations à droite) Donc, vous supprimez l'article 8, pourtant il s'agit bien de l'épargne des salariés.

De même, vous autorisez l'ouverture le dimanche même en l'absence d'accord. Quelle négation du dialogue social !

Cet immobilisme associé à la négation des droits des salariés est un mauvais signal. Attention au blocage, dû tant à ceux qui regrettent que le texte n'aille pas assez loin, qu'à ceux qui trouvent qu'il va trop loin.

M. Vincent Capo-Canellasprésident de la commission spéciale.  - C'est vous l'immobiliste !

Mme Nicole Bricq.  - Évitons certains excès de langage comme celui de présenter ce projet de loi comme une « coquille vide ». Je pourrais dire que j'y vois une corne d'abondance mais que gagnerait-on à un tel échange ? De telles polémiques sont stériles.

Le groupe socialiste soutient ce texte qui dégage de bons compromis, utiles à la France dans une économie de marché régulée et face à la mondialisation. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Desessard .  - Ce texte a été qualifié de « fourre-tout », de « catalogue », de « liste de courses du gouvernement ». Il est vrai que ce projet de loi volumineux touche à de très nombreux sujets avec une cohérence globale sujette à question. Vous avez dit, monsieur le ministre, qu'il avait trois origines principales : les réformes amorcées par M. Montebourg sur les professions réglementées ; les apports du ministère du travail ; vos propres réflexions alimentées par votre participation à la commission Attali.

Ce texte a un fil rouge, comme l'a dit Mme Bricq, même si cet adjectif lui convient mal... (Rires et applaudissements sur les bancs CRC et centristes) On le dit technocratique, je le vois idéologique, fondé sur une idée simple - je ne dis pas simpliste ! - celle selon laquelle notre pays disposerait d'un potentiel de croissance inexploité qu'il faudrait libérer. Vous voulez donc favoriser l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché et lever des obstacles pour stimuler la croissance. Mais là où vous voyez des obstacles, les écologistes voient des garanties. Certains garde-fous sont légitimes.

Votre volonté de libéralisation est partagée par la droite, sur qui on peut toujours compter pour aller plus loin.

M. Bruno Sido.  - Comptez sur nous !

M. Jean Desessard.  - On l'a vu en commission spéciale !

Le recours aux ordonnances est également trop large et porte sur des questions qui n'ont rien de mineur à nos yeux.

En libéralisant le transport par autocar, vous prétendez créer 10 000 emplois. C'est oublier que les opérateurs ne s'installeront que dans les zones les plus rentables. En outre le risque est grand de créer un système de transports à deux vitesses, où le car serait le mode de voyage des pauvres, le train et l'avion celui des plus aisés. Il suffit de voir qui revient de Lyon en TER plutôt qu'en TGV, faute de pouvoir se payer celui-ci.

Nous ne pouvons accepter l'introduction par amendement à l'Assemblée de deux grands projets réalisés par ordonnance : le canal Seine Nord et le Charles de Gaulle express. Ces deux projets couteux et douteux méritent un débat parlementaire complet et les écologistes demandent leur retrait du texte.

Nous soutenons vos préconisations sur le permis de conduire. En revanche, les professions réglementées ne doivent pas être soumises à la logique de marché. Les notaires jouent un rôle de service public, leurs actes sont obligatoires pour de nombreuses opérations. Ils contribuent aussi à la lutte contre la fraude : un millier de déclarations par an à Tracfin. La création d'entreprises interprofessionnelles sur le modèle américain introduit une confusion dangereuse entre professionnels du droit et du chiffre. Quinze ans après le scandale Enron, ne répétons pas les mêmes erreurs !

De même vous considérez le droit de l'environnement comme un frein à la croissance. Nous ne sommes évidemment pas d'accord. Heureusement, la commission spéciale a apporté des modifications. Nous nous opposerons à l'article 28, à la privatisation des aéroports régionaux, signe d'un recul supplémentaire de l'État. En revanche, nous sommes favorables à l'encadrement des retraites-chapeau.

Je ne comprends pas comment l'ouverture des commerces le dimanche soutiendra la consommation, tout au plus cette mesure favorise-t-elle le développement du tout-marchand, de l'individualisme... (Applaudissements sur les bancs CRC)

Nous n'irons pas dans votre sens. À l'Assemblée nationale, les écologistes ont voté contre.

M. Charles Revet.  - Et M. Placé ?

M. Jean Desessard.  - Vous aurez compris notre réserve, mais nous resterons pragmatiques - vous aimez le pragmatisme, monsieur le ministre - et attentifs à la suite du débat ; peut-être voterons-nous certaines mesures.

Mme Éliane Assassi.  - Dommage de finir ainsi !

M. Pierre Laurent .  - Ce texte n'aurait pas dû nous parvenir. Privé d'une majorité de gauche à l'Assemblée nationale, il n'a dû son salut qu'à un coup de force et au 49-3. Nier le lien direct entre votre politique et votre débâcle électorale relève de l'aveuglement. Le gouvernement ne peut déplorer le manque de soutien des classes populaires tout en continuant à appliquer à la lettre les recommandations du fascicule du parfait petit libéral. Dès le lendemain des élections départementales, vous avez montré dans quelle considération vous teniez les Français en annonçant une loi Macron II : vous pensez déjà à la seconde étape, le démantèlement du droit du travail. Votre politique de soutien aux profits, le cadeau de 50 milliards aux entreprises sera sans effet sur l'emploi, comme l'illustre la dernière note de l'Insee. Notre pays est déjà le champion des dividendes.

Votre loi s'inspire du rapport Attali, que M. Sarkozy soutenait. Quant à M. Attali, il voit dans cette loi un starter annonçant de futures accélérations, dont certaines ont déjà commencé. C'est ainsi que la libéralisation des autocars anticipe le quatrième paquet ferroviaire. De multiples lignes TER sont menacées. La SNCF est prise en étau. Pourtant le train est un mode de transport propre. Vous organisez aussi la concurrence entre territoires, car seules les liaisons rentables seront assurées.

Autre point majeur de votre dérégulation, les privatisations. Nous ne pouvons accepter la vente au secteur privé de 50 % du capital de Giat industries pour constituer une nouvelle entreprise en partenariat avec la société privée allemande KMW. On brade une nouvelle fois le bien public, au nom d'un hypothétique développement de l'entreprise, sans la moindre garantie pour l'emploi. Au-delà de la capacité de la puissance publique à peser sur les choix industriels, la souveraineté est engagée en matière militaire et diplomatique. Qu'en sera-t-il du contrôle du marché de l'armement lorsque les rênes seront confiées au privé ? Quel est enfin le CV de cette entreprise détenue par la famille Wegmann impliquée dans une affaire de corruption pour une vente d'armes à la Grèce en 2000 ?

De même, nous regrettons le bradage, conforme aux injonctions de Bruxelles, des aéroports de Nice et Lyon, après Toulouse et avant Marseille. Par quel miracle les futurs actionnaires auraient-ils pour priorité le service public et l'aménagement harmonieux du territoire ?

Vous cédez aux injonctions du marché. L'ordonnance du 20 août 2014 autorise même à privatiser toutes les entreprises publiques, à l'exception de celles protégées constitutionnellement, alors que la liste était auparavant limitative. Vous croyez sans doute jouer au Monopoly !

Un troisième volet de cette loi s'inspire de vos propos de Las Vegas devant les patrons américains. Vous assénez des poncifs, répétez que le travail du dimanche est une liberté, et que la liberté est une valeur de gauche. Mais où est la liberté pour les salariés confrontés au chantage à l'emploi ? Aucune étude ne démontre que l'ouverture dominicale crée des emplois.

Mme Nicole Bricq.  - Si.

M. Pierre Laurent.  - Il s'agit d'idéologie. À quand le travail de nuit ? On y vient déjà d'ailleurs... Vous attaquez le droit du travail, diminuez les pouvoirs de l'Inspection du travail. Partout plane le spectre d'une dérégulation.

Au cours de ce débat, nous chercherons à défendre les droits des salariés ; nous ne serons pas vos complices dans ce dialogue de dupes avec la droite, qui approuve ce texte à demi-mot, tout en voulant aller plus loin : privatisation des TER, suppression du compte pénibilité, doublement du plafond de l'ISF-PME, élargissement des possibilités de vente de HLM au privé... Faute de majorité de gauche à l'Assemblée nationale, espérez-vous trouver une majorité avec la droite au Sénat ?

Le débat n'oppose pas l'immobilisme et la réforme. Il existe de vrais réformateurs à gauche, nous le démontrerons ! (Applaudissements sur les bancs CRC ; marques d'ironie à droite)

M. Jacques Mézard .  - Chacun peut souscrire aux objectifs de ce texte. Mais il s'agit plutôt d'un catalogue et l'on ne peut passer commande de tout ce qu'il propose.

Notre groupe a toujours été partisan de soutenir la production à condition de protéger ceux qui la réalisent et d'assurer une juste distribution de ses revenus, ce qui suppose une intervention de l'État. Je ne sais pas si votre projet de loi s'inscrit dans une stratégie ou ne sera qu'intermède...

Le travail du dimanche ne pose pas vraiment problème au groupe RDSE même si la loi initiale dut beaucoup à Clemenceau. C'est plutôt en termes d'égalité entre les territoires que la question du travail dominical doit se poser, afin que ne soient pas une fois encore privilégiés les plus favorisés.

De même, nous voyons d'un oeil favorable les dispositions relatives à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique. Sur la libéralisation des services de transport par autocar, il conviendra que vous nous rassuriez sur la protection de nos lignes ferroviaires encore utiles.

Toutefois certains aspects nous laissent circonspects. Il n'est pas sain d'accorder autant de pouvoirs à des autorités dites indépendantes, comme l'Autorité de la concurrence. Il est plutôt temps de supprimer ces organes. Nous avons demandé une commission d'enquête sur ces autorités indépendantes. Il est dangereux que l'État se départisse d'une part de ses missions régaliennes au profit d'autorités dont la légitimité démocratique est pour le moins contestable. C'est au pouvoir politique qu'il convient d'assumer ses responsabilités en veillant à la diversité des sensibilités dans la haute fonction publique. Les grands corps de l'État doivent avoir toute leur place mais sous le contrôle des élus, non l'inverse.

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Jacques Mézard.  - Sur les professions réglementées, l'enjeu n'est pas de défendre telle ou telle position mais de veiller à voter des mesures efficaces.

Nous sommes choqués que Bercy décide de la réforme des professions juridiques. Victoire du chiffre sur le droit ! Pourtant le droit a pour fonction de protéger les pauvres. La réforme de la justice prud'homale est incomplète, puisqu'il faudrait avant tout donner plus de moyens aux chambres sociales des cours d'appel, complexe car elle multiplie les procédures. Vous étendez le champ de l'article 2064 du code civil, introduit par le gouvernement Fillon et qui fut un échec total. Or cet article excluait la justice prud'homale. Il n'existe pas de définition légale des professions réglementées. Les avocats au Conseil n'étaient pas visés initialement, mais quelques grands cabinets parisiens ont fait du lobbying pour accéder à ce marché... Ce n'est pas eux qui assumeront les missions d'aide juridictionnelle ! Placer les avocats au Conseil sous le contrôle de l'Autorité de la concurrence est un non-sens ! Notre amendement a le soutien des avocats.

La suppression de la postulation devant les tribunaux de grande instance conduira immanquablement à la désertification de certains territoires. Les cabinets d'avocats installés dans les départements sans cour d'appel sont voués à disparaître. Ils perdront leur clientèle institutionnelle tout en assumant l'aide juridictionnelle. Nous ne voulons pas du « sous-avocat » de région. À terme, on prépare une nouvelle carte judiciaire centrée autour des grandes métropoles. Monsieur le ministre, pensez au barreau de Tulle, où le TGI vient d'être rétabli !

La situation des notaires n'est pas la même que celles des notaires parisiens. Et comment des magistrats siégeant à 150 kilomètres du lieu d'implantation d'une entreprise peuvent-ils connaître sa situation ? Il faut faire preuve d'esprit pratique. C'est le sens de nos amendements. (Applaudissements sur les bancs RDSE, au centre et à droite)

M. Philippe Adnot .  - Libérer, investir, travailler pour satisfaire l'intérêt général : l'esprit de ce texte semble louable. Je l'aborde avec ouverture mais regrette que vous ayez aggloméré une centaine de mesures disparates. Heureusement, la majorité sénatoriale s'est employée à récrire ce texte. Aussi, j'ai décidé de participer à cette entreprise collective.

Je salue les annonces du président de la République sur l'investissement. Mon amendement à l'article 34 va dans ce sens.

Oui à plus de liberté pour entreprendre, mais je refuse les mesures restreignant l'égalité des territoires. Nous savons, nous, que s'il y a encore des pharmacies dans certains territoires, c'est qu'il n'y a pas liberté totale d'installation. Nous savons que, s'il y avait plus d'incitation réglementaire, le milieu rural aurait encore des médecins, ceux-ci ne seraient pas tous dans les grandes villes ou dans le midi. Est-il acceptable de devoir faire 150 kilomètres pour se rendre chez son notaire ?

Je me prononcerai au cas par cas en examinant chaque mesure attentivement.

M. Henri Tandonnet .  - Je salue le travail de M. Capo-Canellas qui a su créer un climat de travail prospère. Notre commission spéciale a élagué le texte, supprimé les autorisations d'habilitations à légiférer par ordonnances excessives. La position de M. Pillet, de même, est équilibrée.

Cette réforme d'inspiration bruxelloise méconnaît l'approche de notre droit latin, focalisé sur la protection des plus faibles. Le texte de l'Assemblée est mal construit et il met en péril le maillage juridique précieux du territoire ainsi que l'accès de chacun au droit. Le glissement vers l'approche anglo-saxonne que vous proposez n'est pas une innovation : le libéralisme a montré ses limites.

C'est l'éthique qui favorisera la bonne marche des entreprises dans la vie économique. Notre économie souffre surtout d'un manque de déontologie. C'est l'affaire des professions du droit et du chiffre, ce n'est pas en les remettant entre les mains de sociétés de capitaux que vous favoriserez cette légitime aspiration.

Les professions réglementées ne sont pas des commerçants ! Les fonds de péréquation par profession ont pour vocation à faciliter l'installation des jeunes, non à financer l'aide juridictionnelle. Les sociétés interprofessionnelles ont un périmètre trop large.

J'ai été très surpris de voir dans votre projet de loi initial que l'Autorité de la concurrence déciderait seule de la carte de l'implantation des offices, par le jeu d'une liberté d'installation encadrée. Il suffit que l'Autorité de la concurrence donne un avis simple.

Il était nécessaire de séparer les professions du chiffre et du droit en excluant les experts comptables, les administrateurs et mandataires judiciaires ainsi que les avocats au Conseil du périmètre des sociétés. En revanche, étendre aux commissaires-priseurs la vente de biens incorporels permettrait la valorisation d'actifs sociaux.

La seule référence à l'expérience ne suffit pas pour l'exercice d'une profession réglementée. Préservons les compétences professionnelles.

La spécialisation des tribunaux de commerce est à prendre avec précaution. La solution de la commission rétablit confiance et proximité.

Je souhaite, monsieur le ministre, que vous teniez compte des apports de notre assemblée. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je veux dire à nos collègues socialistes la sympathie du groupe UMP. Certains drames rendent dérisoires les clivages partisans.

Je salue le travail de la commission spéciale, de son président, de ses rapporteurs, qui ont travaillé énormément et intelligemment. « Dans une situation d'urgence, on ne peut accepter d'être stoppé par le déni de réalité, les corporatismes et les jeux d'appareils politiques » : ce sont vos propres mots, monsieur le ministre, il y a à peine deux mois. Vous n'imaginiez sans doute pas à quel point ils sonnent juste, aujourd'hui. Oui, la France est dans une situation d'urgence : toujours plus de chômage, une production industrielle au même niveau qu'il y a vingt ans, la perte de notre cinquième place mondiale dans les classements économiques. Beaucoup de Français souffrent. On annonce en 2015 un filet de croissance, grâce à une conjonction astrale. Une croissance venue d'ailleurs, tombée du ciel, en quelque sorte (Sourires) : l'euro faible, des taux d'intérêt très bas, et le pétrole très bon marché, cela ne durera pas, et dans dix-huit mois, si des réformes structurelles ne sont pas menées, il sera trop tard. L'ajustement sera très douloureux, pour la France et les Français. Urgence économique, donc ; urgence sociale, aussi, avec ce déclassement que beaucoup de Français, en souffrance, ressentent.

Urgence politique aussi : l'esprit du 11 janvier s'est dissipé, et la mer, se retirant, comme elle le fait lors des grandes marées, a révélé un paysage désolé... Sur ce texte, à l'Assemblée nationale, avec l'usage de l'article 49, alinéa 3, des divisions profondes se sont exprimées au sein même de votre majorité, qui a subi en douze mois quatre défaites électorales, au sein même du parti majoritaire.

Vous nous proposez, au moins, la médecine douce. « Ce n'est pas la loi du siècle », disait le président de la République. Pas même la loi de l'année : on veut seulement faire patienter Bruxelles... Que rapportera-t-elle, en l'état ? Peut-être 0,1 % de croissance ? Pour faire repartir la croissance et reculer le chômage, ce n'est ni Macron I ni Macron II qu'il faudrait, mais quinze lois Macron ! (Mme Cécile Cukierman s'exclame)...

M. Jean Desessard.  - Hola !

M. Bruno Retailleau.  - La question n'est pas celle du congrès de Poitiers, du PS, (Protestations sur les bancs socialistes) ni de l'entrée de tel ou tel au gouvernement, mais du redressement de la France. (Applaudissements au centre et à droite)

Nous avons travaillé avec un seul objectif : faire de ce texte un accélérateur de croissance. Nous nous sommes voulus pragmatiques et non partisans : 124 articles votés conformes en commission. Quand il s'agit de détricoter la loi Duflot, nous sommes toujours partants ! (Sourires) Mais entendez ce peuple de France qui se sent oublié. Voyez la France des territoires, la France des invisibles !

Mme Nicole Bricq.  - Quand on va chez son notaire, on peut prendre sa voiture !

M. Bruno Retailleau.  - Nous ne laisserons pas détricoter notre tissu rural. (Applaudissements au centre et à droite)

Vous avez dit il y a quelques jours, qu'il fallait prendre le train maintenant, monsieur le ministre. Chiche : nous vous ferons des propositions susceptibles de vous plaire, dans l'intérêt du pays. Ainsi sur le marché du travail : pourquoi plus de 80 % des CDD font-ils moins d'un mois ! Il y a des insiders et des outsiders. Nous ne proposons pas la fin du CDI, mais un contrat de mission.

De même, nous ne proposons pas de supprimer les 35 heures. Mais vous appeliez naguère de vos voeux des accords offensifs inspirés des mesures de maintien dans l'emploi. Nous irons dans votre sens.

Quant aux seuils sociaux, vous nous dites d'attendre. Mais la démocratie, c'est la souveraineté du peuple. Et il y a urgence.

Nous ne souhaitons pas vous brouiller avec M. Hamon, monsieur le ministre. (Sourires) Nous nous contenterons donc de limiter son système d'information des salariés aux cessations d'activité.

Enfin, sur le compte pénibilité, nous ne faisons que répondre pragmatiquement aux demandes de milliers de PME, pour mettre fin à la peur de l'embauche dont parle le président de la République lui-même.

Vous avez sans doute joué un rôle déterminant dans la conversion du président de la République à l'économie de l'offre, monsieur le ministre. Vos diagnostics sont souvent justes. Mais nous ne pouvons nous contenter des entre-deux où se complaît le président de la République. « La crise, c'est le moment où le vieux monde ne veut pas mourir, et où le monde nouveau tarde à naître », disait Gramsci. (Exclamations sur divers bancs) Eh bien, appuyez-vous sur le Sénat pour faire naître une nouvelle France ! Et satisfaire les attentes des générations de demain ! (Vifs applaudissements au centre et à droite)

La séance est suspendue à 19 h 45.

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 45.

M. Yannick Vaugrenard .  - Nous traversons une période particulière, la France doute alors qu'elle est une grande Nation, dotée d'atouts incontestables. Dans la mondialisation, nous devons nous adapter sans nous renier, innover sans fracturer, progresser économiquement sans nous affaiblir socialement. Car les inégalités sont aussi source de faible croissance. Souhaitons que ce projet de loi garde ces deux lignes directrices que sont la compétitivité et la justice.

Au lendemain des élections départementales, le gouvernement, comme nous tous, doit entendre le message des urnes, un message d'inquiétude, de désarroi et parfois de colère.

Autoriser l'ouverture de lignes d'autocars et raccourcir les délais d'obtention du permis de conduire, voilà deux mesures utiles, surtout pour les jeunes. Idem pour le crédit interentreprises, alors que le secteur bancaire a pris l'habitude de mettre ceinture et bretelles avant de soutenir les projets des PME.

Sur les aéroports, les amendements de M. Daunis devraient lever les inquiétudes sur la place de la puissance publique.

Il fallait aussi contrecarrer l'indécence de certaines retraites chapeau, à lier - au minimum - à une performance ou à une prise de risque.

Le plan de sauvegarde de l'emploi doit être encadré ; le groupe auquel appartient une entreprise en difficulté doit pouvoir être mis à contribution pour le reclassement ou la formation -  j'ai déposé un amendement de bon sens. Quant au délit d'entrave à l'activité syndicale, il mérite non plus une peine d'emprisonnement qui n'est jamais prononcée, mais une sanction adaptée qui, outre l'amende, pourrait aller jusqu'à l'interdiction d'exercer les fonctions de dirigeant d'entreprise pendant cinq ans.

La commission spéciale du Sénat a remis en cause des pans importants du texte, rompant l'équilibre trouvé à l'Assemblée nationale, notamment sur le travail du dimanche. Il faut en rester à l'interdiction d'ouverture en absence d'accord ; et la compensation salariale doit être systématique. Multiplier par deux le plafond de la réduction ISF-PME aggravera le déficit sans apporter de soutien à l'activité.

Nous ne partageons pas cette logique politique, ces marqueurs idéologiques ne sont pas les nôtres. Conservatisme et progressisme restent deux voies différentes.

La création de zones touristiques internationales comme les contreparties pour le travail du dimanche sont indispensables. Il faudrait toutefois une forme de codécision avec les maires. Les inquiétudes souvent exprimées reposent sur des arguments sociétaux : « La société du supermarché n'est pas la société des loisirs » ; « il n'est pas bon que certains soient obligés, pour un gain de pouvoir d'achat, de sacrifier leur vie de famille ». Selon moi, l'ouverture dominicale doit demeurer l'exception. Réfléchissons encore. Négociation entre partenaires sociaux, minimum de compensation pour les salariés des commerces ouverts toute l'année, protection minimum pour les autres zones commerciales - il ne peut y avoir deux poids, deux mesures, pas de droit du travail à deux vitesses.

Ce projet de loi peut bousculer certains corporatismes - mais sans stigmatiser. C'est de bonne méthode, monsieur le ministre. Il faut tenir bon, mais aussi tenir compte du message des urnes. Voilà le bon chemin.

Dans mon rapport remis l'an dernier sur la pauvreté, je citais Victor Hugo : « L'homme est fait non pas pour traîner des chaînes mais pour ouvrir des ailes ». Cela vaut aussi pour la société. Bon courage, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Marc Gabouty .  - Cette loi « Croissance, activité et égalité des chances » porte-t-elle bien son nom ? La méthode utilisée, parcellaire et transversale, ne permet pas de réformes structurelles en profondeur. Elle aborde de nombreux sujets avec des objectifs multiples mais elle vise surtout à relancer l'activité économique, en facilitant le travail dominical et la vie des entreprises.

250 articles, je ne les citerai pas tous... Les mesures proposées sont d'importance inégale, symboliques ou pragmatiques, voire inopportunes pour certaines... Difficile dès lors d'avoir une position tranchée sur l'ensemble.

La commission spéciale du Sénat a joué le jeu et fait un gros travail pour améliorer le texte - je salue son président et ses trois rapporteurs. À ce sujet, monsieur le ministre, votre entourage aurait évoqué un « détricotage ». (Mme Nicole Bricq renchérit) Je le regrette car c'est contraire à l'esprit qui nous a animés.

Nombre de propositions du groupe UDI-UC ont été reprises dans le texte de la commission spéciale, comme celles de M. Tandonnet sur les professions réglementées. Référent du groupe sur ces questions, je m'en tiendrai au volet économique et social ; nos amendements ont pour objet de stimuler l'activité tout en laissant la déclinaison des mesures à la négociation collective. Certains tendent à assouplir ou simplifier notre cadre législatif, qu'il s'agisse des seuils sociaux dont il fallait lisser le franchissement, du compte pénibilité dont les critères ont été simplifiés sans que le principe soit remis en cause, ou des accords de maintien de l'emploi que nous voulons offensifs. J'espère que nous pourrons avancer sur l'information des salariés au moment de la cession de l'entreprise ; sur l'épargne salariale, avec un forfait employeur de 16 % pour les entreprises de 51 à 249 salariés et de 8 % pour celles de moins de 50. Pour dissuader la fraude, nous proposerons d'augmenter les amendes en cas de récidive d'infraction aux règles relatives au travail dominical. L'assouplissement de celles-ci, très médiatisées, revêt une portée symbolique. Je redis l'attachement de notre groupe à un jour de repos, pour préserver une activité familiale, culturelle ou sportive, mais aussi à tout ce qui peut créer de la croissance. Ce peut être le cas dans certaines zones, moins dans d'autres. Nous touchons là les limites de la politique de l'offre. Il est aussi nécessaire de clarifier les règles actuelles, trop facilement contournées ; les abus doivent être sanctionnés.

Quelques dispositions pourraient retenir l'attention du gouvernement, comme la création de bourses régionales ou la réutilisation sociale des avoirs saisis au crime organisé.

Ce projet de loi esquive la question des 35 heures et de leur impact sur l'activité économique. Sujet qui pourrait faire l'objet d'une conférence sociale entre les partenaires sociaux, comme l'a proposé le porte-parole du groupe à l'Assemblée nationale. Nous ne rouvrirons pas ce débat, mais proposerons la suppression du plancher de 24 heures, qui peut encourager le travail dissimulé.

Je suis moins optimiste que vous, monsieur le ministre, sur l'impact de votre loi sur la croissance. Connaissant bien le monde de l'entreprise, je crains qu'il ne faille aller bien plus loin pour rétablir la confiance des agents économiques. Mais adopter cette loi, telle que modifiée par le Sénat, serait déjà un pas dans la bonne direction, auquel entrepreneurs et salariés seraient sensibles. (Applaudissements au centre)

M. Jacques Bigot .  - « Enrichir, améliorer, débattre », avez-vous dit, monsieur le ministre. Enrichir l'économie, améliorer la situation de nos concitoyens, et pour cela bien débattre. Qui peut croire que la loi seule peut améliorer la conjoncture économique ? Son rôle est de fixer un cadre qui protège et qui n'empêche pas.

Cette loi contient, de façon surprenante aux yeux de certains, des réformes qui interpellent le monde judiciaire, et notamment celle qui concerne les professions réglementées. Il s'agit de limiter les rentes de situation, d'ouvrir ces professions sur elles-mêmes et sur les autres. Mais ces professions sont réglementées parce qu'elles rendent un service à l'État, qu'elles garantissent la sécurité des actes juridiques, les modalités de recouvrement, l'accès à la justice ou son fonctionnement - les avocats, je le rappelle, sont des auxiliaires de justice. Se pose donc la question de l'équilibre. Rendre des comptes, oui, mais il n'est pas sûr que la concurrence soit le meilleur rempart. Ne faut-il pas abandonner le corridor tarifaire pour prévoir plutôt que si les tarifs réglementés aboutissent à des résultats excessifs, en raison notamment des valorisations immobilières, ces professions devront rendre de l'argent à l'État ?

Vous avez aussi voulu ouvrir ces professions à d'autres, mettre fin à la scission entre professions du droit et professions du chiffre... La présence de professionnels compétents sur tout le territoire est une exigence au moins aussi importante que la présence de professionnels en situation de monopole... La question de l'interprofessionnalité fait craindre, après les Big Five, les Big Four... Il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas de domination de certains professionnels sur d'autres.

Le projet de loi aborde la question de la réforme judiciaire, en sanctuarisant le dialogue dans les tribunaux de commerce, en réhabilitant la prud'homie, en proposant de renforcer la conciliation avec des barèmes indicatifs. Je salue cette volonté de dialogue. Ce qui marche bien en Allemagne, c'est surtout le dialogue social, qui a favorisé la compétitivité.

Je souhaite que nous sachions remettre du dialogue dans notre assemblée ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Nicole Bricq.  - Très bien.

Mme Fabienne Keller .  - Après une baisse quasi nulle du déficit public en 2014, la France est au pied du mur, en queue de peloton de la zone euro ; elle sera en 2015, avec l'Espagne et le Portugal, le seul pays dont le déficit dépassera les 3 %. Elle doit à tout prix retrouver le chemin de la croissance et diminuer ses dépenses publiques. Or la Cour des comptes estime que ces objectifs seront difficiles à atteindre ; elle note que la baisse des dotations aux collectivités territoriales ne se traduira pas automatiquement dans les économies escomptées, pointant le risque d'effet boomerang - investissements non réalisés, taxes non perçues.

Ce qui est, paraît-il, la grande loi du quinquennat ne relancera pas la croissance et l'activité - l'OCDE chiffre le gain attendu à 0,1 % du PIB sur cinq ans...

M. Charles Revet.  - C'est peu...

Mme Fabienne Keller.  - Ce texte sans ligne directrice aura peu d'impact. Le gouvernement compte en réalité sur des facteurs extérieurs : l'amélioration de la conjoncture, le plan d'investissement de la Commission européenne, l'action de la BCE. À ce jeu, la France risque de sortir perdante, notamment sur le plan de l'emploi. Ce texte comporte certes des points positifs - mais guère plus que cosmétiques, trop peu pour rassurer nos partenaires européens. Les nombreux articles d'habilitation à légiférer par ordonnance prouvent que le calendrier, précipité, n'a d'autre but que de se concilier Bruxelles par des mesures d'affichage. Le Parlement est court-circuité sur des sujets majeurs : urbanisme, droit des sociétés, droit de la concurrence, droit des contrats publics, pouvoirs de l'inspection du travail...

M. Charles Revet.  - C'est une mainmise !

Mme Fabienne Keller.  - Bruxelles a donné trois mois au gouvernement pour présenter des mesures propre à réduire le déficit de 0,5 point cette année. Les 4 milliards attendus viendront en réalité des faibles taux et de la régularisation des comptes détenus à l'étranger. Des recettes qui n'ont rien de structurel ! Or Bruxelles demande 30 milliards d'économies en plus des 50 programmés par le gouvernement. Vous avez jugé cet effort procyclique, monsieur le ministre, ce qui laisse présager que le gouvernement ne s'y pliera pas. Vous n'avez pas totalement tort - mais vous savez aussi que la France ne retrouvera pas le chemin de l'emploi sans amélioration de ses finances publiques ni réformes structurelles, notamment du marché de l'emploi.

Pour la première fois depuis 2011, le gouvernement n'a pas inscrit à l'ordre du jour du Parlement de débat sur le programme de stabilité et le programme national de réformes. Craindrait-il le vote après l'usage du 49-3 à l'Assemblée nationale ? C'est mépriser le Parlement et singulièrement le Sénat. (M. Michel Vergoz s'exclame)

Pourtant, vous disiez il y a peu qu'il fallait rehausser les seuils sociaux, autoriser les entreprises en difficulté à déroger aux règles de temps de travail par accord majoritaire... Qu'attendez-vous ?

Mme Annie David.  - Vous voulez revenir au temps de l'esclavage !

Mme Fabienne Keller.  - Suivez donc l'exemple de Gerhard Schröder. On annonce la loi Macron II ? C'est ce que vous proposent le Sénat et ses trois rapporteurs. Son travail va dans le sens de vos annonces, monsieur le ministre, sur les seuils sociaux ou le compte pénibilité.

Notre groupe prend ses responsabilités et vous montrera qu'il est possible d'aller plus loin, pour libérer les forces créatrices d'emploi dans notre pays. (Applaudissements à droite et au centre)

M. François Bonhomme .  - Notre pays peut s'enorgueillir d'avoir un modèle de droit qui s'exporte à l'étranger en raison de la qualité de la sécurisation des actes qu'il produit. Or votre réforme des professions réglementées, qui a suscité une levée de boucliers, fait peser des risques sérieux sur la sécurité des actes juridiques et l'accès des citoyens au droit. Elle menace aussi de détruire des emplois. Vous l'avez nié à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, jugeant certains arguments scandaleux, sans fondement ni sérieux et accusant les professions d'agiter les peurs.

Or les études les plus sérieuses, dont celle d'Ernst & Young, démontrent que cette réforme entraînera une lourde chute du chiffre d'affaires de ces professions, et que le nombre de collaborateurs non notaires pourrait baisser de 9 500 personnes d'ici 2020. Vous créez des déserts juridiques, vous mettez à mal le maillage territorial de l'accès au droit.

Le groupe UMP, sous la houlette de M. Pillet, apporte des réponses pragmatiques. Nous avons souhaité confier la tarification des actes au ministère de la justice - les prestations juridiques ne sont pas des prestations commerciales. Le gouvernement est certes revenu à l'Assemblée nationale sur le corridor tarifaire, mais au profit d'un système de remise trop complexe. Nous avons fait évoluer le dispositif.

Sur l'extension du périmètre d'activité des experts-comptables, vous aviez choisi de remettre en cause, monsieur le ministre, la règle du double accessoire. Nous entendons la faire respecter.

Sur l'interprofessionnalité, nous avons recherché l'équilibre et le respect des spécificités de chaque profession.

Notre rapporteur nous soumet quatre propositions ambitieuses sur le maintien de l'accès au droit. Les regroupements d'avocats doivent être expérimentés avant d'être généralisés. La liberté d'installation des notaires serait contrôlée et non garantie ; le rapporteur a eu raison de donner compétence au ministère de la justice en ce domaine, et non à l'Autorité de la concurrence. L'obligation d'indemnisation des concurrents est en outre une obligation constitutionnelle, elle doit être prise en charge par le fonds de péréquation professionnel, qui n'a pas à devenir interprofessionnel. Affecter ces ressources à l'aide juridictionnelle serait une taxe masquée, et n'a aucun sens.

On ne peut accepter moins d'un tribunal de commerce dans le ressort de chaque cour d'appel. Les professions réglementées se disent satisfaites de l'équilibre trouvé par la commission spéciale. De grâce, prenez en compte le travail constructif du Sénat. Votre image y gagnera ! Car notre objectif est simplement de moderniser le service rendu à tous les Français, sur tout le territoire. (Applaudissements à droite)

M. Emmanuel Macron, ministre .  - Un mot sur la philosophie générale de ce texte. J'ai du mal à comprendre qu'on le juge au regard du parcours professionnel d'un ministre du gouvernement. J'ai participé à la commission Attali, c'est vrai. Mais ce qui est porté devant vous, c'est le travail du gouvernement. Il n'y a aucune intention cachée. On peut faire beaucoup de reproches à ce texte, mais pas celui d'avoir subi les pressions de tel ou tel lobby !

Mme Éliane Assassi.  - Ce n'était pas nécessaire !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Point par point, je vous démontrerai que nous améliorons le réel.

Pas plus d'inspiration bruxelloise : ce n'est pas parce que certains à Bruxelles partagent notre analyse qu'elle est mauvaise, et ce texte ne vaut pas quitus d'autres réformes que nous n'oserions pas faire. À ce propos, le programme de stabilité sera présenté aux commissions parlementaires le 22 avril. Le débat en séance, qui ne peut être organisé avant la transmission du document à Bruxelles le 30 avril au plus tard, aura lieu début mai, soyez rassurés.

La baisse conjoncturelle de tel ou tel indicateur, comme le prix du pétrole, a des effets conjoncturels. Ce texte-ci aura des effets en profondeur, progressifs dans le temps. Ainsi de la réforme des prud'hommes, du numérique, de l'accès au droit, de l'ouverture du secteur des transports : elles auront leurs pleins effets d'ici trois à cinq ans. C'est le propre des réformes structurelles. C'est cette myopie qui a fait que l'on n'a pas mené ces réformes au cours de la décennie précédente ; l'erreur de la France c'est de n'avoir fait ni effort budgétaire, ni réformes structurelles. Aujourd'hui, il nous faut mener les deux de front. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Sur l'ouverture à la concurrence du transport par car, les modifications introduites par la commission spéciale limiteront les effets attendus de la réforme en termes d'emploi et de désenclavement. La SNCF compte s'engager sur les autocars : plus qu'une concurrence, il y a une complémentarité entre les différents modes de transport. Le CDG Express en est un excellent exemple.

Sur la réforme du permis de conduire, les études d'impact vous seront communiquées. Nous sommes partis d'un constat, 98 jours d'attente en moyenne, 200 dans certains endroits.

Sur les professions juridiques, concerter n'est pas forcément contenter. Nous avons beaucoup concerté avec Mme la garde des sceaux, mais pour contenter, il aurait fallu ne rien faire...

Rien dans cette réforme ne contrevient à la sécurisation des actes juridiques ou à l'accès à la justice. Les professions du droit ne sont pas mises dans la main de l'Autorité de la concurrence, qui n'est chargée que d'établir une cartographie des manques ; c'est le gouvernement qui prendra les décisions, l'Autorité de la concurrence ne donnera qu'un avis.

M. Charles Revet.  - Cela reviendra au même !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Il existe des déserts juridiques, où une liberté d'installation relative est justifiée. Mais ce pouvoir n'est pas confié à l'Autorité de la concurrence.

Sur les interprofessions, il n'est pas question d'ouvrir la voie à la financiarisation, de revenir sur la séparation entre commissaires aux comptes et experts-comptables. L'interprofession est limitée aux professionnels du droit qui détiennent l'intégralité du capital. C'est plus contraignant que le droit actuel, qui n'offre pas de défense efficace face à de grands offices anglo-saxons. Jusqu'ici, nous n'avons pas su protéger notre modèle et assurer sa compétitivité.

Je défendrai un amendement qui précisera la notion d'accessoire. Des ajustements sont nécessaires, mais ce débat n'a pas lieu d'être passionné.

S'agissant de la postulation territoriale, nous tirons les leçons de la réforme des avoués, de la dématérialisation des actes. C'est rendre un service aux justiciables que de leur éviter les surcoûts liés à des règles obsolètes. La profession s'inquiète pour la stabilité économique de certains barreaux. Mais continuer à expérimenter alors que nous le faisons déjà, c'est un peu procrastiner.

Mme Nicole Bricq.  - La droite dit vouloir aller vite !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Je suis ouvert à la discussion, s'il s'agit d'éviter une déstabilisation. Mais on a du mal à expliquer aux Français qu'ils doivent débourser 4 ou 500 euros de plus pour un divorce parce qu'ils sont à Chambéry plutôt qu'à Annecy !

Pour ce qui est du fonds interprofessionnel, il est paradoxal d'entendre à la fois que ces professions sont des officiers publics ministériels et, à ce titre ne sauraient être réformés à la va-vite, et en même temps qu'ils n'auraient rien à voir avec le financement de l'accès au droit... Personnellement, je n'y vois pas d'hérésie.

En ce qui concerne les tribunaux de commerce spécialisés, je veux rendre hommage aux juges et autres professionnels, dévoués. Nous ne supprimons pas de tribunaux, nous. (On le confirme sur les bancs socialistes)

Mme Nicole Bricq.  - Ils ont la mémoire courte.

M. Emmanuel Macron, ministre. Voyez l'affaire Mory Ducros. Au-dessus d'un certain seuil, le renvoi de l'affaire à une juridiction spécialisée unique, plus au fait de procédures complexes, est de nature à simplifier les choses. Veillons à ce que le seuil retenu évite toute déstabilisation.

Sur le numérique, je souhaite aller encore plus loin : accès aux données publiques, couverture du territoire...

Ce texte ne facilite pas les privatisations, au contraire : il abaisse le seuil d'autorisation par le Parlement. Mon prédécesseur a pu autoriser par décret la privatisation de l'aéroport de Toulouse, ce ne sera plus possible, le Parlement aura à se prononcer.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Quand on a une bonne majorité...

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Le débat est toujours fructueux. (Protestations sur les bancs CRC) J'appelle à la courtoisie, ayons un débat serein.

Nous voulons faire un EADS des équipements terrestres, que les professionnels appellent de leurs voeux. D'où le rapprochement entre Nexter, filiale de Giat, et l'entreprise allemande KMW. J'ai lu moi aussi les articles de presse sur une possible corruption ; nous examinons cela de près.

Pas question non plus de privatiser le Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies (LFB), mais de permettre à la BPI, laquelle est codétenue par la Caisse des dépôts et consignations et par l'État, d'entrer à son capital. Je veux dissiper les contrevérités sur ce sujet sensible. Il n'est même pas question d'ouvrir ce capital à des actionnaires privés minoritaires, ce que la loi actuelle permet jusqu'à 49 % et qui ne sera plus possible.

Autre point : les investissements. Nous partageons la volonté d'encourager l'épargne salariale. Nos réserves sur les mesures votées en commission tiennent à la contrainte budgétaire. Des annonces seront cependant faites demain.

Le texte n'allège nullement les garanties offertes aux salariés en cas de plan de sauvegarde de l'emploi, mais apporte des clarifications nécessaires.

La loi de 2013 a créé les Accords de maintien dans l'emploi défensifs. Ils faut aller plus loin : dès février, le Premier ministre a demandé une évaluation par les partenaires sociaux, dans le cadre de la loi Larcher. Soit ils arrivent à un accord d'ici le 18 mai, soit nous pourrons reprendre la main. Les Accords de maintien dans l'emploi offensifs n'obéissent pas à la même logique. Les défensifs allaient déjà très loin dans le sens de la flexisécurité négociée.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale.  - Le mot est lâché...

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Les Accords de maintien dans l'emploi offensifs exigent une réflexion préalable, beaucoup plus large, sur la hiérarchie des normes. On peut déjà faire beaucoup de bien à notre économie en levant certaines rigidités des défensifs.

Si je comprends les sensibilités qui s'expriment sur la question de la compensation, je ne puis laisser parler de banalisation du travail dominical. Je crois au dialogue social pour protéger les salariés comme pour trouver les bons équilibres, et je ne souhaite pas faire d'exceptions à ce principe. Sans accord, il n'y aura pas d'ouverture : nous allons au bout de notre logique.

La réforme des prud'hommes fait partie des réformes structurelles introduites par ce texte. Les contentieux sur le licenciement individuel est un frein à l'embauche par les petits entrepreneurs et un élément d'injustice entre salariés. Une conciliation plus efficace, une mise en état du dossier, une meilleure visibilité des parties, moins de procrastination et de manoeuvres dilatoires : cette réforme aura un impact réel sur notre économie.

Ce texte n'est pas fait pour Bruxelles.

Mme Natacha Bouchart.  - Mais si !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Mais il n'est pas interdit de discuter avec nos partenaires. Le débat européen, aujourd'hui, doit porter sur la relance de la croissance. Le sérieux budgétaire est nécessaire avec plus de 56 % du PIB en dépenses publiques, mais l'austérité est hors de question. L'austérité, cela existe ailleurs, c'est baisser les salaires et les pensions. (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes ; exclamations sur les bancs CRC)

Mme Cécile Cukierman.  - Il y en a qui meurent de faim ! Vous, vous dinez le soir !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - La dérive budgétaire aussi : nous ne sommes plus au temps où la majorité précédente laissait le déficit croître de 120 milliards entre 2007 et 2012 ! (Applaudissements sur les bancs socialistes ; protestations à droite)

L'Allemagne a su mener il y a dix ans des réformes de structures, et en perçoit aujourd'hui les bénéfices. C'est parce que nous menons des réformes que nous pourrons être exigeants avec nos partenaires sur la relance de l'activité.

Mme Sophie Primas.  - Des mots !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Certains réclament toujours plus d'économies - sur les autres - et toujours plus de réformes - celles que l'on ne fait pas. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Il y a un bovarysme budgétaire et un bovarysme de la réforme économique. (Exclamations sur les bancs UMP et CRC) Si la France ne se réforme pas, elle ne pourra pas plaider pour une nouvelle donne européenne. Ce texte contribue, au contraire, à lui donner cette opportunité. (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes)

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.  - Motion n°1692, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (n° 371, 2014-2015)

Mme Éliane Assassi .  - Après la débâcle électorale, le président de la République et le gouvernement restent sourds aux attentes d'une autre politique et à la désespérance sociale. Vous proposez une loi mastodonte. Vous prétendez avoir pour objectif la croissance que votre politique d'austérité met en berne... (Exclamations sur les bancs socialistes) La seule croissance que vous favorisez, c'est celle des profits ! (Mêmes mouvements)

Pour vous, la France est malade de son modèle social. C'est pourtant ce modèle qui a limité les effets de la crise en France. Avec vos recettes néolibérales, vous voulez mettre à bas la République sociale. Nous savons lire entre les lignes : « choc de compétitivité », « libérer la croissance », les mots ont un sens.

Oui, monsieur le ministre, la liberté est une valeur de gauche. (Exclamations sur les bancs UMP)

Mme Catherine Deroche. co-rapporteur - C'est une valeur universelle, madame !

Mme Éliane Assassi.  - D'abord à l'égard d'une exploitation sans bornes. Les profits des entreprises ne baissent pas, ne vous en déplaise ! Sous un titre prometteur, votre projet de loi se contente de reprendre les recettes de M. Sarkozy. Il ne créera pas d'emplois mais desservira l'activité et réduira les droits des salariés. L'ordonnance du 20 août 2014 permet de brader le bien public.

Cohérent sur le plan doctrinal, ce projet de loi, par son hétérogénéité, met à mal les principes constitutionnels de clarté et d'intelligibilité de la loi. Il est question ici des administrateurs judiciaires, des autocars, des commissaires-priseurs, du conseil en propriété industrielle, de publicité dans les installations sportives, des micro-entreprises, des péages autoroutiers, des PSE, du repos dominical ou en soirée, du haut débit, des taxis, des tribunaux de commerce... J'arrête là cet inventaire à la Prévert. Le travail parlementaire en devient impossible. En outre la rédaction byzantine de certains articles contrevient au principe d'accessibilité de la loi, qui n'a pas qu'une signification matérielle.

Pas moins d'une vingtaine de demandes d'habilitation à légiférer par ordonnances : cette procédure est détournée de sa finalité et de sa justification par l'urgence et la technicité. Sous prétexte d'une urgence jamais démontrée, le recours aux ordonnances a explosé depuis le début des années 2000, le Parlement se trouvant ainsi dessaisi de ses prérogatives. Non seulement, c'est une méthode antidémocratique, mais c'est une des causes d'inflation et de malfaçon législative.

La Charte de l'environnement est bafouée, quand la consultation du public est considérée comme une contrainte.

Le projet de loi accroît aussi l'instabilité du régime de l'épargne salariale, plusieurs fois modifié dernièrement.

En matière d'urbanisme, l'intervention de l'Autorité de la concurrence est contraire à la libre administration des collectivités territoriales.

Enfin, la banalisation du travail dominical est contraire à la protection de la santé et au droit au repos garantis par l'alinéa 11 du préambule de 1946. Que dire du travail de nuit ? Le principe d'égalité est bafoué, au profit de quelques grandes enseignes...

Selon la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la loi doit être la même pour tous, qu'elle protège ou qu'elle punisse. Or le projet de loi opère des distinctions non justifiées entre salariés, selon la taille de l'entreprise.

L'alinéa 8 du préambule de 1946 prévoit aussi que tout salarié participe à la gestion de son entreprise. Or le texte remet en cause le droit syndical et supprime la sanction du délit d'entrave. (Marques d'impatience sur de nombreux bancs)

Mme la présidente.  - Concluez, je vous prie.

M. Marc Daunis.  - C'est faire des heures sup', de nuit !

Mme Éliane Assassi.  - Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à opposer à ce texte l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Catherine Deroche, co-rapporteur .  - Nous refusons de voir annulé notre travail de plusieurs semaines. Le projet de loi est certes copieux, mais nous l'avons allégé, amélioré sur le fond comme sur la forme. Avis défavorable.

M. Emmanuel Macron, ministre .  - L'accusation de simplisme pourrait être retournée...

S'agissant du travail de nuit, il existe aujourd'hui un flou jurisprudentiel jusqu'à 22 heures, et la compensation n'est pas systématique. Comment pouvez-vous parler de recul ?

M. Didier Guillaume.  - C'est le contraire !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - De même, 30 % des Français travaillent déjà occasionnellement le dimanche. Nous ne banalisons rien, nous encadrons. Pourquoi ne pas vous indigner de la situation actuelle ? Vos reproches sur ce texte sont infondés.

Ce projet de loi traverse en effet les secteurs, je l'assume. Je ne crois pas que cela contrevienne à l'intelligibilité de la loi. Le Conseil constitutionnel en jugera. Ce sont beaucoup de choses très concrètes de la vie de nos concitoyens qu'il faut revisiter, débloquer. Avis défavorable.

Mme Élisabeth Lamure .  - Selon le principe d'intelligibilité, la loi doit être claire pour ne pas être équivoque et pour ne pas créer d'insécurité juridique. Le texte de l'Assemblée nationale allait parfois à l'encontre de ce principe, la commission spéciale y a remédié.

Le législateur ne confie pas non plus au pouvoir réglementaire des pouvoirs qui relèvent de sa compétence exclusive ; l'article 34 de la Constitution est respecté.

Une loi pour la croissance, l'activité et l'égalité était urgente. Encore fallait-il des mesures suffisamment ambitieuses. C'est le sens de la position constructive de la commission spéciale et du groupe UMP. Souhaitant que le débat se poursuive, nous voterons contre la motion.

Mme Nicole Bricq .  - Madame Assassi, les Français ne sont ni les Irlandais, ni les Espagnols : nous avons traversé la crise avec tous les amortisseurs sociaux, tant mieux. Mais avec des dépenses publiques qui s'élèvent à 56 % du PIB, on ne saurait parler d'austérité.

La lisibilité de la loi ? Nombre de dispositions du projet de loi renforcent la sécurité juridique en éclaircissant le droit. Les ordonnances ? Vous avez, en tant que législateur, la possibilité de les encadrer.

Enfin, ce texte ne supprime aucun droit. Au contraire, il en introduit de nouveaux. Dommage que vous n'en disiez rien !

Mme Éliane Assassi.  - Vous restez droits dans vos bottes !

Mme Nicole Bricq.  - Je ne porte jamais de bottes, c'est très mauvais pour la circulation.

Mme Cécile Cukierman .  - Nous avons dénoncé sur la forme les conditions de travail qui nous sont imposées et, sur le fond, un texte contraire à nos principes fondamentaux.

À l'heure où l'on célèbre les valeurs de la Résistance, ce projet de loi foule au pied le projet du CNR et le préambule de 1946. Tout travailleur participe par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu'à la gestion de l'entreprise, dit celui-ci. Or votre texte impose de nouvelles conditions, détestables, sur le travail dominical ou « de soirée ». Aucun droit nouveau, bien au contraire ! Le travail du dimanche n'est pas un choix, mais une contrainte, les salariés le disent. Le dialogue social n'y changera rien, car le problème, c'est le pouvoir d'achat !

La pérennité des services publics nationaux figure aussi dans le préambule de 1946. L'attaque contre la SNCF est une insulte à la mémoire des grandes conquêtes ouvrières de 1936. Les salariés seront nombreux à vous le dire, jeudi, dans la rue.

M. Pierre-Yves Collombat .  - Ce texte sera sans doute jugé constitutionnel, mais il n'est pas écrit en français. On bat des records en matière de charabia. On nous fait faire de la codification, tout bonnement pour faciliter la vie des bureaux ! C'est incompréhensible - et franchement scandaleux. Vient un moment où il faut dire « Assez ! ». (Applaudissements sur les bancs CRC, RDSE, UDI-UC et UMP)

M. Jean-Marc Gabouty .  - Malgré nos désaccords sur le fond avec le gouvernement, nous avons un objectif commun : la croissance et l'emploi. Après le travail effectué en commission, nous souhaitons aboutir à un texte. Le groupe UDI-UC votera donc contre cette motion.

À la demande du groupe CRC, la motion n°1692 est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°118 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l'adoption 19
Contre 307

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°1693, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (n° 371, 2014-2015)

Mme Annie David .  - Le nom même de ce projet de loi est empreint d'un profond mépris envers toutes celles et tous ceux qui ont fait confiance à François Hollande en 2012. Non, monsieur le ministre, nous ne disons pas de contrevérités, pas plus que nous ne divulguons des informations fallacieuses : nous avons étudié votre texte, Le président Larcher, dans les colonnes du Figaro...

M. Didier Guillaume.  - Belle lecture !

Mme Annie David.  - ... annonce que la droite sénatoriale va examiner ce texte de façon pragmatique et non idéologique. Nous, sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen, assumons pleinement notre engagement, politique et idéologique, pour une société plus juste, plus égalitaire, pour retisser du lien social, pour lutter contre le chômage.

Vous, monsieur le ministre, défendez une idéologie libérale - que vous exposiez il y a peu, à Las Vegas, au Wall Street Journal : « Les entreprises pourront contourner les règles de travail rigides et négocier directement avec les employés ». Sous son apparence de « fourre-tout », votre texte est bien inspiré par une cohérence implacable, celle de l'idéologie ultralibérale.

Or c'est l'ultralibéralisme qui nous a plongés dans la crise économique et sociale. Nos concitoyens sont à bout, ils l'ont crié lors des dernières élections. Le manque de perspective, le délitement du lien social, la précarité croissante sont loin de trouver des réponses ici - au contraire, vous les aggravez ! Que dire aux 1 600 salariés du groupe Vivarte, qui viennent d'apprendre aujourd'hui même qu'ils perdent leur emploi ?

Avec le chantage à l'emploi, c'est toujours le moins-disant social qui prime et devient la règle, et c'est ce que votre projet de loi organise.

« Toujours moins » telle est votre formule, bien résumée par Martine Bulard dans Le Monde diplomatique : moins de droits sociaux, de règles, de contrôles publics, mais plus de libéralisme, de précarité, d'individualisme. L'exemple du travail dominical est flagrant : il touchera avant tout les plus modestes, qui n'ont pas les moyens de refuser. Le lien familial et social tissé ce jour-là cessera d'exister : 70 % des employés du commerce sont des femmes, dont 60 % à 70 % élèvent seules leurs enfants. Le travail dominical aura comme corollaire l'échec scolaire, quand ce n'est pas l'isolement, puis l'endoctrinement des jeunes laissés sans repères... Les acheteurs délaisseront les petits commerces au profit des grandes surfaces.

Vous rêvez des minijobs à l'allemande ; pendant que tant s'appauvrissent, d'autres s'enrichissent. Les entreprises ont détruit un demi-million d'emplois depuis la crise, mais n'ont pas oublié leurs actionnaires ! L'emploi sert de variable d'ajustement, et l'on assouplit donc les conditions de licenciement. N'est-ce pas de l'idéologie ? Ce système libéral n'est pas seulement injuste, mais inefficace. Loin de protéger les salariés, ce projet de loi « libère » le patronat de ses « charges », lui donnant toute latitude.

Au lieu de vous attaquer à la rente, à la fraude fiscale ou aux cotisations patronales, vous sacrifiez, par idéologie, les acquis sociaux. Sous couleur de moderniser la France, vous allez créer des déserts juridiques et encourager la concentration du notariat au profit de grands groupes, développer l'autocar deux fois plus mortel que le rail et plus polluant... Cela cache mal la volonté de casser le service public de la SNCF.

Le bradage des avoirs de l'État va dans le même sens. Ainsi, l'article 47 organise la privatisation du Groupement industriel des armements terrestres. De même pour les aéroports de Nice Côte d'Azur ou Lyon.

La privatisation du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies se prépare, avec l'entrée de la BPI à son capital... (Mme Catherine Génisson le conteste) Après l'aéroport de Toulouse, Safran, ADP, EADS, Orange... l'État continue à se priver de recettes, et surtout de contrôle sur des entreprises stratégiques. L'exemple des autoroutes montre bien pourtant que la privatisation se traduit par une hausse des prix !

Mme Éliane Assassi.  - Absolument.

Mme Annie David.  - Les mal-logés sont les grands oubliés de ce projet de loi. Mais pourquoi espérer que vous entendiez les citoyens ? « Brutalité », « Déni de démocratie », tels sont les mots à l'époque employés par François Hollande pour qualifier l'utilisation du 49-3. Je ne peux, pour une fois, qu'être d'accord. Autre coup porté à la démocratie : le recours aux ordonnances, pour modifier le code de l'environnement, et le code du travail, particulièrement l'organisation de l'Inspection du travail, qui sort affaiblie de ce texte, comme la représentation du personnel.

On organise le détournement du droit du travail à moindres frais. La preuve ? On supprime la peine d'emprisonnement pour délit d'entrave au profit d'une amende. Comme on le voit à propos des travailleurs handicapés, les entreprises préfèrent payer plutôt que de respecter leurs obligations. La casse programmée des prud'hommes, sous couvert d'accélération des procédures, conduit à renforcer la relation, forcément inéquitable, entre patron et salarié. À terme, le code civil pourrait primer sur le code du travail. Les décisions prises d'en haut priment sur les décisions des responsables locaux. La preuve : sur le travail dominical, les maires ne sont consultés que pour avis, la décision reviendra in fine au gouvernement...

Je ne citerai pas toutes les mesures cyniques, ultralibérales que propose à son tour la droite sénatoriale, qui va plus loin que vous : ouverture à la concurrence des trains régionaux, remise en cause des seuils sociaux et des 35 heures, suppression du compte pénibilité, doublement du plafond du dispositif ISF-PME...Nous débattrons même, à la faveur d'un amendement spécial, de la « ferme des 1000 vaches » ! Entre le libéralisme du gouvernement et l'ultralibéralisme de la majorité sénatoriale, nous ne voulons pas choisir. Jamais en trente ans, le fossé entre riches et pauvres n'a été aussi important. C'est le fruit d'une politique libérale qui vise à favoriser les plus riches, les dividendes des actionnaires, pendant que les peuples luttent en Europe...Votre politique vous a d'ailleurs voulu les compliments de Mme Merkel et de M. Juncker, celui-là même qui oublia, au Luxembourg, de lutter contre la fraude fiscale, c'est tout dire... (Impatience sur de nombreux bancs) Nous aurions préféré qu'un gouvernement de gauche soutienne le Premier ministre grec Alexis Tsipras.

Bref, nous rejetons ce texte en bloc et vous invitons à voter cette motion. (Applaudissements sur les bancs CRC ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également)

Mme Catherine Deroche, co-rapporteur .  - Vieux poncifs datant du XIXe siècle ? Le texte issu de la commission est bien loin d'être ultralibéral. Je salue vos convictions, et votre constance, mais à nos yeux, c'est le refus absolu de toute concurrence qui est passéiste et dépassé... Avis défavorable.

Mme Éliane Assassi.  - Ça faisait longtemps ! Bel argument de fond !

M. Emmanuel Macron, ministre .  - Dois-je répondre point par point ? (Vives exclamations) Votre intervention me fait penser à ces chansons « en laisse » des enfants, où la dernière syllabe d'une phrase entraîne la suivante...Une idée en amène une autre, puis une autre, etc. Je n'y vois guère de cohérence. (Protestations sur les bancs CRC) Avis défavorable.

M. Michel Le Scouarnec.  - C'est incroyable !

M. Pierre-Yves Collombat .  - Quelle est la fameuse « philosophie » de ce texte, que vous avez invoquée à plusieurs reprises, en vous gardant prudemment de la définir ? L'intitulé du titre premier, « libérer l'activité », la résume parfaitement. Elle a inspiré de multiples textes, qui nous ont été servis depuis trente ans, nourris des mêmes bonnes intentions...

Je pense en particulier au projet de loi pour l'égalité des chances adopté sous une précédente législature, en 2006, grâce au 49-3, déjà... Le dogme est toujours le même. Selon cette croyance, si l'investissement stagne, si le chômage augmente, en un mot si l'économie tourne au ralenti ce n'est pas parce que la demande n'est pas au rendez-vous : le catéchisme est formel, l'offre crée sa demande, l'économie est enchaînée !

Il suffit donc de libérer de ses entraves le tigre tout prêt à bondir pour que l'activité économique reparte et le chômage s'efface : élémentaire, n'est-ce pas ?

Libérer l'économie, c'est privatiser ce qui marche, ou les activités immédiatement rentables, et externaliser les investissements lourds et le maximum de coûts sur la collectivité : aux transporteurs privés, les autocars utilisant des voies qu'ils n'ont pas payées, à la SNCF et aux collectivités la charge des réseaux. C'est aussi tordre le cou au code du travail, cette entrave à la liberté... Or le circuit économique fonctionne quand les dépenses des uns font les recettes des autres. Nous ne demandons pas autre chose ! Naguère, en 2005, à propos de la loi que j'ai citée, que les socialistes combattaient ardemment et déférèrent même au Conseil constitutionnel, le ministre du travail nous vendait le fameux CPE, mort le lendemain de sa naissance, en citant en exemple le taureau ibérique : je ne parvins pas à lui faire admettre que sa puissance était due à la spéculation immobilière et qu'elle ne durerait qu'un temps...On sait ce qu'il en est advenu et il en va de même du tigre celtique irlandais...Eh oui, madame Bricq, nous ne sommes ni les Espagnols ni les Irlandais et l'on nous faisait grief à l'époque de ne point suivre leur exemple !

Depuis trente ans, les dispositifs de libération de l'économie se sont accumulés. François Hollande n'a pas failli à la tradition : « loi relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale », « loi de sécurisation de l'emploi », CICE, « accord national interprofessionnel », lois de finances successives, et aujourd'hui ce texte. Pour quels résultats ? Nicolas Sarkozy avait supprimé la taxe professionnelle, cet « impôt imbécile », cause de notre compétitivité défaillante, assurait-il, souvenez-vous ! Il avait aussi vu le nombre de chômeurs augmenter de 714 000 sous son quinquennat.

François Hollande fait presque mieux en la matière, déjà 600 000 nouveaux chômeurs de catégorie A, un million si l'on ajoute les catégories A à E, à mi-mandat. Les remèdes ne sont pas bons ? Qu'importe, on nous propose de les prolonger ! Gageons qu'ils sont bons pour quelques-uns, ou alors, c'est à n'y rien comprendre... (Applaudissements sur les bancs CRC ; Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jean Desessard applaudissent également)

Mme Laurence Cohen .  - Ce projet de loi ne répond pas à la question essentielle du partage des richesses créées par les salariés des entreprises. La part de la richesse consacrée au versement de dividendes atteint désormais 85 %, contre 30 % dans les années 80, au détriment de l'emploi et de l'investissement. Ainsi, la rémunération des actionnaires représente 2,6 fois les sommes consacrées à l'investissement, contre moitié moins au début des années 80.

Les salaires ont stagné ces trente dernières années - sauf pour les mieux rémunérés... Étonnant que cette loi, loin de corriger ces inégalités, les renforce, avec les actions d'entreprises pour les dirigeants...

Rien pour moderniser les banques, qui bénéficient pourtant du CICE. Et où est la croissance verte dans ce texte ?

Nous, nous prônons une croissance juste et durable. À nos yeux, il est urgent d'interdire les licenciements boursiers, de taxer les revenus du capital au même niveau que les revenus du travail, de combattre les privilèges fiscaux des entreprises. Nos propositions sont connues, elles sont de nature à améliorer la vie des gens. Loin de nous écouter, vous proposez de développer une société de consommation à outrance, où les salariés plus fragiles sont obligés de travailler le dimanche, de dépenser l'argent qu'ils n'ont pas dans des centres commerciaux ouverts non-stop, quand d'autres s'enrichissent... Nous vous invitons à voter cette motion. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Pascale Gruny .  - Les indicateurs sont au rouge, il y a urgence à réformer. Certes, le texte du gouvernement n'est pas satisfaisant - l'OCDE évalue son impact sur la croissance à 0,1 %. Texte fourre-tout, c'est vrai, mais la commission spéciale du Sénat, avec pragmatisme et responsabilité, l'a fait évoluer. Nous proposons de faire sauter certains verrous : simplification des AME et AME offensifs, remontée des seuils sociaux, renforcement de la participation dans les PME. Des mesures fortes et constructives, sur l'accès au marché du travail, la compétitivité des entreprises, la simplification de la vie des entreprises, leur pérennité. Les Français sont las des faux-semblants, ils l'ont dit dans les urnes. Bruxelles nous presse. (M. Pierre-Yves Collombat lève les bras au ciel) Le groupe UMP estime qu'il y a urgence à entamer la discussion sur ce texte, et votera donc contre cette motion. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Yannick Vaugrenard .  - Le groupe socialiste ne votera pas cette motion. Vous avez évoqué les acquis du CNR. « Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire », disait Jean Jaurès. J'ai posé des questions précises au cours de mon intervention dans la discussion générale, nous y reviendrons à propos de la discussion des articles.

Dérégulation libérale ? On ne peut pas dire cela, quand le texte s'attaque aux retraites chapeau...

M. Jean Desessard.  - C'est vrai !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Chapeau !

M. Yannick Vaugrenard.  - Idem quand on remet sur le tapis les situations acquises des notaires parisiens... qu'il faut distinguer des notaires de province.

Sur le travail dominical, regardez les compensations. En zone touristique internationale, les salaires seront doublés, les transports étudiés, les enfants gardés : ce n'est pas de la dérégulation !

M. Michel Le Scouarnec.  - Ni une vie de famille !

M. Yannick Vaugrenard.  - Avec le principe, « Pas d'accord, pas d'ouverture », on ne peut parler de dérégulation : c'est le dialogue social qui prime. (Protestations sur les bancs CRC)

Les générations à venir risquent de vivre moins bien que les générations actuelles - c'est inédit. Il est donc urgent de réformer, dans la justice sociale. Il n'est plus urgent d'attendre, il est urgent d'agir, les Français nous le réclament, à 60 % ou 70 %. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Olivier Cadic .  - Votre argumentaire dénonce les vieux poncifs du libéralisme du XIXe siècle. N'étant pas né à cette époque, je suis allé me renseigner sur internet. On lit sur Wikipédia : « Le libéralisme prône la liberté d'expression des individus dans le domaine économique, l'initiative privée, la libre concurrence et son corollaire, l'économie de marché. Dans le domaine politique, il plaide pour que les pouvoirs soient encadrés par la loi librement débattue ». Moi, je trouve ça furieusement tendance ! (Exclamations sur les bancs CRC)

« La liberté, c'est la liberté de dire aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre », disait Orwell. Telle est notre liberté, c'est donc ce que nous ferons. (Vives exclamations sur les bancs CRC)

Mme Éliane Assassi.  - Si vous voulez parler philosophie, nous sommes partants !

Mme Cécile Cukierman.  - Et notre liberté ? Vous confondez liberté d'expression et libéralisme !

À la demande du groupe CRC, la motion n°1693 est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°119 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l'adoption   20
Contre 311

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale.  - En application de l'article 49, alinéa 2, du Règlement, je vous demande, pour éviter les longs tunnels de discussions communes, et pour rendre celles-ci plus intelligibles, la disjonction de discussion commune des amendements récrivant l'article, dans un souci de lisibilité. Il s'agit des amendements nos : 1552 à l'article 11, 1664 à l'article 12, 1618 à l'article 13 bis, 1619 à l'article 14, 1622 à l'article 16, 1625 à l'article 17 bis, 1617 à l'article 19, 1620 à l'article 20, 1630 à l'article 21, 1561 à l'article 26, 1645 et 604 à l'article 33 septies C, 1589 à l'article 40 bis A, 1585 à l'article 66, 1586 à l'article 67, 259 à l'article 70, 707 à l'article 75, 124, 709, 712 et 892 à l'article 80, 1651 à l'article 83.

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Avis favorable.

Il en est ainsi décidé.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale.  - Je rappelle aux membres de la commission que nous nous réunissons à 9 h 30 pour poursuivre l'examen des amendements.

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 8 avril 2015, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit quarante-cinq.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques