Lutte contre le terrorisme (Conclusions de la CMP - Suite)

M. Jean-Patrick Courtois .  - Quelle satisfaction qu'un large consensus permette l'adoption de ce texte indispensable. Nous avons été nombreux à dire l'importance de la création de l'incrimination d'entreprise terroriste individuelle. L'affaire Merah a tragiquement ouvert l'ère des « loups solitaires ». Il n'est pas moins nécessaire d'interdire à certains de sortir du territoire ou d'y entrer, en cas de menace terroriste. Cette dernière mesure s'inspire d'ailleurs de la résolution du 24 septembre 2014 des Nations Unies. Impossible, selon le droit actuel, d'expulser des personnes qui ne résident pas de façon permanente en France.

Internet fait partie de la stratégie de plusieurs groupes terroristes. La décision d'inscrire la provocation au terrorisme sur internet dans le code pénal et d'aggraver les sanctions dans ce cas sont une bonne chose. Mais il faudra poursuivre la réflexion sur l'adaptation de la loi de 1881.

Je regrette que le Gouvernement n'ait pas une position plus claire sur l'encellulement des personnes condamnées pour terrorisme ; la lutte contre le prosélytisme en prison est urgente, comme le montre un rapport sénatorial. Rien non plus sur la fraude aux prestations sociales, qui impliquent des devoirs envers la France.

Sans surprise, le groupe UMP votera ce texte issu d'un consensus général. Ce ne fut pas toujours le cas en la matière, sous les précédentes législatures. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Pierre Sueur .  - Le contexte international et national et l'actualité tragique justifient, hélas, ce projet de loi. La commission des lois eût la bonne idée de confier le rapport, conjointement, à MM. Hyest et Richard. Ils ont cherché un compromis clair et solide.

Le terrorisme, c'est la négation de la liberté, et d'abord de la liberté de vivre. Le Sénat est particulièrement attaché aux libertés. Il nous faut concilier leur défense et la lutte contre le terrorisme sans sacrifier ni l'une ni l'autre.

L'interdiction de sortie du territoire sera naturellement soumise au contrôle du juge administratif. Le Sénat a obtenu que l'échange contradictoire avec la personne concernée aura lieu dans un délai de huit jours, et non de quinze jours.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur.  - Ce n'est pas forcément une avancée !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Grâce au Sénat aussi, le juge aura quatre mois pour statuer.

Quant à l'apologie du terrorisme, les députés nous ont convaincus que la réponse ne pouvait pas être différente selon la nature du support. L'ensemble figurera donc dans le code pénal.

Les sites faisant l'apologie du terrorisme pourront désormais être bloqués. Le Sénat a lui-même proposé que la personnalité qualifiée désignée par la Cnil en soit issue -les députés ayant souhaité que ce ne soit pas un parlementaire. Il y a beaucoup d'autorités administratives indépendantes, peut-être trop : nous examinerons bientôt la proposition de loi de M. Gélard.

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Toujours est-il qu'il était inconcevable qu'une autorité administrative indépendante désignât une personnalité qui ne soit pas issue de son sein.

On lit sur les réseaux sociaux que ce texte serait une atteinte sans précédent aux libertés.

Mme Éliane Assassi.  - Eh oui !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Quitte à me prendre une nouvelle rafale de critiques, je le dirai : la première d'entre elles n'est-elle pas celle de vivre ?

Mme Éliane Assassi.  - Les électeurs le diront.

M. Jean-Pierre Sueur.  - En effet, nous sommes en démocratie ! Mais pouvons-nous nous résigner à ce qu'aucune loi ne s'applique à internet ? Sur internet, on pourrait tenir des propos racistes, antisémites, xénophobes, homophobes, porter atteinte à la vie privée et faire l'apologie du terrorisme !

Mme Éliane Assassi.  - Personne n'a dit cela ici. Ce n'est pas honnête.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je ne vous mets pas en cause mais j'ai la liberté de dire ici que je ne partage pas l'avis que je lis sur internet. Le législateur doit faire en sorte que les règles de droit s'appliquent partout. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Yves Leconte .  - J'ai émis des réserves en première lecture. Le compromis trouvé en CMP n'est pas parfait. Je dois cependant saluer le travail des rapporteurs, qui ont relayé les préoccupations du Sénat. Le débat a été utile.

Je veux exprimer des regrets sur l'article premier bis, qui crée une interdiction administrative de sortie du territoire : la nouvelle rédaction va très au-delà d'un simple parallélisme avec l'interdiction d'entrée sur le territoire puisqu'il évoque des menaces contre les intérêts fondamentaux de la société et les relations internationales de la France. J'attends des éclaircissements. La liberté de circulation dans l'espace Schengen doit être préservée, la convention de Genève sur le droit d'asile respectée.

J'ai été choqué d'entendre certains députés de droite proposer la déchéance de nationalité pour les personnes visées à l'article premier. Il s'agit, dans cet article, d'une interdiction administrative et préventive, pas d'une peine. C'est ainsi que l'on fait croire que cette loi est attentatoire aux libertés !

En outre, la nationalité, c'est binaire : on l'a ou on ne l'a pas. Si on est français, on doit être traité comme tous les autres Français ! Sinon, quel est le sens de l'intégration ? La loi autorise déjà à déchoir de la nationalité française des personnes qui l'auraient acquise et qui auraient ensuite été condamnés pour terrorisme.

La coopération européenne et internationale est indispensable. Le problème n'est pas propre à notre pays. Je voterai ce texte d'équilibre avec ces quelques réserves. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

Mme la présidente.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la CMP, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte, en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

ARTICLE 9

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2

Après le mot :

apologie, »

insérer les mots :

 , les mots : « huitième et neuvième » sont remplacés par les mots : « septième et huitième »

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État.  - Amendement de coordination.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Avis favorable.

Interventions sur l'ensemble

M. Stéphane Ravier .  - S'il n'est jamais trop tard pour bien faire, il n'est jamais trop tôt non plus... Ce projet de loi est bien tardif, et surtout bien en-deçà des dangers réels.

Rien sur le contrôle des frontières, les dérives du regroupement familial, le sans-frontiérisme bruxellois... (Protestations à gauche)

Vous voulez empêcher les apprentis terroristes de partir, c'est plutôt de revenir qu'il faudrait les empêcher ! Voulez-vous qu'ils recrutent en France de nouveaux adeptes ? Peut-on parler de compatriotes, à propos de gens qui combattent pour l'État islamique ?

Mme Éliane Assassi.  - Ils sont Français !

M. Stéphane Ravier.  - L'article 25 du code civil prévoit déjà la déchéance de la nationalité française en cas de condamnation pour des actes contraires aux intérêts supérieurs de la Nation. Cette disposition est réservée aux naturalisés de moins de dix ans. C'est pour le coup une distinction obsolète ! La faune mouvante de l'État islamique met à bas la notion même d'État étranger, il faudrait parler d'intérêt étranger. Ici encore, vous tremblez à l'idée de créer des apatrides.

Mme Éliane Assassi.  - Que faites-vous en refusant une carte nationale d'identité à des enfants ?

M. Stéphane Ravier.  - Eux-mêmes sont devenus des apatrides en s'enrôlant au service du djihad !

Enfin, ce texte ne traite pas du laxisme migratoire et de ses conséquences.

M. Roland Courteau.  - Amen !

Mme Esther Benbassa.  - C'est votre seul programme politique !

M. Stéphane Ravier.  - Dans nos quartiers, l'islamisme radical gagne du terrain : les codes vestimentaires ostentatoires, masculins et féminins, en témoignent.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Stéphane Ravier.  - Votre loi signifie votre impuissance. Avec David Rachline, nous nous abstiendrons.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Et pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce texte !

Mme Nathalie Goulet .  - Le législateur français porterait atteinte aux libertés ? Même les Anglais, champions de l'habeas corpus, prennent ce type de mesures, vu les menaces. Internet est devenu un vecteur de promotion du djihad, et même une agence de voyage pour aider les volontaires à gagner les pays de djihad. Cela dit, le blocage des sites sera inefficace, j'en suis convaincue. Il faudra trouver d'autres moyens.

Une commission d'enquête vient d'être mise en place au Sénat. J'espère qu'elle aboutira à des compléments indispensables afin d'assortir la répression de mesures de prévention, d'assécher les financements et d'empêcher la radicalisation dans nos prisons comme dans nos quartiers.

Mme la présidente.  - Conformément à l'article 42, alinéa 12, du Règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l'amendement du Gouvernement.

Le projet de loi est définitivement adopté.

La séance, suspendue à 16 h 5, reprend à 16 h 10.