Encadrement des stages (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen d'une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires. C'est une demande du groupe socialiste.

Discussion générale

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Faire de la jeunesse une priorité, c'est d'abord agir pour la vie sociale et professionnelle des jeunes. Tel est l'objet des contrats de génération et des contrats d'avenir. Le nombre de jeunes demandeurs d'emploi baisse. Même si ce n'est pas encore satisfaisant, cela va dans le bon sens.

La question des stages s'est imposée dans le débat public, en raison de leur rôle dans le parcours d'insertion professionnelle des jeunes, mais aussi des abus auxquels ils donnent lieu. Chacun se souvient des jeunes stagiaires défilant derrière des masques blancs. Après des chartes peu contraignantes, l'encadrement des stages a été renforcé peu à peu, dès 2011, faisant de la réglementation française l'une des plus protectrices au niveau européen. Mais son élaboration au coup par coup la rendait parcellaire.

Il faut franchir une nouvelle étape pour construire un corps juridique cohérent. Cette proposition de loi regroupe toutes les dispositions concernant les stages et les recodifie dans une partie spécifique du code de l'éducation, commune aux enseignements secondaires et supérieurs,

Faire un stage est un atout dans un parcours de formation. Cette première expérience professionnelle est approuvée par les employeurs. Un stage améliore de 60 % les chances d'être recruté par rapport à un CV ne contenant aucune expérience comparable.

Seulement 3 % des étudiants effectuent un stage en première année de licence. C'est pourtant un moment crucial, pour infirmer ou confirmer une orientation professionnelle.

Cette proposition de loi précise les missions des établissements d'enseignement qui accompagnent les étudiants dans leur recherche de stages. L'université, le lycée et les écoles doivent se saisir de cette question.

Un stage doit obligatoirement s'accompagner d'un volume de formation, que le Gouvernement propose de fixer à 200 heures annuelles. Puisqu'il est un temps de formation, il doit bénéficier d'un double suivi, par un enseignant et par un responsable de l'établissement d'accueil. La convention de stage n'est pas un contrat de travail.

Ce texte a aussi pour objectif de lutter contre les abus. Dans certains secteurs, un taux plafond de stagiaires sera fixé par décret. Il a été fortement débattu à l'Assemblée nationale. Grâce à lui, nous aurons un encadrement de qualité des stagiaires dans l'entreprise.

Que les entreprises et les branches s'emparent de la question des stages, nous ne pouvons qu'y être favorables.

La validation par l'établissement d'enseignement d'un stage interrompu permettra de ne pas pénaliser indûment le stagiaire.

Ce texte aura-t-il pour effet de réduire l'offre de stages ? L'indemnité maximale de stage de 436 euros par mois n'a pas diminué l'offre globale de stages, bien au contraire. Le Conseil économique, social et environnemental évalue le nombre de stagiaires à 1,6 million en 2012 pour 600 000 en 2006. Je vous invite à aborder ce débat avec sérénité et pragmatisme, dans le seul intérêt des jeunes.

Ce texte est-il stressant pour les entreprises ? Il est dans l'intérêt des entreprises elles-mêmes, des organismes publics et des associations qui sont également concernées. Elles ont besoin d'un cadre. Quelle image donnons-nous aux jeunes du monde du travail, avec lequel ils entrent en contact via un stage ? Revenons à la réalité des chiffres : la fuite des cerveaux est deux fois moindre en France qu'en Allemagne, trois fois moindre qu'au Royaume-Uni. Il n'empêche, il faut agir.

Une grande majorité des employeurs sont favorables à ce texte. Je salue le travail de grande qualité fourni par votre rapporteur Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean Desessard.  - Bravo.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État.  - Ce texte transmet un message de confiance et de responsabilité partagées au service d'une priorité : l'emploi des jeunes. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - En février 2007, je présentais au Sénat la proposition de loi visant à organiser le recours aux stages, que j'avais déposée en mai 2006. Je garde en mémoire ce débat et les interrogations alors soulevées sur tous les bancs. La question était nouvelle. Le collectif Génération précaire est né en septembre 2005. En mars 2006, les premières règles furent posées, avec la gratification obligatoire des stages de plus de trois mois. La reconnaissance de ce phénomène a donné lieu à la sédimentation progressive de couches législatives et réglementaires, si bien que beaucoup d'acteurs concernés ont éprouvé des difficultés à appréhender le droit en vigueur.

Ce texte ne remet nullement en cause l'Accord national interprofessionnel de juin 2011, signé par les partenaires sociaux unanimes, ni la loi qui fixe une durée maximale de six mois par stage. La convention de stage formalise la relation entre le stagiaire, l'établissement d'accueil et l'établissement d'enseignement. Évidence pour nous, qui ne l'est pas dans le reste de l'Europe.

Cette proposition de loi poursuit le travail engagé par la loi ESR l'an dernier et concrétise l'engagement n°39 du président de la République. En 2012, le Conseil économique, social et environnemental estimait à 1,6 million le nombre de stagiaires. La gratification obligatoire n'a pas empêché les stages de croître et d'embellir, comme vous l'avez souligné, madame la ministre.

Ce texte responsabilise les établissements d'enseignement supérieur, dont l'implication se limite trop souvent à la signature d'une convention-type. Pour la première fois, les missions de ces établissements sont énumérées dans la loi, afin de réaffirmer le rôle de formation dévolu au stage. Est en outre fixé le champ des dérogations à la durée maximale de six mois. Il est facile d'imaginer qu'un stage d'un an vise à économiser un salarié. Une convention de stage n'est pas un contrat de travail, à l'heure du pacte de responsabilité, il importe de le rappeler.

Le stagiaire bénéficie de droits, comme au ticket restaurant. Tous ceux qui ont un comportement vertueux à l'égard de leurs stagiaires devraient s'en réjouir.

Néanmoins, le diable se cache dans les détails. Ce texte renvoie à plusieurs reprises au pouvoir réglementaire, ce qui est légitime jusqu'à un certain point, pourvu que l'on n'aille pas ainsi contre l'esprit de la proposition de loi. Il est acquis que les plus petites entreprises seront traitées différemment des grands groupes. J'attire l'attention du Gouvernement sur les craintes des maisons familiales rurales, qui offrent des stages à des jeunes en grande difficulté.

Au-delà d'amendements rédactionnels ou de coordination juridique, la commission a limité le temps de travail des stagiaires à la durée légale hebdomadaire de 35 heures. Je ne crois pas aux discours prétendant que ce texte aboutira à tarir l'offre de stages. Il s'agit plutôt de garantir une offre de stages de qualité.

Le président de la République a dit récemment que le pacte de responsabilité doit s'accompagner d'un pacte de solidarité. Ce texte en porte témoignage. La précarité est le lot commun des stagiaires, cette génération d'affamés qui n'a connu que la crise. À l'heure où la jeunesse doute et se sent déclassée par rapport à ses parents, il aurait fallu débattre de la gratification trop faible des stages. J'ai déposé à titre personnel deux amendements pour la porter de 12,5 % à 15 % du plafond de la sécurité sociale et pour la rendre obligatoire pour tous les stages de l'enseignement supérieur de plus d'un mois.

Les droits accordés aux stagiaires doivent être effectifs. Il importe que le Parlement adopte cette proposition de loi dans les meilleurs délais, afin qu'elle s'applique dès la prochaine rentrée. (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Catherine Procaccia .  - Malgré l'enthousiasme déclenché par ce texte sur certains bancs à l'Assemblée nationale, nous avons du mal à comprendre les avancées que cette proposition de loi est censée apporter. Merci, madame la ministre, d'avoir rappelé que l'encadrement des stages a été réalisé en 2006 - c'était la droite -, puis en 2009 - c'était encore la droite. Je suis fière d'avoir fait voter l'extension de l'accueil de stagiaires aux assemblées parlementaires. Une page internet y est consacrée depuis peu sur le site du Sénat.

Le cadre juridique en vigueur est déjà protecteur. Alors, pourquoi un nouveau texte ? Il y a des abus ? Ils sont isolés et des sanctions sont prononcées par les tribunaux. J'avais sollicité du précédent gouvernement une procédure simplifiée pour que les stagiaires saisissent l'inspection du travail. Je propose un portail internet, conforme à la logique d'open data.

La numérisation des publications professionnelles, madame la ministre, ne doit pas faire oublier le guide des stages. Celui qui est en ligne date de 2010 ! À bon entendeur.

La conformité du stage aux objectifs de formation doit être vérifiée par les établissements d'enseignement pour éviter les stages « photocopieuse ». Les collectivités devraient davantage s'investir dans le contrôle des stages, y compris pendant les mois d'été.

Il s'agit d'intensifier les contrôles à droit constant, plutôt que de créer des obligations supplémentaires. Les vilains petits canards trouvent toujours les moyens de contourner les règles.

L'unique préoccupation du groupe UMP est de développer l'offre de stages. Le stagiaire n'est pas un salarié. Il vit un moment de formation privilégiée. Il fera valoir, lors de la recherche d'emploi, une expérience précieuse.

Le mieux est parfois l'ennemi du bien. En 2009, je présidais la commission spéciale créée pour la loi sur la formation professionnelle. Des milliers d'étudiants ont vu leur stage annulé, parce que des universités - et certaines entreprises aussi - refusaient de signer les conventions en attendant les décrets d'application de la loi. Gare aux effets des bonnes intentions !

Votre proposition de loi ne prévoit que des décrets... Les grandes écoles ont fait part de leur incompréhension face à la stricte limitation des stages à six mois, certaines universités pratiquent l'année de césure, notamment à l'international. Et pourquoi donc une loi si tout doit être précisé par décret ? Étrange conception de notre rôle législatif ! D'autant que la multiplication des formalités aura des conséquences catastrophiques sur les stages courts. Pourquoi proclamer son attachement à la négociation sociale et ne pas laisser jouer les accords de branche ? Le Gouvernement ne nous a pas entendus sur les emplois d'avenir et les contrats de génération : il a dû faire marche arrière... Écoutez-nous, madame la ministre, nos amendements sont dans l'intérêt des stagiaires.

Je salue le travail et l'écoute de Jean-Pierre Godefroy, dont l'implication sur ce dossier est plus ancienne que la mienne. J'aurais aimé réfléchir avec lui à une proposition de loi sénatoriale, un texte transpartisan et dénué de démagogie. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Léonce Dupont .  - Les stages en entreprises sont un vecteur important de professionnalisation. S'il faut mieux protéger les stagiaires, il ne faut pas dissuader les entreprises d'en prendre. Le nombre de stagiaires a presque triplé en dix ans et 80 % des stages se déroulent dans de bonnes conditions. Des dispositions d'encadrement ont été adoptées, notamment à l'initiative des centristes ; justification obligatoire instaurée par Jean-Louis Borloo en 2006, création d'un délai de carence entre deux stages, prise en compte des stages de plus de deux mois dans le calcul des droits à retraite.

Ce texte risque de passer à côté de son objectif. Nous-mêmes recevons des dizaines de demandes de stages. Mettre en place un taux maximal de stagiaires par entreprise est une fausse bonne idée. Notre tissu économique est principalement constitué de petites entreprises. Les entreprises de moins de dix salariés ne doivent pas être concernées par ce texte.

De même, limiter à six mois la durée de stage interdira les années de césure. C'est absurde. Et, Mme Férat ne me démentira pas, l'enseignement agricole appelle des stages longs.

Prenons garde à ne pas faire glisser le statut du stagiaire vers celui de salarié. Confier le contrôle aux inspecteurs du travail, plutôt qu'aux autorités académiques, est un mauvais signal en ce sens.

La prévention des abus repose sur la responsabilité conjointe de l'ensemble des signataires de la convention de stage, au premier rang desquels les établissements de formation, non sur les seules entreprises.

Dans cette loi, vous multipliez les exigences : le stagiaire devra avoir un tuteur et un référent, bénéficier d'un volume minimal d'heures pédagogiques, être inscrit au registre unique du personnel. On est loin du choc de simplification !

Nous proposons davantage de souplesse et que la détermination des horaires relève de la convention de stage. En revanche, que la loi interdise les stages effectués après un cursus universitaire, afin de conserver leur nature formatrice. Veillons à l'inverse à ce que certains jeunes ne soient pas privés de diplômes faute d'avoir trouvé un stage.

Je le dis à mon tour : le mieux est souvent l'ennemi du bien. L'efficacité doit primer sur les bonnes intentions. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Laurence Cohen .  - Le groupe CRC partage avec notre rapporteur et les auteurs de cette proposition de loi la conviction que la loi doit apporter une réponse globale, face aux abus qui rendent les étudiants captifs. Certes, ces abus ne sont pas la règle. Mais les retours des collectifs et associations de stagiaires sont de plus en plus négatifs. Nul doute qu'il y ait besoin de légiférer.

La vocation pédagogique est réaffirmée. Tout harcèlement est condamné. La protection des droits des stagiaires est renforcée. Notre rapporteur a de plus limité la durée hebdomadaire à 35 heures : ses amendements en commission s'inscrivent dans la continuité de sa proposition de loi de 2006, cela l'honore.

Cependant, la présente proposition de loi est sur plusieurs points moins ambitieuse, ce que nous déplorons. Ainsi, elle ne précise pas clairement le nombre de stagiaires qu'une entreprise peut accueillir, ni que la durée d'enseignement doit être supérieure à la durée de stage. Selon la rédaction actuelle de ce texte, les stagiaires qui ne reçoivent pas de gratification n'auront droit ni au ticket restaurant ni à l'aide aux transports. Autant dire que les plus précaires des précaires auront moins.

Autre point, nos collègues députés du GDR ont fait adopter un amendement accélérant la procédure mais nous considérons qu'il faut préciser le cadre concret de la requalification du stage en contrat de travail pour ne pas la rendre aléatoire : l'article R.136-32 était plus protecteur.

Monsieur le rapporteur, ce texte n'est qu'une concrétisation partielle de l'engagement n°39 du président de la République, là où votre proposition de loi en était une réalisation totale.

Comme à son habitude, le groupe CRC soutiendra les mesures positives en critiquant ce qui doit l'être et en étant une force de proposition. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. Gilbert Barbier .  - En ces temps de chômage structurel des jeunes, l'encadrement des stages est une préoccupation légitime. Si ce texte apporte des simplifications bienvenues, il faut craindre une diminution de l'offre de stages, lesquels sont de plus en plus exigés pour obtenir un diplôme. On en demande toujours plus aux stagiaires : une formation universitaire solide, la maîtrise de plusieurs langues... Dans cette situation, faut-il vraiment aller plus loin ?

La durée maximale de stage ne se justifie pas quand le stage se fait en alternance, l'extension de la gratification obligatoire tarira les offres. Qu'en sera-t-il des 500 heures de stages requises pour devenir psychologue, des deux ans qu'il faut accumuler pour être nommé commissaire-priseur ? Appliquer aveuglément un taux uniforme de stagiaires crée un climat de soupçon envers les entreprises à l'heure du pacte de responsabilité. Idem pour le contrôle par l'inspection du travail. D'ailleurs, les étudiants apprécient les stages très formateurs proches d'un emploi. Faut-il rappeler qu'un stage sur cinq débouche sur la signature d'un contrat de travail ?

Nous voulons tous lutter contre les abus et réduire le chômage des jeunes. Toutefois, ce texte aura des effets pervers qu'il faut corriger. J'espère être entendu. (Applaudissements au centre)

M. Jean Desessard .  - « Développement, encadrement des stages et amélioration du statut des stagiaires », quels beaux objectifs ! De quoi s'agit-il ? De réaffirmer qu'un stage n'est pas un emploi mais une étape dans le parcours de formation. Selon le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq), 6,25 % des stagiaires seraient des salariés déguisés. Je vous invite à consulter les sites qui publient des offres ressemblant, mot pour mot, à une offre d'emploi.

Évidemment, à cet âge, on est jeune, créatif, dynamique, on a envie de montrer ce dont on est capable ! Pour autant, tous ici sommes d'accord pour dire que le stage n'est pas un emploi ; c'est bien un temps de formation.

Ce texte vise à mieux protéger les stagiaires. Pour nous, le volume minimal de formation doit être fixé dans le texte : 200 heures. Même chose pour le nombre de stagiaires par référent : 25 au plus.

Le groupe écologiste votera ce texte équilibré...en rappelant qu'il soutient depuis longtemps une allocation universelle étudiante...

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.  - Je vous suis !

M. Jean Desessard.  - ... et que l'effort doit être fait pour faciliter l'accès des jeunes au premier emploi.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.  - L'amendement n°59 de M. Revet, qui récrit l'article premier, est en discussion commune avec une centaine d'amendements. Je demande que son examen soit disjoint en application de l'article 49-2 de notre Règlement.

Il en est ainsi décidé.