Débat sur l'avenir de la production d'énergie

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la production énergétique en France : avenir de la filière du nucléaire et nouvelles filières de production d'énergie, à la demande du groupe RDSE.

Rappel au Règlement

M. Ladislas Poniatowski .  - Compte tenu de l'organisation des débats, l'opposition ne pourra s'exprimer, surtout si le ministre profite de sa liberté de s'exprimer quand il le souhaite... (M. Alain Vidalies, ministre, s'en défend) Quel exemple donnons-nous ? Le Sénat a fait l'objet d'articles plutôt désagréables ces dernières semaines. À moins que les orateurs de la majorité n'acceptent de nous faire place ?

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Nous nous sommes trouvés dans la même situation. L'ordre du jour des niches est fixé librement par les groupes. Quant à l'ordre des tours de parole, il est fixé par une règle qui s'applique à tous. Le groupe UMP parlera quand ce débat sera réinscrit à l'ordre du jour, lors d'une prochaine niche.

Le président Bel va réunir les membres du Bureau et de la Conférence des présidents pour réfléchir à une évolution des règles.

M. Jean Bizet.  - Ce débat est tronqué !

M. Jacques Mézard.  - Je comprends parfaitement les observations de M. Poniatowski ; je ne crois pas que nous ayons de grandes divergences de vues sur l'énergie avec l'UMP.

Pour sa part, le groupe RDSE est prêt à renoncer à son intervention en troisième position, il ne peut pas faire plus. Ce matin, on a appris que Fessenheim serait fermée en 2016, ce débat tombe à pic.

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Philippe Martin, retenu à l'Assemblée nationale. J'en avais averti à l'avance le Sénat. Quant à l'organisation de vos travaux, le Gouvernement n'y peut rien : il sera lui-même privé de la possibilité de s'exprimer faute de temps mais l'aurait-il eue, qu'il ne l'aurait pas utilisée...

Orateurs inscrits

M. Stéphane Mazars, au nom du groupe RDSE .  - Mon groupe veille à susciter, à chaque fois qu'il le peut, un débat sur la production énergétique en France. C'est la troisième fois en un an.

Parce que l'énergie participe au bien-être des citoyens, la question ne peut être laissée aux seuls experts. Chacun a conscience de la raréfaction des ressources, notre facture énergétique s'élève à 70 milliards d'euros, soit le montant de notre déficit extérieur. Les trois quarts sont dus aux énergies fossiles. Nous devons tendre à un nouveau modèle plus économe, après les travaux du Groupe international d'experts sur le climat (GIEC). Dans ces circonstances, assurer notre souveraineté énergétique est plus que jamais nécessaire, en s'appuyant sur les deux filières du nucléaire et des énergies renouvelables (EnR) - la transition énergétique, voilà l'enjeu.

Ce qui est certain est que nous ne pouvons pas nous priver de l'avantage compétitif de l'énergie nucléaire. Nous devons le préserver pour nos entreprises et par respect de nos engagements de baisse de réduction des gaz à effet de serre.

Globalement, nous avons respecté le paquet énergie-climat qui fixe pour objectifs en 2020 : 20 % de réduction d'émission de gaz à effet de serre, 20 % d'EnR et 20 % d'économies d'énergies.

La Cour des comptes montre toutefois, dans un récent rapport, que nous n'atteindrons pas l'objectif en 2020. La part des EnR est passée de 9,6 % en 2005 à 13,1 % en 2012. Et les magistrats de proposer des pistes.

Dans les futures décisions et lors du prochain projet de loi sur la transition énergétique, veillons à ne pas répéter les erreurs du passé. Je pense, en particulier, à la politique tarifaire incohérente sur le photovoltaïque.

Dans cette transition, les collectivités territoriales sont les mieux à même de monter des projets opérationnels, au plus près du terrain, en liant traitement des déchets et réseaux de chaleur. Comment faire ? Les normes ont un rôle à jouer, dans le secteur du bâtiment. Le retard pris dans la publication de certains décrets est inacceptable. Autres outils, la tarification - inspirons-nous de l'exemple allemand sur le mix énergétique - et la fiscalité - sur le prix du gazole ou encore sur le photovoltaïque où la politique a été malheureusement erratique.

Le chantier de la transition énergétique est majeur ; nous devons faire preuve de volontarisme. Le débat national sur la transition énergétique a eu le mérite de dégager un consensus ; la préparation de la prochaine Conférence internationale sur le climat en 2015 à Paris doit être une occasion à saisir pour faire de la France un pays exemplaire. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

Mme Cécile Cukierman .  - Je vous prie d'excuser l'absence de Mme Mireille Schurch, qui a dû nous quitter.

Sur ce débat, il n'est pas inutile de clarifier la position de chacun. En 2011, le Sénat de gauche votait une proposition de résolution proposée par le groupe CRC. Celle-ci affirmait que « les activités de production, de transport et de commercialisation doivent être entièrement publiques et placées sous l'autorité d'un pôle public associant tous les acteurs ». Trois ans après, rien n'a été fait pour abroger les lois de dérégulation prises auparavant.

Parler de la production énergétique, c'est aussi parler des réseaux de transport ou encore de distribution.

C'est surtout dire que l'énergie n'est pas un bien comme les autres ; le mythe de la concurrence libre et non faussée a fait long feu. Compte tenu des travaux du GIEC sur le réchauffement climatique, nous ne pouvons pas nous passer d'un nucléaire sécurisé ; l'électricité produite par les EnR ne lui est pas substituable, en raison des difficultés de stockage. L'hydraulique joue un rôle important, nous nous élevons contre l'ouverture à la concurrence pour les concessions hydrauliques. Développons une filière technique pour le photovoltaïque et l'éolien au lieu d'importer des panneaux de Chine, ce qui ne diminue pas nos émissions de gaz à effet de serre. Cela créera des emplois.

Si nous ne pouvons pas nous passer de l'énergie nucléaire, elle comporte des risques incommensurables : l'accident et les déchets. Renforçons la sécurité et la participation du public.

Il nous faut donc changer de cap pour élaborer un vrai projet national et européen sur l'énergie, un projet politique et non comptable au service des peuples et non des marchés.

M. Roland Courteau .  - Lors du dernier congrès mondial sur l'énergie, un expert estimait que le monde devait investir 30 000 milliards d'euros en vingt ans pour subvenir aux besoins énergétiques d'une population en expansion. L'Ademe estimait que la transition énergétique pourrait créer 825 000 emplois d'ici 2050. Les retombées économiques seront au rendez-vous. La France a des atouts : de grandes entreprises, un territoire relativement vaste, des ressources naturelles appréciables en ce qui concerne la biomasse et les énergies marines. Pour en tirer parti, il faut faire en sorte que le tissu d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) bénéficie de relations équitables avec les grands groupes et puisse s'appuyer sur une stratégie nationale.

Dans ce secteur dont le marché ne peut assurer à lui seul la régulation, l'État doit impulser, mettre en place des coopérations. Ces dernières, limitées sur le nucléaire avec l'Allemagne, sont plus prometteuses pour les EnR.

La cause serait perdue pour le photovoltaïque, à cause de la division du travail international, qui verrait l'Europe confinée à l'installation des panneaux tandis que l'Asie fournirait les modules. Je ne le crois pas : des projets sont à faire sur les panneaux, Thomson annonce un futur module composé à 95 % de composants européens. Nous y gagnerions en souveraineté énergétique et en emplois.

L'électricité nucléaire pas plus que les EnR ne peuvent répondre à elles seules aux besoins. La réponse idéale passe par le stockage.

Les stations de pompage n'ont pas trouvé leur modèle, mais a-t-on exploré toutes les pistes ?

La France dispose du potentiel technologique pour créer une filière de l'hydrogène, l'OPECST l'a rappelé dans un récent rapport.

L'Allemagne et la Corée l'exploitent : la première expérimente la méthanation, à ne pas confondre avec la méthanisation.

Les filières d'EnR ne se développeront que si elles disposent d'un encadrement adéquat. Or le cadre réglementaire est perçu comme trop instable. L'accompagnement doit donc faire l'objet d'une attention particulière.

Les entreprises allemandes bénéficient de conditions favorables de refinancement par la banque KfW. Faisons de même : la BPI doit devenir la banque de la transition énergétique.

Pour finir, le président de la République a parlé d'« Airbus de la transition énergétique ». Prenons cette expression au sens littéral : l'Airbus devra lui aussi faire sa transition et peut-être, un jour, voler avec du carburant provenant à 100 % d'éléments renouvelables. C'est cela aussi la transition énergétique : réussir à faire évoluer l'existant ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Ladislas Poniatowski .  - Merci à Jacques Mézard, et tout particulièrement à Jean-Claude Requier : il se trouve que nous séchons tous les deux une réunion de la FNCCR ce matin.

On se perd souvent dans les dédales techniques pour oublier le seul impératif qui vaille : réduire notre consommation d'énergies fossiles. Sans anticiper sur la proposition de résolution que le groupe UMP défendra le 26 février, abordons la question essentielle : quel mix énergétique ? Difficile d'y répondre en une heure.

Les EnR forment un ensemble de production très disparate : certaines sont coûteuses, d'autres non ; certaines émettent des gaz à effet de serre, d'autres moins. Commençons par le biogaz : il ne doit pas concurrencer les biocarburants. Surtout, il émet de nombreux polluants. Pour mémoire, il représente 1 % de notre production pour 6 TWh.

La géothermie a connu des progrès significatifs et pourrait être développée notamment en Alsace et en région parisienne. Mais les forages profonds, les plus efficaces, sont coûteux et provoquent des risques sismiques.

L'éolien et le solaire, eux, sont renouvelables mais coûteux : entre 6 et 12,5 centimes par KWh pour le premier, entre 12 et 25 centimes pour le second.

Cela dit, ces énergies sont intéressantes car le potentiel est énorme et les nouvelles technologies réduisent les coûts. Mais pour produire 15 % d'électricité d'origine éolienne, il faudrait installer 20 000 éoliennes sur le territoire. Les Français y sont-ils prêts ?

Que reste-t-il ? Le nucléaire. J'entends les arguments contre ; à moyen terme, c'est pourtant une nécessité. Ceux qui font fi du coût réduit de l'énergie nucléaire, des emplois qu'elle crée, de son incidence positive sur notre balance commerciale et de son rôle de vitrine technologique se trompent. Le président de la République, pour paraître écolo-compatible et peut-être faire plaisir à un voisin, a annoncé la fermeture de Fessenheim en 2016. Vous l'avez compris, le groupe UMP y est hostile. Cette décision appartient aux experts, comme l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), non aux politiques. Faisons-leur confiance ! Quant à réduire la part du nucléaire de 75 à 50 % d'ici 2030, nous y sommes encore plus hostiles : c'est technologiquement et économiquement impossible. Les Français ne veulent pas voir doubler leur facture d'électricité.

Ne renonçons pas au nucléaire, pas plus qu'aux EnR. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Ronan Dantec .  - Merci aux collègues encore présents pour ce débat.

M. Jean Bizet.  - Il n'y a pas de débat !

M. Ronan Dantec.  - Les écologistes se réjouissent toujours de discuter d'énergie. Nous soutenons les objectifs fixés par le président de la République, nous allons enfin sortir du tout nucléaire, de cette absurdité économique et écologique manifeste. Le prix du MWh de l'EPR installé en Angleterre sera de 100 euros contre 80 euros pour l'éolien terrestre, et 90 euros pour le photovoltaïque. Et je ne dis rien du MWh de Flamanville dont le coût du chantier est passé de 3 à 8,5 milliards, et ce n'est pas fini, pas plus qu'en Finlande !

Le nucléaire concentre encore la majeure partie des crédits destinés à la recherche sur les énergies, autant de retard pris pour les EnR. Finissons-en avec le leurre de cette énergie à bas coût pour remettre en ordre nos investissements et les diriger vers les EnR comme le font les Allemands.

Je ne reviens pas sur le gaz de schiste, le président d'Exxon a dit qu'il y laissait sa chemise et les Polonais déchantent.

Nous attendons avec impatience des précisions sur le futur géant franco-allemand de la transition énergétique : dans quel domaine ? Le photovoltaïque.

Dans le débat...

M. Jean Bizet.  - Il n'y en a pas !

M. Ronan Dantec.  - ... l'hydrogène mérite qu'on s'y arrête. Il est l'un des rares sujets qui peut faire consensus entre nous. Développons cette filière. Hier, l'Europe a présenté le paquet climat-énergie pour 2030 ; il est décevant.

Que la France relève ces ambitions et devienne exemplaire dans la perspective de la Conférence internationale sur l'environnement de 2015 à Paris.

M. Jean-Claude Requier .  - Je renonce à intervenir pour laisser ma place à M. Deneux.

M. Marcel Deneux .  - Je regrette la mauvaise organisation de ce débat, si important pour l'avenir. La meilleure énergie est celle qu'on ne consomme pas. Disons-le et redisons-le, la pédagogie, c'est notre responsabilité politique.

Nous n'avons pas atteint nos objectifs sur l'éolien et le photovoltaïque en 2013, faisons un effort.

Le Gouvernement a bien fait de lancer un appel d'offres sur les compteurs intelligents. Trouvons pour chaque territoire le bon mix énergétique en fonction des sommes que nous pouvons lui consacrer. Pour l'heure, ne commettons pas l'erreur de l'Allemagne qu'on cite souvent en exemple : conservons le nucléaire, nous en avons besoin.

Le gaz de schiste ? La France a toujours une peur d'avance. Ce n'est pas digne de notre pays, ne nous privons pas de la possibilité de mener des recherches.

On annonce l'adoption d'une loi de programmation pour la transition énergétique d'ici la fin de l'année. Je doute que ce soit possible. Prenons le temps de négocier ce virage.

Rappel au Règlement

M. Jean Bizet .  - Je veux dénoncer ce débat tronqué. Il n'a échappé à personne que le groupe écologiste a allongé le débat sur la CRPC en déposant huit amendements avec, sans doute, la complicité de la commission des lois. C'est lamentable.

M. Ronan Dantec .  - Ces propos sont inacceptables et je ne sais ce que dit le Règlement du Sénat en pareil cas. Les amendements que Mme Lipietz avait déposés ont tous été adoptés, preuve qu'ils amélioraient le texte de la commission. Prétendre qu'en les défendant elle a voulu allonger le débat est absurde... et lamentable !

Commission spéciale (Démission et candidature)

M. le président.  - J'ai reçu avis de la démission de M. Philippe Adnot, comme membre de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

J'informe le Sénat que la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'elle propose pour siéger à la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, pour le remplacer.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du Règlement.

La séance est suspendue à 13 heures.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 15 heures.