Réforme de la dotation globale de fonctionnement

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la proposition de loi tendant au traitement équilibré des territoires par une réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) déposée par M. Le Cam et plusieurs de ses collègues du groupe CRC.

Discussion générale

M. Gérard Le Cam, auteur de la proposition de loi .  - Les paroles, c'est bien ; les actes, c'est mieux. J'entends louer les mérites de la commune rurale, on la caresse dans le sens du poil, on salue le dévouement de ses élus. Et pourtant, on ne fait rien. Pire, on s'apprête à leur faire les poches, puisque les concours de l'État aux collectivités territoriales vont diminuer de 4,5 milliards, et les communes en seront pour 70 %... Qu'il est difficile de faire bouger les choses ! La phrase de Laurent Fabius - la France ressemble à une voiture dont on ne pourrait que remplacer l'enjoliveur - reste d'actualité. Avec mon groupe, nous avons l'outrecuidance de vouloir faire bouger 890 millions d'euros sur cinq ans...

La commune rurale est bien difficile à définir. Pour l'Insee, le monde rural couvre 78 % du territoire et regroupe 22 % de la population. Pour la Datar, la campagne compte des communes de densité inférieure à 30 habitants par km². Mais la ruralité est aussi une richesse économique, un cadre de vie, une ressource pour le développement durable. Je vous renvoie à l'excellent rapport Nicoux-Bailly sur l'avenir des campagnes. Comment y maintenir l'activité pour éviter de les voir se transformer en désert, voire en réserve naturelle ? La valorisation des campagnes doit reposer sur leur potentiel économique et ce potentiel existe un peu partout. La repopulation des territoires ruraux l'indique. Rendons cet avenir fécond, comme nous y engage ce rapport, plutôt que d'appliquer une logique strictement comptable.

Or mondes urbain et rural ne sont pas logés à la même enseigne. Les charges de centralité qui pèsent sur le monde urbain ne justifient pas l'écart actuel entre les dotations moyennes par habitant. En huit ans, la population urbaine a augmenté de 4,6 %, mais de 9 % pour la population rurale. L'attractivité du monde rural n'est plus à démontrer ; encore faut-il qu'il ait les moyens de développer ses potentialités, aujourd'hui sous-exploitées.

Les charges de fonctionnement des communes rurales justifient un effort de rattrapage de la DGF. Comment feront les communes rurales pour financer la réforme des rythmes scolaires dont le coût est estimé à 150 euros par enfant ? Pour ma commune de 2 500 habitants, le coût total atteindrait 50 000 euros - à prendre sur son budget de fonctionnement. Autre dépense importante à venir : le très haut débit, avec un coût par connexion dans le monde rural de 2 000 euros, dont 450 à la charge des communes. Tout cela s'ajoute aux charges d'entretien des voiries où roulent toujours plus de camions et de grandes machines agricoles.

Dans le même temps, les services publics ferment, les communes doivent mettre la main à la poche pour maintenir un point de contact poste. Les commerces de proximité disparaissent, les médecins nous quittent. Ma commune a fait venir deux médecins roumains pour 15 000 euros : l'un est resté six mois, l'autre trois seulement. Notre population est vieillissante, ce qui induit encore des dépenses sociales élevées. Vous le voyez, entre charges nouvelles et ponction des ressources, l'équilibre n'y est plus.

La réforme que nous proposons coûtera 889,3 millions par an à partir de 2018, soit 0,1 % des prélèvements obligatoires ou 2 % du produit de l'impôt sur les sociétés. Ces comparaisons sont utiles pour relativiser les arguments de la commission des finances.

Notre réforme apporte en moyenne 9 617 euros aux communes de moins de 500 habitants, jusqu'à 56 916 euros aux communes dont la population est comprise entre 2 000 et 3 500 habitants. Les dotations supplémentaires financeront directement la voirie ou l'entretien du patrimoine, ce qui facilitera l'animation du tissu des PME locales.

On lit dans le rapport de la commission des finances que les petites communes font l'effort fiscal le plus faible. Faut-il comprendre que nous devons augmenter les impôts pour être mieux considérés ? Maire, je sais que nous n'avons pas eu d'autre choix que de faire le dos rond ces dernières années. Les plus petites communes sont celles qui ont le plus faible niveau de DGF par habitant.

Autre argument, l'hétérogénéité de la ruralité. Une chose est sûre ; les petits maires se sentent tous abandonnés - un sentiment déjà fortement exprimé lors des élections sénatoriales de 2008 dans mon département. Contre les communautaristes qui ne veulent entendre parler que de l'intercommunalité, contre ceux qui veulent la mort des communes, je me proclame communaliste ! Le Sénat doit adresser un signe fort, alors que l'association des maires ruraux se réunira dans deux jours. Des paroles, c'est bien ; des actes, c'est mieux. Vivent les communes ! Vive la ruralité ! (Applaudissements sur les bancs CRC ; M. Yvon Collin applaudit aussi)

M. Jean Germain, rapporteur de la commission des finances .  - Le texte vise à augmenter la dotation de base de toutes les communes rurales dont la population est inférieure à 20 000 habitants. Certaines d'entre elles connaissent de graves difficultés financières ; elles supportent ce que j'appellerai des charges de ruralité. Elles doivent assurer l'entretien de la voirie communale, des dépenses d'éducation qui représentent une part importante de leur budget, part que la réforme des rythmes scolaires va encore alourdir.

Les maires ruraux s'inquiètent de ne plus pouvoir mener des actions de proximité pour lesquelles ils ont été élus. Entendons-les.

La dotation de base est une composante de la dotation forfaitaire au sein de la DGF des communes ; elle représente 6,8 milliards en 2013, soit un quart de la DGF des communes. Son montant par habitant est d'autant plus important que la commune est peuplée -  64 euros pour les communes de moins de 500 habitants, 128 pour les communes de plus de 200 000 habitants. Ce montant est déterminé par un coefficient logarithmique dont la valeur varie de 1 à 2. Si l'on raisonne en masse, la moitié de la population habitant dans les communes les moins peuplées se partage 43 % de la dotation de base.

L'article premier de ce texte propose d'aligner en cinq ans la dotation de base des communes de moins de 20 000 habitants sur celle perçue par les communes de 20 000 habitants. Le montant minimum par habitant passerait ainsi de 64 à 104 euros. Cela représenterait un coût de 150 millions la première année, puis 889,3 millions à partir de 2018. Cela correspondrait ni plus ni moins à un doublement de la dotation de solidarité rurale (DSR), ou à la quote-part de l'effort demandé aux communes et intercommunalités dans le projet de loi de finances pour 2014. La réforme bénéficierait essentiellement aux communes de moins de 3 500 habitants. La mesure serait gagée par un relèvement à due concurrence de l'impôt sur les sociétés, ce qui n'est guère compatible avec notre politique de prélèvements obligatoires. Un financement par l'État ou les collectivités territoriales elles-mêmes est à exclure en ces temps de redressement de nos comptes publics. Ne remettons pas en cause le pacte de confiance et de responsabilité passé en juillet 2013.

Au-delà de la question du financement, la DSR et la dotation de superficie sont particulièrement favorables au monde rural et prennent en compte ses spécificités. Le montant de la DSR a augmenté de 130 % ces dix dernières années. Certes, son impact est faible à cause du saupoudrage : 95 % des communes en bénéficient - 97 % de celles ayant moins de 10 000 habitants ; la moitié des communes éligibles perçoivent 9 600 euros ou moins. Les 225 millions de dotation superficiaire sont répartis à 99 % entre les communes de moins de 20 000 habitants. Reconnaissons qu'il existe à côté des charges de ruralité, des charges de centralité - un coefficient de pondération a été introduit en 1985. Mais la proposition de loi ne résout pas la question des écarts en la matière.

J'ajoute que l'effort fiscal comme le potentiel financier sont très variables d'une commune rurale à l'autre. Si l'on veut parler de justice financière, reconnaissons surtout la grande diversité du monde rural, qui se partage entre communes touristiques, communes proches de grands pôles urbains et communes isolées. Une augmentation de la dotation de base comme le propose M. Le Cam bénéficierait à toutes les communes, qu'elles soient pauvres ou riches, que leurs habitants soient aisés ou en situation précaire. La proposition de loi ne serait ni juste, ni efficace.

Mieux vaut un effort ciblé pour répondre aux besoins des seules communes en difficulté et inscrire notre réflexion dans le cadre d'une réforme globale de la DGF. D'où notre motion tendant au renvoi en commission. Madame la ministre, quels seront l'ambition la méthode et le calendrier de la réforme globale que vous avez annoncée ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation .  - Ce débat est aussi bien financier que technique et philosophique. La DGF a été conçue quand le fait urbain triomphait. Et voilà que l'on voit émerger le fait rural. Il n'y a qu'à observer la multiplication des publications sur les nouvelles ruralités pour le savoir. Notre territoire doit être considéré dans sa globalité, dans sa diversité, dans ses dynamiques. L'exode rural appartient à notre passé ; retraités, jeunes aventuriers et actifs porteurs d'innovation viennent chercher à la campagne des modes de vie plus doux et plus sereins, tout en voulant le très haut débit et des services - coûteux - à la hauteur. Il serait inopportun de laisser ce monde à l'écart de la modernisation.

Je comprends donc les intentions des auteurs de la proposition de loi. Celle-ci pose cependant des problèmes qui sont d'abord techniques. La DGF se compose d'une dotation forfaitaire, laquelle comprend la dotation de base, la dotation de superficie, la garantie complémentaire, la correction née de la réforme de la taxe professionnelle et des parts spécifiques destinées aux communes ultramarines. Cette proposition de loi ne porte que sur la dotation de base, de sorte que toutes les communes de moins de 20 000 habitants verront celle-ci majorée.

Juridiquement, elle est inopérante car elle vise un article du CGCT relatif aux strates de population qui ne sont pas prises en compte pour la dotation de base mais pour les dotations de péréquation. Mais là n'est pas l'essentiel : elle méconnaît les charges de centralité qui pèsent sur les communes-centres et ignore la prise en compte des spécificités rurales dans la dotation de superficie et la DSR.

Pour nous, la mesure coûtera au total 1,7 milliard. En l'état actuel du droit, cela nous obligera à diminuer à due concurrence les autres composantes de la DGF. État et collectivités territoriales se sont engagés, par le Pacte de confiance et de responsabilité, à réduire à toute force la dépense publique.

Vous l'aurez compris : si je partage votre souci d'un traitement plus équitable des territoires, j'estime que cette proposition de loi est prématurée. J'en prends l'engagement : dès la fin des travaux sur la loi de finances pour 2014, mes services travailleront ce dossier afin de pouvoir très rapidement, avec le Comité des finances locales, les associations d'élus et les parlementaires, aboutir à une réforme globale de la DGF.

Fernand Braudel disait que « le présent ne saurait être cette ligne d'arrêt que tous les siècles, lourds d'éternelles tragédies, voient devant eux comme un obstacle mais que l'espérance des hommes ne cesse, depuis qu'il y a des hommes, de franchir ». Ensemble franchissons cette barrière pour réussir nos lendemains ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Charles Guené .  - Je salue l'initiative du groupe CRC : ce texte répond à une préoccupation légitime. La DGF doit en effet être rénovée. Sur un total de recettes, hors emprunt de 90 milliards, la DGF des communes atteint 16,5 milliards, et représente 35 % des concours de fonctionnement versés par l'État. Les chiffres sont à relativiser car ils ne distinguent pas les petites communes des autres. Dès 1951, on introduisait une part de péréquation pour les communes, renforcée en 1966. Après la loi du 3 juillet 1979 créant la DGF, on n'a eu de cesse de renforcer la péréquation jusqu'à la réforme globale de 2004. L'histoire de la DGF n'est pas un long fleuve tranquille : la sédimentation des mesures de correction a abouti à un système difficilement lisible et des situations iniques. Je conçois que l'indice logarithmique, qui majore le poids de la population au profit des collectivités qui ont les plus grandes charges de centralité, ne soit pas satisfaisant. La faille du système est qu'il ne tient pas suffisamment compte des besoins minimaux nécessaires à la vie dans les plus petites communes, où ces besoins se sont beaucoup accrus avec les exigences croissantes et souvent légitimes de nos concitoyens et le désengagement du service public.

En dépit de cela, je ne peux pas suivre nos collègues du CRC.

Premier argument, son coût rédhibitoire. Augmenter l'impôt sur les sociétés serait un poison pour notre économie. Ensuite, le contexte ne se prête guère à une modification après la lourde réforme de la taxe professionnelle et la nouvelle répartition des impôts locaux, l'application rigoureuse de l'article 72-2, le renforcement de la péréquation, notamment à travers la poussée de l'intercommunalité. Mesurons tous les effets de ces réformes, réfléchissons à de nouveaux indices synthétiques avant de réformer la DGF. Après avoir beaucoup hésité, le groupe UMP s'abstiendra mais, si le renvoi en commission était adopté, je veux dire à mes collègues du CRC que je serai à leurs côtés pour avancer sur ce dossier. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Vincent Delahaye .  - Si l'initiative de mes collègues communistes est généreuse et louable, l'enfer est pavé de bonnes intentions... (Marques d'ironie sur les bancs CRC)

Cette proposition de loi est-elle juste ? Je ne le crois pas : vous augmentez de manière aveugle la dotation de base de toutes les communes de moins de 20 000 habitants, riches ou pauvres, sans tenir compte des charges de centralité.

Cette proposition de loi est-elle responsable ? Non plus, quand on n'a jamais demandé autant d'efforts aux collectivités territoriales : 1,5 milliard de réduction de leurs concours. L'État ne s'impose pas une telle cure.

M. Roland du Luart, vice-président de la commission des finances.  - C'est vrai !

M. Vincent Delahaye.  - Des ressources en baisse mais des dépenses qui ne cessent de croître du fait des transferts de charges, de la réforme des rythmes scolaires, de la hausse des frais de personnel et des cotisations retraite, de l'augmentation à venir de la TVA...

Pour compenser, nos collègues prévoient de demander un effort supplémentaire aux entreprises... Je comprends que le Gouvernement ait du mal à s'exprimer sur le sujet, alors qu'il vient de renoncer à taxer l'excédent brut d'exploitation au profit d'une augmentation de l'impôt sur les sociétés de plus de 250 millions de chiffre d'affaires...

La mesure serait financée par un effort supplémentaire demandé aux entreprises. Ce n'est ni juste ni responsable.

Le groupe UDI-UC votera le renvoi en commission. La ministre s'est engagée à une réflexion globale sur les dotations, c'est une bonne chose, au vu du saupoudrage actuel. Et puis, ne confondons pas solidarité et assistanat. Il faut revoir la DGF dans son ensemble, y compris celle des intercommunalités, où l'écart va de 1 à 11 - 10 à 110 euros par habitant. Si l'incitation était au départ justifiée, il faut aller vers la mutualisation et en finir avec la course au coefficient d'intégration fiscal, qui n'est plus d'époque.

On pourrait partir du potentiel financier de la collectivité territoriale, corrigé des effets de la péréquation, et prendre pour deuxième critère le revenu moyen rapporté au loyer moyen, pour tenir compte du coût de la vie. Les critères seraient ainsi plus justes pour les intercommunalités. Le même travail doit être fait pour les communes, les départements et les régions. Ce sujet mérite que l'on se mobilise, mais nous ne pouvons pas adopter cette proposition de loi en l'état. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs socialistes)

Mme Marie-France Beaufils .  - Nombre d'élus des petites communes sont de véritables bénévoles au service du lien social. Ils oeuvrent pour qu'aucun habitant ne se sente oublié. Notre paysage communal est varié, et les élus sont à son image. C'est ce qui fait la richesse de la France.

La grande majorité de nos 36 000 communes comptent moins de 2 000 habitants. Ces dernières années ont été marquées par des évolutions démographiques majeures et les efforts accomplis en matière d'aménagement, dans les domaines social et scolaire n'y sont pas étrangers.

Or, chaque année, l'enveloppe normée se rétrécit, au nom de la maîtrise des déficits ou de la péréquation horizontale. Depuis vingt ans, la part de la DGF dans les recettes des collectivités territoriales ne cesse de se réduire.

De plus, ce sont les collectivités territoriales qui assurent la péréquation horizontale : l'augmentation de la DSR et de la DSU se répercute sur les autres dotations. Le pacte de confiance que vous invoquez ampute la dépense publique et les marges de manoeuvre des collectivités territoriales.

Nombre de communes rurales manquent du minimum vital pour répondre aux attentes de la population et doivent s'en tenir aux dépenses obligatoires. Nombre de maires sont découragés. Les charges de centralité doivent être prises sur d'autres dotations.

Nous voulons précisément assurer le minimum vital aux communes les moins dotées ; 9 000 euros, c'est un budget qui se boucle, un projet qui peut être engagé. On nous reproche de gager la dépense sur l'impôt sur les sociétés. Mais la hausse proposée ne nous mettrait qu'au douzième rang européen, avec un taux inférieur à celui de la Grande-Bretagne. Et le taux facial ne compte pas seul. Entre 2006 et 2013, la dépense fiscale engendrée par les cadeaux aux entreprises a triplé, passant de 16 à 51 milliards. Pour combien d'emplois créés ? Nous payons cher la prétendue exigence de compétitivité de notre économie. Cette hausse modeste du taux facial ouvrira le débat sur l'effort à demander aux entreprises.

C'est une mesure de justice et d'équité que nous proposons. Les élus, bâtisseurs de l'avenir, nous en seront reconnaissants. Elle peut être un levier pour l'investissement et contribuer ainsi, en retour, à alimenter le budget de l'État et de la protection sociale.

Nous avons toujours veillé à rejeter les motions sur les textes inscrits dans les ordres du jour réservés. Nous vous invitons à en faire de même aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Yvon Collin .  - Comment ne pas souscrire à l'objectif de ce texte ? Il s'agit d'assurer l'équilibre entre les territoires et de corriger les inégalités. Le RDSE ne peut que souscrire à cette cause, lui qui a fait adopter, le 13 décembre, une résolution relative au développement par l'État d'une politique d'égalité des territoires.

Les territoires ruraux sont les premières victimes de la fracture territoriale et la réforme de la taxe professionnelle a accru les inégalités, tandis que les collectivités territoriales devenaient de plus en plus dépendantes des dotations de l'État. La DGF prend mal en compte les inégalités. Certes, comme notre excellent collègue Jean Germain le souligne, le rural recouvre une grande diversité. Il y a la ruralité mais aussi l'hyper ruralité, chère à notre collègue de Lozère, Alain Bertrand. Les représentants des communes rurales, dont je suis, doivent faire face à des charges importantes : voirie, des dépenses scolaires mises à mal par la réforme des rythmes et j'en passe. La DSR ne produit pas tous les effets recherchés, à cause du saupoudrage. Quant à la péréquation horizontale, elle reste insuffisante pour asseoir l'équilibre entre les territoires.

Si donc nous partageons le souci de nos collègues du CRC, nous estimons que la solution qu'ils proposent ne répond pas à l'objectif. Il y faut une réforme globale de la DGF, pour viser simplicité et efficacité. Quelles sont les intentions du Gouvernement, selon quel calendrier, madame la ministre ? Nous sommes prêts à collaborer à cette réforme, nous serons vigilants.

Le CRC propose de financer les dispositions proposées par une augmentation substantielle de l'impôt sur les sociétés.

M. Gérard Le Cam.  - Minime !

M. Yvon Collin.  - Le moment est mal choisi pour alourdir la pression fiscale. Nous partageons donc le diagnostic, mais pas le remède. Notre groupe ne votera pas cette proposition de loi ; en revanche, il rejettera la motion de renvoi en commission, fidèle au principe qui veut que l'on ne présente pas de telles motions dans l'ordre du jour réservé. (« Très bien ! » sur les bancs CRC)

M. Jean-Vincent Placé .  - Nos concitoyens de la campagne se sentent les grands oubliés de la République et pourraient être tentés de se tourner vers le populisme. Je remercie donc le groupe CRC de son initiative. Les communes rurales se désertifient et se paupérisent - fuite de la population active, des services publics, des commerces de proximité. Dans l'Essonne - développement urbain au nord, mais rural au sud - bien des villes manquent de médecins. Tous les ans, j'interviens auprès des maires grâce à la réserve parlementaire, mais on ne peut continuer dans cette fuite en avant. La DGF est devenue illisible, opaque, inefficace. La réforme proposée par le CRC nous exhorte à débattre. L'écart de la dotation entre communes peut aller du simple au double. Ils proposent de le réduire, et de financer la mesure par l'impôt sur les sociétés. Certes, la DGF doit être réformée, mais il y faut une approche globale. Nous, écologistes, privilégions une réflexion sur le regroupement de communes, pour trouver des solutions dans le cadre d'un bassin de vie cohérent. À quoi servirait d'avoir une piscine dans chaque petite commune ?

Bien des compétences sont par essence communautaires. On le verra avec la loi Alur. De telles coopérations permettent des économies d'échelle qui amélioreront l'offre de service public. L'Internet favorisera l'installation d'entrepreneurs en zone rurale. Ne laissons pas les petites villes devenir les parents pauvres de la France.

Fidèles à notre triptyque intercommunalité, région, Europe, nous sommes plutôt favorables à l'achèvement de la carte de l'intercommunalité et nous en tiendrons à une abstention bienveillante, tout en repoussant, pour les mêmes raisons qu'a dites M. Collin, la motion de renvoi en commission. Veut-on ou non revaloriser le rôle du Parlement ? Commençons par respecter le travail et l'expertise des groupes.

M. Yannick Botrel .  - Cette proposition de loi suscite l'intérêt du Sénat, assemblée des collectivités territoriales dont bien des membres siègent au sein des conseils municipaux. La question de la DGF recouvre un double enjeu : accompagnement des collectivités mais aussi redressement des finances publiques de la France. L'économie demandée aux collectivités territoriales est de 1,5 milliard. Car l'endettement augmentera encore si rien n'est fait : nous ne le pouvons pas quand il représente déjà 95 % du PIB.

Les collectivités territoriales sont des acteurs essentiels de l'aménagement et de la solidarité et des donneurs d'ordre importants. Rien de ce qui les touche n'est anodin. La France tire son originalité administrative du grand nombre de ses communes. Elles sont d'une grande variété, non seulement démographique mais aussi en termes de densité. Toutes n'ont pas les mêmes charges de fonctionnement, ni les mêmes moyens. Il faut tenir compte de cette hétérogénéité. Dans les Côtes-d'Armor, j'ai été chargé d'élaborer la politique de solidarité. Avec les autres conseils généraux, nous avons introduit une variation de taux de 1 à 7, preuve que les situations étaient contrastées. En Côtes-d'Armor, nous avons dressé un bilan dont les résultats sont éloquents. La présence sur un territoire d'une ferme éolienne ou d'une installation industrielle peut être une manne substantielle. Les charges de voirie sont très variables. Certaines politiques sont assumées par les intercommunalités, déchargeant les finances de certaines communes.

La réforme des dotations et des modes de financement doit faire l'objet d'une réflexion globale. Augmenter l'impôt sur les sociétés alors que la question de la compétitivité est posée ? Les entreprises ne peuvent pas être mangées à toutes les sauces. Et souvenez-vous des réactions à l'instauration de la taxe carbone sur les transports en Bretagne : attention à l'effet cumulatif de nos décisions !

Attaché à l'autonomie financière des communes, le groupe socialiste estime que la question de la DGF doit être débattue. Mme la ministre s'y est engagée. Parce que cette proposition de loi pose une question importante, nous ne voterons pas la motion de renvoi : nous nous abstiendrons. (Applaudissements à gauche)

M. François Grosdidier .  - Cette proposition de loi a le mérite d'ouvrir le débat, mais augmenter l'impôt sur les sociétés, selon l'inclination naturelle du groupe CRC (exclamations sur les bancs CRC) est malvenu, alors que notre économie souffre et que le Gouvernement vient déjà de décider une augmentation de l'impôt sur les sociétés pour remplacer la taxe sur l'excédent brut d'exploitation.

Ensuite, l'approche de ce texte est discutable. Rééquilibrage ? Est-ce à dire qu'il serait des communes surdotées, alors que l'État va amputer les dotations d'1,5 milliard l'an sur trois ans, soit une diminution de 3,1 % jusqu'en 2017, moins 3,3 % pour la DGF. Les communes seront particulièrement frappées. À l'issue du Comité des finances locales de septembre, les maires ont compris qu'ils seront les plus pénalisés. Sans doute est-ce parce que toutes les régions sont à gauche, et que les départements ont déjà été mis à sec, depuis l'APA - et c'était déjà vous - jusqu'aux rythmes scolaires. Nos 36 000 communes subiront toutes une baisse plus forte que les autres collectivités territoriales. L'État ne cesse de rogner les recettes communales Voyez ce qui s'est passé avec le FCTVA ; il a été gelé. C'est inadmissible. L'AMF a vivement protesté.

La crise augmente la demande sociale, et l'évolution de la société veut que chaque citoyen demande toujours plus, on veut le confort de la ville en payant les impôts du village. La ministre en charge du dossier parle de déléguer à la commune la responsabilité d'un service public de la petite enfance. Mais sait-on ce que coûte une place en crèche ? Et le département pourra imposer la création d'une crèche à une commune sans la financer lui-même. Quant à la réforme des rythmes scolaires, elle ne sera compensée que pour 50 euros par enfant, la première année et peut-être la suivante, à hauteur de 250 millions d'euros. Le compte n'y est pas quand le coût sera de 600 millions. On a fait miroiter toutes sortes de merveilles périscolaires aux parents, dont les attentes sont fortes.

Je regrette que notre assemblée ait rejeté l'article premier de la proposition de loi Doligé, pour l'adaptation des normes au contexte local. Il est temps de mettre le holà. L'État doit cesser de baisser les dotations et d'amputer les ressources des collectivités territoriales. Il faut, pour être équitable, agir avec discernement. Dans la majorité, nous avions doublé la DSR, sachant que les charges de voirie et de scolarisation sont lourdes. Mieux vaudrait continuer dans ce sens qu'alourdir l'impôt sur les sociétés pour abonder la DGF. Nous nous abstiendrons sur la motion.

M. Georges Patient .  - Cette proposition de loi vise à atténuer les disparités de traitement entre les collectivités territoriales, en réduisant progressivement les écarts de dotation entre communes rurales et urbaines. Certes, il est des communes rurales aisées et des communes urbaines paupérisées, et l'intention est louable. Cependant, comment financer l'augmentation de la dépense ? Nos collègues proposent de sortir de l'enveloppe normée, en augmentant l'impôt sur les sociétés, dans un contexte difficile. C'est un peu la quadrature du cercle. S'attaquer aux inégalités de traitement par une mesure de justice ? Je ne peux que souscrire à l'objectif. Car les 22 communes de Guyane sont victimes de discrimination, je ne cesse de le dire depuis mon arrivée au Sénat en 2008. Outre l'écart entre communes rurales et urbaines, 44 millions de DGF sont chaque année perdus en raison de mesures spécifiques : 27 millions prélevés sur l'octroi de mer des communes depuis 1974 ; 17 millions perdus au titre du plafonnement de la dotation superficiaire, qui ne frappe que la Guyane quand les communes de montagne métropolitaines la voient majorée. À toutes mes demandes pour réparer cette injustice on m'oppose « l'enveloppe normée ». Ces 44 millions, c'est 0,008 % de l'ensemble des concours de l'État ! Cette façon de botter en touche n'est pas une réponse, vu la modicité des sommes. Il faudra porter remède à tout cela si l'on veut éviter la catastrophe. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Roland du Luart, président de la commission des finances par intérim .  - J'étais tenté de faire une métaphore cynégétique que M. Le Cam, chasseur, aurait bien comprise. Mais l'essentiel est de dire ici qu'une chose me gêne dans ce texte, c'est son coût, 889 millions, financés en taxant les entreprises, qui ont besoin de lisibilité pour investir et réduire le chômage. Cependant, il est vrai que des charges toujours plus lourdes plombent les budgets des collectivités territoriales. Mais on ne peut pas dire, en l'état de nos finances, « Ya qu'à, faut qu'on » ! N'oublions pas que les situations des communes sont très diverses. Je vous invite à soutenir le renvoi en commission, car il faut une réforme globale de la DGF et c'est au Sénat, grand conseil des communes de France, de faire de vraies propositions.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée .  - C'est en réfléchissant ensemble que nous avancerons, car nous tombons tous d'accord sur la nécessité de réformer la DGF. Réforme d'autant plus nécessaire que le contexte a changé, avec le développement de l'intercommunalité. La loi votée la semaine dernière est bien de modernisation de l'action publique et d'affirmation non seulement des métropoles mais aussi des pôles de développement et d'équilibre ruraux. Loin d'être centrée sur les seules métropoles, elle concerne aussi les communes rurales.

Les charges de la révision des rythmes scolaires ? Je sais qu'elles sont lourdes, mais l'aide de 50 euros sera reconduite l'an prochain. Le Gouvernement en a pris l'engagement. Vous avez voté un texte visant à réduire les normes, flux et stocks. Nous nous emploierons, quand il sera définitivement adopté, à le mettre en oeuvre au plus vite. Charles Guené, enfin, l'a rappelé, nous avons engagé le chantier de la révision des bases locatives d'habitation. Le Gouvernement est donc au travail.

La discussion générale est close.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Germain, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des finances la proposition de loi tendant au traitement équilibré des territoires par une réforme de la dotation globale de fonctionnement (n° 814, 2012-2013).

M. Jean Germain, rapporteur .  - Pourquoi la commission des finances propose-t-elle le renvoi en commission ? Avant de répondre à cette question, je veux faire un aparté sur la forme. Pour certains, une motion sur une initiative parlementaire serait ignominieuse. Ce n'est pas notre vision : nous avons pris cette décision à une large majorité pour poursuivre la discussion. Cela vaut mieux que de dégommer un texte, article par article, et de lui interdire du même coup la navette... Nous travaillons sur la révision des valeurs locatives, nous travaillerons sur la DGF.

Sur le fond, l'article premier est techniquement mal rédigé. Il aurait des conséquences dramatiques, je ne reprends pas les raisons que j'ai développées en discussion générale. Au nom de la commission des finances, je maintiens donc la motion.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée.  - J'ai dit que le Gouvernement rejetterait la proposition de loi ainsi rédigée. Il est vrai que le renvoi en commission permettra à celle-ci de travailler, je suis donc tentée de vous inviter à suivre son avis.

La motion n°1 n'est pas adoptée.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Mireille Schurch .  - Cet article répare une injustice. Bien sûr, il s'en trouvera pour dire que le financement proposé pèsera sur notre compétitivité. Ils oublient que c'est le coût du capital, non celui du travail, qui handicape notre croissance.

Le prélèvement que nous proposons est très limité - un point - et interviendra après des années de cadeaux faits aux entreprises, que la Cour des comptes a elle-même dénoncés.

Certes, on annonce une loi de programmation pour l'égalité des territoires. Nous vous incitons cependant à passer de la résolution à l'action. N'attendons pas : les communes souffrent, l'AMF nous le dit. Avec cette réforme de la DGF, les communes pourraient faire face aux conséquences de la réforme des rythmes scolaires.

Coeur battant de la République, lieu de résistance et de solidarité, la commune doit être défendue. Pas moins de 60 % de l'emploi industriel se concentre dans les communes de moins de 20 000 habitants, ce serait une erreur de concentrer notre attention sur quelques grandes métropoles.

Passons des paroles aux actes et adoptons l'article premier. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean Germain, rapporteur.  - Tel que rédigé, cet article accorderait 50 millions à 50 % des communes les plus dotées et 40 millions à des communes dont le revenu moyen par habitant est supérieur de 50 % à la moyenne nationale.

Sans compter qu'il fait référence à un mauvais article du code général des collectivités territoriales, il renvoie à des catégories de communes qui ne sont pas visées par la DGF. Avis défavorable.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée.  - Je l'ai dit en discussion générale : cet article, mal rédigé, est inopérant. Il modifierait de surcroît la DSR et la dotation nationale de péréquation. L'avis est défavorable.

M. Vincent Delahaye .  - J'aurais préféré que la motion de renvoi en commission soit adoptée. J'avais déposé une demande de scrutin public, que j'ai finalement retirée par respect pour les usages de notre assemblée. Tout disposé à poursuivre la discussion sur la DGF, le groupe UDI-UC votera contre cet article premier.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances .  - Le président de la République s'est engagé à plus de justice entre les collectivités territoriales, des engagements qui se traduisent dans la prochaine loi de finances : avec la hausse du FPIC pour la péréquation verticale, l'augmentation de la péréquation horizontale, avec l'augmentation de la DSR et de la DSU.

Nous attendions la révision des valeurs locatives depuis trente ans. Là encore, le Gouvernement apporte une réponse, de même qu'il répond à la demande des départements et des régions en leur donnant plus de moyens. Les départements pourront, par exemple, augmenter les droits de mutation. Cette discussion sur la DGF est intéressante. J'ai moi-même appelé à une refondation de cette dotation. Les discussions s'ouvriront avec le Comité des finances locales dès janvier, je m'en réjouis.

La solution proposée aujourd'hui paraît dès lors prématurée d'autant qu'elle comporte des imperfections. Mieux vaut rejeter cet article premier.

Mme Marie-France Beaufils .  - Nous étions ouverts à la discussion, on aurait pu amender le texte au cours de l'examen des articles. Il y a un an et demi, nous proposions, pour financer la péréquation, de taxer les actifs financiers et non d'augmenter l'impôt sur les sociétés. Cette proposition n'a jamais été reprise. Nous ne pouvons pas continuer de mettre la réforme de la DGF sous le boisseau ! (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Charles Guené .  - Le groupe UMP s'abstiendra, sauf sur l'article 3 que nous refusons. La réforme de la DGF est certes nécessaire ; elle prendra du temps. Plus d'équité pour nos territoires passe, à notre sens, par une péréquation globale - et cela commence à être accepté - et une territorialisation de l'exercice qui s'impose. Avec le précédent gouvernement, nous avions mené une réforme de la péréquation horizontale. Elle aura des effets bien plus importants qu'une modification de la DGF.

M. Yannick Botrel .  - J'ai entendu les arguments du rapporteur général sur ce très technique article premier. La DGF a vieilli et il faudra aller plus loin dans la réflexion. Celle-ci devra porter sur les ressources des communes et aussi sur celles des départements, qui sont actuellement bien malmenés, et des régions.

Le groupe socialiste s'abstiendra sur cet article premier qui comporte un grand nombre d'incertitudes.

À la demande du groupe CRC, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 55
Pour l'adoption 22
Contre 33

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté.

À la demande du groupe UDI-UC, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l'adoption 22
Contre 312

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Les trois articles de la proposition de loi ayant été rejetés, il n'y a pas lieu de voter sur l'ensemble.