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Table des matières



Hommage à une délégation russe

Simplification des relations entre l'administration et les citoyens (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois

M. Alain Richard

M. Christian Favier

M. Yves Détraigne

M. Jean-Claude Requier

Mme Hélène Lipietz

M. Jean-Jacques Hyest

Discussion des articles

ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE PREMIER

ARTICLE PREMIER

ARTICLE 2

ARTICLE 3

Échec en CMP

Attributions du garde des sceaux (Deuxième lecture)

Discussion générale

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois

Mme Cécile Cukierman

M. Michel Mercier

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Michel Baylet

M. Jean-Pierre Vial

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

ARTICLE 2

ARTICLE 3

Intervention sur l'ensemble

M. Jean-Pierre Vial

Modification à l'ordre du jour de la session extraordinaire




SÉANCE

du mardi 16 juillet 2013

7e séance de la session extraordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

Secrétaires : M. Jean Boyer, Mme Michelle Demessine.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Hommage à une délégation russe

M. le président.  - Je suis particulièrement heureux de saluer, au nom du Sénat, la présence dans notre tribune d'honneur, d'une délégation de parlementaires du Conseil de la Fédération de Russie, la chambre haute du Parlement russe, conduite par M. Mikhail Margelov, président de la commission des affaires étrangères, président du groupe d'amitié Russie-France et représentant spécial du président Vladimir Poutine pour l'Afrique. (Applaudissements)

Lors de cette visite d'une semaine, cette délégation a assisté au défilé du 14 juillet, elle vient d'être reçue par le groupe d'amitié France-Russie, présidé par notre collègue Patrice Gélard, et elle doit s'entretenir cet après-midi avec la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.

Elle se rendra demain à Biarritz, à Mont-de-Marsan sur la base aérienne, puis dans le Gers et à Toulouse, afin de visiter notamment l'escadrille de chasse Normandie Niémen et l'usine d'Airbus.

Nous lui souhaitons donc de fructueux échanges ainsi qu'un excellent séjour parmi nous ! (Applaudissements)

Simplification des relations entre l'administration et les citoyens (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens.

Discussion générale

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique .  - Avec ce texte, le Gouvernement entend moderniser l'action publique pour mieux répondre aux attentes des citoyens dans un monde qui change. Nous vous proposons trois réformes : faciliter la saisine des administrations - de toutes les administrations - par les usagers, grâce au numérique, codifier les règles régissant les relations entre administrations et citoyens, inverser le principe du refus tacite en généralisant l'accord tacite.

La mise en place d'un droit de saisine électronique améliorera les échanges. Des garde-fous sont prévus contre les abus. Ce nouveau droit complètera les efforts de l'administration - je pense aux 13,5 millions de Français qui ont déclaré leurs revenus en ligne cette année, soit 6 % de plus que l'an passé. Cela facilitera aussi le travail des agents.

Nous proposons d'autoriser la communication d'un avis en cours d'instruction d'un dossier par l'administration, pour prévenir les risques contentieux et faire gagner du temps.

Nous reprenons le projet de code des relations entre l'administration et le public, à la suite de la réunion du comité interministériel de modernisation de l'action publique, tout en tirant les leçons de la circulaire de 1996, qui a conduit à l'abandon du projet en 2006. Le code sera centré sur la seule question des relations avec l'administration.

Quand les relations administratives deviennent abusives et freinent l'activité économique, notre devoir est de simplifier. Le président de la République a engagé ce combat pour la compétitivité des entreprises et le bien-être de tous.

Nous avons souhaité, par l'amendement n°3, lancer la mise en chantier de l'autorisation tacite : demain, le silence de l'administration vaudra acquiescement. Aujourd'hui, le droit fonctionne au rebours : le silence vaut rejet. Si près de 400 procédures dérogatoires existent déjà de par l'article 22 de la loi du 12 avril 2000, ces procédures demeurent largement minoritaires. Le principe qui vaut pour les permis de construire, le défrichement ou le recours au chômage partiel doit devenir le droit commun, étant entendu qu'il ne s'appliquera pas quand sont en cause les droits et libertés individuels ou encore nos engagements internationaux et l'ordre public.

Un groupe de travail réunissant des parlementaires des deux assemblées sera mobilisé, ainsi que la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada).

Le choc de simplification annoncé par le président de la République le 28 mars 2013 est au coeur de l'amélioration de la compétitivité hors coût et de l'efficacité de l'administration, qui doit s'adapter sans cesse.

Telle est l'ambition du Gouvernement. (Applaudissements sur le banc de la commission)

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois .  - Ce projet de loi s'inscrit dans un mouvement qui remonte à 40 ans et qui tend à mettre le service public au service du public. Il concerne aussi bien les États de droit écrit que ceux de Common law, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe l'ont accompagné.

Après la création du Médiateur de la République en 1973 et de la Cada en 1978, puis la motivation des actes administratifs en 1979, est venue la loi du 12 avril 2000. À chaque fois, le but était de simplifier et de permettre au citoyen de contrôler les décisions prises à son égard. Il s'agit ainsi de rendre les actes administratifs plus clairs et, donc, plus accessibles, et de faciliter l'accès des citoyens à tous les niveaux de l'administration.

La routine administrative et le manque de volonté des gouvernements successifs a ralenti le processus qui repose sur deux outils, la codification et les ordonnances. La codification, relancée dans les années 1970, s'est essoufflée. La circulaire du 27 mars 2013 l'appelle à un nouveau départ.

Il importe d'adapter les codes une fois élaborés, sous peine de les voir devenir obsolètes. Le projet de loi prévoit l'achèvement du code de l'expropriation dont l'élaboration est sur le point d'aboutir d'après la Commission supérieure de codification. En revanche, il sera plus complexe d'élaborer un code des relations entre l'administration et les usagers. Les codes de l'urbanisme, de l'environnement, de justice administrative ne doivent pas être remis en cause. Le code, qui sera supplétif, devra être compréhensible pour les non spécialistes.

Le recours aux ordonnances, pour codifier, est freiné par l'incapacité des pouvoirs publics à mettre en oeuvre les habilitations législatives. Les ordonnances non ratifiées, je l'ai dit, deviennent vite obsolètes.

Ce texte a un air de famille avec les projets de loi d'habilitation antérieurs puisqu'il puise son contenu dans les textes votés depuis 2004. On peut donc espérer.

L'idée d'une codification des relations entre l'administration et le public n'est pas nouvelle, mais elle est, ici, plus pragmatique, plus modeste que par le passé. Il ne s'agit pas d'édicter une somme, mais d'aller vers un texte instrumental, fait pour le public. Les grands principes, comme le droit d'accès ou l'obligation de motivation seront rappelés dans un titre préliminaire. Il traitera du régime des actes unilatéraux.

Le secrétariat général du Gouvernement se chargera du pilotage, il aura la tutelle de la commission supérieure de codification. L'achèvement du code de l'expropriation se fera à droit non constant, d'où une modification des délais. Le texte consacre le recours aux nouvelles technologies, démarche amorcée depuis 2005.

Vient ensuite la rénovation des processus de décision, avec la modification du régime des décisions implicites, qui sera introduit en cours de route dans le texte par un amendement portant article additionnel. Le silence de l'administration vaudrait dorénavant acquiescement. Une série d'exceptions est prévue, conformément à la décision du Conseil constitutionnel de 1995, ainsi que l'a rappelé la ministre. La loi de 2000 exige aussi de mettre à part les décisions financières, sauf pour la sécurité sociale.

Aujourd'hui, c'est la logique du contentieux qui prévaut. L'inversion de la règle du refus implicite agira comme un aiguillon sur l'administration. Il faudra veiller à éviter les détournements (M. Jean-Jacques Hyest approuve), et ne pas multiplier les dérogations, qui videraient le principe de l'accord implicite de sa portée. (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce) Un délai d'un an est prévu pour la mise en oeuvre dans les administrations de l'État et de deux ans dans les collectivités.

La possibilité d'accéder aux avis préalables rompt, également avec la règle posée par la loi de 1978. Tous les avis, dès lors qu'ils seraient formalisés, seraient communicables. La commission des lois a voulu que les avis négatifs soient motivés, afin qu'ils puissent avoir des effets pour l'usager.

Troisième nouveauté, le renforcement de la participation des citoyens à l'élaboration des actes administratifs. Il s'agit de bâtir un « tronc commun ».

Quatrième nouveauté, la faculté de saisir l'administration par voie électronique, étendue à toutes les administrations, y compris les autorités indépendantes. La commission des lois y est favorable, pour autant que sera préservée la collégialité.

Après avoir dialogué avec le Gouvernement sur la simplification, nous avons ajouté l'abrogation au retrait. Nous pourrons enfin voir naître, semble-t-il, le code de l'expropriation.

Votre commission des lois a voulu préciser le texte, en utilisant le moins possible le mot « public », mal défini.

Sur les autorités administratives, le texte était très fluctuant : nous avons simplifié, en recourant à la terminologie de la loi de 2000. Mais le Gouvernement nous a indiqué qu'il visait plutôt les administrations au sens de la loi de 1978 sur la Cada : la commission s'est ralliée à son point de vue.

Pour les avis préalables, s'ils sont défavorables, ils devront être motivés. Et les délibérations et décisions sur les saisines par voie électronique devront être collégiales.

La position de la commission des lois sur le texte est, globalement, positive. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Alain Richard .  - Je me concentrerai sur la codification. La démarche est cohérente avec l'objectif fixé par le président de la République et répond à une attente forte. Il y a tension, voire hostilité vis-à-vis de la puissance publique du fait d'une perte de lisibilité des règles encadrant le travail des administrations.

Ceux qui se sont frottés à l'exercice savent que la difficulté est dans le périmètre. Le choix qui a été fait, rappelé par le rapporteur, est le bon : celui de la codification, couplée avec la simplification.

Le processus, délicat, consiste à retrouver une cohérence dans des textes épars, modifiés à plusieurs reprises. On est là au coeur de la « fabrique de la loi ». C'est l'occasion de rendre hommage à ceux qui en constituent la cheville ouvrière, autour du secrétariat général du Gouvernement, avec l'aide de bien des services ministériels. Du fait des évolutions de périmètre des départements ministériels, on peut dresser un palmarès... Quand on a affaire à un ministère très démuni, manquant des compétences humaines, on se trouve devant des problèmes préoccupants.

La commission supérieure de codification fait un travail remarquable. J'ai eu l'agrément d'y participer dès sa création, par la loi de 1978. Petit message à qui veut bien l'entendre : préservons les moyens humains.

Ce texte unifiera les règles ; l'expérience a montré que, quand on recense les textes, on trouve des différences historiques dont plus personne ne connaît la justification. Dans la matière très particulière des procédures administratives en tant qu'elles rencontrent le public, il faudra surmonter le sens de la propriété de certains membres du Conseil d'État, pour parvenir à nos fins, comme on l'a fait pour le code de justice administrative.

Il faut, en ces travaux, rester modeste. Il n'est pas sûr que la loi d'habilitation puisse fixer le champ d'application final mais la loi de ratification pourra être l'occasion de le compléter, comme on l'a vu par le passé.

Lorsqu'on travaille à droit non constant, il est bon de prévoir un rendez-vous intermédiaire. Les assemblées, voyant arriver un produit fini, se méfient : le pouvoir réglementaire a-t-il totalement respecté nos objectifs, se demandent-elles.

Ce terme de public, en dépit de son caractère indéfini, est sans doute le meilleur. D'autant que les entreprises seront aussi bien concernées que les particuliers.

Il est, pour l'avenir, d'autres urgences. Je pense au code électoral. Et le contraire de l'urgence - certains me comprendront - c'est le code général des impôts, dans un tel état que personne n'ose plus engager sa codification. J'insiste pour que ce travail, de longue haleine, soit sérieusement entrepris.

En cette session extraordinaire, nous avons manqué de peu l'examen de la proposition de loi Sueur-Gourault sur l'évaluation des normes. Vous ne manquerez pas, madame la ministre, j'en suis sûr, de demander l'inscription rapide de ce texte à l'ordre du jour.

Je salue l'ambiance de convergence qui a présidé à nos travaux et qui augure bien de la réussite de l'entreprise. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Christian Favier .  - Ce texte autorise le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance. Vous le savez, nous sommes opposés, généralement parlant, à cette pratique prévue par l'article 38 de la Constitution. Elle revient à contourner les règles d'élaboration de la loi et porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs.

L'article 38 ne délimite que le laconiquement le champ des ordonnances, n'excluant aucun domaine. Nous mettons une nouvelle fois en garde contre la banalisation de cette pratique.

L'article premier de ce texte crée un droit des usagers à saisir l'administration par voie électronique, autorise les délibérations à distance et la communication des avis en cours d'instruction. Il s'agit bien, sur le fond, de simplifier les relations avec les usagers. Nous n'y voyons aucun obstacle. La saisine par voie électronique, cependant, ne doit pas créer une inégalité pour les victimes de la fracture numérique.

La communication des avis en cours d'instruction garantit plus de transparence des décisions et assurera plus de rapidité aux projets. La règle de l'accord tacite constitue un vrai progrès pour les usagers, mais pose la question des moyens dont disposera l'administration pour instruire. L'acceptation tacite ne doit pas être le simple résultat d'un embouteillage.

L'article 2 est relatif à la codification. Il précise que le Gouvernement pourra modifier certaines règles. La codification ne se fera donc pas à droit constant. Il est difficile de l'accepter, en dépit des garde-fous prévus par le rapporteur.

J'en viens à l'article 3, qui ne pose pas de problème sur le fond mais, étant relatif au logement, est ici un cavalier. Il eût mieux valu choisir un autre véhicule, comme la loi Duflot. En dépit de ces réserves, nous voterons ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Yves Détraigne .  - Le bilan que nous dressons de la politique menée par Lionel Jospin, Premier ministre, est souvent sévère. Pourtant, la loi de 2000 échappe à notre censure. Elle a introduit la règle du projet en cas de silence de l'administration, qui a bien fonctionné - au point que je me demande pourquoi on en inverse ici la logique.

Améliorer les relations entre l'administration et les citoyens est pour nous, élus locaux, un objectif majeur. Depuis quinze ans, le traitement des demandes s'est accéléré, localement, mais des problèmes demeurent, qui suscitent l'impatience. Il n'est pas anodin de modifier les règles relatives aux délais de retrait ou d'abrogation des actes administratifs, car des hommes et des femmes sont concernés. La jurisprudence Ternon du Conseil d'État prévaut. Beaucoup a été fait pour que la langue de l'administration soit plus fluide, mais l'opacité reste un attribut de l'administration, et peut-être un moyen de témoigner de sa puissance.

On peut faire évoluer de multiples manières les relations entre l'administration et les usagers, mais si l'on ne met pas résolument l'accent sur le numérique, on va au devant de déceptions. La fin du principe de non-communicabilité des actes préparatoires et la participation des citoyens à l'élaboration des décisions constituent une révolution positive. L'inversion de la règle du rejet tacite est un progrès.

Nous allons, ainsi, vers un droit de dialogue, de concorde et de consentement du citoyen administré. Reste qu'un projet d'habilitation est souvent une promesse non tenue, madame la ministre. Le Parlement ne peut contrôler le texte des ordonnances : il ne peut que se prononcer sur leur ratification. Il eût été préférable d'avoir un débat serré au fond, en séance publique, sur des projets de loi. Nous vous laissons le bénéfice du doute, madame la ministre, mais sachez que nous serons vigilants. (M. Hugues Portelli, rapporteur, applaudit)

M. Jean-Claude Requier .  - Un constat s'impose : les Français se défient de l'administration. Le rapport du Défenseur des droits met en lumière un paradoxe : des droits sont proclamés, mais ne sont accessibles qu'au travers d'un labyrinthe. Simplifier est indispensable. L'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme dispose que la société a droit de demander compte à tout agent public de son administration. Tout agent public a donc le devoir de s'engager dans une démarche de modernisation.

L'action des pouvoirs publics doit viser à rationaliser les dépenses de fonctionnement afin de consacrer les crédits à l'investissement et à l'action publique. Cela suppose de revisiter notre organisation territoriale, comme l'a souhaité la Cour des comptes. D'après le député Mandon, il est possible de réduire de 80 % les coûts de procédures, un gisement pour améliorer notre compétitivité.

Enfin, la norme, pour être accessible, doit être lisible. Pour reprendre La Fontaine, « le trop d'attention que l'on a pour le danger fait plus souvent qu'on y tombe ».

Le choc de simplification ne saurait attendre. Ne doutons pas de la bonne volonté du Gouvernement : il vient de supprimer une centaine de commissions administratives.

Cette réforme doit consacrer la saisine des administrations par voie électronique, Encore faut-il prévoir des formations et s'attacher à réduire la fracture numérique.

Le 16 mai dernier, le président de la République a annoncé un changement radical, pour ne pas dire plus, dans nos pratiques : passer de la règle du refus tacite à celle de l'accord tacite. Nous y sommes favorables sur le fond mais cette « petite révolution » pose des questions : l'administration aura-t-elle les moyens de la mener ? Comment assurer la cohérence des décisions ? La précipitation pourrait être contreproductive.

En dépit de ces remarques, nous approuvons la finalité de ce projet de loi : rationaliser les relations entre l'administration et les citoyens pour restaurer la confiance. Il n'y a pas de démocratie sans administration forte. (Applaudissements)

M. Jean-Michel Baylet.  - Très bien !

Mme Hélène Lipietz .  - Il y eut les Gaulois, les Celtes, les « assujettis », les « administrés ». Aujourd'hui, on parle d'« usagers » mais face à une administration lointaine. Internet ne peut pas tout, la vie sociétale est d'abord une affaire de relations humaines.

Ce texte, qui entend rapprocher administration et citoyens, ne rapproche pas les parlementaires du Gouvernement. C'est là le principal de ses défauts. « Restons entre fonctionnaires », voilà en somme le message de ce projet de loi d'habilitation.

Le Gouvernement dépose ce matin un amendement de deux pages, long et complexe, qui modifie une loi dans la loi même qui autorise le Gouvernement à la codifier, pour appliquer le principe « qui ne dit mot consent ». Rien que pour la forme, nous refuserons ce texte.

Le Gouvernement pense-t-il que les parlementaires seraient incapables d'analyses techniques et que seuls les fonctionnaires peuvent en faire ? J'ai sans doute très mauvais esprit. (M. Jacques Mézard approuve) Ce serait pour alléger notre ordre du jour que le Gouvernement nous demande des ordonnances... Aurons-nous plus de temps pour examiner le projet de loi de ratification, pour une codification qui ne se fera pas à droit constant mais à droit innovant ?

Faudra-t-il avoir une confiance aveugle en les techniciens qui les auront rédigées ? N'avons-nous rien appris des fiascos prônés par des techniciens sans légitimité démocratique ? Le puits financier sans fond du surgénérateur, les organismes génétiquement modifiés qui ruinent les agriculteurs américains, le nucléaire, l'informatisation de la sécurité sociale par une ruineuse carte Vitale toujours pas au point, le vote électronique qui n'a pas réduit l'abstention mais pose des problèmes de sécurité et de véracité du vote.

Je doute que notre administration sache mieux que nous organiser sa transparence. Mais pardon, madame la ministre, je suis, encore une fois, mauvaise langue !

M. Jean-Jacques Hyest .  - Je vais tenter d'être plus positif.

M. Jacques Mézard.  - Ce ne sera pas difficile.

M. Jean-Jacques Hyest.  - À tout prendre, je préfère le terme d'usager à celui d'assujetti qui renvoie à la notion de sujet - extraordinaire, n'est-ce pas ?

Comme l'a rappelé le rapporteur, ce texte vient après les lois de 1973, de 1978, de 1979 et de 2000. Sous la précédente législature, avec un bonheur décroissant, nous avons adopté quatre lois de simplification, en 2007, 2009, 2011 et 2012. Elles ont posé problème au Sénat. Nous n'avons pas voulu de ces textes qui, loin d'être de simplification, étaient bien plutôt de complexification et avons dit « non » à l'habilitation pour le code de l'expropriation.

Le recours aux ordonnances est très encadré puisque la réforme constitutionnelle a rendu obligatoire l'adoption d'un projet de loi de ratification. (Mme Marylise Lebranchu, ministre, approuve)

L'extension des voies électroniques profite aux usagers du service public. On ne va pas réunir un tribunal entier à Saint-Pierre-et-Miquelon ! Le recours aux nouvelles technologies, nous y sommes favorables. Cela fonctionne bien parfois, comme pour les cartes grises. Moins bien pour les passeports.

La commission des lois sera attentive à la protection des données personnelles ; le débat est désormais mondial. Enfin, Mme Lipietz devrait se réjouir de la diminution des courriers « papier »... Tout cela est bien beau pourvu que l'on mette fin à la fracture numérique qui sévit même en Île-de-France. (Mme la ministre le confirme) Dans ma commune, 25 foyers sur 150 ne sont pas connectés à Internet. Cela représente une proportion rien moins que négligeable ! Je m'en suis aperçu quand les lignes téléphoniques ont été coupées.

L'approbation implicite, je suis pour ! Les services départementaux de l'architecture et les architectes des bâtiments de France sont plutôt fantaisistes. Vous changez d'architecte, vous changez de doctrine !

M. Alain Richard.  - Ils sont utiles, soyons indulgents.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je le suis aussi, pourvu qu'il y ait dialogue.

Un mot sur la codification : la rénovation du code électoral ne peut se faire à droit constant. En revanche, le code général des impôts est un monstre incompréhensible...

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Sauf pour les avocats fiscalistes...

M. Jean-Jacques Hyest.  - ... et quelques fonctionnaires à Bercy, dont chacun se sent propriétaire de son bel article.

Le président de la République a déclenché un choc de simplification en annonçant la modification de la règle du refus implicite. Si vous y arrivez...

M. Alain Richard.  - Direct au Panthéon ! (Sourires)

M. Philippe Bas.  - Au risque de faire naître des décisions illégales.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Les hommes de l'art viennent de s'exprimer... Nous avons tenté l'entreprise et nous sommes heurtés, entre autres, aux architectes des bâtiments de France. Vous voyez que je ne fais pas une fixation. (Sourires)

Le groupe UMP votera ce texte qui s'inscrit dans un mouvement législatif continu. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I.  -  La loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations est ainsi modifiée :

1° Le troisième alinéa de l'article 20 est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Si l'autorité informe l'auteur de la demande qu'il n'a pas fourni l'ensemble des informations ou pièces exigées par les textes, le délai ne court qu'à compter de la réception de ces éléments. » ;

2° L'article 21 est ainsi rédigé :

« Art. 21.  -  I.  -  Le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision d'acceptation.

« Le précédent alinéa n'est pas applicable et le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet :

« 1° Lorsque la demande ne tend pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle ;

« 2° Lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif ;

« 3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;    

« 4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d'État, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection des libertés, la sauvegarde de l'ordre public ou des autres principes à valeur constitutionnelle ;

« 5° Dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents.

« II.  -  Des décrets en Conseil d'État et en conseil des ministres peuvent, pour certaines décisions, écarter l'application du premier alinéa du présent article eu égard à l'objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration. Des décrets en Conseil d'État peuvent également fixer un délai différent de celui que prévoient les deux premiers alinéas, lorsque l'urgence ou la complexité de la procédure le justifie.

« III.  -  La liste des procédures pour lesquelles le silence gardé sur une demande vaut acceptation est publiée sur un site internet relevant du Premier ministre. Elle mentionne l'autorité à laquelle doit être adressée la demande, ainsi que le délai au terme duquel l'acceptation est acquise. » ;

3° L'article 22 est ainsi rédigé :

« Art. 22.  -  Dans le cas où la décision demandée peut être acquise implicitement et doit faire l'objet d'une mesure de publicité à l'égard des tiers lorsqu'elle est expresse, la demande est publiée par les soins de l'administration, le cas échéant par voie électronique, avec l'indication de la date à laquelle elle sera réputée acceptée si aucune décision expresse n'est intervenue.

« La décision implicite d'acceptation fait l'objet, à la demande de l'intéressé, d'une attestation délivrée par l'autorité administrative.

« Les conditions d'application du présent article sont précisées par décret en Conseil d'État. » ;

4° Au deuxième alinéa de l'article 22-1, les mots : « aux articles 21 et 22 » sont remplacés par les mots : « à l'article 21 ».

II.  -  Le I est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna aux administrations de l'État et à leurs établissements publics.

III.  -  Le I entre en vigueur :

- dans un délai d'un an à compter de la publication de la présente loi, pour les actes relevant de la compétence des administrations de l'État ou des établissements publics administratifs de l'État ;

- dans un délai de deux ans à compter de la publication de la présente loi, pour les actes pris par les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que ceux des organismes de sécurité sociale et des autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif.

IV.  -  Le Gouvernement est habilité, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution et dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi, à modifier par ordonnances les dispositions législatives prévoyant qu'en l'absence de réponse de l'administration dans un délai qu'elles déterminent, la demande est implicitement rejetée, pour disposer que l'absence de réponse vaut acceptation ou instituer un délai différent. Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans le délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Avec cet amendement, nous instituons la règle de l'accord implicite. Monsieur Favier, le numérique sera un droit supplémentaire.

L'amendement énonce tout d'abord le principe selon lequel le silence gardé pendant deux mois sur une demande vaut acceptation. Il précise ensuite que le silence vaut rejet dans cinq hypothèses qu'il énumère.

Il prévoit également que l'application du principe d'autorisation tacite peut être écartée pour des motifs liés aux enjeux de la décision en cause ou à la bonne administration des procédures, par décret en Conseil d'État et en conseil des ministres. Il est également possible, lorsque l'urgence ou la complexité de la procédure le justifie, de modifier le délai de deux mois pour les rejets tacites, par décret en Conseil d'État.

Enfin, nous précisons le délai dans lequel une décision implicite d'acceptation peut intervenir. Allons au maximum de la protection du droit et des citoyens. Nous revoyons le statut du fonctionnaire pour progresser en transparence. Faisons confiance aux administrations.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - L'avis est favorable.

Mme Hélène Lipietz.  - J'ai dit mon opposition sur la forme : un amendement de deux pages pour dire que le silence vaut accord... Pour croire à votre délai, j'ai peut-être été trop longtemps avocate d'administrés rejetés d'administration en administration parce que des pièces manquaient à leur dossier. Et puis, quelques jours avant l'échéance, l'administration s'apercevait qu'une pièce manquait au dossier, et l'on repartait pour un nouveau délai, au terme duquel manquait une nouvelle pièce...

Surtout, je suis contre les permis de construire tacites. Finalement, il faudrait, plutôt que de poser le principe de l'approbation tacite, dresser la liste des exceptions prévues à la règle du refus tacite. À tout le moins, il faudrait préciser les délais de retrait. Mieux aurait valu attendre la conclusion des travaux de la Cada que de présenter cet amendement à la va-vite.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Les délais de retrait sont précisés à l'article 23 de la loi de 2000.

L'amendement n°3 est adopté et devient un article additionnel.

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste.

I. - Alinéa 4

Compléter cet alinéa par les mots :

, définir les conditions dans lesquelles sont publiés des délibérations, actes et avis des administrations de l'État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et des organismes publics sur un site d'ouverture des données publiques, sous format ouvert, et utilisables gratuitement

II. -  Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

...- La perte de recettes éventuelle résultant pour l'État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes publics est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Mme Hélène Lipietz.  - Les écologistes sont pour le numérique, et pas seulement parce que cela fait économiser du papier. Toutefois, le numérique, c'est aussi la Toile. Je propose un site public et gratuit, en open data, recensant tous les actes administratifs.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Les parlementaires n'ont pas compétence pour modifier le champ d'une ordonnance. Rejet.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Sagesse.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - L'amendement est inconstitutionnel !

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Dans ce cas, retrait ?

Mme Hélène Lipietz.  - Mme la ministre pourrait le reprendre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Je ne peux le faire au pied levé, mais m'engage à le reprendre devant l'Assemblée nationale.

L'amendement 1 rectifié est retiré.

L'article premier est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2, première phrase

Remplacer les mots :

à caractère administratif, les organismes de sécurité sociale et les autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif

par les mots :

et les organismes chargés d'une mission de service public

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Défendu.

L'amendement n°4, accepté par la commission, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2, troisième phrase

Supprimer le mot :

unilatéraux 

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Défendu.

L'amendement n°5, accepté par la commission, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2, dernière phrase

Remplacer le mot :

publication

par le mot :

signature

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Défendu.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Défavorable. Ce sont les mêmes autorités qui doivent signer et promulguer. À elles de s'organiser.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Notre interprétation juridique est différente.

M. Alain Richard.  - Querelle de juristes qui ne peut être comprise que par dix personnes en France et qui est du reste sans intérêt. (Sourires)

Quel est le sujet ? La codification, doit, en cours de route, tenir compte des modifications législatives intervenues - et la France ne peut pas se passer d'en apporter une dizaine par jour. Le plus simple est que le secrétariat général du Gouvernement retarde la publication jusqu'à la date de la dernière signature.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - La codification prend des années et le secrétariat général du Gouvernement ne saurait pas tenir compte de quelques jours ?

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

2° Simplifier et unifier les règles relatives au régime des actes administratifs ;

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par M. Portelli, au nom de la commission.

Alinéa 5

Après le mot :

retrait

insérer les mots :

et d'abrogation

M. Hugues Portelli.  - Cet amendement vise à habiliter le Gouvernement à simplifier également le régime d'abrogation des actes administratifs unilatéraux. L'intention du Gouvernement est satisfaite et les préventions de la commission aussi. L'amendement n°7 peut donc être retiré.

L'amendement n°7 est retiré.

L'amendement n°9 est adopté.

M. Ladislas Poniatowski.  - Notre rapporteur est vraiment excellent !

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 6

Compléter cet alinéa par les mots :

en prévoyant les conséquences juridiques d'un avis défavorable ou avec réserve du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête

Mme Hélène Lipietz.  - À l'heure actuelle, un avis défavorable dans une enquête publique n'a aucune conséquence juridique. De même qu'on ne tient pas compte des réserves du commissaire enquêteur. Modifions cette règle prétorienne qui vide de son sens l'enquête publique.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Le code de l'environnement prévoit déjà une motivation délibérée de la collectivité en cas d'avis défavorable.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation.  - Nul besoin d'en rajouter à cet excellent argument contre l'amendement.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 4

Remplacer le mot :

publication

par le mot :

signature

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée.  - Défendu.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Défavorable pour les mêmes raisons que tout à l'heure.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée.  - Je défends cet amendement avec détermination : évitons la vacuité.

M. Jean-Jacques Hyest.  - C'est une question d'organisation !

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Tout à fait puisqu'il s'agit de codification.

L'amendement n°8 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

L'ensemble du projet de loi, modifié, est adopté.

Échec en CMP

M. le président.  - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2012 n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

Attributions du garde des sceaux (Deuxième lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique.

Discussion générale

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Il y a deux semaines, nous débattions de ce projet de loi en même temps que du projet de loi constitutionnelle réformant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le but de ces deux textes est identique : assurer l'indépendance et l'impartialité de la justice.

La disposition essentielle de celui-ci est la suppression des instructions individuelles, que le Sénat a voulu rétablir. Elles relèvent de l'article 30 du code de procédure pénale, modifié par la loi du 5 mars 2004. Vous savez que les deux lois de 1993 ont précisé que ces instructions doivent être écrites et versées au dossier, qu'elles doivent être positives ; pour le dire clairement : autant le garde des sceaux ne peut pas donner instruction de ne pas poursuivre, autant il peut demander le non-lieu, la relaxe, ou quelque autre manière de ne pas condamner. D'où le déclin de la confiance dans notre justice.

Si nous supprimons les instructions individuelles, l'exécutif continuera d'assurer la conduite de la politique pénale comme le veut l'article 20 de la Constitution. Cela apparaîtra clairement dans la réécriture de l'article 30.

Nous réorganisons donc les pouvoirs du garde des sceaux, étant affirmé que seul le parquet peut engager l'action publique. Clarifions ce mystère.

Nous avons entendu les arguments qui militent en faveur du maintien des instructions individuelles. Comment l'État fera-t-il si un procureur décide de ne pas diligenter l'action publique face à un événement grave - on pense ici au terrorisme ou aux intérêts fondamentaux de la Nation ? L'étude d'impact recense les instructions individuelles données ces dix dernières années ; vous aurez observé qu'aucune n'a concerné ce type de contentieux, parce que la section antiterroriste de Paris fonctionne bien, parce que les autres parquets se dessaisissent sans difficulté dans ces cas et parce que le texte de 2006 a été actualisé. De même pour les intérêts fondamentaux de la Nation. Aucun garde des sceaux n'a dû contraindre un procureur à enclencher un contentieux sur ces fondements.

Autre argument que l'on nous oppose, autre situation : une infraction provoquant un émoi important dans le pays qui laisserait le procureur de marbre. Mais parmi les exemples invoqués à l'Assemblée nationale, pas un seul ne pouvait pas faire l'objet d'une circulaire générale. Le garde des sceaux n'est pas désarmé, la nouvelle rédaction de l'article 30 du code de procédure pénale prévoit qu'il peut donner des consignes par voie de circulaires, générales et impersonnelles. En outre, nous ne touchons pas à l'ordonnance de 1958, notamment son article 5, qui dessine l'architecture des relations entre le garde des sceaux, le parquet général et les parquets. En vertu de l'article 36 du code de procédure pénale, le procureur général peut donner des instructions, écrites et versées au dossier, à un procureur de la République qui resterait sourd à l'émoi de la société et n'obéirait par à une circulaire générale. Et le garde des sceaux fait partie des corps constitués qui peuvent saisir le procureur de la République au titre de l'article 40. Un procureur qui agirait ainsi tomberait sous le coup de la procédure disciplinaire.

Il n'y a donc pas de raison de maintenir les instructions individuelles. Ne pas les supprimer, en revanche, aurait des effets pervers. Antichambre au moins supposée des instructions orales, elles alimentent la défiance des citoyens vis-à-vis de l'institution judiciaire.

Je ne reviens pas sur la différence entre la conception conventionnelle et la conception constitutionnelle du parquet, mais je répète que le ministère public à la française appartient à l'autorité judiciaire, que s'il n'est pas une autorité de jugement il est partie au procès, en charge de l'intérêt général et de la défense de la société. C'est pourquoi le Gouvernement doit répondre, sur l'ensemble du territoire, de la prise en compte des intérêts de la société. Sous le ministère Jospin, qui avait proscrit les instructions individuelles, aucune difficulté n'est apparue et le garde des sceaux n'a jamais été confronté à l'attitude irresponsable d'un procureur.

La réorganisation que nous proposons est claire et cohérente. Elle dégage le ministère public des suspicions qui pèsent sur lui. Je ne reviens pas sur la réforme du CSM, qui a fait l'unanimité, en son temps - respect de l'avis conforme, alignement des régimes disciplinaires.

J'espère que vous voterez ce texte tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale, pour un ministère public qui échappe à toute suspicion et pour le bien d'une institution judiciaire neutre, impartiale et à la portée de tous. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois .  - Ce texte, qui clarifie les compétences, restitue au ministre de la justice la responsabilité de la politique pénale et conforte l'indépendance fonctionnelle du parquet dans l'exercice de l'action publique. Après son passage à l'Assemblée nationale, il constitue un compromis, qui nous agrée.

Une publicité systématique des instructions générales aurait présenté des risques, notamment d'encourager le recours à des instructions plus informelles : l'Assemblée nationale y est revenue. Le rapport public annuel du garde des sceaux listera toutes les instructions générales, qui seront connues, donc, en temps utiles et selon des modalités appropriées. Et rien n'interdit au garde des sceaux de publier telle ou telle instruction.

L'Assemblée nationale a rétabli l'interdiction des instructions individuelles, notre commission l'approuve. Mais le garde des sceaux n'est pas pour autant privé de moyens d'action. La plupart des cas jusqu'à présent réglés par instruction individuelle pourront l'être par instruction générale. Et le garde des sceaux conservera le moyen de la voie disciplinaire, ainsi que le recours à l'article 40 du code de procédure pénale. Il conserve, enfin, la possibilité de demander un pourvoi ou une révision dans l'intérêt de la loi.

Nous approuvons le rétablissement de la référence à l'impartialité du parquet, terme qui a donné lieu à de longs débats. Leur position procédurale ne fait pas des magistrats du parquet des juges partiaux ; le ministère public ne se limite pas aux poursuites, il joue aussi un rôle de prévention de la délinquance et prend les mesures alternatives aux poursuites.

L'Assemblée nationale a rétabli l'obligation d'information des magistrats, aux articles 2 et 3 : nous l'approuvons, car elle répond à nos objections en première lecture, sur le caractère réglementaire de ces dispositions, puisque c'est le principe seul qui est désormais posé. Je vous invite à adopter ce texte conforme. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur le banc de la commission)

Mme Cécile Cukierman .  - Je regrette le rejet, il y a quinze jours, de la réforme du CSM, qui laisse la gestion des carrières des parquetiers dans les mains de l'exécutif. Ce rejet ne doit pas pour autant entraîner celui du texte qui nous occupe aujourd'hui.

Celui-ci nous revient heureusement modifié par l'Assemblée nationale, après que le Sénat l'avait vidé de son contenu. L'interdiction des instructions individuelles doit figurer dans la loi, car nul ne peut préjuger de l'avenir. Pour les tenants des instructions individuelles, le Gouvernement serait légitime à corriger l'action du parquet, à lui enjoindre de procéder à tel ou tel acte. Faux quand la l'acte de poursuivre, aussi grave que celui de juger, place les magistrats du parquet aux avant-postes de la défense des libertés individuelles. Faux aussi parce que les procureurs sont des magistrats responsables ; même si, dans la conduite de l'action publique, il y a un risque d'inertie, ce risque est contenu par une nomination indépendante de magistrats compétents.

La réforme, nécessaire, devra être autrement ambitieuse. La situation hiérarchique du parquet à la française est dénoncé par la Cour européenne des droits de l'homme. Au nom du principe de séparation des pouvoirs, menons cette réforme à son terme. C'est la défiance de certains à l'encontre des magistrats qui a mis un frein à toute évolution, celle du gouvernement Sarkozy, et celle qui s'est, il y a peu, manifestée sur les bancs de droite, du centre et un peu au-delà...

Votre texte sur le CSM, madame la ministre, assurait l'indépendance et l'impartialité du parquet. Souhaitant une réforme ambitieuse, nous aurions déposé des amendements pour améliorer le texte, convaincus que l'indépendance de la justice, exigence démocratique, demande de toujours remettre l'ouvrage sur le métier. Nous aurions ainsi soutenu ce texte attendu par les magistrats, qui établisse une distance nécessaire, indispensable entre le juge et le politique, clé de la légitimité d'un pouvoir judiciaire au service de tous. Quand on exerce hors de toute pression, c'est une garantie pour la liberté des citoyens.

Je salue, madame la ministre, votre ténacité pour aller vers cet idéal que nous partageons. Le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale n'est peut-être qu'un début. Nous le voterons en attendant la suite à l'automne. (Applaudissements sur les bancs CRC et socialistes ; M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, applaudit aussi)

M. Michel Mercier .  - Vous l'avez dit, il manque à ce texte important l'essentiel : la réforme du statut du parquet. Le Sénat a voté dans la loi constitutionnelle une disposition qui la permet. Au président de la République de décider. J'espère qu'il le fera, car la réforme est nécessaire et attendue par tous ceux qui sont attachés au parquet à la française. Il faut soustraire notre parquet aux critiques, externes et internes. Faut-il rappeler que 60 % des affaires pénales sont réglées par les parquetiers sans autre intervention ? Oui, les parquetiers sont des magistrats.

Vous proposez trois choses : la suppression des instructions individuelles d'abord. Il ne faut pas en avoir peur. Pas besoin d'instructions individuelles, les membres du parquet appliquent loyalement la loi. Ils ne sont pas laxistes, je l'ai toujours dit.

Deuxième point : le droit d'adaptation des instructions générales du ministre. Ils pourraient les appliquer bouche fermée, mais ce n'est pas la tradition française. L'adaptation du droit de poursuivre est un principe de notre droit. Dans ce texte, il y a bien une reprise en main du parquet, le pouvoir des procureurs généraux et le caractère hiérarchisé du parquet sont réaffirmés. C'est une bonne chose.

Troisième point : l'officialisation de l'obligation de rendre compte. Elle ne doit pas entraîner la subordination au ministère de l'exercice de l'action civile par le parquet. Mais le ministre, responsable devant le Parlement de la mise en oeuvre de la politique pénale, doit être informé.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC votera ce texte à l'unanimité, ce qui est un événement en soi.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Surtout par les temps qui courent...

M. Michel Mercier.  - Il y a des hauts et des bas... (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Esther Benbassa .  - L'examen de ce texte intervient dans un contexte particulier puisque la réforme du CSM a échoué. Nous regrettons que l'indépendance de la justice, élément vital de la démocratie, n'ait pas suscité un consensus, y compris dans certains groupes de la majorité.

L'objectif du texte est d'assurer l'indépendance des magistrats dans la procédure et de clarifier les compétences respectives du garde des sceaux et du parquet. Les débats houleux, à l'instar de ceux sur le CSM, ont fragilisé le texte au Sénat. La Haute assemblée est notamment revenue sur l'interdiction des instructions individuelles ; nous nous réjouissons que les députés y soient revenus, comme du rétablissement de l'article premier. Nous nous félicitons également que le texte prévoie la publication annuelle d'un rapport du garde des sceaux. Il est, de même, important d'avoir institué une information annuelle des magistrats sur les conditions de mise en oeuvre de la politique pénale.

C'est un projet de loi de compromis qui nous est soumis. Espérons qu'une majorité d'entre nous l'approuve. Il rejoint les convictions des écologistes. Espérons, aussi, que l'on parvienne, enfin, à une vraie réforme du CSM, seule garantie de l'indépendance de la justice. Soyez assurée, madame la ministre, de notre soutien en cette affaire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Michel Baylet .  - En guise de prélude, permettez-moi d'expliquer le vote du RDSE sur le projet de loi constitutionnelle relatif au CSM. Notre rejet n'a été guidé ni par je ne sais quel corporatisme parlementaire, ni par de sombres calculs politiques, mais par la conception que nous nous faisons de la justice et de l'équilibre des pouvoirs.

Vous annoncez, madame la ministre, un texte pour la rentrée. Je vous engage à prendre le temps de la concertation, car sur un tel sujet, le consensus doit être recherché, pour des raisons arithmétiques mais aussi politiques...

Le Sénat s'offre le luxe d'une deuxième lecture sur un texte relatif à l'organisation de nos institutions... Le ministère public à la française est en mutation, dans son statut comme dans ses missions. La Cour européenne des droits de l'homme elle-même nous enjoint à l'action. La question se pose bien en termes d'équilibre et de séparation des pouvoirs - voir l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme. Pour prévenir les abus, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir, nous enseigne Montesquieu.

M. Jacques Mézard.  - Très bien !

M. Jean-Michel Baylet.  - En France, le système qui a donné corps à ce principe est certes perfectible, mais il doit être préservé. Renforcer les moyens et l'indépendance de la justice, l'idée est séduisante, à condition qu'indépendance ne signifie pas irresponsabilité. Les radicaux, qui sont des républicains, s'opposerons toujours au gouvernement des juges.

M. Henri de Raincourt.  - Très bien !

M. Jean-Michel Baylet.  - Il faut concilier indépendance des juges et conduite par le Gouvernement de la politique pénale. Sans instructions individuelles, comment nous prémunir contre d'éventuelles dérives ? Ces instructions sont au nombre d'une dizaine par an et, depuis 1993, écrites et versées au dossier. Malheureusement, les députés ont réintroduit leur interdiction. Comme ils sont revenus sur la publicité des instructions générales.

Pour nous, la définition de la politique générale ne peut et ne doit relever que du garde des sceaux. Vous avez fait un autre choix. Et ce texte retravaillé ne lève pas toutes nos inquiétudes. Qu'en sera-t-il de l'égalité devant la loi pénale sur tout le territoire ? Autant de procureurs, autant de politiques... Nous verrons le sort qui sera réservé à nos deux amendements. En tout état de cause, nous radicaux et républicains ne pouvons souscrire à un tel texte. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Jean-Pierre Vial .  - Nous voici de nouveau saisis de ce texte sur lequel, madame la ministre, vous n'aviez pas même obtenu ici un succès d'estime... Car le diable est dans les détails. On commence dans l'allégresse des principes, on poursuit dans la confusion et on termine dans le mélange des pouvoirs. C'est la séparation des pouvoirs de Platon et d'Aristote qui fondera dans l'Histoire celle de Sieyès.

C'est par la séparation des pouvoirs que l'on obtiendra l'indépendance de la justice, dites-vous. Mais souvenons-nous que l'autorité judiciaire - et non le pouvoir judiciaire - est consubstantielle au pouvoir exécutif. Que veut-on éviter en proscrivant l'action des juges à l'application de la loi, si ce n'est le gouvernement des juges - qui ne sont pas responsables devant les citoyens ? En supprimant les instructions individuelles, on empêche le garde des sceaux d'exercer sa fonction exécutive qui est de rappeler à l'ordre le parquet lorsque des poursuites qui doivent à l'évidence engagées ne le sont pas. Ces instructions sont rares, comme le montre l'étude d'impact. Quand la sécurité ou les intérêts de l'État seront en jeu, le garde des sceaux ne pourra pas agir convenablement. Sans compter qu'interdire les instructions individuelles, c'est favoriser les instructions orales et secrètes. Curieux retour en arrière, alors que l'exigence d'instructions écrites assure la transparence de la justice...

Ce qu'il faut prendre en compte, c'est l'autonomie dont doit pouvoir bénéficier l'ordre judiciaire dans l'application impartiale de la justice ; impartiale, et non politique. Les magistrats ne doivent pas faire de la politique. La lamentable affaire d'un mur dont le sommet était bien bas n'a pas conforté l'image de l'autorité judiciaire... N'oublions pas qu'aux termes de l'article 20 de notre Constitution, le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Le garde des sceaux est au sommet de la hiérarchie du ministère public ; à ce titre, il doit favoriser l'équité, la cohérence et l'efficacité de l'action de celui-ci.

Nous sommes attachés aux droits des victimes, à la transparence de la procédure pénale et à l'action régalienne de l'État. Vous nous soumettez aujourd'hui une question isolée ; demain le CSM et après-demain, glissade après glissade, il faudra revoir le statut du parquet que vous aurez remis en cause. Le groupe UMP ne peut souscrire à ce texte. (Applaudissements à droite)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Ce projet de loi a connu un parcours un peu chaotique. Il allait de pair avec le texte sur le CSM, dont on sait le sort qu'il a connu. Le projet de loi constitutionnelle, faute de majorité qualifiée, ne sera pas soumis au Congrès. Alors que les affaires politico-judiciaires se multiplient et que la France est régulièrement condamnée par la CEDH, le projet de loi constitutionnelle avait le mérite de poser le problème de l'indépendance de la justice avec l'objectif de rendre aux citoyens confiance dans leur système judiciaire. Je me réjouis donc que ce texte essentiel n'ait pas été abandonné, puisque vous nous annoncez un texte à l'automne. Vous pouvez compter sur le groupe socialiste pour vous appuyer. J'espère que d'ici là, l'opposition se sera ressaisie...

J'en reviens au présent texte, dont les députés ont rétabli le coeur : l'interdiction des instructions individuelles, disposition plus que jamais nécessaire. Le garde des sceaux n'en conserve pas moins la responsabilité de la politique pénale. La réintroduction de la référence à l'impartialité du parquet est bienvenue.

Le groupe socialiste votera ce texte dans la rédaction qui nous revient de l'Assemblée nationale : c'est un pas vers plus d'indépendance de la justice. (Applaudissements sur les bancs socialistes, CRC et écologistes)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux .  - Merci à Mmes Cukierman et Benbassa de leur soutien ; elles ont eu raison de souligner le lien consubstantiel entre ce texte et la réforme du CSM. D'ailleurs, il n'en avait pas été autrement en 1998-1999. La réforme avait échoué parce que le Parlement n'avait pas été convoqué à Versailles.

J'ai noté l'intérêt de M. Mercier. Il faut en en effet rappeler l'article 5 de l'ordonnance de 1958. Cette suspicion à l'égard du parquet n'a pas lieu d'être. Enfin, le texte est très clair : le redire, le garde des sceaux assume la responsabilité de la politique pénale.

Le parquet n'est pas lâché en pleine nature, monsieur Baylet. Le 19 septembre 2012 a été publiée une circulaire générale sur la politique pénale. L'exécutif ne se dessaisit pas de ses pouvoirs, relisez l'article 30 du code de procédure pénale.

Le Premier ministre a reçu tous les groupes politiques, j'ai proposé aux groupes parlementaires d'être auditionnée par eux et j'ai reçu le RDSE à la Chancellerie. Cela dit, j'entends votre demande de concertation.

M. Vial s'inquiète que les procureurs généraux ne deviennent des espèces de gardes des sceaux territoriaux. M. Mercier lui a bien répondu : la circulaire générale de politique pénale fixe le cadre d'une adaptation intelligente aux territoires. J'ai, au reste, déjà pris une instruction territoriale pour la Corse et une pour l'agglomération marseillaise ; deux autres sont en cours de finalisation pour l'outre-mer. Des adaptations se justifient par la spécificité d'un territoire ou d'un type de délit : les actes antisémites et racistes à Lille, le trafic d'armes à Marseille.

Les instructions individuelles écrites une fois interdites, deviendraient, orales ? Je n'ai nulle connaissance de cette pratique et je rappelle à M. Vial que M. Mercier n'en a publié aucune, pas plus que moi depuis un an. En quoi les instructions individuelles empêcheraient-elles le gouvernement des juges ? Notre démocratie est assez forte pour ne pas s'alimenter à ces peurs.

Les instructions individuelles, au nombre d'une dizaine par an, n'ont jamais concerné des faits de terrorisme ou porté atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président.  - En application de l'article 48-5, la discussion en deuxième lecture portent sur les seuls articles restant en discussion. Les amendements portant articles additionnels sont déclarés irrecevables.

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Hyest et les membres du groupe UMP.

Rédiger ainsi cet article :

L'article 30 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Art. 30. - Le ministre de la justice définit les orientations générales de la politique pénale. Il les adresse aux magistrats du ministère public pour application et aux magistrats du siège pour information. Il rend publiques ces orientations générales.

« Le ministre de la justice peut dénoncer aux procureurs généraux près les cours d'appel les infractions visées aux titres Ier et II du livre IV du code pénal dont il a connaissance et leur enjoindre, par des instructions écrites qui sont versées au dossier, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qu'il juge opportunes. Les instructions du ministre sont motivées, sous réserve des exigences propres au secret de la défense nationale, des affaires étrangères et de la sûreté intérieure ou extérieure de l'État.

« Sous réserve des dispositions de l'alinéa précédent, il ne peut donner aucune instruction dans les affaires individuelles.

« Il informe chaque année le Parlement, par une déclaration pouvant être suivie d'un débat, des conditions de mise en oeuvre de ces orientations générales. »

M. Jean-Jacques Hyest.  - Il n'est pas interdit de persévérer. Nous sommes constants...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Pas sur le CSM !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Faux ! En 1999, nous étions déjà contre la composition que vous proposiez pour le CSM et pour le maintien des instructions individuelles dans certains cas. Je n'ai pas non plus changé depuis que j'ai été rapporteur en 2008.

M. Michel Mercier.  - Tout à fait !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - La commission ne veut pas revenir au texte de 1999.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Hyest et les membres du groupe UMP.

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Il peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Défendu. Je mets au défi Mme la ministre de dénicher des contradictions dans ma vie de parlementaire.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Hyest et les membres du groupe UMP.

Après l'alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Cependant, il peut signaler au procureur général les manquements aux instructions générales dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de réquisitions conformes aux instructions générales.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Défendu.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - L'avis est défavorable aux trois amendements nos1, 2 et 3.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le garde des sceaux peut toujours actionner l'article 40 du code de procédure pénale ; nous pouvons supprimer les instructions individuelles. Je regrette de vous avoir heurté, monsieur Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Mais non, vous ne m'avez jamais vu en colère !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Certains périls ont leur attrait, mais je ne m'y risquerai pas cet après-midi. Je vous donne acte de la constance de votre position.

M. Michel Mercier.  - Ce débat est intéressant mais disons les choses clairement : le Sénat a adopté la réforme du CSM. À charge pour le président de la République de convoquer le Sénat en Congrès.

On joue un peu : pas d'instructions individuelles mais les instructions autorisées par l'article 40...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Votre objection me surprend : les instructions à l'article 40 ne connaissent pas le même traitement. Il s'agit d'un outil disciplinaire dans une large panoplie.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

M. Michel Mercier.  - Parfait, madame la garde des sceaux. Relisez le rapport à la page 13. N'est-ce pas parole d'évangile ?

L'amendement n°2 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°3.

L'article premier est adopté.

L'article premier bis est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.

Alinéa 2, deuxième phrase

Supprimer cette phrase.

M. Jacques Mézard.  - Quatre instructions individuelles par an, cela ne change ni le cours des choses ni la position de la Cour européenne sur le parquet.

Mme la garde des sceaux veut une justice indépendante ; je ne lui ferai pas l'injure de penser qu'elle ne l'est pas depuis un an...

L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme fixe le principe de la séparation des pouvoirs. Confier un pouvoir d'adaptation des instructions générales aux procureurs généraux, c'est y contrevenir. Entre parenthèses, nous sommes contre la publicité systématique de ces instructions. La justice est humaine ; ce pouvoir d'adaptation conduira à des dérives, je devais le dire.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Rejet. Le fait est que l'on n'applique pas les instructions générales de la même manière outre-mer, à Marseille et à Lille. De là à dire que cela rompt avec le principe d'égalité devant la justice sur le territoire... Les amendements de M. Mézard ne changent fondamentalement rien à la situation présente. N'en faisons pas une affaire d'État et rejetons ces amendements pour mettre fin à la navette.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Aucune ambiguïté n'est possible : l'adaptation, un terme bien connu dans notre droit, n'autorise pas à dépasser le cadre d'une instruction générale, laquelle, de toute façon, définira des priorités. S'il le faut, nous publierons des instructions territoriales. Quoi qu'il en soit, nous avons besoin de l'adaptation pour améliorer l'efficacité de la justice. Je signale qu'il existe déjà des outils d'adaptation, les GLTD, qui rassemblent la police, la justice et l'éducation nationale.

J'entends vos inquiétudes mais elles n'ont pas lieu d'être.

M. Jacques Mézard.  - La question est de fond : la loi pénale est d'interprétation stricte. Un délit, qu'il soit commis à Marseille ou à Guéret, reste un délit, l'application de la loi ne doit donc pas varier. Laisser aux parquets la capacité d'appliquer différemment les instructions générales de la Chancellerie dans leur ressort est contraire à notre conception de la République.

M. Jean-Pierre Vial.  - Bien sûr !

M. Jacques Mézard.  - Et cela ne changera rien à la position de la CEDH.

M. Jean-Pierre Vial.  - Exact !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Ce n'est pas le but de ce texte...

M. Jacques Mézard.  - Pas de différence d'application de la loi dans notre République, nous en faisons une question de principe.

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par MM. Mézard, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. 39-1. - Le procureur de la République met en oeuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice.

M. Jacques Mézard.  - Même cause, mêmes effets. Se rend-on vraiment compte de ce qu'on nous propose ? Un procureur de la République, dans chaque TGI, pourra appliquer différemment la loi. Avec deux ou trois procureurs de la République dans le même département, on dépasse les limites. On ne s'étonnera pas de vous voir revenir dans deux ans en nous demandant de reprendre ce texte parce qu'il a entraîné des difficultés.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Rejet.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Il ne s'agit pas d'adapter la loi pénale, comme vous l'avez dit. La loi s'impose à tous. L'instruction générale concerne la politique pénale. On sait, par exemple, que la comparution immédiate a pénalisé les victimes. Clarifions le débat : dans les zones de sécurité prioritaires, on ne modifie ni les procédures ni les lois. L'avis est défavorable.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Pour la clarté des débats, il est écrit dans le texte que le procureur « précise et adapte » l'instruction générale. Cela devrait rassurer M. Mézard.

M. Stéphane Mazars.  - C'est encore pire. Sans répéter ce qu'a dit le président Mézard, on ne comprendra plus rien. On le voit déjà avec la notion d'ordre public. L'usage du cannabis est considéré comme un trouble à l'ordre public à Rodez, mais pas à Toulouse ou à Paris.

M. Michel Mercier.  - Je comprends la position de M. Mézard : il se réfère à l'idéal qui est celui de la Révolution française. Mais qui n'a pas vécu plus de deux ans. Très vite, on a abandonné le système de référé législatif. Je vous recommande de lire les deux volumes de l'ouvrage d'un éminent professeur toulousain, Jacques Krynen sur l'histoire des magistrats.

Contrairement à ce que nous croyons, nous ne vivons pas dans un État de droit ; nous sommes dans un État de justice. L'idéal révolutionnaire de la justice qu'a exposé M. Mézard n'a jamais existé, c'était une abstraction. La réalité est celle que décrit Mme la garde des sceaux. Mieux vaut mettre la loi en accord avec les faits et faire confiance aux magistrats.

M. Jacques Mézard.  - Notre groupe s'inscrit dans l'idéal révolutionnaire et l'héritage de la Déclaration des droits de l'homme. Cette référence ne me choque pas. En revanche, quand bien même vous avez été garde des sceaux, ne parlez pas d'abstraction à quelqu'un qui a fréquenté les tribunaux durant 38 ans. J'ai décrit les risques que comporte ce pouvoir d'adaptation de la politique pénale aux procureurs.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - L'on voit bien ce qu'il en est dans les zones de sécurité prioritaire, l'adaptation est gage d'efficacité. Au bout du bout, les auteurs de ces amendements pèchent par extrapolation : la République, une et indivisible, n'est pas en danger.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Je comprends le raisonnement de M. Mézard, mais les juges interprètent la loi et le revendiquent, ainsi que l'a fait le Premier président de la Cour de cassation l'a revendiqué lors de la dernière rentrée de la Cour. Il en résulte que deux tribunaux ne rendent pas des jugements identiques pour des faits similaires. Les justiciables s'en étonnent d'ailleurs. Nous sommes là pour faire la loi et y mettre des barrières.

L'amendement n°5 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Intervention sur l'ensemble

M. Jean-Pierre Vial .  - Beaucoup de choses ont été dites. Mme la garde des sceaux a admis qu'il existait une opposition de fond sur les quelques articles de ce projet de loi restant en discussion. Et, puisque le rapporteur a évoqué la position des magistrats, madame la garde des sceaux, avez-vous demandé aux parquetiers ce qu'ils pensent de ce texte ? Nous touchons à des questions fondamentales, d'où notre refus.

À la demande du groupe UMP, l'ensemble du projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 346
Pour l'adoption 192
Contre 154

Le Sénat a adopté.

M. le président.  - Et ce vote vaut adoption définitive du texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes, CRC et écologistes)

Modification à l'ordre du jour de la session extraordinaire

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le président de la République en date du 16 juillet 2013 complétant le décret du 14 juin 2013 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du 1er juillet 2013.

Ce décret ajoute à l'ordre du jour de la présente session extraordinaire la proposition de loi fixant le nombre et la répartition des sièges de conseiller de Paris.

Prochaine séance demain, mercredi 17 juillet 2013, à 14 h 30.

La séance est levée à 18 h 30.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mercredi 17 juillet 2013

Séance publique

À 14 HEURES 30 ET LE SOIR

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (n° 690, 2012-2013).

Rapport de M. Alain Anziani et Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n° 738, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 739, 2012-2013).

Avis de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 730, 2012-2013).

et projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au procureur de la République financier (n° 691, 2012-2013).

Rapport de M. Alain Anziani et Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n° 738, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 741, 2012-2013).