Action publique territoriale (Suite)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.

Discussion générale (Suite)

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation .  - Mme Lebranchu et moi vous adressons de vifs remerciements pour vos interventions de très grande qualité que nous avons entendues avec sérénité, de façon constructive. J'adresse un remerciement appuyé aux quatre rapporteurs, MM. Vandierendonck, Dilain, Germain et Filleul, ainsi qu'au président Sueur et à Mme Gourault, présidente de la délégation aux collectivités territoriales, que de tristes raisons éloignent de nous ce soir.

J'ai entendu aussi des regrets à propos d'un texte qui serait tronçonné. Je récuse ce mot : il s'agit plutôt d'un premier temps, le premier de trois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Comme la valse à trois temps.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée.  - Je dirai : de trois actes, à propos d'un ensemble que je ne qualifierai pas d'acte III de la décentralisation car il s'agit plutôt d'un prolongement de ce qui a été fait auparavant.

J'ai entendu aussi des mots violents sur un « manque de souffle », une « complexité » que nous ajouterions. Je préfère retenir ce qui nous réunit : nous sommes tous des gens de terrain et nous partageons trois objectifs : clarifier, simplifier et maîtriser la dépense publique. Les textes sur le statut de l'élu local et sur les normes seront examinés fin juin et début juillet, Mme Lebranchu vous l'a dit.

Et puis, nous partageons la volonté de nouer un pacte de confiance, vos discours en témoignaient ; un pacte de solidarité entre toutes les communes : rurales, urbaines ou périurbaines, elles contribuent à la richesse de notre territoire.

Diversité et unité des territoires, ces deux mots qui sont revenus dans vos bouches, vont effectivement de pair.

Vous avez émis des critiques. En particulier, à l'encontre des conférences territoriales de l'action publique. En réalité, celles-ci sont le contrepoint du rétablissement de la clause de compétence générale pour des élus à qui nous faisons confiance.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Vous voulez les surveiller.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée.  - Sur le pacte territorial, pacte de confiance et de responsabilité, dont vous craignez les lourdeurs, lui préférant le conventionnement, le Gouvernement est prêt à vous écouter et à vous entendre.

M. René Vandierendonck, rapporteur.  - Très bien !

Mme Éliane Assassi.  - Mieux vaut tard que jamais.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée.  - Vous avez également évoqué les problèmes financiers des collectivités territoriales. Notre direction générale des collectivités territoriales fait en sorte de vous donner les éléments de la manière la plus transparente qui soit. Les informations qui vous manquent encore, nous sommes en train de les préparer.

Il a beaucoup été question des métropoles. Paris, Lyon, Aix-Marseille, nous savons quelles difficultés se posent. Votre commission des lois a veillé à les aplanir. Tout n'est pas parfait, vous l'avez dit avec flamme. Tâchons de faire aboutir ce projet.

S'il y a eu des critiques, vous avez partagé nos observations pragmatiques et concrètes. M. Gaudin a parlé de la formidable solidarité à Marseille ; M. Hervé a beaucoup insisté sur la nécessité de mieux définir la notion de chef de file ; M. Collomb a présenté avec force et conviction ce qui s'est fait à Lyon avec M. Mercier ; M. Nègre a posé le problème épineux de la dépénalisation du stationnement.

Ce texte devra effectivement répondre aux besoins des citoyens ; nous avons la volonté d'avancer avec vous. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.  - Motion n°263 rectifiée, présentée par Mlle Joissains.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (n° 581, 2012-2013).

Mlle Sophie Joissains .  - Je suis contre la métropole Aix-Marseille. Mme Lebranchu nous a reçus de multiples fois ; elle n'a pas compté son temps mais ne nous a pas entendus. Pourtant, 109 communes faisaient des propositions... Alors, pourquoi passer en force ? À Lyon, cela fonctionne, pas à Marseille.

L'article 30 du projet de loi crée de façon forcée, à compter du 1er janvier 2015, un nouvel établissement public de coopération intercommunale, qui regroupe l'ensemble des communes membres de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, de la communauté d'agglomération du Pays d'Aix-en-Provence, de la communauté d'agglomération Salon-Étang de Berre-Durance, de la communauté d'agglomération du Pays d'Aubagne et de l'Étoile, du syndicat d'agglomération nouvelle Ouest Provence et de la communauté d'agglomération du Pays de Martigues.

Cette création doit s'imposer en faisant disparaître les établissements publics de coopération intercommunale existants, sans les consulter non plus que les communes appelées à devenir membre du nouvel EPCI. Cette création s'accompagne de nombreux transferts de compétences, au-delà de ceux qu'avaient consentis les communes aux EPCI existants puisque le schéma n'était pas identique dans tous les EPCI. Le Gouvernement ayant cru bon d'aligner le tout, cet article est contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales, posé à l'article 72 de la Constitution et à la Charte européenne de l'autonomie locale.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 janvier 2013 et le 8 mars 2013 de deux questions prioritaires de constitutionnalité posées respectivement par les communes de Puyravault et de Couvrot à propos de la conformité à la Constitution de l'article 60 de la loi du 16 décembre 2010 qui définit la procédure de modification de périmètre des EPCI à fiscalité propre et celle de leur fusion. Le Conseil, s'il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, a fait état, dans les motifs, des garanties apportées aux communes préalablement à cette modification de périmètre ou à cette fusion. Il relève que ces décisions ne peuvent intervenir qu'après consultation des EPCI et des communes intéressés.

Or l'article 30 du projet de loi conduit à une fusion forcée sans tenir compte de ces garanties attachées au principe de libre administration des collectivités territoriales, alors que la création de la métropole d'Aix-Marseille-Provence doit s'accompagner de transferts supplémentaires de compétences par rapport aux établissements publics existants.

Au surplus, l'article 30 du projet de loi est contraire à l'article 9-6 de la Charte européenne de l'autonomie locale, selon lequel « les collectivités locales doivent être consultées, autant qu'il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décisions pour toutes les questions qui les concernent directement ».

Par comparaison, la création de la métropole de Paris doit s'accompagner préalablement à sa création de l'achèvement de la carte intercommunale de l'unité urbaine de Paris. L'article relatif au schéma régional de coopération intercommunale prévoit l'obligation de consulter les communes et la commission régionale de coopération intercommunale. La loi établit donc une différence de traitement entre Paris et Aix-Marseille-Provence, en privant cette dernière des garanties constitutionnelles relatives à la libre administration des collectivités territoriales.

Le projet de loi est donc contraire à la Constitution et doit être rejeté.

M. Gérard Collomb .  - Mme Joissains s'est focalisée sur un seul aspect de ce texte : la création de la métropole d'Aix-Marseille. On peut la comprendre... Pour autant, un autre état d'esprit prévaut sur ces bancs. Même si nos avis divergent, ce qui nous réunit est la conviction que nous devons changer, changer parce que le monde bouge, parce que la France bouge. Notre architecture institutionnelle doit être amendée pour que notre pays réponde aux défis de demain. Gaston Defferre disait le 27 juillet 1981 : « Ouvrons les yeux, regardons autour de nous, tout a changé ». Depuis, le mouvement du monde s'est accéléré : une révolution technologique tous les dix ans ; des pays émergents, qui n'étaient pas hier dans notre champ de vision, s'imposent comme des puissances industrielles. Et nous ? Nous ne changerions rien ? Nous garderions une organisation figée ? La volonté de changement ne date pas d'hier. Depuis mes premières discussions avec M. Pélissard et d'autres sur les pôles métropolitains, il existe 25 de ces pôles en France et c'est la réalité dans laquelle vivent des millions de nos concitoyens. Parfois dans des conditions difficiles à cause justement du manque de gouvernance. Problème de logement, fracture sociale qui est souvent spatiale... De là naissent la rancoeur et le doute chez nos concitoyens, la méfiance à l'égard des élus qui ont la volonté de mieux faire mais n'en ont pas les moyens.

M. René Vandierendonck, rapporteur.  - C'est vrai.

M. Gérard Collomb.  - Ce texte apportera des réponses en mettant en synergie les territoires. Alors qu'il résout une question aussi fondamentale, nous devons poursuivre la discussion.

Marseille, personne ne le nie, a des problèmes. Capitale européenne de la culture, elle ne manque pourtant pas du soutien de l'État. Mais la ville a été pensée dans un territoire étroit et la communauté urbaine est réduite aux acquêts... Comparez à Lyon : 50 communes, des plus fragiles aux plus riches, qui rendent crédible la volonté de vivre ensemble. Alors, oui, Marseille ne pourra rebondir que si elle accepte d'élargir son horizon, son territoire et de se donner une gouvernance globale. Est-ce nier la diversité ? J'entends les inquiétudes ; les propos de M. Nègre sur l'expérience de Nice ont dû vous rassurer.

Quand la communauté urbaine de Lyon a été créée en 1966 par un décret du général de Gaulle, cela a suscité force critiques. On posait les mêmes questions qui vous habitent aujourd'hui à Aix-Marseille. Désormais, des élus des communes avoisinantes de Lyon Métropole font campagne pour l'intégrer.

Mme la ministre propose une organisation déconcentrée avec des circonscriptions de véritable exercice territorial, au travers de la conférence territoriale des maires. La création de la métropole d'Aix-Marseille a été repoussée d'un an, jusqu'après la réunion de la conférence territoriale des maires en 2015. Le président de la commission des lois était prêt à aller plus loin pour progresser ensemble sur le projet d'Aix-Marseille-Provence.

J'admire votre passion, madame Joissains, mais ce texte n'a rien d'anticonstitutionnel.

M. Gérard Collomb.  - La rédaction de la commission des lois sur le chef de filat doit vous rassurer. Personne n'a jamais affirmé que les métropoles de Lyon, de Lille, de Strasbourg ou de Bordeaux étaient contraires à la Constitution. Les réunions n'ont pas manqué en Provence. Je respecte les hommes et les femmes de conviction dont vous êtes, mais si nous voulons mieux prendre en compte le rôle des communes, il faut poursuivre la discussion...

Mme Éliane Assassi.  - Ce n'est pas cela, discuter !

M. Gérard Collomb.  - ... avec l'esprit d'ouverture qui est celui du Sénat, qui est celui de notre commission des lois et des ministres. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes, RDSE ; M. Michel Mercier applaudit aussi)

M. René Vandierendonck, rapporteur.  - Avis défavorable. En commission, nous avons cité des décisions du Conseil constitutionnel pour motiver notre décision.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée.  - Vous avez fait des comparaisons qui ne tiennent pas puisque la métropole d'Aix-Marseille serait une création par la loi. Le principe du chef de file n'est nullement contraire à l'interdiction de la tutelle posée par la Constitution. L'article 30 de ce projet de loi ne contrevient pas aux décisions du Conseil constitutionnel, lequel a jugé que la loi était fondée à obliger une commune à rejoindre un syndicat mixte, au nom de l'intérêt général, pour peu que les obligations soient suffisamment définies. Avis défavorable à la motion.

M. René-Paul Savary .  - Nous serions tentés de donner raison à Mme Joissains ; nous pensons cependant que le débat doit se poursuivre, afin que nous y soulignions le rôle des départements, si importants pour la solidarité. La question de la tutelle et de l'autorité se pose : les départements sont en charge du RSA et le mien consacre à cette dépense sociale un million non compensé. Et voici que le Premier ministre annonce une mesure qui augmentera le nombre de bénéficiaires et revalorise le RSA, sans dire comment ce sera financé. Si vous voulez rétablir la confiance, il faut vous y prendre autrement ! Nous sommes pour une clarification des compétences, nous reparlerons du tourisme. Notre souci n'est pas d'empiéter sur les autres collectivités territoriales ; ce que nous cherchons est la complémentarité pour rendre le meilleur service au meilleur coût.

Le cas des communes de Puyravault et de Couvrot, dont avait été saisi le Conseil constitutionnel, était très spécifique : il y allait bien de l'intérêt général. Une de ces communes avait une cimenterie sur son territoire...

Notre groupe ne votera donc pas cette motion.

M. Ronan Dantec .  - Les grandes fédérations d'élus n'ont pas réussi à se mettre d'accord, c'est dire ! Le groupe écologiste a décidé unanimement de ne pas voter cette motion car nos élus d'Aix et de Marseille veulent une métropole à périmètre élargi. Le débat a été riche cet après-midi, poursuivons !

Mme Éliane Assassi .  - Je comprends les raisons qui ont poussé Mme Joissains à déposer cette motion. Nous aurions aimé débattre de ce texte dans des conditions différentes. Quand bien même, nous nous abstiendrons pour défendre le renvoi en commission. Je rappelle que c'était notre camarade d'Aubagne qui avait porté le fer contre la réforme territoriale de Nicolas Sarkozy.

M. Jacques Mézard .  - Le RDSE ne votera pas cette motion. Il est utile et nécessaire de poursuivre le débat sur un texte qui concerne directement les collectivités territoriales, dont le Sénat assure la représentation. Qui plus est, nous travaillons sur le texte de la commission, non sur celui du Gouvernement. Ne laissons pas l'Assemblée nationale organiser le texte à sa guise, nous savons d'expérience quel danger nous courons.

Beaucoup ont loué l'action décentralisatrice du gouvernement Mauroy. Mais Gaston Defferre avait présenté son texte dès juillet 1981, preuve qu'il avait été longuement travaillé en amont. Nous ne sommes malheureusement pas dans ce cas de figure...

Enfin, nous avons la chance que siègent ici les maires de Marseille et de Lyon... Leurs propos et les convictions qu'ils expriment montrent l'utilité d'avoir au Sénat des maires en exercice ! (Applaudissements à droite) J'espère que vous ne l'oublierez pas... Imaginez ce débat sans eux ! (Exclamations amusées à droite)

La motion n°263 rectifié n'est pas adoptée.

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°649, présentée par Mlle Joissains.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (n° 581, 2012-2013).

Mlle Sophie Joissains .  - Je suis insistante, mais nous sommes, dans les Bouches-du-Rhône, très motivés. Même si nous sommes fermement opposés à ce texte, nous avons apprécié, madame la ministre, vos visites chez nous, nous savons que ce n'était pas simple... M. le président de la commission des lois a eu une écoute inattendue et sa disponibilité a été totale. M. le rapporteur a, aussi, été très attentif - surtout au début... La commission des lois nous a beaucoup aidés avec le report d'un an et l'assouplissement du régime des PLU.

Ce texte n'est pas clair. Le vocable de métropole recouvre plusieurs régimes, cela nous perturbe. Les maires des communes rurales et moyennes ont été ulcérés par ce qu'ils en ont compris. Le président de l'Association des maires ruraux de France a estimé que ce projet de loi brassait du vent... Celui de l'Association des villes moyennes juge que les petites communes n'auront plus voix au chapitre et que le texte éloignait les centres de décision des citoyens. Pour l'Assemblée des communautés de France, les différences sont minces avec la loi de 2010. C'est pourquoi nous sommes dubitatifs sur le statut de la commune, entité dont M. Hyest a dit qu'elle apparaissait ancienne et dépassée...

M. Jean-Jacques Hyest.  - Aux yeux de certains !

Mlle Sophie Joissains.  - Pour certains, en effet, la commune n'est plus qu'un gentil ex-voto... Parler de métropole, cela fait moderne, européen, cela rappelle les grandes cités outre-Atlantique. Mais l'élu local est avant tout le représentant des habitants. En cas de problème, il est en première ligne ; il s'occupe de tout, y compris de l'urbanisme, qui est le rêve de la cité pour les citoyens, qui ont besoin de son appui. Personne n'aura la vision qui est la sienne à des kilomètres de l'endroit où vivent les gens. La démocratie locale, c'est une démocratie partagée. La population choisit quelqu'un qui sera véritablement son représentant. Cela exige la proximité.

La loi de 2010, qui avait beaucoup de défauts, laissait au moins le choix. Malgré leur colère, 109 des 119 communes des Bouches-du-Rhône ont voté le pôle métropolitain, qu'elles soient rouges, socialistes ou UMP. Elles ont réussi, c'est un exploit, à s'unir autour d'une idée commune de leur territoire. C'est en se tenant les mains qu'on a avancé. Je comprends que le maire de Marseille ait envie de métropole. Mais le projet ne rencontre pas l'assentiment de tout le monde, et tout le monde n'a pas la bonhomie et l'allant de M. Gaudin - on l'a vu en commission. Si tous les présidents de collectivité étaient comme lui...

Marseille est une porte de la Méditerranée, avez-vous dit, madame la ministre. Propos qui m'a rendue perplexe. J'aime énormément Marseille, c'est l'enfance, le soleil, les plages, Pagnol... Mais la Provence est multipolaire. Et dans les Bouches-du-Rhône, il n'y a pas que le littoral et le caractère presque napolitain de Marseille. Il y a aussi...

M. René Vandierendonck, rapporteur.  - Aix !

Mlle Sophie Joissains.  - ... la Provence de Cézanne, plus terrienne, plus sombre, historiquement plus intellectuelle, Aix et son palais Comtal, le bon roi René, sa noblesse de robe... Un autre monde... Et autour d'Arles un autre encore, la Provence mistralienne, plus brute, centrée sur sa culture et ses traditions...

Ces trois mondes ne sauraient se réduire à un seul, ils sont très jaloux de leur autonomie. Dire que l'un eux va régir les deux autres... Le sentiment d'injustice est profond. M. Ayrault est venu inaugurer Marseille-Provence, capitale européenne de la culture. Tous les maires s'étaient mis autour de la table pour donner l'élan qu'il fallait au territoire. Un vrai miracle. Mais il fallait nommer une ville, ce fut Marseille, puis la Provence. Mais le Premier ministre a gaffé : il n'a parlé que de Marseille, il n'a cité aucun des territoires associés. Nous sommes tous partis blessés. Et voici que vous rouvrez la blessure ! Tout à coup, nous sommes rayés d'un trait de crayon. Nous ne pouvons l'accepter.

Rappelez-vous les mots de Gaston Defferre, qui voulait, en 1981, que les élus soient « libres d'agir sans tous ces contrôles a priori, sans que leurs décisions soient mises en cause, retardées et déformées par des fonctionnaires et des ministres lointains qui ne connaissent pas leurs problèmes et que rien n'habilite à décider à leur place. » C'est qu'il n'y a que ceux qui vivent sur place qui voient toutes les subtilités d'un lieu et le chemin qu'il faut prendre. C'est ce que les élus que nous sommes ont fait. Vous le verrez dans les amendements que nous avons déposés en commun, CRC, socialistes, UMP.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

Mlle Sophie Joissains.  - Déjà ! Marseille est une ville chatoyante, pleine d'affects, parfois brutale, parfois misérable... Elle a ses travers aussi, qui ont influé sur les services publics. Le mono-syndicalisme a paralysé le port, perturbé les services publics... (Exclamations sur les bancs CRC) La longue grève de la collecte des ordures ménagères a eu les résultats que l'on imagine...

Nous voulons un financement de l'État à la hauteur de ce qui est prévu pour Paris, pour que le transfert des 7 000 à 8 000 fonctionnaires se passe le mieux possible. Nous avons fait le pôle métropolitain pour échapper à la métropole, nous avons proposé un syndicat mixte auquel associer la Camargue. Laissez-nous le mettre en place ; et si dans deux ans, le bilan est mauvais, nous sommes prêts à accepter la métropole de l'article 30. Acceptez, et nous travaillerons comme des fous... (M. Philippe Dominati applaudit)

M. François Patriat .  - Après tous les compliments que vous avez lancés, madame Joissains, je veux à mon tour vous en adresser un. Par votre propos passionné, vous avez montré qu'il fallait poursuivre le débat. Je pourrais aussi vous parler de la Bourgogne du sud, de celle du nord et du Sénonais, de Chablis, de Vézelay et de Gevrey-Chambertin, de celle de Fontenay, de Pommard ou d'Époisses... ; et de toutes nos AOC qui sont signe d'origine...

Le Sénat, en amont même des états généraux, a beaucoup travaillé, avec les rapports Gourault de 2009 et 2011, le rapport Krattinger, et j'en passe, près de quarante rapports et bilans divers en tout. Le temps de la décision est venu.

En 1981, j'étais dans l'hémicycle pour entendre Gaston Defferre. Un quarteron de jeunes députés de l'opposition promis à un bel avenir nous disait alors à peu près la même chose que vous. Exactement le même discours, aussi, en 1992, lorsque nous avons créé les deux premières communautés de communes en territoire rural... Vous y étiez, monsieur le président de la commission...

Les états généraux organisés à l'initiative du président Bel, vaste concertation, ont montré que la pensée du Sénat a imprégné nos territoires. Des consultations nombreuses ont eu lieu en amont de la présentation de ce texte, au cours d'une série de trois cycles, juillet et décembre 2012, février 2013. En commission des lois, près de 550 amendements ont été déposés, 188 adoptés. Les trois commissions saisies pour avis ont aussi beaucoup travaillé. Décider qu'il n'y a pas lieu d'examiner les articles, ce serait amoindrir le rôle du Sénat, dire qu'il n'a rien à apporter.

Le nouveau régime des métropoles n'est pas identique, madame Joissains, à celui de 2010 : il rétablit la clause de compétence générale pour les départements et les régions, avec le chef de filat pour corollaire. Il crée des métropoles à statut particulier pour Paris, Lyon et Marseille à côté des métropoles de droit commun.

De multiples réunions ont eu lieu sur la problématique marseillaise : la ministre s'est déplacée à une dizaine de reprises, onze réunions publiques ont été tenues. La commission des lois a procédé à de très nombreuses auditions. Son président et son rapporteur ont multiplié les rencontres. Notre président de groupe, François Rebsamen, a aussi rencontré les élus des Bouches-du-Rhône, qui ont été largement entendus.

Le débat ne peut s'interrompre à cause d'une question locale sur laquelle le consensus ne s'est pas fait. Du travail immense de la commission des lois et du débat peut surgir un fruit d'avenir.

M. René Vandierendonck, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - J'ai apprécié la poésie de l'intervention de Mme Joissains. J'ai pu dire aux maires combien leurs remarques avaient été prises en compte. Les transferts de compétences seront encadrés. Je les ai aussi rassurés sur la DGF. Il est important que tous les amendements relatifs à Aix-Marseille-Provence soient discutés. Ma communauté d'agglomération est à cheval sur le Léon et le Trégor, cela ne l'empêche pas de fonctionner... Si je vous rejoins sur la question de la porte de la Méditerranée, reste que sur cette zone magnifique, il faut une organisation qui favorise le développement. On ne peut se satisfaire de la situation actuelle. L'avis est défavorable.

M. Pierre-Yves Collombat .  - Marseille n'est pas tout le projet de loi. L'absence de consensus local doit-il nous interdire de continuer à débattre ? Le texte de 2010 posait des problèmes qui n'étaient pas minces. Nous devons donc poursuivre le débat, d'autant que des propositions ont été faites qui améliorent beaucoup le texte initial. Ce n'est qu'un début, continuons le combat...

M. Ronan Dantec .  - J'ai apprécié cette présentation de la Provence qui sentait la lavande et le soleil dont nous manquons tant. Mais parlait-on vraiment de Mistral et de Pagnol, ou n'était-on pas en train de nous vendre, à la Fernandel, quelques pagnolades ? Je me souviens de Manon des Sources, si proche de l'univers de Giono : les territoires qui s'ignorent sont des territoires qui s'assèchent...

Ma ville de Nantes est capitale verte de l'Europe grâce à sa métropolisation. On peut ironiser sur la compétence qualité de l'air donnée aux maires, mais dans ma ville, il existe des rues-canyons où l'air est considérablement pollué. Un maire ne peut y être indifférent. Le PLU doit revenir au maire, dites-vous, au motif de la proximité ; c'est hélas ce qui nous donne des paysages pleins de lotissements, un mitage qui touche aussi la Provence...

Une identité aide toujours à mieux comprendre les identités des autres. Quand Yvan Audouard et Pierre Jakez-Hélias présentaient ensemble des contes, ils se comprenaient parfaitement. L'agglomération de Morlaix est partagée entre le Trégor et le Léon ; je ne vois pas de difficulté pour Aubagne, Aix et Marseille.

La motion n°649 n'est pas adoptée.

Renvoi en commission

Mme la présidente.  - Motion n°58, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (n° 581, 2012-2013).

Mme Éliane Assassi .  - Je regrette de présenter cette motion devant un hémicycle clairsemé...

M. Louis Nègre.  - La qualité remplace la quantité !

Mme Éliane Assassi.  - Les conditions de préparation et d'examen de ce texte ne sont pas satisfaisantes. Le texte a été scindé en trois, au prix d'une perte de visibilité globale et de fortes incohérences. Le premier texte fait par exemple référence au Haut Conseil des territoires, présenté comme essentiel par François Hollande, qui ne sera créé que dans le troisième texte. On parle de chef de filat, alors que les compétences à attribuer ne sont pas créées - je pense à la qualité de l'air pour les communes.

Les élus de terrain ont beaucoup contesté ce projet de loi, et cela s'est traduit par un remaniement profond du texte par notre commission des lois, soucieuse d'écoute. Mais il manque un échange de fond sur le texte récrit. La commission des lois a beaucoup travaillé, nous dit-on. Excusez-moi : c'est la moindre des choses !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Tout à fait !

Mme Éliane Assassi.  - C'est en effet normal pour un texte qui va structurer la vie de nos institutions locales et même celle de nos concitoyens, dont on a finalement peu parlé... J'ai été frappée par le caractère désincarné des interventions. Quand j'ai entendu Christian Favier, je me suis dit : enfin de l'humain ! Car nous avons été élus pour travailler, réfléchir, répondre aux besoins et aux attentes de nos concitoyens. On peut toujours, comme on l'a fait en commission des lois, examiner des amendements jusqu'à 3 heures du matin.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - On est là pour cela. Et ce n'est pas l'exception, hélas !

Mme Éliane Assassi.  - Dans ces conditions, il était difficile, voir impossible pour les sénateurs ayant déposé des amendements d'exposer leurs objets, voire de les défendre. Un tout nouveau texte a été élaboré en commission et nous n'avons eu qu'une petite semaine pour l'examiner et proposer des amendements. Le président de la République avait dit à Dijon qu'il faisait confiance au Sénat pour remanier le texte. L'annonce était donc faite et l'on pouvait en tenir compte dans le calendrier. Le président du Sénat annonçait pour sa part une large concertation pour approfondir les états généraux ; le Gouvernement n'en a eu cure et a balayé la proposition. L'examen s'est donc soldé par une soixantaine d'auditions, sans autre forme de consultation, suivies par une réécriture complète du texte. Il eût été bon, dans ces conditions, de consulter à nouveau. Cette idée d'un aller-retour entre le Sénat et les associations d'élus a été abandonnée. Et une commission des lois réduite, en pleine nuit, à la portion congrue a récrit le texte. On est loin de l'esprit des états généraux, qui furent une belle réussite démocratique. Le Sénat n'a pu se saisir de ce texte.

La démocratie est au coeur de la réflexion qui m'anime. Ce projet de loi et sa précipitation font débat. Il faut prendre le temps de l'échange pour répondre à l'exigence démocratique qui monte dans notre pays. Ne confondons pas vitesse et précipitation. Rappelez-vous la censure constitutionnelle sur le projet de loi sur le logement, dont l'examen avait été bâclé.

Nous avons, c'est détestable, un débat qui préfigure une France morcelée, éclatée entre des métropoles toutes-puissantes d'un côté et de l'autre de grandes zones promises à la désertification. C'est prendre le risque de réveiller des baronnies locales oublieuses d'un développement harmonieux, et de susciter la concurrence entre les territoires. Nos débats de cet après-midi furent caricaturaux. La métropole est un monstre complexe dont les élus, y compris sur ces bancs, comprennent mal tous les mécanismes ; ce qu'ils voient en revanche, c'est le déficit démocratique...

Le découpage en trois textes aussi pose problème. Nous avons pris les choses à l'envers - je crois que le rapporteur partage ce constat. Nous ne savons rien de ce que deviendront les deux autres textes. Quels outils seront donnés aux communes pour se prémunir de l'influence des futures métropoles ? Comment garantir que ce dispositif ne vise pas simplement à réduire les dépenses ? On a appris mardi que M. Ayrault entendait relancer les contrats de plan État-région-grandes collectivités. Ah bon ? Quel est ce nouveau type de contrat qui porte négociation avec les « grandes collectivités » ?

De même, en juin prochain sera proposé un pacte de confiance avec les collectivités territoriales sans que les départements aient l'assurance d'être compensés des allocations de solidarité auxquelles ils doivent faire face. La question financière est au coeur d'une réforme audacieuse de la décentralisation, porteuse de progrès et de développement des services publics. Notre commission ne nous a pas éclairés sur le réalisme de la réforme vu l'exigence de réduction des dépenses voulue sinon imposée par Bruxelles.

Que dit M. Barroso ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Je ne suis pas sur les positions de M. Barroso.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Nous ne sommes pas d'accord avec lui.

Mme Éliane Assassi.  - « L'examen des dépenses publiques en cours qui concerne non seulement les administrations centrales mais aussi les administrations des collectivités locales et de la sécurité sociale devrait indiquer comment améliorer encore l'efficacité des dépenses publiques.... La nouvelle loi de décentralisation devrait traiter cette question. »

Bref, nous avons bien besoin de renvoyer le texte en commission pour un examen plus approfondi. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-Pierre Sueur .  - Je m'exprime au nom de mon groupe qui me l'a demandé.

Madame Assassi, je vous ai connu plus convaincante. De quoi parlons-nous ? D'un texte inscrit à l'ordre du jour conformément à la Constitution par la Conférence des présidents. Selon vous, on aurait peu parlé des gens quand j'ai entendu, moi, battre le coeur vivant de la démocratie. Quelles que fussent les positions, le débat a été de qualité. Le Gouvernement, encore heureux, n'a pas engagé la procédure accélérée ; nous aurons quelques mois pour approfondir le travail sur ce texte.

Notre rapporteur, sitôt nommé, a procédé à de nombreuses auditions - il a entendu 50 élus en avril qui ont eu quelque écho ; puis à d'autres auditions - une cinquantaine d'élus encore. Le compte rendu de l'examen du texte le 15 mai a été mis en ligne le 16 mai - grâce à la diligence de nos services. Les groupes ont eu le temps de préparer leurs amendements.

Mme Éliane Assassi.  - La commission ne les a pas encore tous examinés que nous débattons en séance publique !

M. Jean-Pierre Sueur.  - La commission a adopté 292 amendements, dont 188 lors de l'établissement du texte. N'y voyez pas le signe d'une insuffisance : nous avons fait notre travail, celui d'amender la loi avec énergie et conviction. Après tout, lorsque le texte est adopté conforme, il y a davantage de raisons de renvoyer un texte en commission, des amendements ayant peut-être échappé à la sagacité des rapporteurs...

Mme Éliane Assassi.  - Mauvaise foi !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous nous sommes réunis 25 heures pour établir le texte et examiner les amendements extérieurs que, à ma demande, comme j'en ai imposé l'usage - on m'en fait parfois le reproche - leurs auteurs ont présenté un par un.

Mme Éliane Assassi.  - Vous n'êtes guère convaincant.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Soyez satisfaite : j'annonce que la commission poursuivra ses travaux lundi de 14 heures à 16 heures et, éventuellement, mardi de 9 heures à 10 heures.

Mme Éliane Assassi.  - Vous êtes sur la défensive !

M. René Vandierendonck, rapporteur.  - Je rends hommage à votre pugnacité. Le Sénat aurait une position maastrichtienne...

Mme Éliane Assassi.  - Je n'ai pas dit ça ! Barrosienne !

M. René Vandierendonck, rapporteur.  - Vous voulez une coopérative d'élus, un débat participatif ? N'insultez pas l'avenir : nous siégerons dix jours, réjouissez-vous nous aurons un débat participatif... et laissez-moi ma chance ! (Applaudissements au banc des commissions ; Mme Éliane Assassi rit de bon coeur et applaudit aussi)

Mme la présidente.  - Je suppose que M. le rapporteur est défavorable...

M. René Vandierendonck, rapporteur.  - Oui !

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Le Gouvernement aurait pu présenter un projet de loi dès le mois de juillet, l'an dernier. Nous avons préféré attendre la tenue des états généraux de la démocratie territoriale. Nous avons écouté les associations d'élus et procédé à 150 auditions, le temps de la réflexion a bien été pris. Le projet a été jugé lourd et à la demande du président Bel nous l'avons scindé en trois dont l'examen va être échelonné dans le temps. Sur le premier le texte de la commission est fort différent du texte du Gouvernement. Nous prendrons tout le temps nécessaire pour en débattre. Nous sommes à la disposition du Sénat et du groupe pour discuter de tous les points techniques et difficiles.

Vous avez raison : ce débat est extrêmement important car il concerne au premier chef l'organisation de la vie de nos concitoyens. Je ne puis donc être favorable à votre motion.

La motion n°58 n'est pas adoptée.

Prochaine séance aujourd'hui, vendredi 31 mai 2013, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit et quart.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du vendredi 31 mai 2013

Séance publique

À h 30, à 14 h 30 et le soir

- Suite du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (n° 495, 2012-2013).

Rapport de M. René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois (n° 580, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 581, 2012-2013).

Avis de M. Claude Dilain, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 593, 2012-2013).

Avis de M. Jean-Jacques Filleul, fait au nom de la commission du développement durable (n° 601, 2012-2013).

Avis de M. Jean Germain, fait au nom de la commission des finances (n° 598, 2012-2013).