Indemnités des parlementaires

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la proposition de loi organique tendant à prohiber le cumul, par les parlementaires, de leurs indemnités de fonction avec toute autre indemnité liée à un mandat.

Discussion générale

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi organique .  - Notre République est fondée sur le principe de souveraineté nationale qu'incarnent à la fois le peuple et ses représentants au Parlement. Nous avons la tâche difficile d'écrire le droit et de relayer, sans mandat impératif, les préoccupations de nos concitoyens. En contrepartie, ceux-ci exigent de leurs représentants probité et intégrité.

Certes, l'histoire fourmille d'exemples de scandales qui ont alimenté l'antiparlementarisme de ceux qui n'ont jamais accepté la République. La crise économique nourrit aussi la défiance, qui se traduit par la recrudescence de discours démagogiques faisant peser le soupçon sur les élus. Les parlementaires sont des justiciables comme les autres. Les manquements personnels ne sauraient jeter l'opprobre et le soupçon sur l'ensemble des élus.

M. François Rebsamen.  - Très bien !

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi organique.  - Les amalgames douteux affaiblissent in fine l'action publique. Quand la légitimité des élus est mise en cause, leurs décisions ne sont plus acceptées.

Face à ce constat, il faut moderniser nos institutions, corriger certains dysfonctionnements. Ce renouveau démocratique emprunte toutefois aujourd'hui des chemins détournés. L'air du temps voudrait amalgamer deux débats : celui sur la légitimité du cumul des fonctions et celui sur le cumul des indemnités.

M. François Rebsamen.  - Très bien !

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi organique.  - Nous avons déposé cette proposition de loi avant que ne s'ouvre la nouvelle saison de chasse médiatique aux élus.

« Les cumulards font de la résistance » : convenez avec moi, monsieur le ministre, que de telles manchettes ne font guère de bien à la représentation politique. Le rapport Jospin, ficelé à l'avance, sans consultation des partis ni des groupes politiques...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Ce n'est pas très aimable pour M. Jospin, qui a une grande indépendance d'esprit.

M. Jacques Mézard.  - Je dis ce que je pense et n'ai pas pour habitude de vous interrompre.

Les partis politiques n'ont pas été consultés, disais-je. (Applaudissements sur les bancs UMP) La motivation incantatoire, nous en connaissons l'origine : les appétits d'appareils partisans, professionnels de la politique, zélateurs de la représentation proportionnelle, impatients d'éliminer le lien direct entre les électeurs des territoires et l'élu. Nous en connaissons le vecteur assimilant dans l'opinion cumul des mandats et cumul des indemnités.

M. Philippe Bas.  - Très bien !

M. Jacques Mézard.  - La désignation des élus reviendrait non pas au peuple mais aux partis politiques, au mépris de la Constitution. Son article 4 dispose que les partis concourent à l'expression du suffrage, pas qu'ils la remplacent. Souhaitons que ce ne soit jamais le cas. A la consanguinité sociale ne doivent pas s'ajouter les mêmes parcours militants et professionnels.

Ce que souhaitent nos concitoyens, c'est que l'on ne s'enrichisse pas par la politique.

M. René Garrec.  - Ce n'est pas le cas ! (On renchérit à droite)

M. Jacques Mézard.  - Certains mauvais exemples individuels ont nourri les caricatures. Le bruit de fond qui résonne dans la société rappelle certaines périodes troublées. Rappelons donc publiquement qu'il ne faut pas confondre cumul des mandats et cumul des indemnités. Le premier sans le second ne pose pas de problème aux Français.

M. François Rebsamen.  - Bien sûr.

M. Jacques Mézard.  - La rémunération des parlementaires vise à assurer leur diversité sociale et à les protéger des pressions. Il ne faut pas craindre de dire que les élus doivent avoir les moyens matériels d'assurer leur indépendance. Quand on prône la moralisation et la transparence, parfois à l'excès, il faut dire les choses. L'indemnité parlementaire doit être à la hauteur de leur charge.

Le plafonnement du cumul d'indemnités s'élève aujourd'hui a 1,5 fois l'indemnité parlementaire. La gratuité des fonctions locales pour les parlementaires couperait court aux critiques.

M. François Rebsamen.  - Absolument !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Bien sûr !

M. Jacques Mézard.  - Le Gouvernement a déjà supprimé le reversement nominatif des indemnités...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Grâce au Sénat !

M. Jacques Mézard.  - Et à son éminent président de la commission des lois. (Sourires)

Pourquoi deux poids deux mesures ? Pourquoi autoriser le cumul du mandat de maire d'une grande ville du Nord avec la présidence d'une communauté urbaine ?

Il s'agit ici de répondre aux critiques populistes dont on sait à quelles dérives elles peuvent mener. Le Parlement a-t-il vocation à ne regrouper que des élus hors-sol ? D'autres pistes existent : incompatibilités, non-cumul des indemnités tirées d'organismes non parlementaire...

M. Jean-Jacques Hyest.  - Absolument.

M. Jacques Mézard.  - Il s'agit d'éviter la professionnalisation excessive de la politique, en visant notamment les collaborateurs d'élus...

Ce texte, utilement complété par le rapporteur, va dans le sens d'une démocratie apaisée. Il est temps de mettre fin à un déferlement qui nuit à notre République. Le travail des élus doit être valorisé et non dénigré ! (Applaudissements sur divers bancs, hormis ceux du groupe CRC)

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la commission des lois .  - Si l'on veut affaiblir le pouvoir politique, rien de mieux que contester la légitimité et la probité des élus...

On a mélangé deux questions : celle du cumul des mandats et celle du cumul des indemnités. L'interdiction de ce dernier mettrait fin au débat. Le principe de l'indemnité parlementaire a mis beaucoup de temps à être accepté. Quand l'article 27 de la Constitution dispose que tout mandat impératif est nul, il dit l'essentiel de la démocratie : que les décisions y procèdent du débat entre consciences libres. D'où la mise en place de l'indemnité parlementaire, dès le décret du 1er septembre1789, sans d'ailleurs qu'on ose le transcrire dans le bulletin des lois. Son niveau modeste ne sera revalorisé qu'en 1795 : la gêne des députés, inquiets d'être considérés comme des prébendiers, ne date pas d'hier ! Comme par hasard, avec le rétablissement du suffrage censitaire, la Restauration pose en 1817 le principe de la gratuité des fonctions électives, qui demeure encore aujourd'hui pour les fonctions municipales. C'était notre rubrique « à quand un statut de l'élu local ? ».

Il faudra attendre la fin de la France des notables et l'avènement de la République pour que l'indemnité, rétablie, soit pleinement acceptée et revalorisée. Les indemnités atteignent 5 500 euros pour le président d'une communauté d'agglomération de 100 000 habitants, 7 100 euros pour l'indemnité parlementaire. D'où l'écrêtement, depuis 1958, des indemnités cumulées, plafonnement étendu par la suite... Nouvelle étape avec la loi du 17 avril 2013 qui supprime la désignation par l'élu du destinataire de la part écrêtée. Aujourd'hui, députés et sénateurs cumulant une fonction locale ne peuvent percevoir qu'un montant maximum de 8 272 euros -je vous renvoie au rapport pour le détail.

La loi organique du 30 décembre 1985 encadre le cumul des mandats ; les lois de 2000 et 2013 ont précisé l'encadrement mais certaines fonctions, à commencer par les mandats intercommunaux, restent exclues du non-cumul. Beau manque de cohérence...

Cette proposition de loi élimine le soupçon de l'enrichissement personnel, ce qui permettra de poser les bonnes questions en matière de cumul des mandats : question d'indépendance des parlementaires, d'équilibre des pouvoirs. Cette proposition de loi n'est pas un exercice de mortification de plus mais une opération de clarification. Il pose la seule vraie question : comment rendre au Parlement son pouvoir et au pays le dynamisme que seul permet une authentique démocratie ? (Applaudissements)

M. Jean-Michel Baylet.  - Très bien !

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur .  - La question de l'indemnité parlementaire touche au principe même de notre démocratie. C'est un héritage de la Révolution, qui a proclamé l'égalité devant l'accès au mandat. C'est donc un gage de pluralisme, de diversité sociologique. Grâce à elle, l'exercice d'un mandat n'était plus réservé aux plus fortunés. Ne pas rémunérer convenablement, c'est menacer l'indépendance des élus, qu'il faut mettre à l'abri des tentations. D'où l'importance du statut de l'élu auquel le Sénat est très attaché. L'indemnité est un gage de libre arbitre et d'indépendance.

Nous devons entendre les exigences des Français, qui attendent des actes. Nous ne pouvons pas laisser s'installer un climat de défiance, de rejet. La crise de confiance s'aggrave avec la crise économique. Les mesures de moralisation annoncées par le président de la République sont nécessaires, elles contribueront au rétablissement de la confiance.

Je comprends les motivations de cette proposition de loi, toutes les motivations, explicites ou implicites. (Sourires) Je comprends votre attachement à l'image de l'élu. La rue est venue récemment encore contester la légitimité des parlementaires, avec bruit et parfois violence. Ces outrances doivent être condamnées. L'antiparlementarisme est un fonds de commerce ancien, surtout en période de crise, de doute. Face à ce mouvement, nous avons un devoir d'exemplarité.

Ce texte est un premier gage de cette exemplarité, mais ce n'est qu'une étape. Le Gouvernement a retenu une autre voie, une réforme plus profonde, qui répond à une exigence de la grande majorité de nos concitoyens : la stricte limitation du cumul des mandats. Je viendrai bientôt présenter ce grand texte devant vous, je sais l'accueil que vous lui réserverez. (Sourires)

M. Jacques Mézard.  - Triomphal !

M. Manuel Valls, ministre.  - Digne de ce que le Sénat réserve à un grand texte.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - N'en doutez pas !

M. Manuel Valls, ministre.  - Le non-cumul est un engagement fort du président de la République. Le cumul des mandats est une spécificité française...

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur.  - Mais non ! (M. Jacques Mézard renchérit) Et nous avons parcouru l'Europe pour voir ce qu'il en était.

M. Manuel Valls, ministre.  - ...qui a pu se justifier dans le passé. Je le sais pour avoir cumulé moi-même.

Mais avec la décentralisation, ce que veulent les Français, ce sont des élus pleinement investis dans leurs responsabilités au niveau local comme au niveau national. Le Premier ministre, dans son discours de politique générale, a dit qu'il voulait donner aux parlementaires tous les moyens d'exercer leur mission. Deux projets de loi ont été présentés en conseil des ministres le 3 avril. Ces textes constitueront l'élément déterminant de la rénovation de la vie publique de notre pays. Voter la loi, contrôler l'action du Gouvernement, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, sont des fonctions très prenantes. Le travail parlementaire est devenu difficilement compatible avec l'exercice de mandats locaux. Chaque mandat a ses exigences et ses contraintes. La réforme du non-cumul devra s'accompagner d'un statut de l'élu.

Le Gouvernement entend l'effort d'exemplarité que vous entreprenez ici. Il y est favorable car c'est un pas important, mais qui devra être suivi par d'autres. Les textes à venir y pourvoiront.

Il faut encourager l'engagement au service de ses concitoyens. Merci à M. Mézard de son utile contribution à la concrétisation des engagements du président de la République et du Gouvernement. (Quelques applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Excellent !

La séance, suspendue à 18 h 30, reprend à 18 h 40.