Lutte contre le terrorisme(Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, après engagement de la procédure accélérée.

Discussion générale

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur .  - Nos démocraties portent des valeurs universelles, des valeurs qui ont contribué à élever l'humanité, à libérer les individus, à apaiser les sociétés et à permettre le progrès. L'ambition qu'elles portent pour elles-mêmes et pour le monde est contestée par des attaques violentes et radicales. La France est particulièrement visée, ce n'est pas la première fois ; elle doit se défendre, opposer à la violence la force du droit qui est le fondement de la démocratie. La France, qui a déjà été frappée dans sa chair par le terrorisme, n'abdiquera jamais devant une menace aux formes multiples et mouvantes.

Il y a huit jours, grâce à l'action remarquable de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire et de la DCRI, sous l'autorité de la justice, une cellule djihadiste d'une grande dangerosité a été démantelée. Elle s'en était prise, le 19 septembre, à une épicerie casher à Sarcelles avec l'intention probable de tuer ; elle avait la capacité de commettre le pire.

Ne relâchons pas l'effort, restons en alerte. Le président de la République et le Premier ministre ont rappelé la détermination de la France à éradiquer les cellules et filières terroristes, à lutter contre ceux qui s'en prennent à nos valeurs et à nos institutions. La défense de l'intérêt supérieur du pays impose unité, cohésion et, je l'espère consensus. La République doit être unie contre ses ennemis.

En mars dernier, notre pays a vu le retour du terrorisme sur son sol : Mohamed Merah, animé par une idéologie de violence, un islamisme radical qui porte en lui la haine des Juifs, a tué sept personnes. Ses méthodes d'action sont le fruit d'une préparation minutieuse, de contacts, de fréquentation de sites djihadistes, de passages dans les camps d'entraînement des zones tribales afghanes ou pakistanaises. Cette affaire a révélé des failles dans l'organisation du renseignement, qu'il faut combler. Dès ma prise de fonctions, j'ai commandé un rapport pour en tirer toutes les conséquences, améliorer le pilotage des services et la coordination opérationnelle ; il me sera remis prochainement.

La menace terroriste est donc élevée ; elle est d'abord liée au djihadisme et vient de l'extérieur, de zones géographiques bien identifiées. Elle porte sur nos intérêts et nos compatriotes à l'étranger. Je pense, bien sûr, aux otages dont le président de la République a reçu hier les familles pour les assurer du soutien de la nation. La menace est également dirigée contre nos territoires : je pense au Mali, au Sahel où Aqmi et le Mujao ont qualifié la France d'ennemie. Avec ces groupes, il n'est pas question de discuter, le seul recours est la force. Le vote d'une résolution au Conseil de sécurité est une première étape. Nous devons tout faire pour que cette zone ne devienne pas un nouvel Afghanistan.

La zone Afghanistan-Pakistan est le lieu du basculement et de la formation djihadistes. Mohamed Merah s'y est entraîné. Dans la péninsule arabique la France est aussi une cible prioritaire d'Al Qaïda ; la Syrie en guerre civile devient un terrain de motivation et de préparation au djihad. Au-delà le cyberespace, par la propagande, l'endoctrinement, la mise en relation, diffuse aux quatre coins de la planète une idéologie de haine.

La menace vient aussi de l'intérieur, on l'a vu en 2001 à New York, en 2004 à Madrid et en 2005 à Londres. Elle vient maintenant de convertis, de groupes plus ou moins étendus mais aussi d'individus auto-radicalisés qui s'abreuvent d'informations sur les sites islamistes radicaux. Les ennemis de l'intérieur, souvent issus de quartiers populaires, doivent être surveillés méthodiquement et minutieusement. Leur basculement personnel peut prolonger un passé de délinquance et intervient souvent en prison où l'islam radical leur apparaît comme une rédemption. Aussi, je salue l'initiative de la garde des sceaux de développer les aumôneries musulmanes dans nos établissements pénitentiaires. La radicalisation s'opère parfois en quelques mois en décalage avec l'islam des parents et des pays d'origine ; elle s'appuie sur un antisémitisme violent et l'instrumentalisation des conflits du Moyen-Orient ; elle peut amener le terroriste à penser que la lutte contre l'ennemi supposé passe par le sacrifice de sa personne.

En mars 2012 l'action efficace des services a permis le démantèlement d'un réseau djihadiste qui se préparait à des actions majeures. Mais le terrorisme n'est pas lié au seul islam radical. Tous ceux qui voudront installer la terreur sur notre territoire seront sévèrement punis. Les séparatistes basques ont annoncé, le 21 octobre 2011, leur renoncement définitif à l'action armée. C'est le fruit d'une coopération de 30 ans avec l'Espagne, qui trouve sa traduction dans les conclusions du sommet franco-espagnol du 10 octobre. Cela dit, nous devons rester vigilants : la seule issue est la dissolution totale de l'ETA. Vigilance aussi pour la Corse où la violence persiste, comme en témoigne l'actualité de ce jour. En démocratie, l'action politique ne peut frayer avec la violence. Ceux qui pratiquent des plasticages, des actes qui masquent parfois mal des objectifs économiques peu avouables, n'auront jamais le droit de s'asseoir à la table de la République.

Avec ce projet de loi, nous construisons, non en urgence, un surcroît de sécurité pour nos concitoyens. L'unité de la Nation passe par le refus de toute stigmatisation. Je veux d'ailleurs rappeler la différence entre l'islam radical et l'islam qui, comme d'autres religions, porte un message de tolérance. L'islam de France a toute sa place en France. Ce projet de loi est utile à la République, aux Français, aux juges, aux services enquêteurs. En avril 2011, après les attentats de Toulouse et de Montauban, le précédent gouvernement avait déposé un texte qui a alimenté notre réflexion. Je suis ouvert à toute amélioration.

M. Michel Mercier.  - Très bien !

M. Manuel Valls, ministre.  - Depuis 1986, la France s'est dotée d'un dispositif antiterroriste à la fois efficace et respectueux des libertés publiques. Nous avons pris le temps de la concertation, examiné toutes les propositions sans esprit partisan, travaillé en complémentarité avec la garde des sceaux. Car la coordination entre sécurité intérieure et justice est l'un des atouts du modèle français ; nous devons le préserver. Ce projet de loi de mobilisation est donc le fruit d'un travail commun. Tout ce qui était utile aux services a été retenu ; nous nous sommes gardés de toute surenchère. En la matière, la raison doit l'emporter, non la polémique.

Nous devons être unis dans la lutte contre le terrorisme. Je suis, d'ailleurs, heureux de présenter ce texte au Sénat en premier, dont je sais la sagesse. Je veux saluer le travail très constructif du rapporteur Jacques Mézard...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Absolument !

M. Manuel Valls, ministre.  - ... sous la conduite de l'excellent président Sueur.

Ce projet de loi comporte un premier volet préventif. Il proroge les dispositions de la loi du 23 janvier 2006, tels que les contrôles dans les gares ou les trains internationaux, qui ont montré leur efficacité ; le nombre des patrouilles mixtes a augmenté, ce qui est très positif. Les données de connexion fournies par les opérateurs et fournisseurs d'accès, sous le contrôle d'une autorité indépendante, sont également indispensables. J'en veux pour preuve l'identification et l'arrestation récentes de l'administrateur d'un site islamiste de recrutement de candidats au djihad.

Internet, Twitter, les réseaux sociaux sont devenus des vecteurs de propagation de la haine, il faut mieux les surveiller. Le Gouvernement vous demande de proroger une dernière fois l'article 6 de la loi de 2006. Après quoi, il faudra revoir l'articulation avec la loi du 10 juillet 1991. L'accès à certains fichiers administratifs et leur consultation font partie de l'activité quotidienne des services habilités.

Notre droit est clair ; c'est pourquoi j'avais proposé de ratifier l'ordonnance du 12 mars 2012 -votre commission estime devoir prendre le temps de l'examiner plus avant ; je peux le comprendre. Un amendement sera présenté à l'Assemblée nationale.

Deuxième volet, le volet répressif. Dorénavant, la loi française s'appliquera aux Français qui ont commis à l'étranger un acte en lien avec un fait terroriste -qui y suit par exemple un endoctrinement ou y participe à un camp d'entraînement. À la continuité territoriale du terrorisme, il faut opposer la continuité territoriale des poursuites.

Le Gouvernement, entend lutter avec lucidité contre le terrorisme. Les Français doivent savoir que tout est mis en oeuvre pour garantir leur sécurité. Ce texte est nécessaire pour la défense de ce que nous sommes, pour la défense de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE, de l'UCR et de l'UMP)

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois .  - Monsieur le ministre, vous avez employé les mots qui conviennent quand la République est menacée. Le terrorisme est de toutes les époques. L'expression du fanatisme, monstre né de tous les obscurantismes, renaît constamment sur le terreau de la misère des peuples. On se souvient des attentats anarchistes de la fin du XIXe siècle. On se souvient que la IIIe République a perdu deux de ses présidents, Sadi Carnot et Paul Doumer, en raison d'attentats terroristes. La violence est rarement légitime, bien des justes causes l'ont emporté sans y recourir -voir Gandhi ; elle l'est encore moins quand elle s'en prend à des régimes fondés sur la volonté des peuples. Ce fléau, qu'il soit fondamentalisme religieux, actes de l'ETA ou attentats en Corse -je pense bien sûr à l'acte barbare perpétré contre le préfet Erignac, mais aussi à ceux contre des Français ordinaires- répond à un processus similaire. Nous devons le combattre sans faiblir.

Comment prévenir et réprimer le terrorisme ? Comment appliquer la loi de la République sans faiblesse, utiliser au besoin la force tout en respectant les libertés fondamentales ? C'est le travail auquel vous nous avez conviés. Personnellement, je ne suis pas choqué que l'exposé des motifs reprenne celui de M. Mercier dans le texte présenté en avril dernier.

M. Michel Mercier.  - La ministre de la justice vous saura gré de ces propos...

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il est des causes pour lesquelles l'intérêt national commande le consensus.

Oui, il y a urgence car les dispositions de la loi de 2006 seront caduques le 31 décembre 2012. Cela justifie la procédure accélérée. Entre autres différences, le texte de M. Mercier créait de nouvelles infractions pénales, ce qui justifiait qu'il fût porté par le garde des sceaux... (M. Michel Mercier s'exclame)

En l'état, disent les acteurs de la lutte contre le terrorisme, notre arsenal législatif est relativement complet et fondé sur l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Subsistait pourtant une lacune : l'engagement de poursuites dans le cas de la préparation d'actes terroristes à l'étranger ; ce texte la comble sans créer de nouvelles infractions : il étend l'infraction d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes terroristes.

Le contentieux terroriste est, en pratique, centralisé à Paris, avec un pôle spécialisé au sein du parquet et un au sein du siège. En droit pénal, le terrorisme est défini par la combinaison d'une infraction de droit commun et d'une entreprise individuelle ou collective portant gravement atteinte à l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. L'infraction d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste permet de couvrir presque tous les cas.

Les services enquêteurs, pour l'essentiel la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), disposent d'outils, ceux précisément qu'il s'agit de proroger par l'article premier : demandes de données de connexion, de fadettes et de géo-localisations, contrôles d'identité dans les trains internationaux. S'il y a eu des dérives, et nous savons qu'il y en a eu, elles sont le fait de services qui se sont affranchis du cadre légal, non du cadre légal lui-même. Pour l'heure, la prorogation de ces dispositions m'apparaît souhaitable. Le moment est venu, il faudra revoir leur articulation avec la loi de 1991.

L'article 2 étend l'application de la loi française à des crimes et délits qualifiés de terroristes commis par des Français à l'étranger. Actuellement, les conditions posées compliquent la procédure. De fait, il est improbable que des pays qui tolèrent des camps d'entraînement répondent à l'exigence de réciprocité d'incrimination ou de dépôt de plaintes officielles. L'association de malfaiteurs couvre bien des cas, mais non ceux où aucun acte préparatoire n'a été commis en France ; l'évolution des modes opératoires rend cette situation de plus en plus fréquente.

Dorénavant, seule subsistera la condition de nationalité française, en cohérence avec l'article 113-10 du code pénal. Désormais, les actes commis en France et à l'étranger seront donc semblablement poursuivis. La formule est plus large que celle présentée par M. Mercier, qui maintenait la condition non bis in idem, mais elle écarte la notion de « résident habituel », juridiquement fragile. Peut-être parviendrons-nous à un compromis après le débat de ce matin en commission.

Au vrai, l'efficacité de la lutte contre le terrorisme exigera peut-être des adaptations à une menace mouvante -bien sûr dans le respect des libertés constitutionnellement garanties. Surtout, elle est le fait des pratiques des acteurs. Dans une récente affaire qui a beaucoup frappé l'opinion française, tout le problème était de déterminer le bon moment pour saisir les magistrats : trop tôt, on manque d'éléments constitutifs de l'infraction ; trop tard, l'attentat est déjà commis. Les dispositions n'exonèrent pas les services de remonter et de recueillir les informations nécessaires à l'établissement de l'infraction.

La commission départementale d'expulsion, aux termes de l'article 3, doit rendre un avis sur l'expulsion d'un étranger dangereux. Le texte prévoit un délai au-delà duquel l'avis sera réputé rendu. La commission des lois a adopté un amendement pour prévoir un délai d'un mois avec un mois supplémentaire en cas de demande de renvoi pour motif légitime. C'est au législateur d'intervenir quand il y a atteinte à la liberté. La suppression de l'article 5 était logique. Quant à l'article 6, il vise à intégrer les transpositions de la loi du 6 mars 2012 dans le code de la sécurité intérieure, lequel pourra ainsi être ratifié par le Parlement.

Nos concitoyens, c'est logique, s'inquiètent des menaces. L'affaire Merah a frappé les esprits. Les récentes arrestations témoignent de la vigilance, du courage, de l'abnégation des services. Mais vous avez aussi, monsieur le ministre, su faire le ménage où cela était nécessaire. Les Français sont sensibles à la volonté politique dont vous témoignez. Vous vous inscrivez dans le droit fil de Clemenceau qui sut, dans les pires épreuves, affirmer la puissance de l'exécutif dans le respect des libertés. Vous ne serez pas étonné que je conclue par une phrase qu'il prononça dans cet hémicycle au coeur de la tourmente : « Il faut que l'éducation des hommes se fasse, elle n'est possible que par la pratique. Nous avons le devoir de leur assurer la liberté contre les envahissements du pouvoir mais aussi contre ceux de l'anarchie ». (Applaudissements à gauche)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.   - J'ai voulu intervenir comme président de la commission pour le contrôle de l'application des lois, afin que son travail puisse servir le débat.

À la suite des événements de Montauban et Toulouse, un projet de loi avait été déposé sur le bureau de notre assemblée. Cas d'école ! Un événement, un projet de loi, sans prendre le temps d'un diagnostic partagé. Nous avons donc voulu procéder, en urgence et dans la transparence, à une évaluation stricte des dispositifs existants, formant l'ossature de la législation antiterroriste depuis la loi fondatrice de septembre 1986. Il me paraissait essentiel que nos concitoyens mesurent bien les enjeux et les difficultés.

Nous avons mené de nombreuses auditions, hormis, pour des raisons peu claires, celle des plus hauts responsables du renseignement. Du fait des élections du printemps, le projet de loi Mercier est devenu caduc et nous avons remis nos travaux à la rentrée parlementaire d'octobre. Mais le nouveau gouvernement nous a fait savoir qu'il était obligé de légiférer pour ...

M. Michel Mercier.  - ... faire comme le précédent.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.  - Oui, sur les points qui ne posaient pas problème.

Notre commission ne s'immisce pas dans les travaux législatifs : son rapport est là pour donner un état des lieux. Le cadre législatif actuel a été jugé, dans l'ensemble, globalement satisfaisant. M. Trévidic estime ainsi que la loi française donne les instruments nécessaires, même si son application soulève quelques difficultés lesquelles sont plus d'ordre organisationnel que juridique.

Le terrorisme n'est plus le même qu'en 1986. Ses adaptations ont été continues et la révolution de l'internet les a accélérées dans la dernière décennie. Le mode opératoire des terroristes a évolué. Aux attentats à la bombe des années 1990, ont succédé des actions individuelles, comme dans l'affaire Merah. Internet joue ici un rôle central.

Face à une menace qui affecte l'ordre social, comment concilier l'efficacité de la réponse pénale sans porter atteinte aux libertés fondamentales ? L'exercice est éminemment délicat. Le pivot central doit être l'autorité judiciaire, dont notre Constitution fait le garant des libertés. Législation exceptionnelle, oui, mais pas législation d'exception. Donnée fondamentale dont j'espère qu'elle inspirera ce débat difficile. (Applaudissements à gauche)

Mme Esther Benbassa .  - Ce texte se substitue à celui déposé par M. Mercier à la suite des attentas de Toulouse et de Montauban. Je ne referai pas l'historique de la loi de 2006, dont les articles 3, 6 et 9 ont été prorogés en 2008, jusqu'à la fin de la présente année civile.

C'est dans un climat tendu que nous avions alors abordé le débat. Pour lever toute suspicion, je veux redire mon rejet de toute forme de terrorisme aveugle et ma haine des fossoyeurs de toute civilisation. Avant d'évoquer les éventuelles dérives auxquelles pourraient conduire certains articles de ce projet de loi, je me placerai sous l'aile protectrice d'un maître en éloquence, Jean-Pierre Sueur. (Marques d'approbation parfois ironiques)

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je crains le pire ! (Sourires)

Mme Esther Benbassa.  - « La lutte contre le terrorisme, disait-il, nécessite le concours de tous les élus de la République (...) car nous devons lutter de toutes nos forces contre ce qui est la négation de la civilisation et de la démocratie ». La question, ajoutait-il, « est de savoir dans quelles conditions il est légitime de prendre les mesures exceptionnelles qu'appelle la lutte contre le terrorisme ». Je ne saurais rien redire à la sagesse de ces paroles.

La lutte contre le fléau du terrorisme ne doit pas céder à la passion de l'événement, et se faire à n'importe quel prix. Ne donnons pas aux Français le sentiment de ne produire qu'un texte d'affichage en réaction aux attentats de Sarcelles.

Ce texte proroge les articles 3, 6 et 9 de la loi de 2006. Mais pourquoi ces dispositions, prorogées en 2008, ne nous ont-elles pas protégés d'un Mohamed Merah pourtant connu des services de police, et pourquoi la cellule de Sarcelles n'a-t-elle été repérée qu'après l'attentat de l'épicerie ? Tout citoyen est en droit de se poser ces questions.

Les écologistes demandent que la prorogation soit limitée à décembre 2014 et qu'un rapport d'évaluation soit produit avant toute prorogation, comme ce fut le cas en 2008. Tant que l'on ne s'attaquera pas aux causes profondes d'un terrorisme endogène, qui s'enracine dans nos quartiers, tant que l'on ne se donnera pas les moyens de répondre par des solutions pratiques, pour prévenir le basculement dans la radicalité religieuse, tant que l'on restera aveugle au grippage de l'ascenseur social, on n'endiguera pas le phénomène.

Les libertés individuelles, socle de la démocratie, doivent être préservées. Faut-il rappeler que la gauche jugeait naguère liberticides les dispositions dont le Gouvernement demande la prorogation ? Qu'est-ce qui, quatre ans plus tard, modifie cette position ? Ainsi le veulent, sans doute, la politique et la raison d'État. Nous ne proposons pas d'amendement de suppression, mais qu'au moins soit réduite la prorogation.

Ce texte touche au droit des étrangers en assouplissant la procédure d'accès devant la commission départementale d'expulsion, qui statue dans des délais souvent supérieurs à un mois. Pourquoi cette précipitation ? S'agit-il d'expulser des étrangers avec plus de facilité ? Pourtant, la gauche a toujours été soucieuse de renforcer les prérogatives de cette commission. Autres temps, autres moeurs. Les écologistes, fidèles à eux-mêmes et aux valeurs de la gauche, proposent de renforcer les prérogatives de la commission, pour rappeler les socialistes à la mémoire.

Notre vote dépendra du sort réservé à nos amendements. S'ils sont rejetés, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Jean-Jacques Hyest .  - Vos déclarations, monsieur le ministre, ne peuvent que renforcer l'adhésion de la représentation nationale. Mais, Mme Benbassa l'a rappelé, si l'on s'en réfère aux positions socialistes de la loi de 2006, on ne peut que s'étonner. Lorsque l'on a une carrière longue de parlementaire, il faut être attentif à ses propos car ils peuvent être repris.

Je ne vous dirai pas, monsieur le ministre, que la procédure accélérée ne se justifie pas : elle est nécessaire. Quant à la ratification d'ordonnance, le Parlement a coutume de vérifier qu'elle a un sens.

M. Rebsamen dénonçait naguère un projet de loi « mal ficelé et inefficace ». Pourtant, ce texte en reprend une bonne partie. Vous l'avez annoncé après une manifestation devant l'ambassade américaine. Je ne dirai pas, comme vous l'auriez fait, que vous réagissez à l'émotion...

M. François Fortassin.  - Qu'allez-vous dire alors ? (Sourires)

M. Jean-Jacques Hyest.  - ...car je considère que la menace terroriste est particulièrement préoccupante. Mais comment les Français comprendront-ils votre volte-face, comme celle que vous avez opérée sur le traité européen ?

M. François Rebsamen.  - Comparaison n'est pas raison !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je suis heureux de la présence, au banc des ministres, de Mme la garde des sceaux : il est bon que la Chancellerie, gardienne des libertés, soit associée à un tel texte.

Depuis 1986, la France a pris conscience de la spécificité de la menace terroriste, dont on a vu évoluer les modes opératoires. Il a fallu concilier renforcement des moyens accordés à la puissance publique, et préservation des libertés. Le rapport de la commission de contrôle de l'application des lois rappelle que le cadre juridique est satisfaisant, en dépit de difficultés d'application. Mais, comme le rappelle un bon spécialiste, l'adaptation passe par une meilleure prise en compte de l'internet. Il faudra reparler de la création d'un nouveau délit de consultation de sites internet. Il faut également se demander si l'on peut laisser dans la loi sur la presse de 1881 l'apologie du terrorisme : comment faire pour allonger les délais de prescription et autoriser la détention provisoire ?

Je m'interroge sur la prorogation des dispositions, déjà prorogées, de la loi de 2006. Il faut aboutir à une unification des procédures relatives aux interceptions de sécurité, en veillant à l'équilibre. La loi de 1991 a été un progrès considérable ; elle a crédibilisé les services. Nous avons intérêt à promouvoir un dispositif interministériel, sous le contrôle du Premier ministre. J'ai déposé un amendement identique à celui de Mme Benbassa. Comme quoi ! Mais la philosophie est tout à fait différente.

Consensus général et nécessité de légiférer au plus vite, certes, mais je regrette un texte a minima. Que nous soutenons cependant : vous considérez désormais que la loi de 2006 est bonne. N'allons pas vous arrêter en si bon chemin ! (Applaudissements sur les bancs UMP et UCR)

Je comptais, pour conclure, citer des propos éclairants tenus en 2006 par le président de notre commission des lois ; Mme Benbassa l'a fait ! (Sourires et applaudissements à droite et au centre)

M. Alain Anziani .  - L'affaire Merah et l'interpellation des membres d'une cellule terroriste après l'attentat de Sarcelles nous rappellent que le terrorisme est une menace permanente pour les démocraties, d'autant plus dure qu'elle change sans cesse de forme. Il faut contre elle se défendre, sans se dénaturer. Le Conseil constitutionnel a rappelé ce principe d'équilibre dans sa décision de février dernier.

Évitons la confusion : la lutte contre le terrorisme ne doit pas se solder en une discrimination contre une communauté. Or cette confusion a été commise en 1996. Ne tenons pas les droits fondamentaux pour accessoires, telle est notre philosophie.

Je laisse à M. Hyest sa malice. L'humour est un droit de l'opposition.

M. Jean-Patrick Courtois.  - De la majorité aussi !

M. Alain Anziani.  - Il nous a rappelé à notre passé, je le rappelle au sien. La différence est patente entre les lois d'émotion de naguère et ce dispositif de lutte contre le terrorisme, qui doit rassembler les républicains.

La prorogation des articles de 2006, madame Benbassa ? Mais le renseignement est essentiel à la lutte contre le terrorisme et ces mesures sont nécessaires. Comment lutter contre le cyber-terrorisme, forme moderne du terrorisme, sans géo-localisation ? Les services pourront accéder aux données de connexion, pas au contenu : l'équilibre est acceptable et a été jugé conforme en janvier 2010 par le Conseil constitutionnel. Quant aux contrôles, ils demeureront placés sous l'oeil de la Cnil.

Nous ne pouvons que très difficilement poursuivre un Français qui va commettre un acte terroriste à l'étranger. Il fallait combler cette lacune. Le Gouvernement n'a pas ajouté un délit au code pénal, il s'est contenté d'élargir le champ de certaines dispositions existantes. C'est un bon choix.

Le délai d'avis de la commission départementale sur les expulsions devait être encadré, quand on sait qu'il va jusqu'à 109 jours en moyenne. Notre commission des lois a amendé le texte pour garantir les libertés, en prévoyant un délai supplémentaire en cas de recours.

Nous avons préféré supprimer l'article autorisant la codification de l'ordonnance : avec 550 articles, le travail de contrôle eût été herculéen.

Le groupe socialiste, soucieux d'accompagner le Gouvernement dans sa volonté de lutter avec détermination contre le terrorisme, votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)

Mme Éliane Assassi .  - Nul ne conteste la nécessité de lutter contre le terrorisme. Nous condamnons avec fermeté toute atteinte à la République. Mais la force du droit doit prévaloir. Personne ne détient ici le monopole du républicanisme, quel que soit son vote. Oui, il faut agir, mais dans un sens qui n'entame pas nos valeurs.

Un dilemme démocratique se pose, en la matière. La démocratie n'est pas un acquis. Elle demande une vigilance permanente car elle peut, à tout moment, être démantelée. Lutter contre le terrorisme n'est pas chose aisée, mais les libertés fondamentales ne doivent pas en pâtir. Je ne tombe ni dans le tout sécuritaire, ni non plus dans l'angélisme béat. Le terrorisme doit être combattu avec force, mais tout est dans la question des moyens. Or nous en sommes venus, au fil des lois, à construire un arsenal qui instaure une surveillance généralisée. Et finalement pour quel résultat ? L'affaire Merah fut terrible. J'ai une pensée pour les familles endeuillées. Cette affaire fut un fiasco pour le gouvernement d'alors. (Exclamations à droite) Faut-il poursuivre dans cette voie, qui privilégie l'affichage et fait de chaque citoyen un éventuel terroriste ? Certes, non.

L'infraction d'association de malfaiteurs est suffisamment souple pour couvrir nombre d'actes délictueux. De surcroît, l'article 2 posera des problèmes d'application : son efficacité dépend du bon vouloir des pays tiers. Autre critique, et non des moindres, soulevée par le juge Trévidic, la personne sera soupçonnée d'emblée, puis relâchée, sans que l'on ait travaillé à remonter les réseaux. Ce serait une prévention a minima.

Que dire de l'article 3 ? Les avis de la commission départementale d'expulsion ne sont pas contraignants ; dans les cas urgents, elle n'est pas saisie. Le dispositif proposé par le Gouvernement revient à enterrer ladite commission doucement et sûrement.

Quant à l'article premier, qui proroge les dispositions de la loi de 2006, la gauche tout entière avait estimé qu'il crée l'amalgame entre terrorisme et immigration, vu que les contrôles d'identité ne jouent pas un rôle fondamental dans la lutte antiterroriste ; je n'ai pas changé ma position. Quant aux fichiers administratifs, ils sont un outil pour un fichage généralisé de la population résidant en France.

Aucun commentaire sur l'article 4, si ce n'est que je soutiens la commission : le Parlement doit prendre le temps de vérifier la codification des ordonnances.

Malgré ce dernier satisfecit, nous ne voterons pas ce texte. Non par laxisme, que cela soit dit. Il faut multiplier enquêtes, auditions et rapports pour prendre le recul nécessaire à une appréhension globale du phénomène terroriste.

Pour finir, il faut condamner tout amalgame : les musulmans de France sont aussi victimes de l'islam radical. Celui-ci attire les jeunes car il leur donne un sentiment de toute puissance. Beaucoup d'entre eux, qui ne reçoivent aucune transmission, passent par la case prison à cause des peines planchers, et ils ne peuvent pas même y pratiquer leur culte. À nous de combler les lacunes pour éviter l'endoctrinement de ces jeunes dans ce qui s'assimile, pour beaucoup de sociologues, à une véritable secte. C'est ainsi que nous tuerons le terrorisme dans l'oeuf. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Michel Mercier .  - Ce projet de loi est assorti de la procédure accélérée. Quand il s'agit d'une question aussi grave, tous les républicains doivent se rassembler. Il serait contraire à cet esprit de rassemblement de me livrer à ce petit jeu cruel qui consiste à rappeler les positions des uns et des autres.

Je me réjouis de la détermination qui fut celle de Nicolas Sarkozy, (exclamations à gauche) et qui est aujourd'hui celle de François Hollande et du Premier ministre à lutter contre le terrorisme en donnant aux policiers et aux magistrats le moyen de combattre ce fléau. Je veux féliciter, d'ailleurs, ces magistrats et ces policiers de leur travail. (Applaudissements)

La lutte contre le terrorisme est aussi une affaire quotidienne. Ainsi, l'administration pénitentiaire collabore avec les services de renseignements pour mieux surveiller les prisons qui font souvent figure d'écoles de la radicalité. Tant mieux !

Notre devoir de législateur est de vérifier que les acteurs de cette lutte ont tous les outils. Parce que je crois à la défense de la démocratie, je voterai ce texte sans états d'âme. Un regret toutefois. Pourquoi avoir renoncé à transposer la directive européenne ?

Le terrorisme n'a pas de frontières, il faut le combattre dans l'espace européen.

Il fallait sortir le délit d'apologie du terrorisme du droit de la presse, mais pour le replacer dans le droit commun et en lui conservant toute son autorité. Je vous proposerai un amendement sur ce point.

Je souhaite vraiment l'extension de l'article 2 aux personnes résidant habituellement en France. Notre volonté est simple : donner au Gouvernement toutes les armes dont il a besoin.

Notre législation contre le terrorisme, c'est exact, est bonne. Elle s'est construite au fil des ans. Nous pouvons l'améliorer ensemble. Sans quoi, il vous faudra revenir devant le Parlement. Faut-il attendre un autre événement tragique ? On vous reprochera de légiférer sous le coup de l'émotion : je vous le déconseille.

L'efficacité de la lutte contre le terrorisme, c'est notre objectif à tous ! (Applaudissements sur les bancs UCR et plusieurs bancs à droite)

M. Stéphane Mazars .  - Le contexte justifie la procédure accélérée. Les événements de Toulouse et de Montauban ont montré que notre pays est frappé par la menace terroriste. Je veux vous féliciter pour le coup de filet contre la cellule djihadiste, qui opérait en région parisienne, à Strasbourg et sur la Côte d'Azur. Notre pays n'a que trop payé !

Notre législation n'est pas un droit d'exception, elle est un droit spécifique respectueux des libertés. Notre groupe sera toujours mobilisé pour préserver cet équilibre nécessaire à la démocratie.

Oui, la question relève de l'intérêt supérieur de la France. Je me réjouis du consensus, quasi général, qui prévaut ici.

Je salue également votre méthode d'analyse raisonnée, la concertation avec les magistrats et les services de renseignements. Je n'oublie pas le texte présenté par M. Mercier, en avril. Il a alimenté notre réflexion, mais certaines de ses dispositions étaient fragiles. Je pense au délit de consultation habituelle de sites internet.

Notre groupe votera donc ce texte tel qu'amélioré par notre excellent rapporteur.

La prorogation des mesures d'exception de la loi de 2006, validées par le Conseil constitutionnel, est nécessaire. Les dérives qui ont été constatées sont le fait d'individus et ne sont pas liées au cadre législatif.

Le terrorisme est protéiforme comme l'a montré l'affaire Merah qui a aussi révélé bien des dysfonctionnements : l'homme avait été repéré depuis longtemps par les services. Le 12 juillet dernier, vous avez, monsieur le ministre, annoncé que vous en tireriez toutes les conséquences en revoyant l'articulation entre la DCRI et les autres services.

Le terrorisme prend racine sur le terreau de la misère et de l'échec de notre politique pénale passée. Il est désormais acquis que les prisons françaises sont des lieux de radicalisation religieuse. Pour l'endiguer, il faut intégrer davantage d'imams. Mme la garde des sceaux a annoncé qu'il y en aurait 30 supplémentaires d'ici 2014, il en faudrait quatre fois plus ! Le contrôleur général des lieux de privation de liberté y a insisté.

Notre groupe soutiendra le Gouvernement dans cette lutte contre l'obscurantisme et le fanatisme ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Jean-Patrick Courtois .  - Sous la législature précédente, je m'étais beaucoup engagé sur ce sujet. La majorité a changé, la menace terroriste persiste.

Vous reconnaissez la pertinence de la loi de 2008 adoptée sous le président Sarkozy, que vous avez tant critiqué. En fait, vous vous ralliez à notre thèse en prorogeant les dispositions de la loi de 2006. Que n'a-t-on entendu à l'époque ? Je n'aurai pas la cruauté de rappeler ici les propos de nos collègues socialistes parmi les plus éminents. Vous les avez tous en mémoire : il ne fallait pas faire d'amalgame entre terrorisme et immigration.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Nous avions raison !

M. Jean-Patrick Courtois.  - Je vous épargne la suite. L'exercice du pouvoir vous a conduits à modifier votre position. Vous n'aurez pas à me convaincre, je le suis depuis des années. Notre vigilance doit être constante : il faut adapter la loi à la menace terroriste dans le respect des libertés fondamentales.

Le groupe UMP, en responsabilité et sans complexe, votera ce texte en espérant que nos amendements l'amélioreront.

Mme Virginie Klès .  - Je ne me risquerai pas à l'exercice de la synthèse, non plus à celui du petit jeu des citations. Par respect pour les victimes, pour les forces de l'ordre et pour la démocratie. La démocratie, a bien dit M. le ministre, c'est l'apaisement ; c'est aussi le raisonnement car l'émotion est mauvaise conseillère.

Il y a urgence car si nous ne faisons rien, un vide juridique subsistera. Oui, il y a urgence car le calendrier international est le bon. Oui, il y a urgence car la France ne peut rester désarmée quand, partout ailleurs, on lutte contre le terrorisme. La majorité le fait dans l'équilibre.

Sénatrice depuis 2008, je découvre que l'on peut présenter un texte en urgence, pour autant qu'il soit assorti d'une étude d'impact.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Cela était déjà le cas avant, Constitution oblige !

Mme Virginie Klès.  - Le Parlement est respecté. Équilibre parce que la consultation a eu lieu. Équilibre parce que le texte se limite à des dispositions urgentes sans être émaillé de cavaliers, la confiance est rétablie.

S'il reste à parfaire le texte, nous allons y travailler ensemble. Si je suis d'accord avec Mme Assassi sur la nécessité d'approfondir la réflexion, je ne partage pas sa conclusion : je voterai le texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Delebarre .  - Étant le dernier intervenant, je ne reviendrai pas sur les raisons qui justifient le dépôt de ce texte de loi. Je m'efforcerai de ne pas prononcer le mot de trop qui écarterait mes collègues de l'excellente voie qu'ils ont choisie. Ah ! La douce musique du consensus ! Ne troublons pas cette belle harmonie...

M. Charles Revet.  - Ce ne fut pas toujours le cas dans le passé !

M. Michel Delebarre.  - La menace terroriste est réelle : l'attaque avec un engin explosif de l'épicerie de Sarcelles est un acte odieux, que nous sommes unanimes à condamner.

Ce projet de loi, équilibré, se situe dans la ligne de notre législation, complété par l'infraction d'association de malfaiteurs. Nous avons toujours eu le souci d'un équilibre entre préservation de la sécurité et celle des libertés fondamentales ; ce texte ne déroge pas à la règle.

L'internationalisation de la menace terroriste impose d'étendre l'application de la loi française aux actes commis à l'étranger par des Français.

À l'occasion de mon rapport de 2004 devant la commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale, j'avais souligné que le concept de guerre au terrorisme n'est pas adapté. Si l'outil militaire est parfois nécessaire, comme le terrorisme est de moins en moins le fait de réseaux centralisés, il est préférable de faire appel aux services de renseignement, à la police, à la justice. Mohamed Merah était un djihadiste de synthèse, un loup solitaire, n'obéissant à aucune chaîne de commandement.

Comme dans tout autre domaine, il faut renforcer la prospective. Je compte sur le Gouvernement pour prendre toutes les mesures nécessaires, en particulier en matière de coopération entre les services et entre les pays.

La politique européenne de lutte contre le terrorisme n'est pas là pour se substituer aux politiques nationales, ni les concurrencer, mais pour les appuyer et lever tous les freins à l'échange d'informations. Non sans avoir rappelé la priorité absolue de la protection des populations civiles, je conclurai en disant que ce texte combattra efficacement le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois .  - Nul ne peut oublier les victimes du terrorisme qui ont souffert dans leur chair. Si l'on parle de victimes innocentes, c'est que le terrorisme est aveugle : il suffit d'être là, simplement, pour se retrouver en danger de mort. Voilà, en substance, le discours que je tenais le 14 décembre 2005. Je ne retire rien.

Depuis, la situation a changé. Le Conseil constitutionnel nous a donné en partie raison. « Le législateur a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs » écrivait-il à propos des réquisitions administratives. Les sages ont également validé d'autres mesures que nous contestions ; nous sommes républicains, nous en prenons acte.

Deuxièmement, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu une décision.

Troisièmement, la Cnil avait rendu un avis extrêmement critique sur la loi de 2006. Rien de tel aujourd'hui.

Quatrièmement, le champ de la loi est tout à fait différent. Celle dont nous débattions en 2005 s'intitulait projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant diverses dispositions relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers. C'était un grand fourre-tout, entre mesures sur le terrorisme et dispositions sur la police des stades, les grands rassemblements et les « évènements particuliers ». Elle organisait un amalgame systématique entre immigration et délinquance, immigration et terrorisme.

Le président de la République, le Premier ministre l'ont dit : il ne faut pas confondre ceux qui s'adonnent à la folie de l'intégrisme radical et la communauté des musulmans.

Robert Badinter, en décembre 2005, rappelait ici même qu'en dix ans, le Parlement n'avait pas été saisi moins de huit fois de ces questions -autant de répétitions et d'amalgames. Mais ce texte, et c'est une nouveauté, porte exclusivement sur le terrorisme. Il est bon qu'il en soit ainsi : une nouvelle rédaction de l'article 3 clarifierait les choses et prendrait mieux en compte les droits des personnes.

Autre différence : pour la préparation de ce texte, une commission commune a réuni services du ministère de l'intérieur et de la justice : c'est affirmer un attachement égal à la lutte contre le terrorisme et à la défense des libertés fondamentales. Comme l'a dit encore M. Badinter, les procédures doivent toutefois être irréprochables à l'égard de ces libertés ; c'est sous cet angle que le Parlement doit apprécier les textes que lui soumet le Gouvernement. S'il faut faire preuve de fermeté dans la lutte contre le terrorisme, la même fermeté doit prévaloir lorsqu'il s'agit, dans cette lutte, du respect des libertés fondamentales.

Je ne crois pas que Mohamed Merah ait été, comme je l'ai entendu dire, un loup solitaire. Mais les paroles de certains hauts responsables du précédent gouvernement ont laissé croire des choses qui n'étaient pas conformes à la réalité. Un solitaire ? Mais très encadré, très organisé, très informé... Peut-être eût-il été bon qu'il fût plus tôt déféré devant la justice.

Il est vrai que chacun peu évoluer ; il est non moins vrai que les circonstances peuvent être différemment appréciées selon que l'on est dans l'opposition ou dans la majorité. Mais les points que j'ai évoqués justifient notre attitude d'hier comme celle d'aujourd'hui.

Le terrorisme est une folie qui met, hélas, beaucoup d'intelligence à son service. La réponse doit allier protection et répression, indissociablement liées. Face à cette folie planifiée, cynique, inhumaine, terrifiante, nous devons avancer en restant nous-mêmes, assurés que l'arme la plus puissante dont nous disposions est celle du droit et de la raison. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Manuel Valls, ministre .  - Je veux souligner la qualité de ce débat et remercier la commission et son rapporteur qui ont travaillé dans des délais contraints, tout en recherchant le consensus le plus large. Il est normal de débattre lorsqu'on touche aux libertés fondamentales, mais la continuité doit prévaloir. Les travaux en commission augurent bien de l'équilibre que nous devons trouver ensemble. Merci à M. Mézard d'avoir évoqué Clemenceau, qui a su allier autorité et pragmatisme dans son action, dans le respect de la démocratie.

Je m'engage, monsieur Assouline, à revenir devant votre assemblée avec une évaluation approfondie sur l'opportunité de fusionner le régime des interceptions de sécurité et celui de l'accès aux données de connexion. Vous avez eu raison de souligner la place nouvelle d'internet et le rôle central du juge dans notre dispositif antiterroriste.

Madame Benbassa, je sais votre rejet absolu du terrorisme ; nous le partageons tous. La gauche sociale-démocrate, pour qui l'exercice du pouvoir n'est pas une nouveauté, ne s'est pas réfugiée dans les chimères. J'ai souvenir que, jeune citoyen d'origine espagnole, j'avais beaucoup apprécié la politique de coopération engagée par François Mitterrand avec Felipe Gonzalez, alors qu'on disait la police espagnole encore marquée par le franquisme... Lorsqu'on s'attaque aux valeurs démocratiques, il n'est rien de plus normal que des pays démocratiques coopèrent.

La menace a évolué. Vous avez raison de souligner combien il faut veiller à éviter toute stigmatisation. La majorité de nos concitoyens musulmans rejette le terrorisme, dont les musulmans sont dans le monde, à commencer par ceux d'Irak, les premières victimes. Ce texte place le juge, garant des libertés individuelles, au centre du dispositif. Nous voulons une société apaisée. Le ministre de l'intérieur est celui de l'ordre, il est aussi le garant des libertés. Le respect des droits des personnes n'exclut pas la fermeté, d'autant que les premières victimes de la violence, sont les plus faibles, les plus pauvres, les plus exposées. L'insécurité est une inégalité de plus. (Applaudissements à gauche)

Il y a des changements dans les pratiques. C'est normal. Jeune attaché parlementaire de Michel Rocard, j'ai bien connu M. Hyest lorsqu'il était député et connais son goût pour le débat. La procédure accélérée, soyons honnêtes, est pleinement justifiée : le texte était prêt, et il fallait assurer la prorogation avant le 31 décembre 2012. Nous avons pris le temps, Chancellerie et ministère de l'intérieur, d'un travail approfondi, partagé, expertisé. L'actualité n'a fait que justifier encore ce travail.

C'est dans un souci d'unité nationale que nous avons travaillé. Michel Mercier avait, comme garde des sceaux, préparé un projet ; François Fillon avait sagement décidé de ne pas en précipiter l'examen au Parlement. Il était normal que nous en tenions compte. Le traitement de l'affaire Merah a donné aux Français une image d'unité des pouvoirs publics : c'est ce qu'il faut en retenir, chaque fois que l'on se trouve face à des actes si graves. C'est la force des démocraties que de se retrouver quand elles sont ainsi attaquées. Soyez donc rassuré, monsieur Hyest. Je partage votre souci de cohérence de la législation, en particulier sur l'article 6 de la loi de 2006. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

Je partage votre souci, monsieur Anziani, d'éviter l'amalgame entre terrorisme et immigration. Le groupe qui a été démantelé, ne l'oublions pas, était composé de Français convertis. Oui, il n'y a pas de lutte contre le terrorisme sans renseignement de qualité, sans renseignement maîtrisé, évalué et coordonné au sein du ministère de l'intérieur et avec les magistrats spécialisés. C'est ce qui fait la force de la lutte à la française contre le terrorisme.

Nous partageons, madame Assassi, les mêmes objectifs et les mêmes valeurs ; mais il faut protéger nos démocraties, sans excès ni naïveté. Oui, j'ai voulu reconduire des mesures attentatoires aux libertés individuelles, nécessaires à l'efficacité de la lutte contre le terrorisme, mais chacune d'elles est encadrée par la loi ou le juge, et aucune ne vise une population, un pays ou une religion en particulier.

Ce texte est bâti selon une logique qui réunit deux ministères, ceux de l'intérieur et de la justice. La France n'a pas fait le choix, comme les États-Unis après le 11 septembre, de restreindre les libertés fondamentales.

Merci à M. Mercier dont le texte nous fut une base de réflexion. Nous avons voulu écarter les risques d'inconstitutionnalité et peser la nécessité de toute atteinte aux libertés. Au-delà de l'émotion qu'ont pu susciter les attentats de Montauban puis le démantèlement d'un groupe terroriste qui a voulu tuer à Sarcelles et s'apprêtait sans doute à commettre des actes irréparables, nous voulons, comme vous l'avez voulu, répondre à de vraies questions. Le consensus ne nous rendra que plus forts.

Je tiens, monsieur Mazars, à la méthode dont je vous remercie d'avoir souligné l'efficacité. Je suis bien conscient que sans la justice, sans la loi, rien ne vaut. Vous ne m'entendrez jamais critiquer la justice ni commenter une action menée par la police sous l'autorité du procureur avant que celui-ci ne se soit exprimé. L'efficacité de notre action passe par la capacité à analyser échecs et dysfonctionnements. Mais jamais je ne mettrai en cause le travail de nos services, et je me garderai bien de porter des accusations sur les hommes : quand il y a échec, il est collectif. Je n'oublie pas qu'une action est en cours sur l'affaire Merah. Le rapport qui me sera remis dans quelques jours m'aidera à tirer les leçons de la fusion entre RG et DST. Il faut, en tout état de cause, ne pas se couper de la réalité du terrain ; il y faut des moyens.

Les responsabilités qui m'ont été confiées l'ont peut-être été en raison des positions que j'ai toujours prises, anciennes, connues, constantes. Je serai attentif à toutes les propositions qui seront faites au cours du débat, sans opposer droite et gauche, monsieur Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Moi, je n'ai jamais varié !

M. Manuel Valls, ministre.  - C'est votre marque... Merci à Mme Klès de son soutien et de son analyse constructive ; nous prendrons le temps du débat avec l'esprit de mesure qu'elle appelle de ses voeux. À M. Delebarre, je veux réaffirmer que nous n'entendons pas adopter une posture de provocation ; l'État ne peut utiliser la terreur contre la terreur : la force ne peut être qu'adossée à la loi, c'est l'essence de la démocratie. Le langage guerrier doit être banni, même s'il faut bien parler d'ennemi intérieur pour qualifier les nouvelles menaces.

Le président Sueur a rappelé les évolutions intervenues depuis 2006. C'est la force de la démocratie, dès lors que nous sommes d'accord sur l'essentiel, d'apporter, au-delà de l'alternance, une réponse construite, intelligente et adaptée à la lutte contre le terrorisme, une réponse qui s'appuie sur la force de la loi, sur la démocratie et sur la laïcité. C'est à quoi nous nous employons. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE, au centre et sur de nombreux bancs à droite)

La discussion générale est close.

La séance est suspendue à 19 h 5.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.