Premier usage de stupéfiants

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à punir d'une peine d'amende tout premier usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants.

Discussion générale

M. Gilbert Barbier, auteur de la proposition de loi.  - Douze millions de nos concitoyens ont essayé le cannabis ; trois millions sont consommateurs occasionnels ; 1,2 million sont consommateurs réguliers dont 70 % ont moins de 25 ans. Ces statistiques morbides doivent nous interpeller. Banalité ou fatalité ? Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale titrait déjà en 2004 : Le cannabis, autre cancer ? L'Inserm soulignait pour sa part que le nombre de consommateurs avait quadruplé en dix ans, alors que l'état des lieux était déjà accablant. En 2007, le rapport de l'Académie de médecine pointait la toxicité du cannabis.

Des politiques, des plans ont été mis en place. Mais la situation reste hautement inquiétante. Même s'il ne faut pas oublier l'action au quotidien, pour la prise en charge des usagers problématiques dans les Caarud ; prise en charge faute de soins, de prévention contre le VIH, de prescription encadrée des substituts, qui pose le problème de leur mésusage.

Mais aujourd'hui, je concentrerai mon propos sur les usagers du cannabis.

Sur les 1,2 million de consommateurs, je l'ai dit, une majorité de jeunes de 15 à 25 ans. On peut être révolté à voir que le premier contact a souvent lieu dès 13 ans et parfois moins.

Il ne s'agit pas ici d'apporter une solution miracle, mais de s'interroger sur l'efficacité des actions. Beaucoup ici, en 2004, avaient signé une proposition de loi identique à celle-ci. Nous sommes face à un problème de masse, de société. Les données prouvent l'extrême dangerosité de l'usage du haschisch, présent depuis la plus haute antiquité en Egypte et en Chine, qui a inspiré à Baudelaire ses plus beaux poèmes et reste un grand fléau pour notre jeunesse. C'est contre son utilisation, avec ou sans alcool, par de très jeunes, qu'il faut nous insurger.

M. Charles Revet.  - Bien sûr.

M. Gilbert Barbier, auteur de la proposition de loi.  - Les cultures OGM renforcent le principe actif de 25 à 30 %. La pharmacologie de ce principe est bien connue. Le professeur Joly, président de l'Académie de médecine, faisant état de l'extrême lipophilie du principe actif, le THC, et comparant le cerveau à une motte de graisse, a montré qu'un simple joint suffit à stimuler les récepteurs CB1, qui jouent un rôle majeur dans la régulation des émotions. Effet hédoniste aussi, avec les récepteurs dopaminergiques qui provoque cependant troubles de la mémoire et autres désordres.

Le cannabis, entend-on souvent, ne provoquerait pas d'accoutumance. Mais libérant des dopamines, il provoque un phénomène de récompense qui conduit le consommateur à la dépendance. Une étude conduite en Suède sur 50 000 conscrits a montré que les fumeurs de plus de 50 joints avant le service militaire multipliaient par six le risque de développer une schizophrénie.

Prévenir, traiter, sanctionner : tel doit être notre credo. Malgré le travail des forces de l'ordre, les adolescents continuent de penser que fumer un joint n'est pas dangereux et qu'il est aisé de braver l'interdit. Il faut repenser l'approche préventive, comme pour l'alcool et le tabac, développer l'estime de soi chez l'adolescent, s'appuyer sur les médecins et infirmières scolaires, associer les familles aux campagnes de sensibilisation, lutter contre la désinformation systématique sur le cannabis. L'offre de soin, ensuite : on la connaît.

Nous sommes face à un enjeu de santé publique, de société et de sécurité. Or le cannabis est quasiment en vente libre. Est-ce irréversible ? On ne sanctionne guère qu'en cas de circonstance aggravante. C'est pousser un certain nombre de jeunes dans l'enfer de la toxicomanie.

Si donc il faut renforcer la prise en charge médicalisée, il faut aussi se pencher sur le volet répressif. Le rapport Henrion, qui avait suscité débat en son temps, relevait que certains jeunes n'avaient pas même conscience de violer un interdit et concluait à la nécessité d'un renforcement de l'appareil répressif.

Mais il faut moduler la sanction, pour mieux dissuader ceux qui fument pour la première fois. Il ne s'agit pas de bouleverser le code de la santé publique mais la masse des circulaires montre que la rigidité des dispositions conduit à leur non-application.

Les interpellations épargnent des catégories entières de consommateurs, en particulier les jeunes, là où, au contraire, il faudrait dissuader par une sanction réelle. Sur 110 000 interpellations en 2008, 17 553 cas seulement ont été traités, l'an dernier, par les parquets. Où sont passés les autres ? Pour les jeunes, les alternatives aux poursuites ont représenté 73 % des affaires, dont 13 % un simple rappel à la loi, fort peu dissuasif. Dans certains cas, les autorités renoncent purement et simplement à agir, elles pourraient inscrire le contrevenant au fichier national des usagers de stupéfiants si celui-ci, créé en 2008, était en service. On nous annonce qu'il le sera d'ici la fin de l'année.

Les problèmes n'avaient pas échappé à notre commission d'enquête de 2003. Créer une infraction spécifique pour les primo-délinquants permettrait de répondre au problème, en appliquant une contravention forfaitaire aux abords des écoles, ce qui, du même coup, alerterait les parents.

La loi du 30 décembre 1970 est dans le code de la santé publique : car il s'agit bien de cela. C'est pour mieux répondre à un problème de société que je vous propose d'adopter cette proposition de loi. (Applaudissements)

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois.  - Je salue l'initiative de M. Barbier : c'est celle d'un médecin, soucieux d'une question de santé publique, préoccupante pour les jeunes. C'est aussi celle d'un parlementaire réfléchissant en conscience, sur un problème de société, sans s'attacher à aucune échéance électorale, contrairement à ce qu'a insinué le président de la Mildt.

Ce ne serait pas le bon moment ? Mais quand viendra-t-il ? On ne peut, vu l'ampleur du problème, faire usage de la formule habituelle selon laquelle pour le résoudre, il suffit de ne pas le poser.

Ce texte n'est pas un premier pas vers la dépénalisation : il vise à une réponse pénale effective, parce que proportionnée à des comportements préjudiciables à la santé. Il est inspiré des conclusions de la mission commune Assemblée nationale-Sénat sur la question qui, après un travail minutieux, a mis en évidence l'inadaptation de notre législation à la réalité du terrain. La contraventionnalisation a été reconnue comme une alternative sérieuse dès 2003, par notre commission d'enquête sénatoriale, où M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, appelait de ses voeux un dispositif gommant la disposition la plus critiquable de la loi de 1970 : prononcer une peine de prison à l'encontre des primo-usagers. Le temps passe, les idées changent. M. Raffarin émettait, dans le même temps, la même proposition.

Puis il devient urgent de ne rien faire... Et depuis, c'est à une inquiétante banalisation que l'on assiste. Plus de 47 % des jeunes de 17 ans déclarent avoir déjà consommé du cannabis. M. Barbier a rappelé les risques énormes pour les jeunes, parfois irréversibles.

Le code de la santé publique prévoit une peine d'un an d'emprisonnement et une sanction pécuniaire. Quand le parquet est saisi, il dispose certes d'une palette de réponses, mais en pratique, malgré la succession des circulaires, le cannabis atteint 70 % des procédures pour usage de stupéfiants, essentiellement par des jeunes. C'est effrayant ! Et la pratique des juridictions est très disparate. En région parisienne, c'est la fameuse ordonnance pénale qui est privilégiée. C'est ainsi que la mission commune d'information concluait à l'inadaptation de la réponse pénale, préconisant la création d'une contravention de troisième classe. Elle permet de proportionner la réponse, de simplifier la procédure, d'éviter l'inscription au casier judiciaire, d'impliquer les parents. Nous ne sommes pas laxistes : cette contravention ne s'appliquerait que pour le premier usage. En cas de réitération, la qualification en délit perdurerait.

Il reviendra au pouvoir réglementaire de fixer l'amende forfaitaire.

On nous a objecté qu'il sera difficile de caractériser l'infraction comme première. Mais il existe un fichier sur l'usage illicite des stupéfiants, qui doit, selon nos informations, entrer en activité fin 2011 et s'imposer à tous les services.

La non-inscription au casier judiciaire évite l'effet stigmatisant : le parquet ne sera saisi qu'en cas de réitération.

Autre objection : le faible taux de recouvrement des amendes. Bel argument ! Mieux vaut, en tout état de cause, appliquer les textes existants que les multiplier. (Applaudissements sur les bancs du RDSE) Il deviendra impossible, nous objecte-t-on encore, de placer en garde à vue un suspect qui aiderait à remonter une filière ? Mais la garde à vue est toujours possible pour détention de stupéfiants.

Je suis conscient que ce texte ne se suffit pas à lui-même et ne prendra tout son sens que dans une politique globale de prévention. Mais il améliore la législation actuelle : c'est l'essentiel. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et socialistes)

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Ce texte est le fruit de la mission commune d'information Assemblée nationale-Sénat et reprend ses préconisations.

Face à des risques croissants, les pouvoirs publics doivent réaffirmer la dangerosité de la drogue et garantir une réponse pénale efficace. Je reconnais, monsieur Barbier, que vous ne proposez pas une dépénalisation. Mais nous disposons d'un arsenal législatif très complet : l'usage de stupéfiants est réprimé et peut être circonstance aggravante. La sanction peut être déclinée : rappel à la loi, composition pénale, ordonnance pénale, le parquet choisissant la voie la mieux adaptée. S'y ajoute une réponse sanitaire, qui peut aller jusqu'à l'injonction thérapeutique. Les circulaires successives ont toutes engagé à utiliser le plus largement cette palette, qui porte ses fruits puisque le nombre des usagers, en France, est inférieur à celui que l'on constate chez certains de nos voisins.

Mme Françoise Laborde.  - Ce n'est pas un argument !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - La dotation du fonds drogue a été largement relevée pour mieux lutter contre le trafic. L'interdit doit demeurer : il explique, au reste, le moindre nombre de consommateurs comparé à celui des substances licites, alcool et tabac.

Le choix d'une contravention de troisième classe, au regard de tout cela, pourrait laisser croire à un amoindrissement de la sanction, mettant en cause le principe de la prohibition.

Votre texte ne distingue pas entre les drogues, occultant du même coup la question sanitaire. Quid de la première consommation d'héroïne ou de cocaïne, qui appellera pourtant une vraie réponse sanitaire et non une simple contravention ?

J'ajoute que les mineurs ont besoin d'une prise en charge adaptée : or ils relèveraient, dans ce cas, du juge de droit commun.

M. Gilbert Barbier, auteur de la proposition de loi.  - Combien de cas l'an dernier ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Soyez cohérents ! On ne peut rappeler sans cesse au Gouvernement de défendre la justice des mineurs et voter un texte qui crée la confusion.

La contravention n'apporte rien de nouveau par rapport à l'ordonnance pénale qui a, depuis 2007, profondément changé les choses : elle est souple, efficace, on y recourt de plus en plus.

M. Gilbert Barbier, auteur de la proposition de loi.  - Combien en 2010 ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Beaucoup. (Sourires) Je ne m'engagerai pas dans le labyrinthe des chiffres. Comme pour Disraeli, ils sont pour moi l'instrument le plus raffiné du mensonge.

L'ordonnance pénale ouvre un éventail de réponses plus large, mieux différencié selon les consommateurs.

L'héroïne n'est pas la même chose que le cannabis.

Ce texte vise le premier usage constaté : c'est faire preuve d'une grande confiance. Est-ce premier usage réel ou effectif ? Et lorsqu'une infraction serait constatée par un agent des douanes, elle deviendrait un délit douanier.

Enfin, le placement en garde à vue deviendrait impossible. Le consommateur a acheté à un dealer : c'est lui qu'il faut rechercher. Adopter votre proposition de loi ce serait désarmer la police.

Vous aurez compris que, pour toutes ces raisons, je ne puis y souscrire. (Applaudissements sur quelques bancs UCR)

Mme Virginie Klès.  - Ce texte, issu du long travail de la mission d'information commune, répond à un problème de santé publique majeur, qui touche à notre jeunesse.

Nous manquons de cohérence, d'abord dans notre définition du terme de drogues, qui désignait au départ les médicaments. Il ne faudrait pas omettre la consommation détournée de médicaments, dont la publicité devrait être interdite à la télévision. Et l'alcool ? On n'hésite pas à autoriser, dans les grandes surfaces, la vente de premix, à côté des jus de fuit et des sodas ! Cherchez l'erreur !

Quel est le discours des pouvoirs publics à l'égard des drogues dures ? C'est très dangereux... et c'est tout. Il semble que la France soit moins touchée que d'autres pays. Quant au cannabis, le discours est ambivalent : on a parlé de drogue douce, douté des phénomènes d'addiction... L'interdit varie selon les pays. Comment les jeunes s'y retrouveraient-ils ? Pourtant, le danger existe. Comme l'a dit M. Mézard, la concentration en principes actifs a augmenté et avec elle la toxicité. En outre, le cannabis a des propriétés a-motivationnelles, qui enferment dans un cocon, réduit les émotions. Fumer un joint, c'est facile, l'introduire dans un établissement scolaire plus facile qu'y faire entrer une bouteille de whisky... La persistance du principe actif dans l'organisme est aussi un problème : un joint fait effet pendant une semaine...

Face à ce constat, les jeunes ont le sentiment soit qu'il n'y a pas d'interdit, soit que l'interdit est hypocrite ; la sanction est d'un an d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende -elle n'est jamais appliquée. Le sentiment d'impunité est donc total. Combien de jeunes interpellés au regard du nombre de consommateurs ? Combien iront au tribunal ? Combien seront effectivement condamnés ? Pourtant, depuis 1970, le nombre de personnes interpellées a été multiplié par 60.

Comment se satisfaire du constat que le nombre de consommateurs se stabilise ? Comment accepter que les jeunes fument leur premier joint à 15 ans et même avant ? Le premier usage d'héroïne est rarement le premier usage d'un produit illicite. Il faut donc répondre au premier usage de cannabis. Il est vrai que le contexte est difficile ; les réformes successives ralentissent les procédures et encombrent les tribunaux ; et je ne dirai rien des disparités territoriales...

La statistique, monsieur le ministre, est une science exacte si l'on sait de quoi on parle. Mais il est vrai aussi que l'on peut faire dire n'importe quoi aux chiffres.

Cette proposition de loi est bienvenue ; elle pourra facilement être appliquée et permettra d'apporter une réponse systématique. Mais la sanction ne sera efficace que si elle accompagnée d'une réponse éducative et/ou thérapeutique et si elle est adaptée aux besoins locaux. Je vous présenterai donc deux amendements pour combler ce que je considère comme des lacunes du texte.

Reste que le Gouvernement devra faire sien ce texte et publier rapidement les textes réglementaires d'application. Comme nous ne doutons pas de votre volonté, monsieur le ministre...

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Et réciproquement !

Mme Virginie Klès.  - ... nous voterons ce texte. (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Pasquet.  - Si nous sommes favorables à la répression effective des fournisseurs de drogues et des organisations dont ils dépendent, nous estimons que la démarche doit être tout autre vis-à-vis des consommateurs. Or, la loi de 1970 est inadaptée ; elle l'est d'autant plus que, comme l'a noté la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2011, la lutte contre le trafic de stupéfiants a fait l'objet d'un pilotage statistique depuis 2007 : la priorité a été donnée à la constatation des infractions les moins lourdes au détriment du démantèlement des réseaux de trafiquants.

Une simple amende de troisième classe résoudra-t-elle le problème ? Je ne le pense pas, même si la sanction sera moins lourde, même si les procédures s'en trouveront simplifiées, même si la condamnation ne sera pas inscrite au casier judiciaire. Comment identifier le primo-délinquant, sinon grâce à un fichier ? J'ajoute que le caractère systématique de l'amende empêchera toute réponse adaptée au consommateur, notamment thérapeutique, toute mesure alternative aux poursuites.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Très bien !

Mme Isabelle Pasquet.  - Cette proposition de loi déplace le problème. Il faudrait mieux accueillir et suivre les consommateurs de drogues. M. le rapporteur estime que la prévention est indispensable, mais rien n'est prévu dans ce texte pour l'améliorer. On peut craindre également que la sanction automatique ne soit un levier pour le prononcé de condamnations plus sévères en cas d'usage ultérieur.

Nous doutons au total de l'efficacité d'une sanction financière et de son caractère dissuasif. Ce texte ne résout pas le problème de l'accès à la drogue et ne dit rien de la prévention. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. François Pillet.  - En ma qualité de co-président de la mission Assemblée nationale-Sénat sur les toxicomanies, j'affirme que le sujet est préoccupant. La question ne peut être traitée aujourd'hui comme il y a 30 ans.

En 2003, le rapport de la commission d'enquête sénatoriale notait l'explosion de la consommation de drogue. Huit ans plus tard, la situation est tout aussi inquiétante. Le marché de la drogue est international ; la transformation de la, matière brute s'effectue dans des laboratoires clandestins, de plus en plus vers la fin de la filière, au plus proche des consommateurs et donc parfois sur notre territoire. La demande évolue et les trafics collent aux nouveaux marchés de la drogue.

Face à cela, nous devons nous engager dans une politique de prévention dès le plus jeune âge, accroître l'offre de soins et réduire les risques encourus par les toxicomanes.

La consommation de drogue se diffuse dans toutes les couches de la société ; elle est dangereuse pour les usagers mais aussi pour leur entourage. Les risques pour l'organisme sont d'autant plus grands que la première prise s'est faite jeune. Aux effets physiologiques s'ajoutent des troubles psychiques pouvant aller jusqu'aux psychoses en cas de consommation soutenue et des risques de marginalisation ou d'autoexclusion. Il est donc nécessaire que le discours soit clair et univoque : la dépénalisation de l'usage des drogues est une impasse éthique et juridique.

S'il n'est pas démontré que l'usage de la drogue pousse à la délinquance -ou vice-versa- ce risque ne doit pas être écarté, en particulier chez les jeunes les plus fragiles. Si les villes restent davantage touchées, les campagnes ne sont pas pour autant épargnées. La prévention est donc essentielle. L'offre doit être réduite, l'usage interdit ; la détention, la production, le commerce doivent être réprimés. Le maintien de la pénalisation de l'usage est un volet essentiel de la politique de prévention. Dès l'école primaire, il faut apprendre aux enfants à se méfier de la drogue, insister sur la promotion de la santé et de l'estime de soi. La prévention doit d'autre part être collective et individuelle et l'offre de soins renforcée.

Il faut s'interroger sur les sanctions. Leur modulation est essentielle. Or, elle est aujourd'hui insuffisante. Entre 2001 et 2008, le volume des affaires de stupéfiants a beaucoup augmenté, le nombre de classements sans suite a régressé. Notre arsenal juridique existe. Comme nous l'a dit le chef du bureau de la santé publique au ministère de la justice, à l'idée d'une légalisation contrôlée il faut préférer une pénalisation contrôlée. La loi de 2007 offre de nouvelles possibilités. La circulaire du 9 mai 2008 est parfaitement claire : la consommation ne doit pas être banalisée, une prise en charge médicale et sociale doit être prévue.

Les sanctions de la loi de 1970 ne sont pas appliquées. Cette proposition de loi reprend une des mesures que nous avions suggérées dans notre rapport. Pourtant, la contravention est-elle une bonne réponse ? Comment distinguer le primo-consommateur ? Et les mineurs ?

Le groupe UMP votera contre ce texte en espérant que l'arsenal législatif actuel soit mieux utilisé. Quant à moi, si je suis hostile à la dépénalisation de toute drogue, je considère que cette proposition de loi ne nuit pas aux objectifs que s'est fixés le législateur. A titre personnel, je le voterai. (Applaudissements sur les bancs UMP et UCR)

M. Jean-Paul Amoudry.  - En 2003, le rapport de la commission d'enquête sénatoriale dressait un constat très préoccupant. Celui de la mission commune d'information de 2011 n'est pas plus optimiste. Cette proposition de loi ne constitue pas un premier pas vers la dépénalisation, mais elle propose un allégement considérable des primes encourues. J'entends bien les arguments de notre rapporteur, mais n'est-ce pas prendre le problème à l'envers ? La loi de 1970 n'est pas appliquée, soit ; mais est-elle justifiée ? Ne punir le premier usage que d'une amende de 68 euros serait envoyer un signal désastreux en direction des jeunes.

En commission, nous avons longuement évoqué la question de l'échelle des peines. Mais faut-il que son premier échelon s'apparente à une infraction aux règles de stationnement ? La contraventionnalisation présente aussi l'inconvénient de faire disparaître tout l'éventail de solutions dont dispose l'institution judiciaire ; la Chancellerie insiste depuis des années sur la nécessité d'une réponse graduée.

Le problème relève davantage de la politique pénale que des peines encourues. La réponse au premier usage est très différente selon les territoires, mais ce texte ne résoudra pas le problème.

Nos auditions ont d'autre part montré que la garde à vue permettait de remonter les filières. Avec ce texte, ce ne serait plus possible. Ses partisans arguent que le passage au régime contraventionnel permettrait d'alerter les parents. Mais pourquoi réagiraient-ils davantage qu'ils ne le font aujourd'hui ?

Je ne suis pas convaincu par la non-inscription au casier judiciaire ; comme nous l'ont dit les représentants de l'Union syndicale des magistrats, l'inscription permet au contraire de mieux individualiser les peines ultérieures. Enfin avec la proposition de loi, le juge des enfants est dessaisi au profit du juge de proximité. Le groupe UCR ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements au centre)

M. François Fortassin.  - (Applaudissements sur les bancs du RDSE) La question des toxicomanies mérite un débat serein. Entre ceux qui y voient une affaire privée et ceux qui y voient un fléau social, entre ceux qui banalisent l'usage du cannabis et ceux qui le diabolisent, il est difficile d'y voir clair. M. le ministre voulait sans doute nous éblouir, il ne m'a guère éclairé.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Vous serez la lumière !

M. François Fortassin.  - Faut-il parler d'enfumage ? (Sourires) Le cannabis est de consommation courante : 3 millions de nos concitoyens fument des joints occasionnellement, un million sont fumeurs réguliers. Ce phénomène touche les jeunes des quartiers défavorisés mais aussi les plus aisés... L'image est banalisée, voyez le film Les Intouchables. Fumer du cannabis, c'est bon mais ça ne fait pas du bien. Son usage est dangereux et peut provoquer des troubles physiologiques et psychiques, notamment chez les moins de 15 ans dont le cerveau n'est pas construit. Certes, tous les usagers ne tombent pas dans l'addiction ; les amateurs d'alcool fort ne sont pas tous des alcooliques...

La loi de 1970 a fait son temps : le dispositif n'est pas adapté à notre époque. Une sanction d'un an de prison ? Voilà un épouvantail qui ne fait pas peur...

La proposition de M. Barbier a au moins cet avantage de faire savoir aux parents que leur enfant fume la moquette. (Sourires) Rien que pour ça, je voterai ce texte. La majorité présidentielle avait cette sanction dans ses cartons mais elle s'est dérobée au dernier moment. Je ne suis pas favorable à la légalisation du cannabis, même si les arguments de ceux qui la prônent méritent examen. Grâce à ce texte, nous avons un débat et nous en susciterons un au sein des familles. (Applaudissements au centre et à droite)

La discussion générale est close.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Merci à M. Amoudry qui a bien compris les enjeux. Je partage aussi nombre d'arguments développés par Mme Pasquet. Je constate en tout cas que personne ici n'est favorable à la dépénalisation. Je souscris aux propos de M. Pillet : il faut en effet frapper avec discernement, moduler la sanction. Or, ce texte ne propose rien d'autre qu'une amende de 68 euros ; un permis de fumer à 68 euros, en somme...

Enfin, avec la contravention, le volet sanitaire est évacué. Un prospectus ne remplacera jamais une injonction de soins.

M. Gilbert Barbier, auteur de la proposition de loi.  - Combien y en a-t-il eu l'année dernière ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - N'y en aurait-il eu qu'une seule, c'est mieux que zéro. La sanction doit frapper avec discernement.

M. Gilbert Barbier, auteur de la proposition de loi.  - Surtout ne rien faire !

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - Il ne faut pas caricaturer.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Je ne caricature pas.

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - Mais si, et vous le savez ! La situation actuelle n'est pas satisfaisante. Quel est le nombre exact des injonctions thérapeutiques ? Il n'y en a pas. Vous estimez qu'il faut laisser les choses en l'état.

Nous savons tous que les choses vont de plus en plus mal mais il ne faut pas le dire... Le texte améliore la situation mais vous n'en voulez pas, non pour des raisons techniques, juridiques ou de santé mais parce que la période ne s'y prête pas... (Applaudissements sur les bancs socialistes et ceux du RDSE)

Discussion des articles

L'article premier est adopté.

Articles additionnels

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Klès.

Après l'article premier,

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3421-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3421-1-1.  - Dans le cas prévu à la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 3421-1, la contravention est accompagnée des coordonnées des centres spécialisés de soins aux toxicomanes les plus proches. »

Mme Virginie Klès.  - Il s'agit de réintroduire le volet médical et éducatif dans ce texte. Si les jeunes et leurs parents disposent de l'information adéquate, nous aurons fait oeuvre utile. C'est une première main tendue.

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - Avis favorable. Aujourd'hui, il est indiqué sur les paquets de tabac et les bouteilles d'alcool le danger que fait courir la consommation de ces produits... licites. Pourquoi ne pas en faire de même ici ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Défavorable.

L'amendement n°1 est adopté et devient un article additionnel.

L'article 2 est adopté, ainsi que l'article 3.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par Mme Klès.

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le conseil communal ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance est destinataire des infractions constatées en matière d'infraction pour le premier usage de stupéfiants.

Mme Virginie Klès.  - Ces instances, qui réunissent tous les partenaires, doivent être alertées pour pouvoir adapter leurs actions.

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - Avis favorable, grâce à la rectification.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Avis défavorable.

L'amendement n°2 est adopté et devient un article additionnel.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme Klès.

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Un rapport est présenté par le Gouvernement au Parlement chaque année afin de rendre compte de l'application nationale mais également territoriale de la présente loi.

Mme Virginie Klès.  - Un rapport serait nécessaire pour mesurer l'efficacité de cette loi.

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - Retrait car je suis opposé à la multiplication des rapports.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Même avis.

Mme Virginie Klès.  - Dans la mesure où nous reviendrons sur la politique en la matière, je retire l'amendement.

L'amendement n°3 est retiré.

Vote sur l'ensemble

Mme Virginie Klès.  - La dissuasion est efficace si elle est crédible. Elle doit donc être effective et proportionnelle. Ces conditions étant remplies, nous voterons ce texte.

M. Philippe Darniche.  - Je voterai ce texte, parce que le problème de santé publique reste posé. La proposition de loi de M. Barbier, même si elle reste modeste, apportera une vraie réponse, notamment dans les territoires ruraux. Car, pour l'heure, la sanction prévue par la loi de 1970 est inapplicable. Cette proposition de loi concrète répond à un souci quotidien : trop de jeunes sont marginalisés, ont perdu le goût de vivre et le sens des joies et des peines. Il faudra, sans doute, aller plus loin, mais je salue ce premier pas.

M. Raymond Vall.  - Je voterai ce texte. J'ai, dans ma proche famille, l'exemple même de ce qui a été décrit : des parents qui ignorent tout de l'addiction de leur enfant jusqu'au moment où celui-ci sombre dans la schizophrénie. Tout ce qui peut éviter cela mérite d'être essayé. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Je remercie M. Barbier et notre rapporteur, M. Mézard, ainsi que tous les collègues qui ont contribué au débat. Face à ce vrai problème de société, nous ne pouvons nous satisfaire d'une législation sévère, certes, mais sans effets. Proportionnaliser la sanction, monsieur le ministre ? Mais on a toujours, dans l'histoire, tâtonné pour donner la bonne proportion. Il faut aider les jeunes à sortir de la spirale en prenant, ici, le chemin du pragmatisme, pour aller à la rencontre d'être humains, qu'il faut aider. (Applaudissements à gauche)

M. Jacky Le Menn.  - Je ne comprends pas la position du ministre. Il sait fort bien que la sanction n'a jamais traité un problème de santé publique : elle n'est qu'un instrument, destiné à acter le problème, un déclencheur pour aider le primo-délinquant. Si l'on veut véritablement prendre des mesures de santé publique, il faut du temps, de la volonté, laquelle peut commencer par une petite inflexion législative. (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Pasquet.  - Plus de proportionnalité de la sanction, cela nous convient. Pourtant, cette mesure ne saurait se suffire à elle-même. Nous doutons de son effet dissuasif et elle ne traite en rien le problème de santé publique, qui mérite, au sein de notre assemblée, un débat plus large. C'est pourquoi nous nous abstiendrons.

Mme Corinne Bouchoux.  - Les sénateurs écologistes ne voient pas le problème de cette façon. Ni laxistes, ni tolérants, nous sommes pour une politique de santé ambitieuse. Nous ne voterons donc pas ce texte, même s'il pose de bonnes questions.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - J'ai essayé de ne pas caricaturer ; rendez-moi la pareille ! Zéro condamnation, dites-vous ? Il y en a eu 53 671 l'an dernier, et 2 357 injonctions thérapeutiques l'an dernier sur les juridictions parisiennes. Ce n'est pas rien.

Face à cela, vous proposez une réponse unique alors que nous privilégions une palette la plus large possible, depuis le stage aux frais de l'usager jusqu'à l'injonction thérapeutique. Sans compter les condamnations. Je ne peux laisser dire que la loi n'est pas appliquée. Et je regrette que ce débat ait entamé l'unanimité sur le refus de la dépénalisation.

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

M. Gilbert Barbier, auteur de la proposition de loi.  - Je remercie le Sénat d'avoir voté ce texte, même si j'ai bien conscience qu'il ne règle pas tous les problèmes. Nous avons simplement voulu remédier à l'inapplication de la loi de 1970. Que représentent 2 357 injonctions thérapeutiques pour 1,2 million de consommateurs. Les condamnations ? Dans 73 % des cas, ce sont de simples rappels à la loi.

Nous sommes face à un problème de société : il faut le prendre à bras-le-corps. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

La séance, suspendue à 16 h 45, reprend à 16 h 50.