Motion référendaire

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la motion de M. Jean-Pierre Bel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et plusieurs de nos collègues tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi de réforme des collectivités territoriales.

M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion.  - Les premiers jours de l'année sont l'occasion pour nous d'aller à la rencontre de nos concitoyens. Tous ceux que j'ai croisés m'ont fait part de leur inquiétude face à la dégradation de leurs conditions de vie, à la montée du chômage, à l'extension de la précarité qui obscurcit l'horizon de centaines de milliers d'entre eux. Mais plutôt que de chercher à alléger ces souffrances, le Gouvernement a choisi d'occuper pendant plusieurs semaines le Sénat et l'Assemblée nationale à réformer l'organisation territoriale de la France.

Certes, il y a des raisons de poursuivre la décentralisation et d'adapter les structures locales au monde d'aujourd'hui. Mais ce projet de loi est éminemment politique et même, au sens propre du terme, idéologique. Nous sommes nombreux à y voir un nouveau signe du démantèlement de l'État, de la substitution à l'État républicain d'un État manager. Il est vrai que les cadeaux fiscaux consentis aux riches obligent le Gouvernement à chercher de nouvelles marges de manoeuvre en se défaussant de ses responsabilités sur les collectivités locales... Tous les textes qui nous sont soumis témoignent de la volonté obsessionnelle de remettre en cause la décentralisation entamée en 1982 à l'initiative de François Mitterrand et Pierre Mauroy ; ce dernier a d'ailleurs dénoncé cette tentative de « replonger le pays dans un passé révolu ».

Puisqu'ils vont être désignés comme boucs émissaires tout au long de cette discussion, permettez-moi de rendre hommage aux 560 000 élus locaux, dont la plupart sont bénévoles et ne comptent pas leur temps au service de leur collectivité, qui exercent d'immenses responsabilités sans garanties suffisantes, qui font vivre la démocratie et contribuent à l'investissement, à l'innovation et au développement de la France. Nous récusons l'accusation d'immobilisme : nous avons formulé des propositions précises de réforme. Mais nous voulons réformer pour aller de l'avant, non pour revenir en arrière.

Par sa méthode, le Gouvernement a fait la preuve de son mépris pour les élus locaux, leurs associations et leurs représentants parlementaires. Cette réforme incohérente suscite des inquiétudes bien légitimes. Parce qu'elle remet en cause des valeurs auxquelles les Français sont attachés, elle ne peut être légitimée que par la consultation du peuple souverain.

L'incohérence est d'abord d'avoir réformé la fiscalité locale avant de clarifier les compétences de chaque échelon territorial. Certes, la réforme de la taxe professionnelle a été assortie d'une clause de rendez-vous. Mais en cas de transferts de compétences, il faudra tout reprendre à zéro.

La volonté de rapprocher les régions des départements témoigne d'une grave méconnaissance des réalités locales, comme l'a souligné le président de l'Association des régions de France. Dans notre organisation territoriale, il y a deux niveaux : un niveau stratégique qui va de l'Europe aux régions en passant par l'État, les régions ayant pour rôle de mettre en oeuvre les politiques économiques et de réaliser les grands équipements financés par l'État et l'Union européenne, et un niveau de proximité qui va des départements aux communes en passant par les intercommunalités, les départements étant chargés de la solidarité sociale et territoriale. Le rapprochement illogique des départements et des régions augure, n'en doutons pas, de leur fusion à venir.

La clarification des compétences de chaque échelon est remise à plus tard -douze mois après la promulgation de la loi- alors que le comité Balladur a intitulé son rapport Il est temps de décider. Elle n'interviendra donc pas avant la mi-2011 ; mais alors l'élection présidentielle sera trop proche. (On le conteste au banc du Gouvernement) Ce volet de la réforme est donc renvoyé au prochain quinquennat !

Le débat au Sénat reflètera sans doute la crise de confiance entre les élus locaux et le Gouvernement, illustrée par le congrès des maires de novembre dernier. Cette mésentente n'est pas nouvelle : elle remonte à 2004, quand M. Raffarin a décidé de transférer des compétences aux collectivités sans compensation.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Le mal vient de plus loin !

M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion.  - Mais la défiance s'aggrave. Les élus ne croient pas à la compensation-relais de la suppression de la taxe professionnelle : on leur refait une nouvelle fois le coup de la « compensation à l'euro près »... Ils savent que cette réforme met en péril l'équilibre des finances locales sans s'attaquer aux inégalités territoriales. Mais ils ne sont pas entendus. Il est loin le temps où Mme Alliot-Marie, alors ministre de l'intérieur, écrivait dans Le Monde, le 26 novembre 2009, qu'une réforme de cette ampleur ne pouvait se faire sans concertation ni recherche du consensus !

Le Sénat lui-même a-t-il été entendu ? Il avait constitué une mission d'information pluraliste, dont le rapport publié le 17 juin 2009 a été cosigné par MM. Belot et Krattinger et par Mme Gourault. Ses conclusions étaient les suivantes : oui à une meilleure coordination des exécutifs locaux, non au conseiller territorial ; oui au renforcement des chefs de files des collectivités, non à la suppression de la clause de compétence générale ; oui enfin au renforcement de l'autonomie fiscale et de la péréquation. Pourtant, dès le débat du 30 juin 2009, en écho aux propos du Président de la République devant le Congrès, M. le ministre annonçait la création du conseiller territorial et la remise en cause de la compétence générale. Les exigences du Sénat à propos de la réforme de la taxe professionnelle n'ont pas non plus été entendues, et les voix discordantes de la majorité se sont rapidement tues. Je suis curieux d'entendre M. le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire qui, lorsqu'il siégeait parmi nous, se déclarait « opposé au rapprochement des conseillers généraux régionaux », considérant que « le couple département-région n'est pas un couple pertinent, contrairement au couple département-commune », comme le révèle le rapport Belot ! (Exclamations à gauche. M. Philippe Adnot applaudit)

Une réforme d'une telle importance, qui remet en cause des éléments fondamentaux du pacte républicain et porte atteinte à des principes constitutionnels, doit être soumise à référendum. Mais nous connaissons la réticence de la majorité à recourir à cette procédure. Nous attendons toujours qu'une loi organique permette d'appliquer la nouvelle disposition constitutionnelle qui rend possible un référendum à l'initiative conjointe du Parlement et du peuple.

Ce projet pose des questions fondamentales, constitutionnelles, politiques que seul le peuple souverain doit trancher. Cinq motifs justifient le recours au référendum.

Les Français doivent se prononcer sur la poursuite ou non du processus de décentralisation. Alors que l'article premier de la Constitution dispose que l'organisation de la République française est décentralisée, la politique menée depuis 2007 à l'égard des collectivités territoriales traduit une volonté de recentralisation. En témoignent, récemment, la suppression de la taxe professionnelle et le projet de rapprochement des départements et des régions malgré l'hostilité des associations d'élus locaux. Le modèle que ce texte veut imposer au pays est celui de la concentration des pouvoirs, un modèle dans lequel le chef de l'État a tout pouvoir d'orienter les dépenses des collectivités et de canaliser leurs investissements nécessaires à l'avenir de la France, de ses territoires et à l'activité de ses entreprises. Cette tentation récurrente de la droite jacobine avait été dénoncée en juin 2000, par Michel Mercier... (Murmures ironiques à gauche)

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois.  - C'est la gloire !

M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion.  - ...dans les termes suivants : « forcé de s'adapter aux réalités de la mondialisation dans un cadre européen plus contraignant, l'État est tenté de faire des collectivités locales les instruments de ses politiques. II cède trop souvent à la tentation récurrente de la recentralisation ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Les temps ont changé depuis 2000.

M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion.  - Un seul exemple pris dans ce texte suffira à illustrer ce propos : s'il est certes nécessaire de rationaliser l'intercommunalité, confier au préfet un pouvoir de contrainte exceptionnel est contraire au principe même de valeur constitutionnelle, de décentralisation. Les Français doivent pouvoir se prononcer sur ce qu'ils souhaitent : décentralisation ou recentralisation ?

Deuxième motif, la fusion programmée des départements et des régions. L'article 72 de la Constitution dispose que les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus. Ce qui signifie que chaque collectivité doit disposer d'une assemblée délibérante qui lui est propre. Or, ce texte organise la fusion des conseils généraux et des conseils régionaux. Dans son ouvrage La France peut supporter la vérité, publié en 2006, François Fillon estimait de fait que le conseiller territorial est le préalable à la fusion entre départements et régions. Estimant qu'il « aurait assuré la coordination des politiques de ces deux échelons en attendant leur fusion », il regrettait que cette proposition de l'UMP n'ait pas été reprise par Jacques Chirac en 2002. Premier ministre, il réalise enfin son projet... soutenu en cela par M. Copé qui appelle de ses voeux la fusion entre les deux administrations. Avec le conseiller territorial, chaque niveau perd sa spécificité, impulsion et coordination pour la région, qui devient simple structure d'accompagnement des politiques nationales, proximité pour le département, dont il prépare la suppression. Notons, au passage, que la fonction de conseiller territorial organise le cumul des mandats obligatoires et créé un conflit d'intérêt permanent : chaque élection fera l'amalgame de bilans et de projets contradictoires. Les Français doivent pouvoir se prononcer sur ce qu'ils souhaitent : pérennité des départements et des régions ou fusion.

Troisième motif qui justifie le recours au référendum : les Français doivent pouvoir se prononcer directement sur le principe de l'organisation territoriale de notre République. Alors que l'article 72 de la Constitution dispose que les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon, ce texte envisage de supprimer la clause générale de compétence, donc de priver les départements et les régions de la seule solution qui permet d'appliquer des politiques adaptées aux besoins de chaque territoire. C'est aux Français qu'il revient de décider si les compétences des collectivités locales doivent se cantonner à ce qu'en décide l'État ou si elles doivent garder leur compétence générale, afin notamment de répondre aux attentes des usagers des services publics locaux.

Quatrième motif, la reforme qui nous est proposée remet en cause le principe de parité énoncé à l'article premier de la Constitution, qui dispose que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux. Or, dans le nouveau mode de scrutin que vous proposez, 80 % des conseillers territoriaux, soit 2 400 élus, seront élus au scrutin uninominal à un tour dans le cadre des cantons et 20 %, soit 600 élus, sur des listes paritaires départementales, avec un système de report des voix parfaitement incompréhensible pour l'électrice ou l'électeur, fût-il des plus avertis. Un tel système, si on le projette sur les résultats des dernières élections régionales et cantonales, laisse raisonnablement attendre, pour 2014, une proportion de 19,3 % de femmes pour 80,77 % d'hommes. (Voix féminines à gauche : « Hou ! »)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Cette extrapolation n'a pas de sens.

M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion.  - Sur les 3 000 conseillers territoriaux attendus, on risque de ne plus trouver que 579 femmes, contre 1 381 aujourd'hui, dont 285 élues sur liste et 294 élues au scrutin uninominal, pour 2 421 hommes, contre 4 462 aujourd'hui.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - C'est formidable, on nous annonce d'avance les résultats des élections !

M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion.  - Les femmes, qui verront leur effectif diminuer de 58 %, seront donc les grandes perdantes du nouveau système. Ce texte, loin de « favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives », organise tranquillement, en catimini, un recul. Non contents de revenir à la situation d'avant les lois de décentralisation de 1982, vous revenez à celle d'avant 1999, lorsque la parité a été inscrite dans la Constitution. Les Français doivent pouvoir se prononcer directement sur le maintien, ou non, d'un mode de scrutin qui favorise la parité.

Enfin, le référendum doit permettre de valider, ou non, une manipulation électorale au profit exclusif de l'UMP. Alors que l'élection, c'est-à-dire la désignation d'une femme ou d'un homme par le suffrage des citoyens, constitue un principe constitutionnel fondamental de la République, le projet de loi instaure un mode de scrutin dans lequel une partie des conseillers territoriaux élus à la proportionnelle le seront grâce aux suffrages obtenus par les candidats qui n'ont pas été élus au mandat de conseiller territorial mais se sont rattachés à une liste. Le mode de scrutin est d'une telle complexité qu'il a été récusé par le Conseil d'État qui a estimé...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Voilà que M. Bel va nous citer un avis qui n'a pas été rendu public.

M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion.  - ...qu'« en rendant très difficile pour l'électeur, dont le choix est lié entre un candidat au scrutin uninominal et une liste au scrutin proportionnel, de prévoir si sa voix sera utilisée au profit du candidat ou de la liste, le dispositif envisagé est de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin ». C'est ainsi que le Conseil d'État a considéré que le dispositif proposé...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Le temps de parole de l'orateur est écoulé...

M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion.  - ...était « de nature à porter atteinte à l'égalité comme à la sincérité du suffrage compte tenu des modalités complexes de la combinaison opérée entre le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel dans le cadre d'un scrutin à bulletin unique ». Mieux encore, dans son avis du 15 octobre 2009, il estime que ce mode de scrutin pourrait permettre « qu'une liste ayant recueilli au niveau régional moins de voix qu'une autre puisse néanmoins obtenir plus de sièges qu'elle ». Ce mode de scrutin est au reste si illisible, si incompréhensible, si injuste qu'il ne recueille pas de majorité au Sénat, si j'en crois les propos du président Larcher... Les Français doivent donc pouvoir se prononcer directement sur le maintien, ou non, du principe républicain selon lequel un candidat est élu s'il a bénéficié du plus grand nombre de suffrages exprimés sur son nom ou s'il appartient à la liste ayant remporté le plus grand nombre de voix.

Nous n'avons pas peur du référendum. Il peut se révéler utile, combiné à la démocratie parlementaire. Le débat que nous aurons lors de cette première lecture doit pouvoir éclairer utilement les Français sur les enjeux de cette réforme territoriale. C'est pourquoi nous proposons de consulter les Français par référendum...

Mme la présidente.  - Il faut conclure.

M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion.  - ...sur un projet de réforme complexe mais qui pose pourtant aux Français des questions simples : voulez-vous ou non la poursuite de la décentralisation ? Voulez-vous ou non étendre le cumul des mandats en le rendant obligatoire pour les élus de la région et du département ? Voulez-vous ou non un recul de la parité au niveau local ? Voulez-vous ou non la suppression du département ?

La réforme que vous prétendez engager modifie profondément l'organisation des pouvoirs publics, elle entame les prérogatives d'un contre-pouvoir important, celui des collectivités locales, elle remet en cause les services publics et l'action publique au niveau décentralisé. Elle entraînerait un bouleversement d'une organisation façonnée par l'histoire et la pratique, où les mots de décentralisation, de libertés et de démocratie locales seraient remplacés par ceux de centralisation, de recul de la démocratie et des solidarités locales et par la négation de la libre administration. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Je serai bref, pour rattraper le temps largement dépassé par M. Bel. (Applaudissements à droite ; vives protestations à gauche)

Votre demande est originale. Vous proposez un référendum non sur le projet de loi déposé par le Gouvernement mais sur le texte adopté par la commission. Vous dites invoquer cinq motifs à l'appui, mais il serait plus juste de dire que vous avez cinq questions toutes prêtes pour cette consultation. (On le conteste vivement à gauche)

« Recentralisation », création du conseiller territorial, clause générale de compétence, « remise en cause de la parité », « suppression du département » : j'ai noté au moins cinq questions que vous voulez poser par un seul référendum !

Cette réforme est pragmatique, il ne s'agit pas de recentraliser, comme on l'entend ici ou là, mais d'ajuster la décentralisation, comme cela a déjà été fait à plusieurs reprises depuis 1982 et sans recours au référendum, soit dit en passant. Nous confierions tous les pouvoirs au préfet ? Il s'agit seulement de lui confier temporairement des compétences qui rassureront et je vous ferai remarquer que si le préfet n'avait pas été là, la décentralisation n'aurait pas pu atteindre le niveau qu'elle a atteint aujourd'hui : votre procès est fallacieux !

Nous ferions fusionner la région et le département ? Pas du tout puisque deux assemblées délibérantes demeurent, avec leurs spécificités propres ! Mais le conseiller territorial assurera la coordination des politiques publiques, c'est plus cohérent !

Nous supprimerions la clause générale de compétence ? Mais l'efficacité commande que les compétences soient effectives et exclusives, c'est comme cela que ça se passe quand une commune délègue une compétence à une intercommunalité : ce n'est pas pour continuer à l'exercer ensuite !

Nous serions contre la parité ? Mais si la réforme va effectivement diminuer le nombre de femmes conseillers, l'amendement de la commission va atténuer cet effet et il disparaîtra lorsque nous examinerons la loi sur le mode de scrutin, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. (Exclamations à gauche)

Nous sommes à l'aube d'une réforme majeure pour les collectivités locales, des réunions se sont tenues dans toute la France, nos concitoyens en sont informés ! Ils en sont aussi désinformés, au gré d'une propagande politique menée par certains conseils généraux, aux frais du contribuable ! (Exclamations sur les bancs socialistes, applaudissements à droite)

M. Roland Povinelli.  - C'est faux ! On n'a pas le droit de mentir au Sénat ! (M. Roland Povinelli se lève, s'empare du microphone et prolonge son propos, sa voix couverte par les vives exclamations venues des bancs de droite, où l'on fait remarquer, notamment, qu'il n'a pas demandé la parole)

Mme la présidente.  - Monsieur Povinelli, vous n'avez pas la parole !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Mon cher collègue, vous apporterez les preuves de vos dénégations !

M. Roland Povinelli.  - Vous n'êtes que des godillots ! (Mêmes mouvements)

Mme la présidente.  - Monsieur Povinelli, vous aurez la parole quand vous la demanderez !

M. Roland Povinelli.  - Je ne supporte pas d'entendre de tels mensonges !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Il n'y a que la vérité qui blesse !

Mes chers collègues, la commission a amélioré ce texte et je suis sûr que notre débat sera de grande qualité, le Sénat est attendu sur des questions aussi importantes que l'intercommunalité, la métropole, le développement local : faisons notre travail de parlementaires plutôt que de nous y soustraire en renvoyant au référendum ! Et l'opposition serait bien inspirée de cesser sa désinformation ! Vous allez jusqu'à dire à nos concitoyens : « Les services publics vont disparaître ! » et aux associations : « C'en sera fini de vos subventions ! ».

M. David Assouline.  - C'est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - C'est parfaitement faux ! Ce texte est technique (exclamations à gauche), il porte sur de nombreux points, abordons-le sérieusement ! C'est pourquoi je vous propose de repousser cette motion ! (Vifs applaudissements à droite, exclamations à gauche)

M. Edmond Hervé.  - Comme M. Bel, je m'en tiendrai au principal, car c'est le principal qui gouverne la forme. Demander aux citoyens de se prononcer sur un sujet essentiel, cela constitue une preuve de respect, un acte de mobilisation et une marque de confiance.

Ce texte entre-t-il dans le champ référendaire ? Oui pour trois raisons de droit.

Il concerne l'organisation des pouvoirs publics, dont les collectivités territoriales et leurs établissements sont partie prenante. Que seraient le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir réglementaire, l'autorité judiciaire sans les collectivités territoriales ? Touchant à leur existence même, à leurs compétences, à leurs rapports, à leurs relations avec l'État, à l'élection de leurs assemblées délibérantes, nous sommes bien au coeur de l'organisation des pouvoirs publics.

Les travaux préparatoires et la discussion générale ont montré les différences de conception même qui nous opposent sur ce texte : ce sont bien ces différences de fond que le peuple doit trancher !

Ce texte remet en cause le processus initié en 1981, vous allez même jusqu'à rompre cette tradition législative inaugurée par la grande charte communale de 1884 consistant à attribuer une compétence générale aux collectivités, justifiée par la notion d'intérêt local.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Seulement pour la commune !

M. Edmond Hervé.  - Non, les grandes lois relatives aux régions et aux départements ont suivi cette tradition !

Deuxième raison de droit : ce projet concerne les services publics. Personne ne peut contester le rôle déterminant des collectivités territoriales dans la réalisation des services publics. Les modalités d'organisation des collectivités locales et leurs moyens conditionnent la consistance même des services publics, et la réalité des principes de continuité, d'égalité, de neutralité, d'adaptation, de qualité, de transparence, de protection du consommateur.

Prisonnier d'une politique fiscale injuste et d'un déficit public qui bat tous les records, vous choisissez comme salut de diminuer systématiquement la dépense publique, sans vous préoccuper de l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Vous appliquez cet impératif aux collectivités territoriales en cherchant à en diminuer les échelons, le nombre, en divisant par deux celui des conseillers généraux et territoriaux, en enserrant les compétences de la région et du département et en limitant l'autonomie financière des collectivités par la suppression de la taxe professionnelle. Les services à la population en feront les frais, la contribution fiscale et financière des ménages augmentera, alors même que la fiscalité locale ne tient pas compte du revenu des personnes !

Troisième raison de droit : ce projet concerne la politique économique, sociale et environnementale de la nation. Les trois quarts des investissements publics civils sont réalisés par les collectivités territoriales. Qu'aurait été le plan de relance sans leur implication, toutes sensibilités politiques confondues ? (Applaudissements sur les bancs socialistes) Que serait l'insertion, la formation, le bâtiment, le logement sans les collectivités ? Que serait l'industrie du transport, des travaux publics, de l'environnement, de la maitrise de l'énergie, des communications sans les collectivités territoriales ?

Les départements sont les chefs de file de la politique sociale, qu'ils mettent en place avec les CCAS. Le RSA n'aurait pas existé sans le RMI et il n'y aurait pas eu de RMI si, depuis trente ans, des villes comme Besançon et Rennes ne l'avaient pas expérimenté ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Les collectivités territoriales sont encore aux premières loges pour mettre en place les Grenelle de l'environnement et répondre aux engagements pris à Copenhague !

La décentralisation a fait, depuis trente ans, des avancées importantes. Avec M. Raffarin, nous regrettons qu'un bilan n'en n'ait pas été fait !

Nous voulons poursuivre cette dynamique au nom même des principes constitutionnels et nous demandons un référendum pour qu'ils soient respectés !

Le principe de la décentralisation, d'abord. De quelle décentralisation s'agit-il, dans le cadre d'un État républicain garant du pacte républicain, sinon de la recherche de la meilleure utilisation des ressources et des compétences pour répondre au mieux aux attentes ? Que serait l'université française si elle n'avait pas bénéficié de la décentralisation, des contrats de plan État-régions et du plan Universités 2000 ? (Approbations à gauche) La décentralisation forme la voie incontournable de la modernisation des structures et des procédures, de l'approfondissement de la démocratie et de l'extension de la responsabilité.

Principe de parité, ensuite, mais aussi principe de libre administration et de non-tutelle d'une collectivité sur une autre. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi, au nom d'une logique arithmétique, vous voulez étroitement les enfermer dans des champs de compétences car vous réintroduisez les tutelles et empêchez la contractualisation. Vous tournez le dos à la décentralisation, qui est faite...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - ...de baronnies !

M. Edmond Hervé.  - ...de compétences transversales alors que les collectivités contribuent même aux fonctions les plus régaliennes, qu'il s'agisse de la sécurité, de la défense nationale ou des relations internationales.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - La justice ?

M. Edmond Hervé.  - On nous explique que nos régions n'auraient pas une taille suffisante alors qu'elles manquent seulement des compétences et des capacités budgétaires. Quant à l'argument de l'illisibilité, je vous renvoie aux 136 pages de l'article 2 de la loi de finances pour 2010 supprimant la taxe professionnelle !

Nous avons le devoir de nous saisir des affaires importantes en rendant aux citoyens le vrai sens de la politique. Un grand débat doit avoir lieu. Je veux saluer l'oeuvre de Pierre Mauroy. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Il faut poursuivre les travaux de la mission Belot, animés par M. Krattinger et Mme Gourault...

M. Nicolas About.  - Très bien !

M. Edmond Hervé.  - La décentralisation a été une réussite, à nous d'en faire un grand projet porté par la Nation ! (Applaudissements à gauche)

M. François Fortassin.  - Votre nombreuse présence le montre bien, cette motion référendaire est au coeur de nos discussions. Si elle divise notre groupe alors que tous ses membres s'opposent au projet du Gouvernement, c'est parce que certains collègues considèrent, et je les comprends, que le coeur de métier de notre Assemblée est de traiter de ces questions de réforme territoriale. Ils considèrent en outre que ce texte touffu, pour ne pas dire confus...

Voix sur les bancs socialistes.  - Foutu ! (Rires)

M. François Fortassin.  - ...pourrait être mal compris de nos concitoyens. Je voterai néanmoins la motion avec d'autres collègues de mon groupe car le projet s'apparente à un déni de démocratie. (M. le président de la commission des lois s'exclame) En ce cas, seul le peuple souverain est en droit de trancher. (« Très bien ! » sur les bancs CRC-SPG) Il y a une fragilité constitutionnelle...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Attendez...

M. François Fortassin.  - Avec la confusion entre conseiller général et conseiller régional, le citoyen n'a plus la possibilité de choisir : tout citoyen peut en effet souhaiter devenir conseiller général ou conseiller régional mais conserver une activité professionnelle afin de ne pas perdre le contact avec les réalités, ce qui suppose qu'il ne soit pas membre des deux assemblées départementale et régionale. C'est une première fragilité. Deuxièmement, le Parlement est bafoué...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - C'est pour cela qu'on lui retire la faculté de légiférer !

M. François Fortassin.  - Nous avons été nombreux à saluer les excellents travaux de la mission présidée par M. Belot et dont les rapporteurs étaient M. Krattinger et Mme Gourault. Il a fallu attendre sa dernière réunion pour que, tel un sanglier surgissant du maquis, apparaisse le conseiller territorial. S'il n'en avait pas été question jusqu'à ce mauvais coup, c'est qu'on a préféré le sortir au dernier moment plutôt que de le mettre en évidence.

Ce mode d'élection est contraire aux usages de notre République. Insolite, cocasse, il confine au burlesque, voire à l'ubuesque quand un conseiller territorial élu à la proportionnelle pourra, sans jamais avoir vu la tête ni la vareuse d'un électeur, présider un conseil général ou régional alors qu'aucun citoyen ne se sera prononcé en sa faveur.

M. Nicolas About.  - Et dans les régions ?

M. François Fortassin.  - Ce n'est pas ma conception du respect de la démocratie. De plus, qu'on le veuille ou non, il y aura recul de la parité. Certes, celle-ci s'appliquera dans les communes de plus de 500 habitants, mais ce n'est pas tout à fait la même chose d'être conseiller général ou régional et conseiller municipal d'une commune de 501 habitants : voilà une parité à deux vitesses.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Exactement !

M. François Fortassin.  - Excusez-moi, mesdames...

Voix à gauche.  - Vous avez raison !

M. François Fortassin.  - Vous savez pourtant mon empathie pour le sexe féminin. (Sourires)

M. Alain Chatillon.  - Il l'a dit !

M. François Fortassin.  - Au risque de susciter des sarcasmes sympathiques, je dirai que les représentants de l'UMP devraient être les premiers à voter cette motion. La plupart d'entre eux ne se réclament-ils pas du général de Gaulle ? Ce dernier, que je sache, n'avait pas hésité, en 1969, à engager sa responsabilité devant le peuple sur une réforme territoriale...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Pas ça et pas à cette tribune !

M. François Fortassin.  - Puisque vous considérez que cette réforme est excellente, offrez-lui cette formidable caisse de résonance et assurez-lui cette consécration par la population. Mais si vous ne voulez pas du texte référendaire, peut-être, malgré vos certitudes sur la qualité de la réforme, êtes-vous dubitatif quant au jugement de la population. (Exclamations ironiques sur les bancs socialistes) Il y va pourtant de la démocratie et, même si je changeais un jour de camp (murmures plaisants sur divers bancs), je maintiendrai qu'il faut faire appel au peuple. (Applaudissements à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous soutenons cette motion référendaire car nous entendons que nos concitoyens soient saisis et puissent se prononcer sur votre réforme au terme d'un débat. Légitime en application de la loi fondamentale, la consultation du peuple est bien supérieure à l'interprétation de ses sentiments, voire de ses pulsions.

Lorsque l'on touche à l'organisation de nos institutions, la consultation populaire est une exigence démocratique. Nous l'avions d'ailleurs demandée dès la mise en place du comité Balladur. Nous n'avons pas été entendus jusqu'à présent, mais il ne faut pas désespérer. Certes, vous ne serez pas contraints de procéder à une nouvelle réforme constitutionnelle car, formellement, aucun niveau de collectivité n'est supprimé ni ajouté. De plus, vous avez saucissonné la réforme en présentant plusieurs textes. Néanmoins, vous voulez supprimer la commune et le département et vous créez de nouvelles entités qui ont tous les attributs des collectivités : les métropoles et des intercommunalités qui pourraient devenir des communes nouvelles. Les compétences doivent donc être redéfinies, d'autant que des départements et des régions les perdraient au profit des métropoles. Enfin, vous supprimez les conseillers généraux et régionaux et vous créez un nouvel élu, le conseiller territorial, espèce inconnue jusqu'ici.

En 2002, la révision de la Constitution avait prévu « l'organisation décentralisée de la République ». Aujourd'hui, vous engagez une opération de recentralisation sous la houlette de l'État et de ses préfets. M. Mercier, à l'époque sénateur et aujourd'hui promoteur du projet de réforme, disait, en 2002 : « Il y a donc une clarification sur les niveaux mais aussi une clarification sur la définition de ce qu'est une collectivité territoriale. C'est très important. Deux éléments en ressortent : d'une part, la libre administration par des conseils élus et, d'autre part, le fait que cette libre administration n'existe que si les collectivités locales peuvent librement disposer de ressources propres. Ce dernier point constitue une avancée très forte de la décentralisation ». La suppression de la taxe professionnelle et la réforme actuelle contredisent ces propos.

M. David Assouline.  - Il a changé d'avis depuis !

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire.  - Pas du tout !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - M. Longuet estimait, quant à lui : « Nous aurions pu retenir au contraire quatre niveaux de territoires : la commune, le département, la région et l'intercommunalité. En faisant le choix de n'en retenir que trois, le Gouvernement nous rappelle simplement que, au-delà du devoir évident des collectivités locales, et particulièrement des 36 000 communes, de travailler ensemble, de constituer ensemble des réponses collectives face à des besoins immédiats comme l'intercommunalité rurale, les agglomérations et les communautés urbaines, il n'y a qu'une seule unité terminale qui permette la proximité pour le citoyen : la commune ». Aujourd'hui, M. Longuet pense que ce projet de loi ne va pas assez loin sur les métropoles.

Ce texte pose des problèmes constitutionnels : ainsi, l'article 72 de la Constitution n'est pas respecté. Malgré les explications gênées et complexes du comité Balladur, cet article pose en effet sans ambiguïté le principe de la compétence générale des collectivités territoriales. Cette clause est consubstantielle de la libre administration : pas de démocratie locale sans compétence générale. Supprimer celle-ci, c'est réduire la capacité d'action des élus : les citoyens ne pourront ainsi plus avoir prise sur leur quotidien. L'argumentation du comité Balladur est surprenante : il constate que la Constitution établit la compétence générale des collectivités territoriales. D'abord, la compétence générale distingue une collectivité d'un établissement public. Ensuite, la Constitution établit clairement le lien entre libre administration et conseil élu pouvant exercer ses compétences. Enfin, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 rappelle que chaque collectivité a vocation à gérer ses propres affaires. Or, le comité conclut ainsi : « En l'absence de toute jurisprudence constitutionnelle tranchant clairement la question, il est raisonnable de penser que la modification, voire la suppression de la clause de compétence générale est possible ». Comprenne qui pourra ! En fait, le comité, le Gouvernement et sa majorité exercent un droit dont ils ne disposent pas : l'interprétation de la Constitution.

Nous estimons que ce projet modifie profondément les institutions : ainsi en est-il de la création des conseillers territoriaux. Outre le fait que cette évolution préfigure la fin des départements, elle bafoue trois principes constitutionnels : la parité, la représentation pluraliste et le fait que chaque collectivité doit disposer d'une assemblée élue. Certes, nous ne discuterons pas du mode de scrutin aujourd'hui mais il mettra à mal les deux premiers principes. Il est donc logique que nos concitoyens soient consultés sur ces changements. Le peuple souverain ayant forgé les institutions démocratiques de notre pays, il ne peut être tenu à l'écart du débat actuel. La consultation populaire est une exigence démocratique : il est évident qu'elle s'impose ici, comme elle aurait dû le faire lors de la révision constitutionnelle de 2008. Le Président de la République ne l'avait alors pas voulu : pourquoi avoir peur à ce point de la démocratie alors que M. le ministre ne cesse de nous dire que nos concitoyens attendent avec impatience cette réforme ? Notre groupe considère que les regroupements de collectivités et les modifications territoriales modifieront les services rendus à la population : cette réforme devant faire l'objet d'une consultation des assemblées et de nos concitoyens, il est logique que nous proposions un référendum sur la future organisation territoriale de notre pays. (Applaudissements à gauche)

M. Nicolas About.  - La Constitution prévoit dans son article 24 que « le Sénat assure la représentation les collectivités territoriales ». Dans la logique de cette mission, l'article 39 rappelle que « les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ». Le titre et le contenu de ce projet de loi ne laissent aucun doute. Mais alors que ce texte est consubstantiel à notre mandat de représentant des collectivités, pourquoi l'opposition souhaite-t-elle que l'on s'en dessaisisse pour un référendum ? (Exclamations et rires à gauche) Chers collègues de l'opposition, votre motion référendaire est un acte solennel prévu par la Constitution. Mais je trouve assez déplacé de l'utiliser sur ce texte alors même que la norme suprême nous confie la mission de représenter les collectivités territoriales. Pour autant, je vais tenter de comprendre l'opportunité de votre motion, et le fondement de votre démarche.

M. David Assouline.  - Ne vous donnez pas ce mal !

M. Nicolas About.  - Peut-être voyez-vous dans la motion référendaire une opportunité politique. Elle pouvait se comprendre pour le projet de loi portant changement de statut de La Poste. (Exclamations à gauche)

M. David Assouline.  - Vous n'avez pas dit la même chose à l'époque !

M. Nicolas About.  - La fameuse votation citoyenne avait transformé la question de l'ouverture du capital à l'État et à la Caisse des dépôts en une formule bien plus simple et populaire : « Êtes-vous pour ou contre la privatisation de La Poste ? » (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs)

M. David Assouline.  - Mais non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ce n'est pas vrai !

M. Nicolas About.  - Aujourd'hui, nous ne sommes pas confrontés à une telle manoeuvre fallacieuse, qui aurait pu consister à recueillir l'avis de l'opinion publique sur une question du genre : « Êtes-vous pour ou contre la suppression des collectivités territoriales ? ». Vous n'avez pas osé ! (Mêmes mouvements) Au contraire, la réforme des collectivités locales recueille une opinion plutôt favorable auprès du public, notamment sur la simplification du mille-feuille territorial. (On en doute à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Quelle propagande !

M. Nicolas About.  - Je ne peux donc me résoudre à croire que cette motion, quitte à aller l'encontre de l'esprit même de la Constitution, découlerait d'un quelconque opportunisme politique.

Le référendum serait-il alors l'expression de l'abdication des parlementaires de gauche sur la question de l'organisation des collectivités territoriales ? (On s'indigne des propos de l'orateur à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - N'importe quoi !

M. Nicolas About.  - Je ne le pense pas non plus. La gauche est au contraire un bâtisseur de la décentralisation avec les lois Defferre de 1982 et 1983. La gauche avait marqué un bel essai en créant les établissements publics régionaux et l'avait même transformé quelques années après en faisant des régions des collectivités territoriales. La gauche est l'instigatrice de grandes réformes de l'intercommunalité avec la loi d'administration territoriale de la République (ATR) de 1992 et la loi Chevènement de 1999. Un an après, le Premier ministre Lionel Jospin défendait l'élection des délégués communautaires au suffrage universel. M. Mauroy disait hier vouloir « aller de l'avant et non reculer ». Il affirmait : « Nous participerons au débat avec la conviction et l'ardeur qui nous animait en 1981 ». Alors, pourquoi, aujourd'hui, demander un référendum ?

M. David Assouline.  - Pourquoi le refuser ?

M. Nicolas About.  - Pourquoi sacrifier une question aussi complexe que celle qui nous est présentée dans ces 39 articles à une réponse aussi manichéenne que le « pour ou contre » que nous imposerait le référendum ? (Exclamations à gauche) La réforme des collectivités mérite un peu plus de nuances.

Estimez-vous que nos concitoyens seraient plus légitimes que le Sénat et l'Assemblée nationale pour se prononcer sur cette réforme des collectivités ? Vous en semblez convaincus, estimant que « le Gouvernement entreprend une profonde réorganisation administrative locale qui soulève des questions fondamentales, constitutionnelles et politiques que seul le peuple souverain doit trancher ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - On interprète toujours la volonté du peuple !

M. Nicolas About.  - Je suis troublé par une telle méconnaissance de notre système. Je ne crois pas une seule seconde à votre argument pour deux raisons chères à notre tradition démocratique. D'une part, c'est aller contre l'esprit et la lettre de la Constitution que de vouloir dessaisir le Sénat de ce débat. Honorons la Constitution qui fait de notre chambre le représentant des collectivités locales. Qui mieux que le Sénat, composé d'une très grande majorité d'élus locaux, peut se prononcer sur ce texte ? La création des conseillers territoriaux, l'organisation des collectivités, la création des métropoles, la démocratie locale avec l'élection au suffrage universel direct des délégués communautaires méritent au contraire toute notre attention et une approche constructive.

C'est l'avenir de nos territoires qui se joue et vous souhaiteriez vous défausser ?

Le recours au référendum doit rester exceptionnel. Notre tradition républicaine est fondée sur la démocratie représentative : nous avons la légitimité et la responsabilité de proposer, discuter, amender et voter la loi. Votre velléité de démocratie populaire n'est pas crédible.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Qui a proposé l'élection du Président de la République au suffrage universel direct ?

M. Nicolas About.  - Elle me semble n'être qu'une échappatoire. Je n'ose croire à une manoeuvre d'obstruction... (Dénégations à gauche)

Bien sûr, l'Union centriste, comme d'autres, a aussi des réticences sur certains sujets. (Rires et exclamations sarcastiques à gauche) Mais, contrairement à vous, nous avons des propositions ! (Exclamations outrées à gauche)

M. Jean-Claude Carle.  - Très bien !

M. Nicolas About.  - Nous voulons un débat parlementaire serein et constructif. C'est pourquoi nous rejetons catégoriquement cette motion référendaire. (Applaudissements et « Bravo ! » au centre et à droite)

M. François-Noël Buffet.  - L'opposition a déposé cette motion avec l'objectif affiché de consulter la population française sur l'opportunité de réorganiser les collectivités territoriales. C'est un acte solennel. Aurait-il d'autres fins ? Pourrait-on y voir une manoeuvre dilatoire ?

M. David Assouline.  - Non !

M. François-Noël Buffet.  - S'agirait-il de jouer de la procédure pour faire durer le débat ?

M. Yannick Bodin.  - C'est notre droit !

M. François-Noël Buffet.  - S'agirait-il de gagner du temps afin d'alimenter la peur chez les élus locaux et la population en répandant des contre-vérités, en espérant une réussite politique qui redorerait votre blason ? (Exclamations à gauche)

Vous prétendez vous référer à la volonté de la population ? Cet automne, un sondage donnait 80 % de personnes favorables à une clarification et à une simplification de notre organisation territoriale ! (Applaudissements à droite ; exclamations à gauche)

M. David Assouline.  - Votre réforme rend les choses plus confuses !

M. François-Noël Buffet.  - Cette vérité vous dérange. A moins que vous ne souhaitiez simplement protéger le pouvoir sur lequel vous êtes assis...

A vous entendre, le texte remettrait en cause le principe de la décentralisation...

M. Roland Povinelli.  - Oui !

M. François-Noël Buffet.  - ...préparerait la fusion des départements et des régions...

M. Roland Povinelli.  - Oui !

M. François-Noël Buffet.  - ...supprimerait des compétences, manquerait à la parité...

M. Roland Povinelli.  - Oui ! Oui !

M. François-Noël Buffet.  - Enfin, il aurait pour conséquence une augmentation de la pression fiscale... Ça, vous n'avez pas attendu la loi pour y recourir dans les régions ! (Applaudissements à droite)

Cessez de répandre ces contre-vérités : il n'est pas question de recentralisation, de fusion des départements et des régions.

M. Claude Bérit-Débat.  - Nous ne faisons que citer M. Copé !

M. François-Noël Buffet.  - Qu'il faille spécialiser les compétences et clarifier les choses est une évidence et n'entamera en rien la capacité des collectivités à agir sur le terrain.

M. David Assouline.  - Avec quels moyens ?

M. François-Noël Buffet.  - Quant à la hausse de la pression fiscale, il vous faudra en rendre compte devant les électeurs ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite ; exclamations à gauche)

La Haute assemblée tire sa légitimité des collectivités territoriales : l'organisation territoriale est notre coeur de métier. C'est pourquoi la Constitution prévoit que ce texte soit examiné en premier lieu par le Sénat.

M. David Assouline.  - Mais pas celui sur le grand Paris !

M. François-Noël Buffet.  - Ne feriez-vous pas confiance au Sénat pour travailler sereinement ? Les échanges de qualité en commission ont pourtant dégagé de nombreux points d'accord entre nous. Le débat n'est pas fermé, notamment sur la parité.

Organiser un référendum sur un sujet aussi complexe, réduire la question à « pour ou contre », c'est tenter le diable !

M. David Assouline.  - Pour vous, le peuple, c'est le diable ?

M. François-Noël Buffet.  - Peut-être nos concitoyens souhaiteraient-ils aller beaucoup plus loin ! (M. le rapporteur renchérit)

Le groupe UMP soutient résolument ce projet de loi et votera fermement contre cette motion. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Le grand avantage de cette motion...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - C'est de faire causer...

M. Jean-Pierre Sueur.  - ...c'est de revenir au terrain. Les citoyens, la Nation, le peuple sont étrangers à l'embrouillamini que vous proposez. Vous le savez ! Plutôt que de parler de chômage, on parle d'« identité nationale » ; plutôt que de parler de la nécessaire mobilisation des collectivités face à la misère et à la précarité, on débat ici in abstracto.

Selon M. Buffet, 80 % des Français soutiendraient ce texte. D'ailleurs, les mairies, les conseils généraux sont submergés de pétitions réclamant la création du conseiller territorial ; nous sommes assaillis de délégations ! (Sourires)

M. Gérard Longuet.  - Des cortèges !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Le peuple veut le conseiller territorial ! (Sourires et applaudissements à gauche) Mais si les Français le veulent à 80 %, organisez donc un référendum : le résultat sera historique !

M. Nicolas About.  - Superbe !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous n'y croyez pas vous-mêmes. Cela se voit, d'où votre malaise.

M. François-Noël Buffet.  - Il n'y a aucun malaise.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous avons besoin de régions fortes. Les présidents de région, à commencer par M. Patriat, se battent pour faire vivre leurs universités, l'innovation, la science, le rayonnement international de leur région. Il faut leur donner tous les atouts dans la compétition européenne !

M. Gérard Longuet.  - Verbiage...

M. Jean-Pierre Sueur.  - La réforme de la taxe professionnelle a privé les régions de marges financières. Certains candidats s'engagent à ne pas augmenter les impôts ?

M. Nicolas About.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Bel engagement quand les régions ne peuvent plus décider de leur fiscalité !

Dans un article fort intéressant paru dans Les Échos, M. Longuet souligne que si la moitié des sommes consacrées aux giratoires avait été utilisée pour financer les nouvelles technologies, nous serions champion du monde.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.  - Quatre vingt mille ronds-points...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pensez-vous que c'est en créant de gros cantons que l'on fera bouger les régions, qu'on leur donnera une vitalité nouvelle ? Ne pensez-vous pas plutôt que le conseiller territorial défendra le territoire qui l'a élu et réclamera son giratoire ?

M. Gérard Longuet.  - Cela relève du département, non de la région ! C'est pourquoi il faut un texte clarifiant les compétences !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Le texte sur les compétences n'est pas là !

M. Gérard Longuet.  - Il viendra !

M. Jean-Pierre Sueur.  - En cantonalisant les régions, vous instituez la République des giratoires alors que nous voulons, comme vous, les régions de la recherche !

M. Gérard Longuet.  - Vous défendez la République des girouettes !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous voulons des régions fortes : évitons donc toute confusion avec le département, dont la vocation de proximité...

M. Gérard Longuet.  - ...des giratoires !

M. Jean-Pierre Sueur. - ...et d'action sociale est éminente.

Le projet de M. Raffarin était censé conforter les régions, qu'il a en fait départementalisées. Votre projet aussi affaiblira cette collectivité, qu'il faudrait renforcer.

Vous voulez imposer le conseiller territorial tout en retenant l'information loyale à laquelle nos concitoyens ont droit. Ce matin, nous avons déposé un amendement en commission. On nous a dit que ce n'était pas le sujet.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Que ce n'était pas le moment !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Les compétences ne sont jamais le sujet du moment : ni en décembre, ni aujourd'hui ! Et ce n'est pas plus le moment d'évoquer le nombre de conseillers territoriaux.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Cela viendra.

M. Nicolas About.  - Faites un référendum !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pourquoi M. About est-il seul habilité à déposer des amendements électoraux ?

M. Jean-Claude Carle.  - Parce que c'est le meilleur !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il doit y avoir une raison. Nous cherchons laquelle.

M. Nicolas About.  - Je m'en tiens aux principes !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il est malhonnête de proposer la création du conseiller territorial sans dire combien il y en aura dans chaque département et dans chaque région. On nous a dit que ce n'était pas l'heure de s'engager sur la présence d'au moins 15 conseillers territoriaux par département. Mais si ce minimum est tout de même atteint, il y en aura nécessairement 150 dans un département de la même région mais dix fois plus peuplé. Cela serait incompatible avec l'objectif du Président de la République qui veut passer de 6 000 à 3 000 élus départementaux et régionaux. Ce plafond bafoue l'égalité devant le suffrage universel.

M. Adrien Gouteyron.  - Et aujourd'hui ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pour l'éviter, il faudrait n'accorder à certains départements que 5 ou 6 conseillers territoriaux. Vous n'avez apporté aucune réponse à cette question, posée chaque jour par les élus des départements, alors que ce dispositif n'a pas pu avoir été imaginé sans la moindre idée quant au nombre de conseillers territoriaux par département et par région. J'attends donc avec confiance et intérêt les précisions que vous apporterez sur cet aspect de votre projet. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur.  - Vous aurez la réponse en juin !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Le référendum dispense de répondre !

M. Claude Jeannerot.  - Quelles sont les ambitions affichées de cette réforme ? Le ministre de l'intérieur et des collectivités territoriales a déclaré ici même hier qu'il s'agissait d'engager le chantier de la clarification et de la simplification que, collectivement, nous n'avions pas su faire aboutir en trente ans.

La formule est lapidaire et simplificatrice mais comment repousser d'emblée pareille ambition ? Alors que nous avons inventé la décentralisation avec François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, comment ne serions-nous pas favorables à un meilleur fonctionnement de la démocratie ? Comme nous sommes attachés au progrès et au mouvement, nous étions disposés à réformer. Nous nous sommes donc engagés dans la réflexion audacieuse et proactive conduite au sein de la commission Belot, dont le rapport Faire confiance à l'intelligence territoriale comporte nombre de propositions innovantes, pragmatiques et porteuses de méthode.

Au vu des ambitions affichées, on aurait pu s'attendre à de fortes convergences entre le rapport et le projet de loi. Il n'en est rien. Où est l'erreur ? Ce que vous proposez se situe en divorce absolu avec vos intentions affichées.

Nous pourrions approuver les mots-clés utilisés par le Président de la République, comme clarification, simplification, efficacité ou lisibilité. Hélas ! Aucune traduction législative n'en est proposée. La dichotomie entre vos dires et le texte est flagrante ! Ainsi, vous n'avez pas envisagé de revoir le rôle de l'État au vu des domaines transférés, alors qu'il s'agit d'un sujet fondamental. Et vous remettez étrangement à plus tard la clarification des compétences.

Messieurs les ministres, la convergence des analyses devrait entamer votre apparente sérénité car ce texte ne clarifie rien, n'optimise rien et n'économise rien, tout en ajoutant de la complexité. Enfin, il porte en germe une menace pour la démocratie. Je pense bien sûr au mode de scrutin.

En fait, vous voulez rapprocher le département et la région en créant le conseiller territorial, ce qui est un simple déni de réalité. En effet, notre organisation territoriale s'articule autour de deux types d'acteurs : l'Europe, l'État et les régions ont en charge la stratégie, notamment avec les équipements ; les départements, les intercommunalités et les communes sont les acteurs de proximité.

Vous savez bien que le département est l'échelon de la solidarité sociale, donc territoriale. Sa clause générale de compétences est un outil majeur pour son action. Or, M. Copé a déclaré avec une tranquille assurance que la réforme était un prélude à la fusion des deux collectivités. En clair, les régions sombreront dans des politiques cantonalistes, au lieu de relever les défis stratégiques. Simultanément, le conseiller territorial sera coupé des réalités concrètes d'un territoire trop grand.

Hier, M. Adnot a souligné avec pertinence et lucidité le caractère inédit de cette réforme : « C'est la négation de l'existence pleine et entière des collectivités locales. Il n'y a pas d'exemple, nulle part ailleurs, de deux assemblées auxquelles on aurait imposé d'avoir les mêmes élus ». Il faut donc prendre le peuple à témoin.

J'ajoute que vous mettez en cause l'équilibre entre le rural et l'urbain, auquel nos concitoyens sont si attachés non par conservatisme exacerbé mais parce que leur cadre de vie est en jeu.

L'architecture même du texte est un motif de référendum puisque son article 35 dispose, à l'alinéa premier, que la répartition des compétences entre les régions et les départements sera réalisée dans les douze mois. Comment fixer les modalités avant de préciser leur intérêt ? D'ailleurs, la commission des lois ne s'y est pas trompée : elle n'accorde aucune portée normative aux principes formulés dans le texte. Le référendum permettrait d'expliquer à nos concitoyens le sens exact et la portée de la réforme engagée.

Puisque nous sommes d'accord sur la nécessité de réformer...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Discutons-en !

M. Claude Jeannerot.  - ...pour faire plus et mieux, prenons nos concitoyens à témoin !

N'ayons pas peur de la démocratie ! S'il est une assemblée qui ne devrait pas hésiter à convoquer le peuple, c'est bien celle qui représente les territoires. Car seul le peuple qui vit sur ces territoires est légitime pour dire comment il veut qu'ils s'administrent. Alors, tous ensemble, donnons raison au Premier ministre qui, en présentant ses voeux à la presse a eu ces fortes paroles : « Prenons les Français à témoin sur cette réforme de la décentralisation » ! (Applaudissements à gauche)

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.  - (Applaudissements à droite) Bien que figurant dans le Règlement du Sénat depuis 1959, la motion référendaire est rarement utilisée. Entre 1984 et 2006, elle n'a été employée qu'à cinq reprises. J'observe, néanmoins, que depuis quelques temps, l'opposition semble redécouvrir cette procédure : c'est en effet la deuxième fois, en seulement deux mois, que la Haute assemblée va devoir se prononcer sur une telle motion -après celle présentée par les groupes PS, PC et RDSE et écartée, à propos du projet de loi relatif à La Poste. Ce qui était une procédure exceptionnelle semble devenir, dans l'esprit de certains, un effet de séance presque habituel.

Je ne partage pas ce curieux raisonnement qui consisterait, pour un parlementaire, à souhaiter se dessaisir de ses fonctions législatives. Il ne s'agit évidemment pas pour moi, aujourd'hui, de faire le procès du referendum, dont l'article 3 de notre Constitution fait l'un des moyens d'expression du peuple souverain : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Mais dans notre tradition républicaine, la démocratie représentative est la règle, quand la démocratie référendaire est l'exception. J'ai à l'esprit la formule de Benjamin Constant : la démocratie représentative, c'est « une procuration donnée à un certain nombre d'hommes par le peuple, qui veut que ses intérêts soient défendus ». Cette formule reste pleinement d'actualité.

Je crois profondément que le débat parlementaire constitue la garantie d'un examen exhaustif, par la sérénité qu'il apporte autant que par l'expertise qu'il comporte. Comment expliquer à nos concitoyens que les parlementaires qu'ils ont élus renonceraient à leur devoir de législateur ? Comment expliquer, surtout, que des membres de la Haute assemblée -dont la mission constitutionnelle consiste précisément à représenter les collectivités territoriales- souhaiteraient ainsi être dessaisis d'une réforme essentielle pour l'avenir de ces mêmes collectivités ? Il y a là, à tout le moins, un certain paradoxe. Le sénateur Courtois, au nom de la commission des lois, comme le sénateur Buffet, au nom du groupe UMP, et le président About, au nom du groupe de l'Union centriste, ont été, à cet égard, particulièrement éloquents.

En outre, là où le referendum n'offre par définition qu'une réponse binaire à une question fermée, la procédure parlementaire a l'immense avantage d'autoriser une discussion ouverte. Des arguments sont échangés, des positions sont rapprochées, des amendements sont déposés. Amendements que nous appelons de nos voeux dès lors qu'ils sont utiles et qu'ils confortent la démarche réformatrice du Gouvernement. Nous ne nous sentons pas propriétaires de chaque alinéa de cette réforme et je n'imagine pas que les sénateurs socialistes et communistes, dont beaucoup sont aussi des élus locaux, trouvent inutile de prendre part à cette discussion et, d'ailleurs, M. Sueur semble y encourager. Mais alors, soyez logiques ! Soit vous faites voter une motion référendaire, soit vous proposez de lancer le débat parlementaire ! C'est l'un ou l'autre !

Dépassons les manoeuvres d'obstruction, évitons les fausses querelles et les facilités, les caricatures ou les postures parce que l'enjeu est majeur : il s'agit de débattre sereinement, au Parlement, de l'organisation territoriale de la France. Adopter aujourd'hui, sur ce texte, en ces lieux, une motion référendaire, ce serait interdire au Sénat de débattre d'une loi fondamentale pour les collectivités territoriales !

Sur le fond, votre argumentation est souvent, comme le disent les juristes, « inopérante ». Non, ce projet de loi n'instaure pas une « recentralisation », comme vous l'insinuez. La ficelle est tout de même un peu grosse. Instituer un élu local puissant, le conseiller territorial, pour simplifier, clarifier, mieux articuler nos collectivités, est-ce recentraliser ? Donner la liberté aux départements et aux régions de se regrouper volontairement, sans que la loi impose les contours de ces regroupements, est-ce recentraliser ? Proposer que les conseillers communautaires soient demain élus au suffrage universel direct, est-ce recentraliser ? Donner la liberté aux communes qui le souhaiteront de créer une métropole non pas d'après une liste établie depuis Paris, comme je l'ai entendu hier, mais sur la base du volontariat et à partir d'une dynamique de territoires, est-ce recentraliser ? Confier à nos commissions départementales de coopération intercommunale, composées d'élus, le pouvoir d'imposer aux préfets des solutions alternatives pour rationaliser la carte intercommunale, est-ce recentraliser ? Ces préfets, pourtant, certains d'entre vous s'agacent quand l'État met du temps à les remplacer...

Et lorsque vous citez l'article 72 de la Constitution, citez-le jusqu'au bout : « les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus dans les conditions prévues par la loi ». Et c'est bien là que réside l'originalité de la décentralisation française : un modèle dans lequel le législateur, c'est-à-dire vous-mêmes, fixe et organise la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités.

La décentralisation est notre patrimoine commun, droite, gauche et centre. Elle n'est la propriété d'aucun camp politique. Que vous le vouliez ou non, elle n'est pas figée pour l'éternité à ce qui s'est fait en 1982. La décentralisation, c'est le mouvement. Chercher à corriger ses faiblesses, que nous avons tous un jour ou l'autre décriées, ce n'est pas en faire le procès ou l'affaiblir, c'est au contraire la conforter, lui donner un nouveau souffle.

Personne ne sera dupe de ce jeu de rôle. Vous prenez la pose des défenseurs de la décentralisation. Pour être totalement crédibles, il eût mieux valu avoir voté, ce que précisément vous n'avez pas fait, la révision constitutionnelle de 2003 présentée par le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, qui a consacré, à l'article premier de notre Constitution, « l'organisation décentralisée » de notre République. La même logique d'opposition systématique est à l'oeuvre aujourd'hui. Elle n'est pas à la hauteur des enjeux. Je ne peux que le regretter. (Applaudissements à droite)

M. François Patriat.  - Hier, Éric Doligé nous disait : « j'ai rêvé du conseiller territorial, le Premier ministre l'a fait ». Monsieur Doligé, ne rêvez pas ! J'ai été conseiller territorial et j'en cauchemarde encore aujourd'hui... En 1978, élu conseiller général, j'étais en même temps délégué à l'EPR ; j'étais donc un conseiller territorial avant la lettre. Eh bien je me souviens comment se conduisaient ces élus que vous voulez faire renaître aujourd'hui : ces élus qui cherchaient des crédits pour un rond-point, un gymnase, une église de leur territoire et qui, en aucun cas, ne se préoccupaient de la stratégie de leur région.

Si nous demandons une motion référendaire, c'est que nous avons le sentiment de vivre la revanche de1981. Vous dites que la décentralisation est notre bien commun. Non, la décentralisation est bien plus le bien commun de la gauche que le bien commun de la droite. Car je me souviens d'avoir à l'époque ferraillé, sous l'autorité de Gaston Defferre et de Pierre Mauroy, contre M. Longuet, M. Madelin, M. Toubon, M. Léotard, et même contre M. Seguin qui, pendant des semaines, nous répétaient que la décentralisation, c'était « la fin de la France ». Et je me souviens d'avoir inauguré, sous l'autorité de M. Sueur ici présent, le 12 juillet 1992, la première communauté de communes, qui faisait suite à la loi sur l'administration territoriale de la République de février de la même année.

Je n'ai pas le sentiment que, demain, telle ou telle collectivité locale va disparaître.

Aucune ne disparaîtra mais toutes seront affaiblies. Les régions n'auront plus aucune autonomie financière, puisqu'elles n'auront pour toute ressource qu'une dotation de l'État ainsi qu'une fraction du produit de la cotisation complémentaire et de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux dont le taux sera fixé par l'État. Leurs compétences seront également réduites : la définition de « blocs de compétences » les empêchera d'aider leurs administrés comme elles le font aujourd'hui par des mesures de soutien nullement démagogiques. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, en doute) Quelle sera l'autorité des présidents de régions lorsqu'ils auront face à eux, au sein du conseil régional, quatre ou cinq présidents de conseils généraux ? Ils seront mis sous tutelle. Enfin, les régions se trouveront en position de faiblesse dans la négociation de contrats avec d'autres territoires : si les régions et les métropoles ne parviennent pas à s'entendre sur le partage des compétences économiques, celles-ci reviendront au bout de dix-huit mois aux métropoles ! Les régions sont pourtant des territoires d'avenir, chargées du soutien aux entreprises, aux universités, à la recherche, à l'innovation !

Nous défendons la France des libertés contre la France des préfets ! M. About nous invite à faire confiance au Sénat. Mais le Gouvernement a-t-il tenu compte des recommandations de la mission Belot ? Il les a balayées d'un revers de main ! (Plusieurs sénateurs socialistes le confirment bruyamment) Le Sénat peut-il à lui seul inverser la tendance ? Nous demandons que ce projet de loi soit soumis à référendum, non que nous soyons le syndicat des collectivités locales mais parce que cette réforme menace les libertés locales et les politiques territoriales de santé, d'éducation, de recherche, de transports. Nos concitoyens en pâtiront, il est bien légitime qu'ils en jugent par eux-mêmes ! (Applaudissements à gauche)

Mme la présidente.  - Je rappelle qu'en application de l'article 68 du Règlement, l'adoption par le Sénat d'une motion de référendum suspend, lorsqu'elle est commencée, la discussion du projet de loi.

En application de l'article 59 du Règlement, le scrutin public est de droit.

Nous allons appliquer pour la première fois les nouvelles règles fixées par le président et le Bureau du Sénat afin d'assurer le bon déroulement et la sincérité des scrutins. Pour solenniser et sécuriser davantage les opérations de vote, le président de séance veillera à ce qu'aucune personne non directement concernée par le scrutin ne se tienne à l'intérieur du demi-cercle au pied du plateau. Les opérations de vote se dérouleront à la tribune de l'orateur où seront disposées les trois urnes, « pour » « contre » et « abstention ». Elles seront supervisées par deux secrétaires du Sénat, le premier tenant les urnes pour recueillir les bulletins de vote et les y déposer, le second notant le nom des représentants des groupes et des sénateurs votant à titre individuel.

J'espère que ces nouvelles modalités de scrutin apaiseront les esprits.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est la réforme Pignard ! (Rires)

La motion est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 328
Majorité absolue des suffrages exprimés 165
Pour l'adoption 146
Contre 182

Le Sénat n'a pas adopté.