Avenir du secteur automobile (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Jean-Pierre Sueur à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur l'avenir des sous-traitants et équipementiers du secteur automobile.

M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question.  - Je commencerai par quelques mots sur la situation de l'entreprise 3M Santé. L'exaspération de ses salariés est compréhensible : au plan mondial, elle a réalisé en 2008 un résultat net de 3,46 milliards de dollars pour un chiffre d'affaires de 25 milliards. Chaque action rapporte un bénéfice de 4,89 dollars. Pourtant, 108 licenciements et 44 transferts sont prévus à Pithiviers. Les salariés et les habitants de cette ville sont très calmes.

Mais il faut aussi comprendre que surgisse un tel mouvement de désespoir et d'exaspération devant des licenciements quand l'entreprise, prospère, a procédé encore récemment à des acquisitions dans d'autres départements de France, réalise des profits considérables et n'a encore donné aucune réponse aux questions posées.

Monsieur le ministre, je remercie votre collaborateur, M. Gustin, de nous avoir reçus avec les représentants des salariés. Mme Lagarde, nous a-t-il indiqué, a écrit à la direction de l'entreprise aux États-Unis. Puisse cette initiative porter ses fruits ! Il revient aux pouvoirs publics de trouver des solutions pour éviter la fermeture de l'usine -il en existe, l'entreprise en a les moyens financiers- et, s'ils ne parviennent pas à infléchir la décision, d'obtenir un meilleur plan social car, pour l'heure, les salariés se sentent méprisés. Je puis vous assurer que la population se sent solidaire.

Après l'évocation de ce cas, qui n'est, hélas !, qu'un cas parmi d'autres, j'en viens aux équipementiers automobiles, nombreux dans ce département du Loiret dont je suis l'élu : Deutsch et Fédéral Mogul à Saint-Jean-de-la-Ruelle, Faurecia à Nogent-sur-Vernisson, Hutchinson à Châlette-sur-Loing, Proma à Gien, la Sifa à Orléans, TRW à Orléans-la-Source, Steco à Outarville, FOG à Briare, Ibiden à Courtenay -la liste n'est pas exhaustive. Toutes ces entreprises vivent de l'automobile, toutes ces entreprises sont sous-traitantes, toutes ces entreprises connaissent le chômage partiel et s'inquiètent pour l'avenir. De fait, certaines d'entre elles licencient, un petit nombre sont menacées de fermeture et, dans un cas, la décision de fermeture a été prise. Cette situation illustre les difficultés que connaît le secteur équipementier dans toute la France, MM. Bel et Bourquin parleront pour leurs départements de l'Ariège et du Doubs.

M. le président.  - Et la Sarthe !

Mme Nathalie Goulet.  - Et l'Orne !

M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question.  - Depuis le début de l'année, les annonces de suppressions d'emplois chez les équipementiers automobiles se multiplient : 1 215 emplois chez Faurecia, 219 emplois chez Plastic Omnium, 629 emplois chez Tyco Electronics, 300 postes chez et Molex, 300 chez Timken, 1 100 emplois chez Continental avec la fermeture de l'usine de Clairoix dont les salariés avaient pourtant accepté en 2008 de revenir aux 40 heures pour sauver le site, 81 à 102 postes chez Hutchinson sans parler du chômage partiel auxquels recourent de nombreux équipementiers de Mefro à Michelin.

Monsieur le ministre, face à ce désastre considérable, la réponse des pouvoirs publics doit être à la hauteur. Or les fonds, qu'ils soient publics ou non, dégagés pour le secteur de la sous-traitance automobile nous semblent insuffisants.

Le plan de relance prévoit 6 milliards pour Renault et PSA, contre seulement 600 millions pour les équipementiers qui réalisent pourtant 75 % des pièces d'une automobile (Mme Annie David acquiesce) et sont essentiels pour l'économie de nombreux départements tant par leurs effets directs qu'induits. Quel sénateur ne pourrait donner un exemple de l'importance de ce secteur dans son département ? Eu égard à l'ampleur de la crise, nous pensons que la priorité des priorités du Gouvernement, en matière d'automobile, doit être le soutien aux équipementiers.

Ensuite, l'État doit exiger davantage de contreparties sociales des entreprises auxquelles il attribue des aides, qu'il s'agisse de Renault ou des équipementiers. Une entreprise, c'est un président, des dirigeants, mais aussi des représentants des salariés qu'il faut davantage associer à la mise en oeuvre du plan. Modifions les procédures pour éviter que ne fermentent des mouvements de colère et d'exaspération, tel celui de Pithiviers.

Enfin, il faut revoir les conditions de mise en oeuvre du plan automobile pour les sous-traitants. Monsieur Chatel, vous avez légitimement déclaré à l'Assemblée nationale que « la sous-traitance est en quelque sorte victime d'une double peine : le ralentissement du marché et le déstockage des constructeurs » avant d'ajouter « Là où le marché des constructeurs est à environ moins 10 %, les sous-traitants sont plutôt autour de moins 30 à 40 % ». Plus que les grandes entreprises, ils ont donc besoin d'aide. Or la garantie apportée par Oseo n'est accordée qu'aux entreprises fondamentalement saines avant l'été 2008...

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques.  - C'est logique !

M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question.  - ...et l'aide du Fonds stratégique d'investissement aux sociétés présentant le « meilleur potentiel technique » et les meilleures chances de rentabilité, d'après son directeur général, M. Gilles Michel. De même, le directeur adjoint de ce fonds a déclaré que priorité sera donnée aux entreprises qui ont une visibilité sur cinq ans quand les entreprises aujourd'hui ne savent même pas où elles en seront dans un an, voire six mois... Bref, il faut modifier ces critères trop sélectifs. (Mme Nathalie Goulet acquiesce) Dans mon département, j'en ai eu confirmation à la préfecture, seuls 30 dossiers ont été déposés pour l'heure, soit 0,3 dossier par département. C'est trop peu d'autant que les dossiers sont examinés fort lentement. A en croire un article du Monde du 26 mars dernier, un dossier a été instruit, deux autres sont en cours d'examen. Bref, il est urgent de mettre en place des circuits courts d'examen des dossiers. Monsieur le ministre, la réponse des pouvoirs publics est indispensable pour faire face aux difficultés des sous-traitants automobiles ! (Applaudissements à gauche)

Mme Jacqueline Gourault.  - Même sur le plan géographique, mon intervention s'inscrit dans la droite ligne de celle que nous venons d'entendre.

En effet, les difficultés des équipementiers sont visibles sur le terrain, la baisse de 13 % des ventes de voitures neuves en février aggravant nos craintes. Les perspectives sont angoissantes, puisque le British international motor show,  le grand salon automobile de Londres, prévu pour 2010, vient d'être annulé.

En application du pacte automobile présenté par le Président de la République le 9 février, le Fonds stratégique d'investissement versera 200 millions au Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, autant que chacun des deux constructeurs nationaux -Renault et PSA- qui entendent sécuriser leurs approvisionnements en soutenant leurs fournisseurs.

Lors des manifestations du 19 mars, j'ai été frappée par le grand nombre de banderoles portant des noms d'équipementiers automobiles.

Monsieur le ministre, nous nous étions rencontrés à Vendôme, lorsque vous vous étiez rendu à l'usine Thyssen-Krupp. D'après la Nouvelle République du Centre, 80 licenciements sont annoncés à l'usine Ranger de Theillay, dans le bassin de Salbris-Romorantin, qui a déjà subi les catastrophes industrielles de GIAT-Industries et de Matra. A Blois, il y a Valeo et HPI, mais aussi un grand établissement de Delphi, spécialisé dans les équipements pour moteurs diesel à haute pression. Son laboratoire a mis au point un injecteur piézo-électrique. Lorsque M. Devedjian, ministre chargé de mettre en oeuvre le plan de relance, a visité le site de Delphi, il a souligné les espoirs fondés sur ce nouveau produit.

Aujourd'hui, nous ignorons ce qui se passe. Après avoir mis fin aux contrats d'intérim, mis des salariés au chômage partiel et imposé à d'autres de prendre leurs congés, Delphi n'a toujours pas réalisé de nouvelle ligne de production. Selon certaines rumeurs, celle-ci pourrait être assurée ailleurs. En effet, les équipementiers sont tentés par l'Europe centrale et orientale, où les constructeurs sont déjà très présents. Quelque 2 500 salariés sont concernés.

Le Fonds stratégique d'investissement interviendra-t-il dans cette entreprise ? Je souhaite quelques indications.

D'autre part, M. Détraigne m'a chargée de réitérer une question qu'il vous avait déjà posée jusqu'ici sans succès.

Si l'on commande une voiture étrangère, on l'obtient dans les trois à quatre semaines ; pour un véhicule français, il faut attendre quatre à cinq mois...

M. Daniel Raoul.  - C'est vrai.

M. Gérard Cornu.  - Tout dépend du stock !

Mme Jacqueline Gourault.  - ... alors que nous voyons à la télévision des parkings saturés de véhicules invendus.

Cette situation est incompréhensible, surtout avec le gonflement des stocks induits par le tassement de l'effet « prime à la casse ». D'où vient cette dichotomie ?

Le pacte automobile est ambitieux, mais il restera inopérant si les délais de livraison incitent à l'achat de véhicules étrangers. (Applaudissements)

M. Jean-Claude Danglot.  - Des six milliards attribués à Renault et PSA, aux 600 millions d'euros dont sera doté le Fonds de modernisation des équipementiers, en passant par l'activation des fonds de garantie Oseo pour les prêts alloués aux équipementiers et sous-traitants automobiles, les aides publiques sont encore accordées sans contrôle, sans contrepartie ni droit de regard du Parlement. En effet, le Gouvernement veut faire croire aux travailleurs qu'il faut faire confiance aux actionnaires et aux dirigeants des entreprises pour assurer la pérennité des sites industriels et renoncer à leurs bonus. L'appel à la moralité des entreprises devrait sauver l'industrie automobile !

On sait ce qu'il en est, puisque, sitôt le plan de sauvetage annoncé par le Président de la République, PSA supprimait 6 000 emplois. Renault a confirmé ses bons résultats financiers, avec des profits avoisinants 830 millions d'euros, dont la moitié sera reversée aux actionnaires.

L'hémorragie des emplois industriels n'est pas stoppée. Il serait fastidieux d'énumérer les entreprises qui licencient ou mettent au chômage partiel. Toutes les régions sont touchées, la filière automobile payant le prix fort.

Certes, nous ne manquons pas de communications sur le pacte automobile, mais les effets d'annonce ne résistent pas à la réalité quand des centaines de milliers de salariés sont confrontées à cette crise du système capitaliste.

Selon vous, monsieur le Secrétaire d'État, la suppression de la taxe professionnelle améliorerait la compétitivité des entreprises ? Elle représenterait 250 euros par modèle. Soit. Mais lorsque Toyota s'est implanté à Valenciennes il y a quelques années, la taxe professionnelle ne l'a pas influencé. L'équipementier Faurécia, ancré dans tout le territoire, veut fermer son usine d'Auchel, où travaillent 600 salariés. L'entreprise a pourtant bénéficié il y a quelques années de fonds publics pour agrandir son site. Elle ne verse à la collectivité que 930 000 euros de taxe professionnelle, soit une fraction de la prime d'encouragement à la casse industrielle perçue par le PDG de Valeo. L'audit effectué par un cabinet d'experts-comptables a démontré que l'usine d'Auchel est viable. En réalité, le secteur automobile était, bien avant la crise structurelle d'aujourd'hui, au banc d'essai des politiques européennes basées sur le traité de Lisbonne vantant la concurrence libre et non faussée. Cette politique conduit à un dumping social qui frappe les équipementiers depuis l'ouverture de l'Europe à l'Est.

Il faudrait aider la recherche et le développement privés ? Mais Renault a réduit ses dépenses en ce domaine. L'exemple de l'entreprise Sintertech, implantée en Isère, est édifiant. Cet équipementier est le seul en France à fabriquer des articles en métal fritté, un produit révolutionnaire issu de recherches très poussées. La fermeture du site et la suppression corrélative de 120 emplois ferait disparaître cette technique de pointe dans notre paysage industriel.

S'agit-il d'aider les PME à perfectionner leur gestion ? Monsieur le ministre, vous avez déclaré à Douai vouloir atténuer la crise subie par les équipementiers, l'intervention en fonds propres étant réservée aux cas stratégiques. Qu'est-ce qu'un équipementier stratégique ? Pouvez-vous le dire ?

On comprend mieux les intentions du Président de la République, qui souhaite attendre les résultats de son plan automobile. L'attente est douloureuse, car des milliers d'emplois disparaissent au nom de cette nouvelle compétitivité que vous appelez de vos voeux et qui satisfait le Medef. Si vous croyez à votre plan de relance, pourquoi refusez-vous un moratoire des plans sociaux ?

La majorité présidentielle veut faire avaliser l'idée d'une crise provoquée par un capitalisme financier amoral, opposé à un capitalisme industriel vertueux. Or, les milliards qui vous distribuez aux grands groupes industriels ont pour seul objectif de restructurer l'appareil productif pour augmenter les profits de demain.

Il y a deux ans déjà, les parlementaires communistes ont élaboré une charte de défense et de développement de l'industrie automobile, car ils anticipaient cette crise. Leurs propositions auraient fortement limité la casse industrielle et les destructions massives d'emplois. Nous proposons à nouveau d'arrêter les plans de licenciements et de geler les dividendes versés aux actionnaires.

L'utilisation de l'argent public doit être contrôlée et servir à l'innovation ou à la formation professionnelle. Nous demandons que les constructeurs soient contraints à respecter leurs sous-traitants et qu'ils s'attachent à répondre aux attentes des consommateurs. L'État doit entrer dans leur capital car, sans tout régler, cela aide, comme l'a reconnu le directeur général de Renault que nous avons auditionné. Il faut associer les salariés aux choix et augmenter le pouvoir d'achat des travailleurs.

La crise économique, dont les victimes sont les salariés et les utilisateurs d'automobiles, est la conséquence de choix stratégiques destinés à accroître les marges afin d'essayer de satisfaire la voracité des actionnaires. Fermetures de sites, dégradations des conditions de travail, suicides de salariés n'ont pas attendu la crise que le blocage des investissements a précédée. Cette crise est même opportune pour justifier des choix stratégiques déjà arrêtés. La situation américaine ne saurait pourtant pas servir d'alibi : si les pertes se comptent en milliards de dollars outre-Atlantique, ici, les bénéfices atteignent des milliards d'euros. (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Cornu.  - Président du groupe d'étude sur l'automobile et vice-président de la commission des affaires économiques, je ne peux que saluer l'organisation de ce débat. Il est très utile d'évoquer la situation des sous-traitants et des équipementiers, que nous voyons tous dans nos départements et, tant cela est important pour notre économie, à travers tout le territoire.

Le secteur automobile est à la croisée des chemins. La crise économique mondiale pèse sur le pouvoir d'achat, d'où la chute de 20 % des ventes en Europe. Au-delà de cet élément conjoncturel, cela tient aussi à un facteur plus structurel. Les mentalités ont évolué et l'augmentation du prix du pétrole a déterminé de nouveaux comportements, dont tous les intervenants à la table ronde d'hier ont souligné le caractère durable. Il en résulte la déstabilisation d'un secteur, contraint à s'adapter. La France, grâce aux mesures déjà prises, s'en sort plutôt moins mal que d'autres : les ventes n'y ont baissé que de 12 % en décembre, mais de 50 % en Espagne...

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement.  - Exactement !

M. Gérard Cornu.  - Les deux grands constructeurs français annoncent 20 000 suppressions d'emplois. Leur situation est difficile mais celle des équipementiers et sous-traitants l'est encore plus et il ne se passe pas une semaine sans annonce de restructuration ; on a déjà cité Continental et Heuliez. La baisse des commandes des constructeurs et la gestion de leurs stocks les affectent en effet directement, même si la situation aurait été pire si nous n'avions pas réduit les délais de paiement. De plus, les difficultés des équipementiers sont plus profondes. Dans un rapport présenté en février 2007, j'avais relevé qu'ils avaient perdu 10 000 emplois entre 2005 et 2007 ; je prévoyais alors la destruction de 15 000 emplois chez les fournisseurs de premier rang et de 6 000 chez ceux de second rang, mais j'étais trop optimiste puisque 7 000 emplois ont disparu ces derniers mois.

Le pacte automobile présenté par le Président de la République le 9 février est à la hauteur des enjeux, contrairement à ce que vient de dire l'orateur précédent. La mise en place du fonds de garantie est une bonne mesure, Oseo pouvant garantir des prêts allant jusqu'à 15 millions. Quant au fonds de modernisation des équipementiers, il a déjà fait la preuve de son efficacité pour Valeo et s'apprête à intervenir chez Heuliez. Les 6 milliards apportés aux deux grands constructeurs concernent également les équipementiers... (M. René Garrec en convient)

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Bien sûr.

M. Gérard Cornu.  - Cela a été dit hier lors de la table ronde, il faut se garder d'une vision comptable et considérer l'ensemble de la filière. Le pacte invite les constructeurs à prêter attention à leurs fournisseurs. Ainsi que le soulignait mon rapport, il n'y aura pas de constructeurs forts si leurs fournisseurs ne sont pas en bonne santé. (M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques, le confirme)

Au-delà des décisions conjoncturelles, les mesures structurelles doivent constituer une priorité. Je salue donc le soutien à la recherche et à l'innovation grâce à 250 millions de prêts. Ne soyons pas pessimistes pour l'avenir de la filière : elle peut sortir confortée de la crise car nos constructeurs ont déjà fait la preuve de leur capacité à réaliser une révolution pour relever les défis de la qualité et de l'innovation. Notre industrie est assez performante pour que nous ayons confiance dans sa pérennité : la France ne la laissera pas tomber ! (Applaudissements à droite)

Mme Anne-Marie Escoffier.  - (Applaudissements sur les bancs du RDSE) Je remercie M. Sueur d'avoir posé cette question essentielle et qui nous touche tous. L'Aveyron, quoique largement rural, n'ignore pas les difficultés de la Mechanic Valley, jusque-là dynamique mais fragilisée. Vous avez récemment rencontré les acteurs majeurs de la filière afin d'explorer avec eux les voies d'un développement novateur. Je me félicite du pacte automobile annoncé le 9 février. Pour autant, permettra-t-il d'endiguer la crise du crédit, de l'industrie et du marché ? On peut l'espérer pour l'intérêt général comme dans celui des consommateurs et des acteurs de la filière, mais le doute est permis puisqu'il n'exige pas que les constructeurs travaillent exclusivement avec des fournisseurs français ou qu'ils relocalisent. Quels seront les effets du code des bonnes pratiques avec les fournisseurs ? Si sur l'échelle de la performance, les équipementiers sont passés de 100 à 60 entre 2007 et 2009, ils pourraient repasser à 65 en 2010.

Il faut donc que des efforts sans précédent soient développés dans quatre directions principales : la rationalisation des process ; la protection de l'emploi ; la formation au bénéfice des salariés au chômage technique ; en veillant à ce que les aides publiques soient homogènes dans l'ensemble des régions et calculées, équitablement, à raison des caractéristiques propres à chacune ; la création d'un guichet unique pour donner efficacité et cohérence aux mesures de soutien à l'économie.

Je vous remercie des assurances que vous voudrez bien nous donner sur ces différents points susceptibles, si la frilosité ne prend pas le pas sur l'ambition, de consolider la filière des équipementiers automobiles. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

M. Martial Bourquin.  - Je suis très heureux que notre collègue Sueur nous invite à débattre -enfin !- sur la situation des équipementiers et sous-traitants de l'automobile. Nous avons la chance d'avoir deux constructeurs parmi les meilleurs au monde. Pour autant, on a trop tendance à réduire cette industrie à leurs activités. C'est oublier que le tissu industriel comprend un grand nombre d'entreprises, dont certaines ont un destin international, d'autres sont des championnes de l'innovation, aux côtés de très petites entreprises à structure familiale, dispersées sur tout le territoire. Voilà la réalité de la filière automobile.

En 2007, les équipementiers et sous-traitants, armée de l'ombre de la filière automobile, employaient 114 446 salariés. Les fédérations professionnelles prévoient qu'ils seront bientôt moins de 110 000. Nous devons éviter que les équipementiers et les sous-traitants deviennent la chair à canon de la crise du secteur !

Or, ils n'ont pas les mêmes armes que les constructeurs pour faire face à la violence de la crise. Ils ne disposent pas de la même trésorerie pour attendre des jours meilleurs, ni de la même capacité de négociation vis-à-vis des banques ; leurs salariés et patrons ne bénéficient pas de protections sociales suffisantes pour affronter de longues périodes de chômage partiel. Ils ont été victimes de délais de paiement sans cesse allongés par leurs donneurs d'ordre, sans autre possibilité que de se soumettre. Au fil des années, leurs marges se sont réduites face aux exigences de productivité des constructeurs.

Devons-nous pour autant laisser le marché, le bon vouloir des banques ou l'absence de législation sociale suffisante signer la condamnation à terme de beaucoup de ces entreprises ? Nous ne le pensons pas. Laisser des équipementiers et des sous-traitants disparaître, c'est cautionner la disparition progressive de la filière automobile ; c'est fragiliser nos deux constructeurs, qui seront obligés de chercher ailleurs des structures de production que nous avons ici et donc faire le nid de délocalisations futures ou d'une politique d'achat dématérialisée. C'est abandonner des salariés et des chefs d'entreprise qui disposent d'un savoir-faire et pourront très diversement se reconvertir sur le marché du travail. C'est donner un blanc-seing à une marche forcée vers une désindustrialisation de notre pays, à l'abandon de territoires et de bassins d'emplois.

Depuis les premiers signes annonciateurs d'une baisse très sensible et durable du marché de l'automobile, il y a maintenant cinq mois, je n'ai cessé de plaider pour la prise en compte de la totalité de la filière automobile, dès les premières annonces de la création du Fonds stratégique d'investissement en novembre et bien sûr à l'occasion des états généraux de l'automobile le 20 janvier, où je vous ai remis une contribution sur l'avenir de l'automobile rédigée avec mon collègue député Pierre Moscovici.

Même si la prise de conscience du Gouvernement a été trop lente, j'ai accueilli favorablement, et avec un certain soulagement, l'annonce du pacte automobile le 9 février. J'y avais placé quelques espoirs et beaucoup d'attentes. Il prenait la mesure de la gravité de la crise, en prévoyant un prêt de 6,5 milliards aux deux principaux constructeurs ainsi que le principe d'un prêt pouvant être abondé à hauteur d'un milliard aux équipementiers via Oseo. J'avais également retenu le principe d'aides conditionnées, fondateur du pacte automobile. J'étais en accord avec vous lorsque vous écriviez que « l'État vient en aide à son industrie automobile en échange de contreparties fortes. La France ne laisse pas tomber son industrie automobile mais celle-ci ne doit pas laisser tomber la France. » Le Président de la République m'avait plutôt convaincu lorsqu'il a dit adosser ces aides à des contreparties en termes d'emplois ou de maintien de sites dans l'Hexagone et défendre cette position auprès de l'Union européenne. J'y voyais les bases d'un véritable contrat, industriel, social, environnemental, ainsi que d'un possible changement de mode de gouvernance.

Un mois et demi après ces déclarations, le plus grand flou règne sur la réalité de ces fonds, sur leur réel niveau d'abondement, sur les critères choisis pour aider telle ou telle entreprise. Entre les déclarations et la réalité, le fossé est parfois incompréhensible. Je sais que vos services et vous-mêmes êtes au fait des situations des entreprises. Comment expliquez-vous que si peu de dossiers soient aujourd'hui entre vos mains ? Les engagements financiers du pacte automobile font état d'un abondement à hauteur d'un milliard ; que se passera-t-il si à la fin de l'année, on constate une dramatique sous-consommation du Fonds de modernisation aux équipementiers, ou du Fonds d'investissement stratégique et dans le même temps la disparition de plusieurs milliers d'emplois et le déshabillage de plusieurs bassins de vie ? Disposez-vous d'objectifs chiffrés dont vous pourriez nous faire part ?

Pouvez-vous garantir que le dossier de présentation du pacte automobile aux institutions européennes comportait bien des contreparties sociales et de maintien de sites ? Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous communiquer ce document ?

Je vous le demande également parce que l'exemple de Valeo fait froid dans le dos. Comptez-vous assortir ces prêts à des conditions liées à la gouvernance d'entreprise ? II n'est pas pensable que des entreprises bénéficiant -à juste titre- d'aides considérables de l'État continuent à agir comme si de rien n'était et à distribuer des indemnités colossales, des primes et des stocks-options. Ces temps-là sont révolus. Nous devons passer d'un modèle de l'argent facile à celui d'une juste et convenable rémunération du travail y compris pour leurs dirigeants. Des pays aussi libéraux que le Japon et les Pays-Bas font ce cheminement. Pourquoi pas nous ?

Au moment où des intérimaires sont remerciés, des salariés de plus de 50 ans décrétés licenciés volontaires, où des postes sont supprimés, ces agissements sont intolérables et indignes. Au-delà du jugement moral que nous sommes en droit de porter, il me paraît plus que légitime et urgent de légiférer sur cette question.

Je suis ravi que le Gouvernement soit finalement intervenu pour demander au conseil d'administration de Valeo de ne pas octroyer de telles indemnités de départ à son ex-dirigeant et notamment une prime incompréhensible de performance. Pour autant, ne croyiez-vous pas que, si scandale il y a eu, c'est parce que des conditions n'ont pas été clairement posées avant. Nous ne sommes pas là pour courir après les faits divers mais des salariés sont licenciés par milliers, les CCAS sont submergés de demandes, et l'on donne au patron de Valeo 1 000 euros par emploi supprimé !

M. Guy Fischer.  - C'est scandaleux ! (On fait écho sur les bancs socialistes)

M. Martial Bourquin.  - Le secteur de l'automobile représente 10 % de nos emplois industriels. La seule façon de le sauver serait de construire au plus tôt la voiture propre de demain, de la rendre plus économe en carburant, recyclable à 100 % et décarbonisée. Où en est-on ?

Lors de la conférence de presse du 24 mars, vous indiquiez que l'État soutiendrait Heuliez « s'il a un vrai projet industriel viable ». Un tel propos nous donne des indications sur vos possibles critères de sélection des dossiers. Qu'est-ce qu'un projet industriel viable ? Je me permets de vous citer l'exemple de Keyplastics dans le Doubs. Les dirigeants de cette entreprise prévoyaient la liquidation des deux sites de l'entreprise. Au terme de trois semaines de grève générale, l'acharnement de salariés et d'élus, la viabilité du projet industriel -Peugeot avait besoin de Keyplastics- ont permis de sauver un des deux sites. Pour autant, au départ, le projet industriel de cette entreprise n'apparaissait pas comme évident.

Le plus important est d'avoir un débouché : les constructeurs ont besoin de toute la filière ; s'il y a une défaillance, les banques et Oseo doivent être là.

Le contrôle des aides ne doit pas être considéré comme une entrave ou une bureaucratisation des actions de l'État. Le Parlement a son mot à dire lorsque l'État distribue des milliards aux groupes automobiles. Les parlementaires doivent être aux côtés du Gouvernement pour veiller à ce que l'aide publique aille bien à la modernisation de ce secteur, à la protection des salariés, afin d'éviter de nouveaux scandales. Nous demandons donc la mise en place d'une commission parlementaire, non pour examiner a posteriori les aides du Gouvernement mais pour que nous participions à la sortie de crise.

Nous sommes à la croisée des chemins : dans les mois qui viennent, les difficultés vont être extrêmes : des milliers d'emplois vont être détruits. Mais si nous nous mobilisons, nous pouvons atténuer ce choc et rassurer les salariés. Il nous faudra aussi réfléchir à la suppression du bonus-malus et proposer un autre dispositif.

Le Gouvernement doit porter beaucoup plus d'attention à la voiture propre et à l'avenir de l'industrie automobile. Les constructeurs européens évaluent à 40 milliards le coût de la recherche sur les moteurs innovants. L'industrie automobile et les équipementiers doivent sceller un nouveau pacte pour que la France reste une grande nation industrielle. (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Nathalie Goulet.  - (Applaudissements au centre) Je tiens tout d'abord à remercier M. Sueur pour son heureuse initiative et je regrette que la majorité sénatoriale ne soit pas plus nombreuse ce matin même si elle est excellemment représentée...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

Mme Nathalie Goulet.  - Avec plus de 34 000 emplois directs, la Basse-Normandie est une des régions où la filière automobile est la plus présente. Personne ne doute de la volonté du Gouvernement de protéger et de soutenir notre secteur automobile. Mais peut-on parler de filière automobile alors qu'il y a, d'un côté, les constructeurs et, de l'autre, les équipementiers ? Espérons que la crise soit l'occasion de procéder à une réorganisation complète de cette filière.

En Basse-Normandie, notre remarquable préfet de région a réuni le 26 janvier les représentants de la filière et les élus. Il est apparu que la situation de la filière était comparable à un grave accident de la route : on réconforte ceux qui sont debout, on soigne les blessés, mais on se contente d'administrer l'extrême-onction à ceux qui sont les plus atteints. Il conviendrait de revoir cette stratégie.

La région a pris la mesure de la crise en consacrant 44 millions pour la recherche et l'innovation ainsi que 11 millions d'aides supplémentaires à la filière.

L'Orne compte de nombreux sous-traitants en grande difficulté : Wagon automobile, qui emploie 180 personnes, est en redressement judiciaire à Sainte-Gauburge, Magnetti-Marelli à Argentan, Faurécia à Flers, Valéo à Athis-de-l'Orne ThyssenKrupp au Theil sur Huisne. Acument, à la Ferté Fresnel, a enregistré 25 % de baisse d'activité, d'où cinq jours de fermeture par mois, tandis que KEY Plastics, 168 salariés à Bellême, est soumise à une procédure collective. Le plan de 10 millions pompeusement baptisé de relance adopté par le conseil général de l'Orne prévoit un savant saupoudrage de travaux routiers pour 9 millions : c'est ce que l'on appelle le clientélisme du goudron dans la grande tradition des départements ruraux, mais point d'aides aux sous-traitants ornais !

La société Faurécia qui fabrique des sièges, des échappements, de l'acoustique, des intérieurs de véhicule, et des blocs avant, dispose d'un très important complexe neuf à Flers. Faurécia emploie 1 400 salariés et traite avec 50 sous-traitants, soit plus de 400 emplois induits. Sur 1 215 suppressions d'emplois annoncées par le groupe, le site de Flers prévoyait 271 licenciements. Un accord de congé de mobilité a été signé, qui a remporté un succès un peu inattendu avec 220 demandes au total. Les élus et les représentants du personnel se sont battus auprès d'une direction parfois trop éloignée de l'exploitation, et viennent de sauver de très nombreux emplois visés par des délocalisations : ils ont ainsi démontré que l'activité comptabilité devait rester sur le site de Flers au lieu d'être délocalisée au Portugal.

Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire concernant les délocalisations. Ainsi, si l'activité glissière, qui compte environ 700 salariés, était transférée à l'usine polonaise de Faurécia qui fabrique déjà des glissières, il ne serait pas question de délocalisation mais de « relocalisation », ce qui permettrait d'échapper aux contraintes et aux promesses.

Deuxième fabricant au monde de sièges, Faurécia ne devrait-elle pas se rapprocher de l'industrie aéronautique ? Mais de telles diversifications semblent très éloignées des préoccupations des dirigeants.

En outre, les banques ne sont pas toujours solidaires. Il faut trouver 150 000 euros pour les chèques-vacances des salariés, mais la banque rechigne. L'entreprise demande à ses salariés de prendre des jours de congés, des RTT, mais sans contreparties.

Comment comptez-vous, monsieur le ministre, coordonner les multiples initiatives, rétablir la confiance du marché, établir des relations plus équilibrées entre donneurs d'ordre et sous traitants ? M. Bourquin a demandé à juste titre un suivi parlementaire des aides de l'État.

La situation est anxiogène pour les salariés : les restos du coeur de Flers, dont l'agglomération compte 30 000 habitants, ont vu le nombre de familles bénéficiaires passer de 160 à 370. Nous ne parlons pas de chiffres mais d'hommes, de femmes et d'enfants qui attendent des solutions ou, du moins, quelques pistes pour leur donner un peu d'espoir. (Applaudissements au centre et à gauche. M. Gérard Longuet applaudit aussi)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Je veux aussi saluer l'excellente initiative de M. Sueur qui me permet d'évoquer la situation de la Franche-Comté.

Le marché des voitures particulières en France a marqué une baisse de 13 % en février et PSA a violemment chuté de 20 %. Nous sommes au coeur des difficultés : les contrats à durée déterminée ne sont plus renouvelés et les intérimaires sont au chômage. La Franche-Comté, où bat le coeur industriel de Peugeot, est particulièrement touchée. L'usine de Sochaux a connu un chômage technique prolongé. Les équipementiers tournent au ralenti. Certains sont en liquidation judiciaire, comme Rencast à Delle, filiale du groupe de fonderie italien Zen, ou attendent une reprise hypothétique comme Sonas à Beaucourt, Wagon à Fontaine, d'où une immense inquiétude. M. Bourquin vient d'en parler. La remontée du chômage témoigne de difficultés sociales grandissantes.

Le 9 février, le Président de la République a annoncé l'octroi d'un prêt de 6 milliards à un taux de 6 % sur une durée de cinq ans à nos deux constructeurs automobiles afin de leur permettre de financer des projets stratégiques en France et de soutenir, grâce aux pôles de compétitivité, des programmes de véhicules propres. L'offre de véhicules doit anticiper sur la nécessité de voitures plus économiques et de moteurs électriques. En contrepartie de ces aides, les constructeurs auraient dû prendre un engagement sur l'emploi et sur la pérennité des sites d'assemblage en France. Ces aides considérables ne peuvent en effet être accordées sans contreparties, notamment en ce qui concerne le maintien de l'emploi, comme l'a rappelé Mme Escoffier. Un fonds d'aide aux équipementiers en difficulté a été doté de 600 millions, dont 200 ont été fournis par l'État, grâce au fonds stratégique d'investissement. Cette initiative est intéressante, mais sans doute insuffisante. Il est absolument nécessaire d'assurer la reprise, au moins provisoire, de ces entreprises et de leurs savoir-faire grâce à une holding semi-publique où les constructeurs auraient évidemment leur place. Des équipementiers, aujourd'hui en déshérence comme Sonas, Wagon ou Rencast ne doivent pas disparaître. Bien entendu, d'autres sites doivent être pérennisés, comme Continental à Amiens ou Heuliez en Poitou-Charentes, où de nouveaux modèles pourvus de moteurs hybrides ou électriques devraient arriver sur le marché dès 2010.

Nous prenons aujourd'hui la mesure de l'immense erreur, commise il a plus de dix ans, quand la France a accepté, au nom de la mondialisation, la délocalisation de son industrie automobile vers des pays dont les coûts salariaux étaient dix fois inférieurs aux nôtres. En délocalisant leur production et leurs sous-traitants, les constructeurs ont créé les conditions du naufrage actuel.

Le Président de la République s'étonnait à Vesoul, le 15 janvier, de ce que notre industrie automobile qui était, il y a peu encore, le premier poste excédentaire dans notre balance commerciale, fût devenue déficitaire. Sa réaction spontanée témoignait de la cécité collective de nos dirigeants politiques durant les années 1990.

J'ai posé le 27 novembre à Mme Lagarde une question sur la protection de notre industrie automobile.

Madame Lagarde m'a répondu en alléguant le communiqué du G20 rejetant tout « protectionnisme », ce pelé, ce galeux d'où viendrait tout le mal et dont la simple évocation est le moyen de clore par avance toute discussion. Mais n'est-il pas évident, comme l'avait démontré il y a longtemps Maurice Allais, qu'entre des pays ayant des conditions salariales et sociales complètement hétérogènes, il n'y a pas de concurrence bénéfique possible ? Renault, confronté à un sursaut de la demande de voitures Clio Il, vient de décider de créer temporairement 400 emplois à Flins, son usine de Slovénie tournant déjà à plein régime. Aussitôt cris d'orfraie à Bruxelles ! Après les déclarations du Président de la République, la commissaire européenne chargée de la concurrence, Mme Nelly Kroes, avait déjà mis en garde le Gouvernement français face à « un risque de retour au protectionnisme ». Elle avait ajouté que contraindre des entreprises à investir seulement en France n'était pas compatible avec le droit européen. Le Gouvernement a dû convaincre, lors du dernier sommet, les différents dirigeants européens, et notamment allemands, que le plan français n'était pas en contradiction avec ce droit. Finalement, la France s'est engagée devant la Commission à ne plus mentionner de conditions quant aux prêts octroyés aux constructeurs automobiles. Force est de constater que le Gouvernement tient un discours différent selon qu'il se trouve à Paris ou à Bruxelles !

La dictature de la pensée libérale est devenue intolérable. Les institutions de Bruxelles défendent un libre-échangisme dévoyé, alors que croulent des pans entiers de notre industrie. Elles s'exposent, elles et ceux qui reprennent leur discours, à la juste colère de notre peuple. Osons briser les tabous et parler vrai : la logique industrielle libre-échangiste, en l'absence d'une raisonnable protection, conduit à la disparition potentielle de tous les sites de production français. Toute la production française, en effet, peut être réalisée dans des pays à très bas coût salarial, faute de protection de notre marché.

Distinguons donc entre les pays de l'Europe centrale et orientale (Peco) admis à faire partie de l'Union européenne et les pays à très bas coûts salariaux situés hors de l'Union. Pour ces derniers, une taxe anti-dumping social et une éco-taxe, pour égaliser les conditions de concurrence, devraient être maintenant à l'ordre du jour des sommets européens et mondiaux. Face à l'hypocrisie générale, le courage devrait conduire la France à défendre au G20 la thèse, non pas d'un protectionnisme aveugle, mais d'une protection raisonnable et négociée permettant une concurrence équitable entre les différentes régions du monde, en tenant compte des différences de coûts salariaux mais aussi de la nécessité du développement des pays émergents, à condition que leur croissance soit fondée non pas seulement sur les exportations mais aussi sur leur marché intérieur, comme semble s'y résoudre, heureusement, la Chine, en lançant un plan de relance de 450 milliards. Il y a un équilibre à trouver entre une relance coordonnée à l'échelle mondiale et une protection raisonnable permettant une concurrence équitable. Ce n'est pas conforme à l'orthodoxie libre-échangiste mais c'est le bon sens et cela se négocie.

S'agissant des pays membres de l'Union, les grandes marques automobiles pourraient être soumises à un contingentement de leur production par pays en fonction des flux enregistrés depuis 1999. Le contingentement fut d'ailleurs pratiqué lors de la création de la Ceca... L'Europe ne peut être l'autel sur lequel la France sacrifierait son industrie automobile. Un tel accord ne peut bien sûr se faire que dans le cadre d'un plan d'ensemble d'aide aux Peco dont la situation économique et financière est particulièrement difficile.

Mais il faut que le Gouvernement français affirme une claire volonté : l'industrie automobile française ne doit pas disparaître. Elle ne doit pas être la variable d'ajustement des difficultés des Peco ! Il est temps de remettre en cause des postulats libre-échangistes et des dogmes d'une autre époque ! N'immolons pas notre industrie automobile sur l'autel d'un libre-échangisme dévoyé et déloyal ! (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE ; Mme Jacqueline Gourault applaudit aussi)

M. Jean-Pierre Bel.  - Une remarque préalable : je compatis à la solitude de Gérard Cornu dans un débat sur une question si essentielle (sourires) et j'y vois la preuve du peu d'intérêt que la majorité porte à nos débats d'initiative sénatoriale... (Applaudissements à gauche)

La question que nous abordons aujourd'hui est essentielle pour l'économie française et européenne. Pour l'Europe, c'est évident car elle est le premier constructeur automobile mondial avec plus d'un tiers du marché. C'est un secteur essentiel pour l'emploi puisque, avec les 7 000 sous-traitants de composants automobiles, ce sont 12 millions d'emplois qui en dépendent en Europe, et 10 % des emplois en France. L'automobile est un des secteurs les plus touchés par la crise. Les immatriculations neuves se sont effondrées de 20 % au dernier trimestre 2008.

Comme pour les autres secteurs industriels, il est impératif que le Gouvernement réagisse sur trois axes : la demande, le soutien aux entreprises fragilisées pour éviter des défaillances en chaîne et le soutien aux salariés. Les mesures prises par le Gouvernement pour ce secteur automobile se concrétisent dans le collectif budgétaire que nous examinerons la semaine prochaine. On peut regretter cette lenteur à réagir.

La Commission européenne avait, dès novembre 2008, présenté un plan d'action, et, là encore, on ne peut pas dire que la réaction fut rapide, d'autant qu'il ne s'agissait que d'une validation des plans nationaux. C'est seulement le 25 février que la Commission européenne a publié une communication spécifique intitulée « réagir face à la crise de l'industrie automobile » où elle reconnaît le problème de l'accès au financement pour les équipementiers. Attendre février 2009 pour réagir prouve l'impréparation devant la crise et l'absence de vision stratégique réelle. On nous a d'abord expliqué que la France y échapperait, puisqu'elle s'en sortirait mieux que les autres. Cet aveuglement, volontaire ou non, qui contraint le Gouvernement à réduire chaque mois ses prévisions de croissance, a malheureusement un coût pour nos concitoyens, celui de n'avoir toujours pas pris la véritable mesure de ce qui se passe et lancé un plan de relance à la hauteur de la situation, c'est-à-dire un plan combinant l'encouragement à l'investissement et le soutien à la consommation.

S'il faut vite sortir d'un débat qui pourrait apparaître comme idéologique pour trouver les chemins de l'efficacité et de l'intérêt général, cela ne nous empêche pas de nous interroger sur les contreparties de ces aides. En théorie, les constructeurs vont devoir respecter des engagements en matière d'emploi et d'investissement sur une durée de cinq ans. Ils sont contraints de ne pas fermer de site sur le territoire français pendant la durée du prêt et ne pourront licencier en 2009. Enfin, ils s'engagent à ne pas délocaliser la production de voitures vendues en France. Le Gouvernement a beaucoup communiqué sur ce dernier point, notamment avec l'annonce vendredi dernier de la création de 400 emplois à Flins du fait du rapatriement depuis la Slovénie de l'assemblage de la Clio II. Mais ce transfert ne durera que de juin à octobre et résulte plus d'un besoin industriel « transitoire » que d'une relocalisation pérenne avec maintien des emplois : c'est un simple transfert très limité dans le temps, destiné à soulager le site slovène. L'entreprise française joue les variables d'ajustement tout en recevant des aides substantielles.

Quant aux engagements sur l'emploi, ils invitent au même scepticisme puisque Renault a annoncé un plan de départs volontaires en juillet, qui concernera 6 000 personnes. C'est là une véritable saignée... Et pour PSA, le plan, annoncé en décembre prévoit 850 départs volontaires et 900 « redéploiements » d'ouvriers de production vers d'autres sites du groupe, soit une réduction de 1 750 postes.

Sur les contreparties sociales, l'actualité vient démentir les couplets enflammés sur l'éthique du capitalisme. Monsieur le ministre, arrêtons les discours et les voeux pieux et légiférons sur les stock-options que s'accordent les patrons ! (Applaudissements à gauche et sur certains bancs du RDSE) Les Français veulent des actes. Les Français ne comprennent pas qu'en échange de 18,7 millions consacrés par le Fonds d'investissement stratégique à l'achat de titres Valéo sur le marché, cet équipementier prévoie de supprimer 1 600 emplois en France et accorde 3,2 millions de « parachute doré » à son PDG en instance de départ.

On ne peut que regretter le manque d'intérêt de ce plan de relance pour les équipementiers automobiles dont la survie est indispensable à la filière automobile, elle-même vitale pour l'économie du pays. C'est aussi vital pour nombre de territoires car nos équipementiers sont présents dans de très nombreuses régions. Or, que voyons-nous ? Heuliez, Keyplastics, Goodyear, Continental, Lear, Faurecia, Schaeffler, la liste est malheureusement longue...

Le Gouvernement a créé un Fonds de modernisation des équipementiers automobiles : 600 millions financés aux deux tiers par Renault et PSA. C'est bien insuffisant. Il faut le compléter par des mesures facilitant l'accès au financement. Aux États-Unis, l'aide aux équipementiers atteint 5 milliards de dollars ! Où sont les plans français ou européen correspondants ?

Dans mon département, Michel Thiery, un des leaders mondiaux du textile et du cuir destinés à l'automobile emploie 480 salariés. Depuis plusieurs mois, cette société doit faire face à l'effondrement du marché automobile et elle a de graves problèmes de trésorerie. Les CDD et les intérimaires n'ont pas été reconduits et 130 départs sont prévus. La situation est grave, d'autant que cette entreprise est la plus importante du bassin d'emploi du pays d'Olmes, territoire déjà victime de milliers de pertes d'emplois. Cette entreprise sera éligible au fonds souverain d'investissement industriel mais elle aurait besoin de soutiens bancaires immédiats sous forme de prêts-relais et on ne sait toujours pas si les banques joueront le jeu. Comme l'a dit Mme Lagarde, « Société générale doit rimer avec intérêt général »...

Je regrette qu'avec les sommes données aux constructeurs, aucune contrepartie n'ait été demandée sur les rapports entre les sous-traitants et les donneurs d'ordre. Les constructeurs poussent leurs sous-traitants à la délocalisation en leur imposant chaque jour de diminuer leurs coûts. Cela a des conséquences sur l'emploi et les conditions de travail, des conséquences particulièrement lourdes pour des bassins d'emplois sinistrés.

Même si nous devons profiter de la crise pour repenser l'économie automobile elle-même, en imaginant d'autres modes de production et d'autres modèles à construire, il n'en reste pas moins qu'il y a urgence. Si rien de nouveau n'est avancé nous pouvons nous inquiéter. J'espère que ce débat contribuera à une nécessaire prise de conscience. Il n'y a pas de temps à perdre ! (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement.  - Cette question préoccupe sur tous les bancs...

Mme Annie David.  - Non, pas sur tous !

M. Daniel Raoul.  - Plus ou moins... (L'orateur désigne les bancs UMP)

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Je me réjouis que la réforme constitutionnelle ait instauré les semaines d'initiative parlementaire et de contrôle et ainsi favorisé ce type de débat.

Pourquoi l'État a-t-il mis en place le pacte automobile ? Ce secteur a été touché le premier et de plein fouet par la crise. La gravité de la situation a justifié une réaction de grande ampleur. L'automobile a besoin de beaucoup de liquidités et dès le mois de novembre, tous les constructeurs mondiaux ont rencontré des problèmes de financement, non seulement de l'investissement mais aussi de leur activité courante. En outre, la demande s'est effondrée. Au Mondial de l'automobile, début octobre, la chute n'était pas encore patente, le premier semestre ayant été positif. Mais dès le début du mois de décembre, la production a subi des arrêts. Les commandes aux fournisseurs de premier et de deuxième rang ont été sévèrement réduites car les constructeurs ont commencé à déstocker.

Autre raison d'intervenir, le poids de l'industrie automobile, depuis les sous-traitants jusqu'à la distribution : 10 % de la population active ! Élu d'un département rural mais industriel, je connais toute l'importance du tissu économique des fournisseurs, forge, fonderie, plasturgie, décolletage, etc. Le secteur représente au total 1 % du PIB et 15 % de la recherche et développement.

Dans l'automobile, la crise est toujours plus longue qu'ailleurs. Après les deux chocs pétroliers et la crise des années 1990-1993, il a fallu chaque fois entre trois et cinq ans pour retrouver le volume de vente antérieur. A cela s'ajoutent les difficultés structurelles et la crise du modèle économique actuel. Le « tout-bagnole » est sans doute derrière nous et les attentes des consommateurs vont vers des véhicules propres et moins tape-à-l'oeil. Or, en 2008, pour la première fois, la France a été importateur net de voitures. Notre pays produit 2 millions de véhicules aujourd'hui, contre 3 en 2000. Il fallait stopper cette dégradation et faire en sorte que l'automobile redevienne un secteur d'avenir.

La démarche est inédite ; et les mesures, à la hauteur des difficultés. En décembre, un comité stratégique pour l'avenir de l'automobile a été créé, réunissant toute la filière, y compris sous-traitants de troisième rang, salariés, élus, représentants des pôles de compétitivité... Les états généraux de l'automobile se sont tenus en janvier et ont débouché sur le pacte pour l'automobile, plan massif qui agit sur plusieurs leviers.

L'origine de la crise réside dans les difficultés des constructeurs : s'ils disparaissent, la filière disparaît ! Or, les deux groupes français ne parviennent pas à se financer actuellement sur le marché obligataire. L'État a donc consenti des prêts participatifs à Renault, PSA et Renault Trucks. La meilleure aide aux équipementiers, ce sont les commandes. Il fallait aussi aider les consommateurs : les deux tiers des véhicules sont achetés à crédit, or les filiales bancaires des constructeurs, dans les difficultés, ont dû resserrer les conditions de prêt... L'État a consacré un milliard d'euros à la relance du crédit à la consommation. La prime à la casse aussi ranime la demande. Du reste, après trois mois, alors que le marché européen recule de 22 % -le marché britannique de 28 %, l'espagnol de 45 %- en France la chute est de 10 %. Certes, il y a des tensions sur certains modèles. Les ventes de voitures économiques, Clio par exemple, progressent de 50 % tandis que celles des grosses berlines baissent de 22 %. Mais ce phénomène sera lissé lorsque le marché redémarrera. Nous réfléchissons à l'après-prime à la casse, début 2010, avec le souci de ne pas provoquer un recul immédiat de la demande.

Monsieur Bel, comment pouvez-vous croire que le Gouvernement ne s'intéresse pas aux sous-traitants ? Un fonds des équipementiers a été mis en place et je suis parvenu, à l'issue de discussions difficiles, à entraîner les deux grands donneurs d'ordres à soutenir les sous-traitants, sur le modèle d'Aerofund I et II dans l'aéronautique. Le fonds est doté de 600 millions d'euros, 200 apportés par chaque constructeur et 200 par l'État. La Commission européenne a donné son accord le 28 février dernier, le fonds est donc opérationnel depuis peu ; mais une trentaine de dossiers sont déjà en cours de traitement. Le but n'est pas de prendre des participations dans toutes les PME françaises ! Nous renforçons le capital de celles qui en ont besoin et qui représentent l'avenir de la filière, que nous voulons moderne et compétitive. Il faut veiller à ne pas enfreindre la réglementation européenne : n'oublions pas que dans le secteur agricole, on rembourse aujourd'hui des aides octroyées par l'État en contradiction avec les règles communautaires.

La garantie Oseo a été relevée à 90 % : en effet, nous avons préféré jouer sur un mécanisme existant et souple, qui a fait ses preuves, qui est connu de tous, plutôt que de monter une usine à gaz...

Ce système est adapté aux besoins des PME.

Gérard Cornu a rappelé que la loi de modernisation de l'économie contient une mesure très favorable aux équipementiers et sous-traitants : la réduction des délais de paiement leur permettra de percevoir un milliard d'euros. Et nous avons eu des discussions dures, parfois violentes, avec les donneurs d'ordre pour que les pratiques changent et qu'ils cessent d'imposer des délocalisations dans les contrats d'approvisionnement. J'ai demandé hier aux dirigeants de Renault de sensibiliser leurs directions des achats sur ce point. M. Cornu peut témoigner de ce qu'une pratique déloyale, dont un sous-traitant a apporté la preuve lors d'un comité stratégique, a été immédiatement corrigée. En outre, le code de bonne pratique prévoit un partage de la valeur, des risques et des investissements.

Les sous-traitants doivent améliorer leur compétitivité. Pour cela, l'École catholique d'arts et métiers (Ecam) de Lyon formera 200 ingénieurs par an, dans le cadre d'une usine modèle, aux techniques de lean manufacturing. Les Directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire) disposeront de 15 millions d'euros pour aider les PME à améliorer la gestion de leur production.

Le troisième volet du pacte automobile est destiné à soutenir l'emploi. Nous souhaitons tous maintenir l'outil de production et sauvegarder les compétences humaines. Pour cela, la principale mesure prise concerne le chômage partiel, porté à 1 000 heures par an pour le secteur automobile. L'État prendra en charge une partie de l'indemnisation, qui attendra 95 % du Smic. Monsieur Jean-Pierre Sueur, nous avons assorti cette aide de contreparties fortes : les entreprises ne peuvent licencier durant une période correspondant au double du temps de chômage partiel, et les salariés devront bénéficier d'une formation d'au moins dix jours. Cette mesure avait été recommandée par les syndicats.

Ensuite, la charte automobile prévoit de mieux anticiper les évolutions des besoins des entreprises. Ainsi, l'électronique permet un rapprochement des métiers de la production et de la distribution. Grâce à une adaptation de leurs compétences, des personnels de la production à la recherche d'un emploi pourront bénéficier de 10 000 offres actuellement disponibles dans le secteur de la distribution. Monsieur Sueur, nous associons les salariés à cette démarche : j'ai reçu quatre fois durant les deux derniers mois les représentants des syndicats de l'automobile. Certaines de leurs propositions ont été intégrées au pacte automobile. Ils participent au comité stratégique mensuel, dont la prochaine réunion aura lieu le 1er avril.

Le Président de la République a annoncé un renforcement de la politique en faveur des restructurations. Monsieur Danglot, la question ne se réglera pas en interdisant les licenciements, car cela équivaudrait à interdire également les embauches. (Protestations sur les bancs CRC-SPG)

Mme Annie David.  - Vous caricaturez !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Il faut plutôt proposer à chaque personne menacée par un ralentissement d'activité de l'entreprise un autre emploi ou une formation. Sur une proposition de la CFDT, nous allons créer un fonds social destiné à proposer un accompagnement personnel à la reconversion. Des commissaires seront nommés dans les bassins de vie les plus touchés -et très bientôt dans le département de l'Oise, emblématique de la crise actuelle.

J'évoquerai trois dossiers parmi les exemples cités par les orateurs. Nathalie Goulet a exposé le cas de Faurecia : l'État a aidé son actionnaire principal. Hier, le président de PSA a assuré, devant votre commission, être prêt à recapitaliser sa filiale. L'État a joué un rôle de médiateur sur le site d'Auchel. Monsieur Danglot, lors d'un récent déplacement à Douai, j'ai appris que la production a repris. L'État sera vigilant pour la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Madame Gourault, l'État aide le groupe Delphi par un remboursement anticipé du crédit impôt recherche. Monsieur Bel, le dossier de la société Michel Thiery est entre les mains du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). Nos équipes sont mobilisées mais le sujet est difficile, car les besoins de trésorerie de cette entreprise s'élèvent à 20 millions d'euros.

Le quatrième volet du pacte est consacré au levier de la compétitivité. Il faut que l'investissement en France reste attractif, sinon ce ne sont pas 2 millions, mais seulement un million de véhicules qui seront produits sur notre territoire dans cinq ans. Or le prix de revient moyen d'une automobile produite en France est de 11 000 euros, contre 10 000 dans les pays low cost. Il faut donc le réduire de 10 %. Pour cela, nous avons décidé d'agir dans plusieurs directions. La première pénalisation, dans notre pays, est la taxe professionnelle. (Mouvements de protestation à gauche) Elle représente 250 euros par véhicule, dont 150 supportés par le fabricant et 100 par les sous-traitants. Elle sera, dès cette année, supprimée pour les nouveaux investissements, et concernera, l'année prochaine, un tiers de la taxe, soit 8 milliards d'euros. Monsieur Sueur, vous qui aimez les additions, cela fait 600 millions d'euros pour l'industrie automobile.

Nous allons anticiper le remboursement du crédit impôt recherche, aujourd'hui de 30 %, soit le taux le plus fort de l'OCDE. Le secteur automobile en est le premier bénéficiaire. Enfin, nous devons aider les PME à améliorer leur gestion en appliquant le lean management, à l'exemple du Japon, afin de faire baisser leurs prix de revient.

Le dernier volet concerne l'innovation. Monsieur Bourquin, nous croyons aux véhicules propres, électriques. Nous l'encourageons par le fonds démonstrateur de recherche délivré par l'Ademe et par le prêt bonifié dans le cadre du Grenelle. Le pacte automobile permettra de coordonner ces actions car les recherches sur les véhicules électriques sont actuellement dispersées. Par une mutualisation des efforts dans le cadre d'un consortium, il nous faut trouver une solution française. La France, qui compte deux constructeurs automobiles parmi les huit premiers mondiaux et de grands énergéticiens, ne peut être absente dans ce domaine. Nous avons créé, avec Chantal Jouanno, un groupe de travail pour installer des infrastructures sur tout le territoire.

Enfin, l'État ne laissera pas tomber Heuliez. Nous cherchons un partenaire industriel. Le conseil régional est politiquement motivé : il doit concrétiser son annonce de 5 millions d'euros. Seuls 3 millions ont été votés. Un tour de table est nécessaire.

J'en viens à la question des contreparties exigées en échange des aides de l'État. Monsieur Sueur, vous avez repris le terme de pacte automobile, c'est bien que nous sommes dans une logique de gagnant-gagnant. Je veux vous dire, ainsi qu'à MM. Bourquin et Chevènement, que la première contrepartie exigée par l'État, c'est la non-fermeture de sites industriels en France. De fait, personne ne comprendrait que l'ensemble des acteurs se mobilisent et que les usines continuent à fermer... Cette exigence n'est en rien une mesure de protectionnisme. Madame Escoffier, nous avons besoin des entreprises étrangères, de leurs emplois, de leurs capitaux et nous travaillons avec elles au sein du comité stratégique pour l'avenir de l'automobile -je pense notamment à Iveco et à Renault Trucks, qui est aujourd'hui détenu majoritairement par Volvo. Si tel n'était pas le cas, notre économie subirait un dangereux retour de bâton sans compter que nous serions en difficulté à Bruxelles pour non-respect des règles européennes...

La deuxième contrepartie, ce sont des engagements en matière de gouvernance : pas de bonus et, s'il y a des dividendes, priorité à l'investissement et aux fonds propres. Enfin, le 9 février dernier, les constructeurs se sont engagés, en présence du Président de la République, à soutenir la filière car nous avons besoin d'eux pour boucler le plan destiné aux équipementiers. Le respect de ces engagements sera contrôlé, monsieur Bourquin, par le comité stratégique pour l'avenir de l'automobile dans lequel le Parlement sera représenté par les présidents de ses groupes « automobile ».

Au niveau européen, nous avons eu des échanges permanents avec la Commission depuis le mois de juin 2008. Le projet d'un plan automobile européen, défendu par la France, n'ayant pas vu le jour, le Président de la République a pris ses responsabilités et lancé un plan national qui a été, ensuite, décliné par les pays qui comportent également un fort secteur automobile.

Pour conclure, je ne crois pas, monsieur Sueur, que ce plan soit inadapté à la situation et que, monsieur Bel, il souffre d'un manque de vision. Au contraire, il a été mis au point de manière concertée avec l'ensemble des acteurs de la filière lors des états généraux de l'automobile. Dans le Nord-Pas-de-Calais, où je me suis rendu, le président du conseil régional, qui n'est pas précisément de mon bord politique, a dit soutenir le plan automobile parce que c'était une bonne mesure. (Exclamations à gauche)

M. Daniel Raoul.  - Quel scoop !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Comme M. Cornu, je crois que nous devons porter un message d'avenir. Je crois en l'automobile ! Aujourd'hui, elle doit répondre aux nouvelles attentes des consommateurs et se tourner vers les pays qui constituent des gisements de clientèle. Pour réussir cette mutation, elle avait simplement besoin d'un plan massif et nous l'avons fait !

M. Gérard Cornu.  - Très bien ! 

M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question.  - Monsieur le ministre, chacun des orateurs, avec un grand souci de réalisme et sans démagogie aucune, s'est efforcé d'expliquer à l'assemblée ce qu'il percevait et connaissait de la réalité dans son département et du pays. Que le président de la région Nord-Pas-de-Calais souhaite coopérer avec l'État, que la présidente de la région Poitou-Charentes veuille apporter son concours aux initiatives de l'État témoigne de notre volonté de répondre aux situations concrètes. Personne ne comprendrait, en ces temps de crise, que les considérations politiciennes priment...

Je vous remercie de votre réponse. Dans un premier temps, vous avez dressé un diagnostic que nous partageons : le problème du déstockage, un secteur où la crise se fera sentir plus longtemps, un changement d'attitude de la clientèle. Puis, vous avez longuement détaillé et expliqué les mesures prises par le Gouvernement. Mais quid d'une réponse précise à nos questions ? Nous restons donc sur notre faim... Pour nourrir votre réflexion, permettez-moi de revenir, tout d'abord, sur les critères trop sélectifs que les entreprises doivent remplir pour bénéficier de la garantie d'Oseo comme du soutien du FMEA. Le directeur du FSI veut aider les entreprises qui ont le « meilleur potentiel technique, le meilleur potentiel de croissance », le « meilleur potentiel d'exportation et de savoir-faire ». Merveilleux ! Mais tout cela ressort de l'idéal quand des dizaines d'entreprises, perdues dans le brouillard, ont besoin qu'on les aide à passer ce cap très difficile. Bref, revoyons les critères ; en période de crise, fixons-en de plus réalistes. Ensuite, nous persistons à croire que l'État doit obtenir davantage de contreparties. Quand le Gouvernement veut, et surtout quand le Président de la République veut, (sourires à gauche) tout est possible ! Prenons la taxe professionnelle dont le Président de la République a annoncé la suppression avant même de savoir comment elle sera remplacée. Qui paiera ? Les entreprises ? Les citoyens ? Nous sommes inquiets... M. Bourquin a cité l'exemple de ce patron qui touche 1 000 euros par licenciement. Un millier étaient prévus, souhaitons qu'ils n'aient pas lieu mais cela ferait une somme rondelette ! C'est insupportable quand l'on sait la situation des salariés ! (Applaudissements à gauche et au centre ; M. Gérard Cornu applaudit également) Nous pourrions aller beaucoup plus vite sur ce terrain : quand le Président veut supprimer les pôles d'instruction, un amendement est déposé le mardi matin pour être voté par certains le mercredi soir !

Enfin, l'urgence. M. Bel y a insisté, mettez en place un dispositif d'urgence pour les dossiers. Les entreprises doivent être reçues en préfecture afin de mettre au point des dossiers fiables ; une cellule de crise doit être créée au sein du ministère pour examiner rapidement les dossiers.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question.  - Pour l'heure, un seul dossier a été instruit et deux autres sont en cours d'examen d'après Le Monde. Ce n'est pas assez !

Pour conclure, la métaphore fruitière que M. le Président de la République a utilisée pour nous décrire son excellente forme tranche singulièrement avec l'état déplorable que connaissent les citoyens et les salariés ! (Marques d'approbation à gauche) Nous demandons l'abondement des fonds, un dispositif d'urgence, des circuits courts, des critères moins sélectifs. Nous sommes au diapason avec les départements, nous les avons écoutés, espérons que vous nous aurez entendus ! (Applaudissements à gauche et au centre)

Le débat est clos.