Justice

M. le président. - Nous allons examiner les crédits de la mission « Justice ».

Orateurs inscrits

M. Roland du Luart, rapporteur spécial de la commission des finances.  - Dans un contexte budgétaire tendu, la progression des crédits de cette mission de 4,5 % par rapport à 2007 témoigne de l'importance que le Gouvernement attache à la justice.

Les crédits du programme « justice judiciaire » augmentent de manière significative de 5,1 %. Les objectifs fixés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice n'ont pas tous été atteints. En termes de créations d'emplois, le taux de réalisation est de 76 % pour les magistrats et seulement de 32,6 % pour les fonctionnaires. Ce budget prévoit une création nette de 400 emplois, qui doit être saluée. L'effort doit maintenant porter sur les greffiers, lesquels apportent une aide logistique indispensable aux magistrats. Leurs conditions de travail devraient être améliorées grâce au recours accru aux nouvelles technologies.

En 2008, la dotation prévue pour couvrir les frais de justice progresse seulement de 1,7 %, grâce aux efforts des magistrats et à la chancellerie qui a mené une politique volontariste de maîtrise des dépenses sans porter atteinte au principe d'indépendance de l'autorité judiciaire, soulignons-le.

Concernant la révision de la carte judiciaire, rappelons qu'aucune réforme n'avait été entreprise depuis 1958. L'objectif de rationaliser les moyens de la justice ne peut qu'être soutenu s'il est tenu compte de la réalité humaine des territoires. Cette réforme, source d'économies à terme, nécessitera d'abord une mise de fond initiale pour couvrir, entre autres, les frais immobiliers occasionnés par les regroupements. Madame la ministre, lors de votre audition, vous avez d'ailleurs évoqué un programme de 800 millions en six ans, hors Palais de justice de Paris.

Les conditions de détention en France sont inacceptables en raison de la vétusté des établissements et de la surpopulation -le taux d'occupation était de 121 % au 1er août 2007. Pour 2008, les crédits du programme « administration pénitentiaire » augmentent de 6,4 % et de 772 emplois équivalents temps plein. Toutefois, en l'état actuel, nous devrions toujours manquer de places de détention. Douze indicateurs de performances de ce programme sur dix-huit sont nouveaux, ce dont on peut se féliciter, à condition qu'ils soient tous renseignés dans le projet annuel de performances.

Le programme « protection judiciaire de la jeunesse » enregistre une augmentation de 1,6 % en crédits de paiements et bénéficie d'un renforcement significatif de ses effectifs. Cela permettra à la protection judiciaire de la jeunesse - PJJ- d'assurer le fonctionnement de sept établissements pénitentiaires pour mineurs, dont quatre ouverts en 2007 et trois en 2008, en sus de son action éducative envers les 80 000 mineurs dont elle a la charge. Le financement des charges du secteur associatif habilité a été nettement amélioré : désormais, la charge de la trésorerie de l'Etat ne pèse plus sur ce secteur. En matière de performance, le coût d'une journée en centre éducatif fermé tend à diminuer depuis 2005 et nous espérons passer de 627,86 euros en 2007 à 616,40 euros en 2008. De même, les taux d'occupation des centres éducatifs fermés publics est passé de 67,8 % à 75 % de 2005 à 2007, avec l'objectif qu'il atteigne 78 % en 2008. Enfin, fait notable, 64,1 % des jeunes pris en charge n'ont ni récidivé, ni réitéré, ni fait l'objet de nouvelles poursuites dans l'année.

Les moyens du programme « accès au droit et à la justice » diminuent de 2 %. La baisse de 2,7 % des crédits de l'action « aide juridictionnelle » pourrait susciter l'inquiétude, compte tenu de la dynamique de la dépense et des demandes répétées de revalorisation de l'aide formulées par les avocats. Toutefois le nombre prévu de bénéficiaires de l'aide devrait rester stable, soit 905 000 admissions, et un rétablissement de crédits de 8,9 millions est attendu, selon les prévisions d'un audit de modernisation publié en février 2007, grâce à un meilleur recouvrement des dépenses d'aide juridictionnelle. La prise en compte du taux de recouvrement apparaît, à cet égard, très pertinente. Enfin, l'année 2008, comme je l'avais écrit dans mon récent rapport d'information, doit être celle de la réforme de l'aide juridictionnelle. Nous vous aiderons à dissiper tout malentendu à ce sujet !

Les crédits du programme « conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés », en hausse de 3 %, recouvrent pour une large part les projets informatiques de la chancellerie. On en mesure mal la performance, en l'absence notamment d'un indicateur mesurant le respect des délais.

En conclusion, après le passage à la Lolf, la justice de notre pays doit maintenant réussir deux réformes majeures, celle de la carte judiciaire et celle nécessaire de l'aide juridictionnelle.

L'exercice budgétaire 2008 doit être l'occasion d'avancer de manière concertée dans ces deux chantiers, avec pour objectif une justice toujours plus efficace, toujours plus rapide, toujours plus sereine.

Sous réserve de ces remarques, la commission des finances recommande l'adoption des crédits de la mission « Justice ». (Applaudissements au centre et à droite)

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - Avec une augmentation de ses crédits de 4,5 % et la création de 1 615 emplois, dont 400 dans les juridictions, le budget de la justice est privilégié. L'impact de la Lolf sur le fonctionnement de l'institution judiciaire est positif ; j'ai pu mesurer sur le terrain que la démarche de performance et de responsabilisation était bien intégrée -la baisse des frais de justice en est une belle illustration. Le renforcement des moyens administratifs régionaux conforte cette nouvelle donne. Ne serait-il pas opportun, dès lors, de donner aux juridictions une plus grande marge de manoeuvre dans l'utilisation des crédits délégués et des emplois ?

Notre système d'aide juridictionnelle, est « à bout de souffle », pour reprendre l'expression de M. du Luart dans son rapport sur le sujet. L'absence de revalorisation en 2008 impose au Gouvernement de proposer des solutions acceptables et pérennes. Je ne suis pas favorable, à titre personnel, à ce qu'un ticket modérateur soit laissé à la charge des bénéficiaires ; on ne saurait taxer les personnes aux moyens limités qui sont contraintes de recourir -ce n'est jamais par plaisir- à l'institution judiciaire. Quelles sont vos intentions, madame la garde des sceaux ?

Si la commission des lois se félicite que soient créés en 2008 autant de postes de greffiers et de fonctionnaires de justice que de magistrats, le déséquilibre entre ces corps reste important ; les créations de postes de fonctionnaires des greffes devront être amplifiées l'an prochain, car les réformes récentes ont alourdi leur charge de travail. Je pense notamment à la loi du 5 mars 2007 sur la protection juridique des majeurs, qui impose la révision de l'ensemble des mesures de protection. N'est-il pas temps d'accompagner chaque projet de loi d'une étude d'impact, afin de s'assurer que les moyens mis en place pour l'appliquer sont suffisants ?

L'accélération de la numérisation, la modernisation des systèmes d'information vont faciliter le travail des magistrats et des auxiliaires de justice. Mais tout ne sera pas réglé pour autant. La réforme de la carte judiciaire ne dispense pas le Gouvernement de rechercher un meilleur équilibre entre magistrats, greffiers et fonctionnaires. Quel peut être l'impact de la décision d'un juge s'il n'y a pas de greffier pour la notifier dans des délais raisonnables ?

La commission des lois juge la réforme de la carte judiciaire nécessaire, elle le dit depuis 1996. Je déplore cependant, à titre personnel, le manque de pédagogie qui l'a accompagnée. Elle ne peut certes se faire à la satisfaction de tous, mais un dialogue plus soutenu aurait permis de l'engager dans de meilleures conditions, d'autant que son impact sur l'aménagement du territoire est loin d'être négligeable. L'approche a été plus statistique que territoriale.

On ne peut que souscrire à l'objectif d'une justice plus efficace, plus lisible et plus rapide. Mais il n'est pas sûr que le regroupement des moyens et le développement des techniques d'information compensent l'éloignement des juridictions. Aura-t-on réussi à rapprocher les citoyens de la justice si certains ont plus de difficulté qu'avant à accéder, par exemple, aux tribunaux d'instance ? La mise en oeuvre de la réforme aura en tout cas peu de conséquences budgétaires en 2008.

L'amélioration de ses moyens permet au budget de la justice d'atteindre 2,4 % du budget de l'État, à comparer au 1,6 % de 2002. La commission des lois a émis un avis favorable aux programmes dont elle m'a confié l'examen. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - Nombre d'indicateurs sont aujourd'hui au vert pour l'administration pénitentiaire. Ses crédits, qui progressent de 6,4 %, représentent 36,6 % de la mission justice et 2,383 milliards d'euros. Cette augmentation très sensible est justifiée par l'ouverture de sept nouveaux établissements en 2008 et la poursuite du plan de réalisation de places nouvelles ; 3 800 seront construites en 2008, soit, compte tenu de la fermeture de places vétustes, dont celles de Saint-Joseph et Saint-Paul à Lyon, la création nette de 3 000 places.

L'augmentation des crédits permet aussi la création de 842 équivalents temps plein travaillé (ETPT), dont 150 postes de conseiller d'insertion et de probation ; les objectifs de la loi d'orientation et de programmation seront atteints à 82 %, ce qui n'est pas si mal. La poursuite des efforts est indispensable au regard de l'état de nos prisons et des retards accumulés, situation que M. Hyest, dans son rapport sur les conditions de détention, qualifiait « d'humiliation pour la République ».

Si beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire. L'augmentation des crédits d'entretien, qui passent de 75 millions d'euros à 83,5 millions, demeure insuffisante -les besoins sont estimés à 150 millions. Une partie des infrastructures continuera à se dégrader. Or on sait que le défaut d'entretien coûte cher ; la rénovation de Fleury-Mérogis sera plus onéreuse qu'une nouvelle construction, et même qu'un entretien régulier. Le Gouvernement poursuivra-t-il ses efforts ?

Il ya trop de malades mentaux dans nos prisons, et trop peu de psychiatres publics. Aux Pays-Bas et en Belgique, l'État passe des conventions avec des psychiatres libéraux, qui conservent leur clientèle privée. Cette solution n'est-elle pas transposable en France ? L?incarcération est plus développée au Royaume-uni que chez nous ; pourtant nous refusons de nous engager dans une course infernale entre la construction de nouvelles places et l'augmentation de la population carcérale. L'encellulement individuel devrait devenir réalité à la fin du programme de construction en cours. Nous devons développer les alternatives à la détention et les aménagements de peine -au risque, sans doute, de revenir sur des lois récentes. La loi du 10 août 2007 conditionne la libération conditionnelle d'une personne condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru à une expertise relative à une possible injonction de soins. Or les délais sont tels qu'ils interdisent de facto toute libération conditionnelle aux personnes condamnées à de courtes peines. La loi pénitentiaire peut être l'occasion de gommer cet effet pervers.

Je souhaite enfin que le ministère se dote de capacités d'évaluation du taux de récidive selon les grandes catégories d'établissement.

L'administration est au milieu du gué ; son budget prendra toute sa signification en fonction de la grande loi pénitentiaire à venir. La commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption de ses crédits. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - En 2006, près de 335 000 jeunes ont été pris en charge au titre de la protection judiciaire, contre 275 000 fin 2004 : 80 000 mineurs délinquants, 240 000 mineurs en danger, 7 700 jeunes majeurs protégés et 5 800 jeunes suivis à la fois au civil et au pénal. Plus des trois quarts ont ainsi été suivis au civil ; la moitié par l'État, l'autre moitié par les départements.

Si l'on peut se féliciter de la réduction des délais de prise en charge des mesures judiciaires, les progrès réalisés restent en-deçà des objectifs fixés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice, notamment pour le milieu ouvert.

Quels moyens comptez-vous prendre pour améliorer l'application des mesures ordonnées par les magistrats ?

Une modernisation de la PJJ a été entreprise ces dernières années, notamment pour diversifier les modes de prise en charge et renforcer les contrôles.

Avec l'augmentation des taux d'occupation dans les structures de placement du secteur public, l'écart entre les prix de journée dans le public et dans le secteur associatif habilité diminue. Il faut poursuivre l'adaptation aux besoins.

En 2007, les quatre premiers établissements pénitentiaires pour mineurs ont été ouverts... et les quartiers pour mineurs de certaines maisons d'arrêt fermés, notamment ceux de Lyon -de sinistre mémoire. Au 1er janvier 2007, sept cent vingt neuf mineurs étaient incarcérés. D'autres quartiers pour mineurs pourraient sans doute être fermés.

Il est indispensable de renforcer la coopération entre la PJJ -services et associations habilitées- et les autres services de l'Etat, forces de sécurité, éducation nationale, et corps médical pour prendre en charge les mineurs sur le plan psychiatrique. Les centres éducatifs fermés s'orienteront-ils vers la prise en charge des jeunes délinquants souffrant de troubles psychiques en provenance de toute la France ? Ou le renforcement des moyens vise-t-il simplement à améliorer le suivi des mineurs placés par les juridictions dans le ressort desquelles se trouvent les centres ?

La modernisation engagée, les crédits alloués, permettent-ils à la PJJ de mieux remplir ses missions ? Les autorisations d'engagement progressent, les crédits de paiement beaucoup moins. Cent emplois supplémentaires ont été créés, pour trois nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs et dix centres éducatifs fermés.

La dette de l'Etat à l'égard du secteur associatif habilité est en voie de résorption, grâce à des dotations supplémentaires. Les dépenses d'hébergement des jeunes majeurs sont également freinées. J'insiste cependant sur l'exigence de ne pas négliger les mesures en milieu ouvert et le soutien aux jeunes majeurs.

Lorsque l'on prend de la hauteur, les aspérités s'évanouissent. Disons que sur la période d'application, la loi de programmation aura été largement respectée. Reste qu'il faut resserrer les liens entre la PJJ, qui a gagné ses lettres de noblesse, et tous les autres intervenants -départements, associations. Je rends hommage à l'abnégation et au dévouement du personnel des services de la PJJ.

La commission des lois a approuvé le projet de budget de ce programme. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Pierre Sueur. - C'est peu dire que votre politique ne suscite ni enthousiasme, ni assentiment chez les magistrats, les avocats, les fonctionnaires... Tous désapprouvent votre action, tous sont inquiets. « Une vague profonde de révolte » titrait l'AFP hier. Et M. Badinter avouait : « Je ne me souviens pas avoir vu autant d'inquiétude, d'amertume, d'anxiété ». Je ne puis passer sous silence cet évènement majeur, cette incompréhension, cette colère qui s'est exprimée hier. Entendez ces personnes qui relèvent de votre ministère, ouvrez le dialogue avec elles, cessez de leur donner l'impression qu'elles ne sont pas entendues.

Sur la carte judiciaire, il est incroyable que le Parlement n'ait pas été saisi ; une commission d'enquête serait opportune dès lors que vous avez choisi de ne pas nous associer. Dans nos régions, ce que vous appelez réforme est considéré comme un plan de fermeture des tribunaux. Nous ne sommes pas pour le statu quo ; mais il eût fallu commencer par recenser les besoins, définir des orientations, dialoguer avec les intéressés et les élus, dans la perspective de bâtir ensemble. Au lieu de quoi vous êtes allée annoncer fermeture sur fermeture. Comment une telle méthode pourrait-elle être comprise ?

Et quelle contradiction : vous n'aviez aux lèvres, les années passées, que justice de proximité, et voilà que vous portez un coup à la proximité de la justice ! Pour M. du Luart lui-même, la réforme doit « se concilier avec le souci de ne pas éloigner la justice du justiciable » : il faudrait publier ce rapport !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. - Il a été largement diffusé.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je vous fais une publicité supplémentaire !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. - Je ne touche pas de droits d'auteur !

M. Jean-Pierre Sueur. - Dans le Loiret, aux tribunaux fermés se substitueront des maisons de la justice et du droit. Il en existe une près d'Orléans, elle fonctionne remarquablement. Mais toutes n'auront pas de greffier !

Quel sera le coût de la réforme ? Il y a comme un flottement... Vous avez cité sur RMC un montant total de 500 millions d'euros. Mais la direction des services judiciaires -une direction de votre ministère- a publié des estimations de 247 millions pour les tribunaux d'instance et 657 millions pour le reste. La chancellerie a, par un communiqué, contesté ces chiffres. Improvisation !

Nous sommes totalement opposés aux franchises sur l'aide juridictionnelle, qui comme les franchises médicales pénalisent les victimes et tournent le dos à la solidarité.

S'agissant des agents, leur nombre décroît : on tombe en deçà de 30 000, alors que le total était de 30 301 en 2007.

Cette baisse apparente cacherait une progression réelle de 389 équivalents temps pleins, car 1 341 postes n'ont pas été « consommés » cette année, selon la bizarre terminologie en vigueur. Pouvez-vous garantir que tous les postes ouverts en 2008 seront pourvus ?

D'autre part, je déplore que le nombre moyen de fonctionnaires des services judiciaires par magistrats soit passé de 2,85 en 1997 à 2,53 en 2007.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. - 2,57 !

M. Jean-Pierre Sueur. - L'écart de 0,04 ne me semble guère significatif. Or, madame le garde des Sceaux, vous avez rappelé lors de votre audition devant la commission des lois de l'Assemblée nationale que : « sans greffier, aucun magistrat ne peut prendre de décision ». Quelles sont donc vos intentions à propos du nombre de greffiers ?

Je m'étonne enfin de la régression des alternatives à l'incarcération, puisque le nombre de placements sous surveillance électronique a diminué de 13 % en trois mois, alors que les placements à l'extérieur sans hébergement pénitentiaire ont régressé de 17 % en cinq mois. Dans son rapport sur la libération conditionnelle, notre collègue Jean-René Lecerf a cité Pierre Tournier, directeur de recherche au CNRS, dont les travaux récents montrent que les condamnés ayant bénéficié d'une libération conditionnelle récidivent moins souvent que ceux libérés à la fin de leur peine. C'est pourquoi le recul des libérations conditionnelles nous inquiète.

Enfin, M. Roland du Luart écrit dans son rapport spécial : « Ainsi, à supposer que le nombre de détenus reste à ce niveau et que les prévisions en matière de création de places de détention soient respectées, le nombre de places n'égalera pas le nombre de personnes détenues. »

Pour toutes ces raisons, notre groupe ne peut voter votre budget. (Applaudissements à gauche.)

M. Hugues Portelli. - Une fois n'est pas coutume, nous pouvons saluer un budget de la justice en très forte progression, 4,5 %, soit la plus forte progression après le secteur emblématique de l'enseignement supérieur et de la recherche. Bravo d'avoir tenu la promesse faite par Nicolas Sarkozy ! Cette évolution traduit surtout la priorité accordée par le Gouvernement à la Justice. Longtemps parent pauvre, ce ministère est enfin traité en fonction de la place centrale des politiques judiciaires et pénitentiaires dans un État de droit moderne, où la chose juridique n'est pas monopolisée par les professionnels, mais forme le cadre dans lequel tout citoyen défend ses droits et respecte ses devoirs.

Les effectifs des magistrats et greffiers augmentent, alors que le nombre de fonctionnaires de l'État diminue. Dans ces conditions, pourvoir 187 postes de magistrats et autant pour les greffiers démontre une nouvelle fois qu'on sort de la logique bureaucratique pour renforcer l'État dans ses missions régaliennes.

Par ailleurs, l'augmentation envisagée des crédits des frais de justice doit améliorer les services rendus aux justiciables.

J'en viens à la sécurité des tribunaux. Le dispositif de surveillance est renforcé, comme vous vous y étiez engagée à Metz après l'agression commise contre un magistrat. En effet, le budget 2008 consacre à cette action 39 millions d'euros contre 15 en 2007.

Les crédits de l'administration pénitentiaire connaissent une très forte augmentation de 6,4 %, qui porte le programme « administration pénitentiaire » à 2 383 millions d'euros, pour atteindre 36,6 % de la mission « Justice ». Cette progression considérable permettra tout d'abord de créer 842 équivalents temps pleins travaillés pour ouvrir sept nouveaux établissements pénitentiaires, dont trois pour mineurs, soit 13 200 places. Avec ce budget on continue de créer des postes dans le service pénitentiaires d'insertion et de probation, ce dont nous nous félicitons, car il joue un rôle primordial en assurant le contrôle et le suivi des peines exécutées. Il favorise également la réinsertion sociale des détenus. La situation des prisons étant indigne de notre démocratie, nous ne pouvons qu'encourager la rénovation des grands établissements pénitentiaires.

La mission essentielle assurée par la protection judiciaire de la jeunesse est la prise en charge et l'accompagnement éducatif de mineurs ou de jeunes majeurs, sur décision judiciaire. Ses crédits de paiement augmentent comme l'ensemble des dépenses de l'État. Le Gouvernement a choisi de donner des moyens supplémentaires à l'ouverture des établissements pénitentiaires pour mineurs et des centres éducatifs fermés, avec la création de cent postes. Je regrette toutefois que les moyens financiers de ce programme ne soient pas en adéquation avec l'augmentation des réponses pénales à la délinquance juvénile.

Mes dernières observations concernent l'accessibilité de la justice. La refonte de la carte judiciaire marque en 2008 une étape décisive. L'installation de pôles de l'instruction et le regroupement des conseils prud'homaux en 2008, puis la nouvelle répartition des tribunaux d'instance et de commerce en 2009, enfin la nouvelle carte des tribunaux de grande instance en 2010 adapteront enfin l'implantation des tribunaux aux réalités d'une société urbaine tout en rationalisant le travail judiciaire. Dans cet esprit, je souhaite un quatrième volet qui étende sur l'ensemble du territoire les maisons de la justice et du droit -actuellement au nombre de 123- en se fondant sur les intercommunalité. En effet, ces structures -créées en 1990 dans le Val-d'Oise à l'initiative de M. Moinard, alors procureur de la République- rapproche efficacement la justice et les citoyens. C'est pourquoi j'ai contribué à installer une de ces maisons sur le territoire dont j'ai la responsabilité.

Le groupe UMP est fier de vous soutenir et de voter ce budget ambitieux ! (Applaudissements à droite et au centre.)

M. Pierre Fauchon. - Je remercie Mme Borvo Cohen-Seat, qui a bien voulu me céder sa place à ce moment de la discussion.

Je salue la poursuite de l'effort en faveur de ce budget, commencé avec vos prédécesseurs. Petit à petit, la justice sort de ses problèmes de moyens, mais c'est pour aborder d'autres questions plus profondes : sa rénovation et sa réorganisation. Vaste tâche, à laquelle je remercie Mme le garde des Sceaux de s'attaquer, avec une résolution à laquelle tout le monde rend hommage.

Or, il y a un préalable absolu à cette action : la réforme de la carte judiciaire. Dans un rapport que j'avais présenté il y a dix ans avec Charles Jolibois nous en avions déjà montré la nécessité.

En effet, héritée des baillages de l'Ancien Régime, elle ne correspond plus du tout aux réalités géographiques des contentieux. Je demande régulièrement que l'on publie la carte des juridictions en indiquant le volume des contentieux et les localités dépourvues de TGI malgré un important contentieux. Avec M. Nogrix, nous avons cité l'exemple d'Avranches doté d'un TGI pour sept mille habitants, alors que la ville de Fougères, qui en compte trois fois plus, n'a qu'un tribunal d'instance. Voilà la réalité des inégalités ! On parle de ceux qui perdent une juridiction, mais jamais de ceux qui n'en ont jamais eu. Ne pas pleurer leur perte n'est qu'une maigre consolation ! Ce qui est choquant, ce n'est pas la différence des situations, car elle peut être utile. Le mal tient à l'insuffisant volume des affaires traitées par certaines juridictions alors que d'autres sont surchargées. Le mal le plus grave est que la charge de travail varie parfois dans une proportion de un à cinq, avec des incidences sur la disparité des délais de traitement. A Meaux on doit traiter moitié plus d'affaires qu'à Nancy, avec moitié moins de chambres.

Depuis le constat dressé il y a dix ans, s'est renforcée la nécessité de créer des équipes spécialisées, car le droit est de plus en plus sophistiqué. Ce n'est pas sans regret que je vois disparaître le monde d'autrefois, mais il faut s'adapter à la civilisation urbaine, au contentieux de masse, à la nouvelle culture des magistrats.

Il faut donc restructurer en profondeur l'appareil judiciaire pour introduire de nouveaux modèles de fonctionnement.

Dans cette démarche, on se heurte à un certain nombre de problèmes. Les villes moyennes qui vont perdre leur tribunal protestent. Pourtant certaines d'entre elles, ainsi que des agglomérations plus importantes, n'ont jamais eu de tribunal !

Autrefois, le tribunal avait un rôle d'animation sociale et économique, mais aujourd'hui la moitié des magistrats ne résident pas dans la ville où ils rendent la justice, et ceux qui y vivent ne sont que très peu liés à la vie locale. La décentralisation a apporté dans ces agglomérations moyennes de l'activité et des responsabilités, et elles y ont gagné.

La proximité est revendiquée à tout-va. Pourtant, on ne va pas au tribunal comme au bureau de poste, à l'école ou au marché ! Moins on fréquente les tribunaux, mieux on se porte. Et avec les moyens de communication modernes, on n'a plus besoin de monter sur son cheval pour se rendre de bon matin à la juridiction. (Sourires.) Lorsque j'exerçais la justice de proximité au Maroc, pays auquel vous n'êtes pas indifférente, madame la ministre, il n'était pas nécessaire de multiplier les juridictions. Celles-ci se déplaçaient et nous faisions à dos de mulet et de cheval ce que l'on fait aujourd'hui en voiture. A cet égard, j'attache de l'importance à la préservation des audiences foraines, car la présence d'une équipe de juges pendant une ou une demi-journée produit un grand effet psychologique, sans créer de gêne ou de coût supplémentaire pour le fonctionnement de la justice.

Une critique facile, invoquée pour chaque projet, est qu'il est intéressant mais manque de concertation. Or la concertation ne sert à rien pour analyser les chiffres et constater qu'un tribunal traite quatre fois plus d'affaires qu'un autre. En revanche, elle trouve toute sa raison d'être dans la démarche de restructuration pour l'avenir. Pour celle-ci, il faut se garder du mythe des très grandes juridictions et préserver le niveau moyen, celui où les magistrats connaissent leur monde et peuvent ainsi assumer leurs responsabilités. En dessous, on n'obtient pas l'efficacité et le degré de spécialisation nécessaires. Au-dessus, on crée de vastes machines sous prétexte d'économies d'échelles. Le niveau pertinent, c'est celui qui s'adapte aux conditions techniques actuelles sans tomber dans le gigantisme. Le point central de nos préoccupations doit être de restaurer, dans nos juridictions, et particulièrement pour les chefs de cour, le sens de la responsabilité. (Applaudissements à droite et au centre.)

Mme Nathalie Goulet. - La justice constitue un élément fondateur de la République. Au sujet de la carte judiciaire, nous avons eu en Basse-Normandie, sous l'égide du premier président de la cour d'appel de Caen, une concertation efficace avec les élus concernés, notamment les maires de Flers et d'Argentan. On ne peut pas dire à cet égard, à moins qu'il ne s'agisse d'un cas isolé, que les députés et sénateurs qui ont fait le déplacement à la Chancellerie, puis dans les préfectures, n'ont pas été informés ou écoutés. Pour ce qui me concerne, j'ai été entendue puisque dans l'Orne nous avons conservé deux tribunaux de grande instance, à Argentan et Alençon, ce dont nous pouvons nous réjouir du fait de la faible population du département de l'Orne. La réalité des territoires a sans doute justifié ce maintien.

Je voudrais revenir sur la réforme des compétences entre tribunaux d'instance et tribunaux de grande instance. Dans le contexte actuel, nous n'avons que deux options : conserver ou fermer le palais de justice. Pourquoi ne pas envisager un tribunal d'instance aux compétences élargies afin de mieux répondre aux besoins des justiciables -les litiges familiaux et de tutelle représentent 60 à 80 % du volume des contentieux. Je vous rappelle à cet égard les compétences du tribunal d'instance de Nouméa qui a, en matière civile, la plénitude des compétences relevant, en France métropolitaine, du tribunal de grande instance, notamment divorces, adoptions, placements des enfants, baux, saisies arrêt.... Une modification des règles de compétence nous permettrait de mener une réforme plus souple que celle que vous nous proposez aujourd'hui, madame la ministre. En Basse-Normandie, c'est ce type de proposition qui résultait des concertations. Que pensez-vous de cette suggestion, sachant que nous pourrions mener au Sénat un travail fructueux, comme celui que vous avez salué lors de la réforme des prescriptions.

Pour les conseils des prud'hommes, la concertation est en cours et je tiens à plaider une fois encore pour le maintien du conseil des prud'hommes à Flers pour lequel, heureusement, aucune décision n'est encore prise. Flers connaît la seule création de tribunal d'instance en Basse-Normandie, et cela correspond à une activité économique majeure. On ne fera donc pas la moindre économie en transférant le conseil des prud'hommes à Argentan. Celui d'Alençon n'est pas menacé, même si certains élus, pour des raisons électorales, font courir des bruits alarmistes. Il serait contreproductif de supprimer le conseil des prud'hommes de Flers.

Madame la ministre, je profite de l'occasion qui m'est offerte pour vous saisir d'un problème de société, celui des rapports entre presse et justice. Nous devons engager une réflexion pour mettre un terme aux dérives d'un journalisme sans scrupule, sans déontologie, en quête de sensationnel plutôt que d'information, sachant que les poursuites en diffamation devant la dix-septième chambre du tribunal correctionnel de Paris n'exposent qu'à des sanctions inférieures à 10 000 euros, non dissuasives. Sans parler des supports Internet auxquels notre droit de la presse, qui date de 1881, n'est pas adapté. Un dépoussiérage s'impose.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La réforme de la carte judiciaire a suscité un fort mouvement, tel celui d'hier, qui a été précédé et sera suivi d'autres manifestations dans les départements. Nous ne pouvons y être insensibles, même si Pierre Fauchon a daubé sur le mécontentement des personnels et de la population.

Cette réforme concerne un grand nombre de juridictions : 319 au total, dont 23 tribunaux de grande instance, 178 tribunaux d'instance, 55 tribunaux de commerces et 63 conseils de prud'hommes. Les critères de suppression sont comptables, mais flous et fluctuent au gré des circonstances. Ainsi, en dernière minute, le tribunal de Moulins a été supprimé en lieu et place de celui de Montluçon, et le tribunal de commerce d'Arles a été supprimé plutôt que celui de Tarascon ! Comprenne qui pourra...

Madame la ministre, vous n'avez cessé de parler de concertation, mais les arbitrages sont obscurs et arbitraires. La réforme devait être le fruit d'une réflexion menée par les chefs des trente-cinq cours d'appel, dont le rapport a été remis le 30 septembre. Or la liste des vingt-cinq villes concernées était déjà établie le 25 septembre ! Des ajustements ont ensuite été effectués à la marge, pour des raisons d'opportunité. Personne ne trouve cette réforme satisfaisante, rarement un tel front de mécontentement s'est manifesté parmi les professionnels, la population et les élus des villes concernés. On invoque les corporatismes, mais l'accusation ne saurait valoir pour les parlementaires de la majorité lorsqu'ils sont en tête des manifestations pour la défense de leurs tribunaux, comme de leurs bureaux de poste ou de leurs hôpitaux ? (Protestations à droite.) Pourtant, au Parlement, ils votent leur suppression.

Mme Isabelle Debré. - Cela fait des années que nous essayons de mener cette réforme.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Reste que les élus de droite défilent !

Mme Isabelle Debré. - Pas tous !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. - Pas partout.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Beaucoup plaidaient pour une réorganisation des juridictions en fonction des contentieux. J'ai moi-même défendu ce point de vue durant la campagne présidentielle, lorsque des représentants de la majorité affirmaient que jamais ils n'accepteraient une modification de la carte judiciaire.

Durant la campagne présidentielle, nombre d'élus de votre majorité juraient que jamais ils n'accepteraient une modification de la carte judiciaire. On voir ce qu'il en est !

Votre réforme consiste à supprimer les tribunaux de proximité, c'est-à-dire les juridictions qui fonctionnent le mieux. Il paraît simple et rationnel de dire qu'on va regrouper les juridictions qui ont une faible activité ; la réalité est moins simple. Utiliser les moyens offerts par les techniques modernes ? Mais comment traiter un dossier de surendettement en vidéoconférence ?

J'ajoute que cette réforme est conçue sans la moindre réflexion sur l'aménagement du territoire. Après les trésoreries, les bureaux de poste, les gendarmeries, on supprime les tribunaux. Pourquoi pas les sous-préfectures ? À ce compte, on va vers la mort des services publics locaux. Telle n'est pas notre conception du service public et de l'intérêt de la société.

Étalée sur trois ans, la réforme aura un coût élevé, un coût immobilier, social. Aujourd'hui, nombre de tribunaux sont logés gratuitement par les collectivités territoriales, qu'en ira-t-il demain ? On parle d'un emprunt auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Cela aussi aura un coût. Et je ne parle pas de celui que supporteront les justiciables, qui devront se déplacer plus loin, sachant que les tribunaux de proximité traitent les affaires qui concernent les plus modestes d'entre nos concitoyens. Les salariés seront touchés aussi par la suppression de 63 conseils de prudhommes. Et les dépenses pour la sécurité, dans les tribunaux supprimés, auront été inutiles. Nous continuons, du reste, à ne pas admettre qu'il faille dépenser 20 millions pour faire assurer la sécurité des tribunaux par des sociétés privées. Il n'est pas trop tard pour engager une vraie concertation ! Quand on touche une aussi grande réorganisation de la justice, la moindre des choses serait que le Parlement soit saisi.

J'en viens maintenant aux crédits de votre ministère, je ne conteste pas leur augmentation -encore que le total reste trop faible- mais les choix qui sont faits pour leur affectation. L'administration pénitentiaire reçoit l'essentiel de cette augmentation, pour quoi faire ? On préfère augmenter le nombre de prisons qu'améliorer les conditions de vie des détenus. J'avais saisi votre prédécesseur de la télévision et du cantinage. La Chancellerie avait envisagé la gratuité des postes de télévision. Où en est-on ?

La justice judiciaire n'est toujours pas à même de faire face à la crise. Aux retards actuels pour le personnel s'ajoutent les départs en retraite non remplacés. Et le taux de réalisation de la loi de finances 2007 en matière de création d'emplois est très insuffisant.

En fait de protection judiciaire de la jeunesse, on ne se préoccupe que d'enfermement. Ce n'est pas nouveau ni surprenant après la loi sur les peines plancher et celles qui nous viendront encore sans doute.

L'accès à la justice va voir ses crédits réduits. Les crédits de l'aide juridictionnelle diminuent de 2,7 %. Et on annonce des franchises. Tant pis pour les plus modestes, les plus riches bénéficient de toujours plus d'exonérations !

Avec mon groupe, je voterai contre votre budget.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Je tiens tout d'abord à saluer les rapporteurs, spéciaux et pour avis.

Ce budget témoigne de l'engagement du Gouvernement à l'égard des Français -qui attendent que la Justice s'améliore et se modernise-, à l'égard des magistrats et des fonctionnaires -à qui le Gouvernement a voulu donner les moyens de leur mission.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur du Luart, ce budget bénéficie d'une forte augmentation à la fois de ses crédits et de ses emplois. Ses crédits augmentent de 4,5 %, et 1 615 emplois sont créés, qui viendront s'ajouter au remplacement de tous les départs en retraite.

Monsieur Sueur, vous avez du mal à comprendre la présentation budgétaire. Le ministère du budget a procédé à des corrections techniques des plafonds d'emplois de tous les ministères au printemps 2007. Dans de nombreux ministères, il y avait des emplois vacants, parfois depuis des années, souvent gelés. Et il n'y avait pas de crédits en face de ces postes. C'est dire qu'en réalité, ces emplois n'existaient plus. Les plafonds d'emplois des ministères ont donc été mis à jour et c'est sur cette base nouvelle que s'apprécient les créations d'emplois pour tous les ministères. Mes 1 615 créations sont donc certaines : il y aura bien 1 615 recrutements supplémentaires.

Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j'ai engagé une importante réforme de l'institution judiciaire. Des chantiers de modernisation ont été lancés. Le Parlement y a pris toute sa part. Le budget de la Justice pour 2008 permettra de poursuivre la réforme entreprise.

Tout d'abord, nous voulons rendre la justice plus humaine. La justice est humaine quand elle accorde de l'attention aux victimes. Celles-ci ont souvent le sentiment que l'institution judiciaire les délaisse. J'ai reçu la semaine dernière les représentations d'associations de femmes victimes de violences. Elles m'ont fait part des difficultés rencontrées lors de parcours judiciaire. Il ne faut pas ajouter de souffrance à la souffrance.

Nous devons mieux accompagner les victimes tout au long de la procédure et leur garantir que les peines prononcées seront bien exécutées. II faut améliorer et simplifier les conditions de leur indemnisation. Le fonctionnement de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions n'est pas satisfaisant : les trois quarts des victimes n'y sont pas éligibles et il n'y a pas de véritable suivi de leur indemnisation. Nous allons créer un service d'assistance au recouvrement des indemnisations pour aider les victimes non éligibles à la commission d'indemnisation : elles n'auront aucun frais à avancer pour obtenir les dommages et intérêts auxquels elles ont droit ; elles n'auront plus de contact avec leur agresseur. La commission d'indemnisation des victimes d'infractions sera plus accessible. Le décret sur le juge des victimes est paru au Journal officiel le 15 novembre ; il entrera en vigueur le 2 janvier 2008. L'action des associations d'aide aux victimes sera davantage soutenue : leurs crédits augmenteront de près de 15 %.

L'accès au droit est une nécessité pour tous. L'an passé, 905 000 justiciables ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. La dépense devrait atteindre 320 millions, en 2007. En 2008, 327 millions d'euros seront disponibles. M.  Détraigne a évoqué la refonte du système de l'aide juridictionnelle, sur laquelle M. du Luart, a présenté un rapport le 9 octobre. Vous proposez de faire évoluer ce dispositif. C'est une réflexion que nous pourrons mener ensemble en 2008. Monsieur le rapporteur spécial, je tenais à vous rassurer au sujet du recouvrement des 8,9 millions. 8,7 millions ont déjà été recouvrés au titre de 2007. Nous ferons encore mieux en 2008.

La justice est aussi plus humaine quand elle garantit la dignité des personnes détenues. Cette volonté, vous l'avez exprimée en instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, et en lui accordant 2,5 millions. Le projet de loi pénitentiaire redéfinira le rôle des prisons et améliorera les conditions de prise en charge des détenus. Le 19 novembre, le comité d'orientation restreint m'a remis son rapport définitif, avec 120 propositions. Certaines concernent le régime de l'incarcération ainsi que les droits et devoirs des détenus. Les autres tendent à améliorer les conditions de travail du personnel de l'administration pénitentiaire. Ces propositions sont actuellement étudiées par mes services. Je souhaite que vous puissiez examiner ce projet de loi au premier semestre 2008. C'est dans ce contexte que nous examinerons les conditions de la prise en charge psychiatrique dans les prisons, monsieur Lecerf.

Pour répondre à votre question, monsieur Détraigne, cette réforme s'appuiera sur une étude d'impact. La mise en oeuvre des lois doit se faire dans de meilleures conditions.

Le budget 2008 prévoit la création de 1 100 postes dans l'administration pénitentiaire, créations qui concernent aussi les services d'insertion et de probation. Il s'agit d'un effort significatif qui s'accompagne d'un renforcement de la sécurité des personnels. J'ai signé le 12 septembre une convention avec les représentants des exploitants d'hélicoptères afin de réduire le nombre de tentatives d'évasion par voie aérienne. Parallèlement, des travaux de sécurisation continueront à être réalisés dans les établissements.

II n'est pas prévu de transférer à la justice les missions d'escorte et de garde des détenus dans les hôpitaux, comme l'a indiqué le Président de la République hier, devant les forces de police et de gendarmerie. Ces missions font peser des charges importantes sur ces services et il faut tout faire pour les alléger. Le développement de la visioconférence n'est qu'une des pistes actuellement examinées.

En 2008, sept nouveaux établissements ouvriront leurs portes dont trois pour les mineurs. A juste titre, M. Lecerf veut préserver les crédits d'entretien pour l'administration pénitentiaire, ce fut souvent l'un des premiers postes budgétaires sacrifiés, mais les choses changent. Entre 2003 et 2006, la moyenne des crédits d'entretien a été deux fois et demie supérieure à la période 1999-2002. L'effort sera poursuivi.

M. Alfonsi m'a interrogée sur l'opportunité de fermer davantage de quartiers pour mineurs. Il est nécessaire d'en conserver afin d'assurer un maillage territorial car la proximité des familles est un gage de réinsertion. Et créer des places en détention ne réglera pas tout. Il convient de mettre en oeuvre une politique ambitieuse d'aménagement des peines car elle facilite la réinsertion et limite la récidive. A l'heure actuelle, seules 10 % des personnes condamnées bénéficient d'un aménagement de peine. Ce n'est pas suffisant. Le décret que j'ai pris le 16 novembre 2007 facilite les aménagements de peine et assouplit le régime des permissions de sorties. Aujourd'hui, 2 307 personnes sont placées sous bracelet électronique, 1 724 personnes sont en semi-liberté et 800 en placements extérieurs. L'effort pour développer les aménagements de peine se poursuivra en 2008. Le ministère consacrera 5,4 millions au financement des bracelets électroniques fixes ou mobiles afin que 3 000 bracelets soient disponibles.

Comme M. Lecerf, je souhaite développer les libérations conditionnelles. Au cours du premier semestre 2007, leur nombre a augmenté de 6 %, ce qui est sans précédent. Enfin, 1 million sera destiné au financement des associations qui accueillent des détenus et augmentent considérablement leurs chances de réinsertion.

La mission centrale de la justice reste bien évidemment d'assurer la sécurité des Français. Elle doit faire preuve d'autorité et de réactivité quand la situation l'impose. Mardi, après les événements survenus dans le Val-d'Oise, j'ai demandé aux procureurs de la République de faire preuve de fermeté. Quarante-deux personnes impliquées dans des faits de violences et de dégradations ont déjà été déférées, vingt-et-une ont été jugées en comparution immédiate et treize peines d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt ont été prononcées. J'ai également demandé aux parquets d'assurer la bonne information des victimes. Ces violences ne sont pas acceptables et la justice doit y répondre fermement.

Cette fermeté, nous l'avons aussi dans la lutte contre la récidive. Vous avez voté la loi du 10 août 2007. Sur son fondement, 2 231 décisions ont déjà été rendues. Cette loi respecte le pouvoir d'appréciation des juges et le principe d'individualisation des peines : il n'y a pas d'automaticité de la sanction pénale mais la volonté de sanctionner plus sévèrement et plus systématiquement ceux qui multiplient les actes de délinquance. J'ai posé un principe clair : une infraction, une réponse pénale. II ne faut pas que la délinquance des mineurs s'installe avec le sentiment d'être à l'abri de la justice. Entre juillet et octobre, les jugements de mineurs sur présentation immédiate ont augmenté de 30 %. Le projet de budget améliore la prise en charge de ces mineurs délinquants, qui sera plus rapide et plus efficace. Les centres éducatifs fermés sont un outil de réponse adaptée. Il est vrai, monsieur du Luart, que ces centres ont un coût mais il faut aussi regarder leurs résultats : 61 % des adolescents qui en sortent ne récidivent pas. Ils permettent aux mineurs de réfléchir, de suivre un programme scolaire ou d'effectuer une formation. Ils leur offrent donc une nouvelle chance. Dix nouveaux centres éducatifs fermés ouvriront l'année prochaine, pour atteindre 43 fin 2008. Cinq centres à dimension pédopsychiatrique seront également opérationnels qui ont vocation, monsieur Alfonsi, à accueillir des jeunes pour une prise en charge adaptée. La protection judiciaire de la jeunesse bénéficiera de cent emplois supplémentaires destinés à l'encadrement des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs. Ils contribueront également à diversifier les prises en charges.

Pour les personnels comme pour les justiciables, nous renforçons la sécurité des palais de justice. Les drames de Metz et de Laon, en juin, ne doivent pas se reproduire. Cet été, j'ai débloqué 20 millions qui avaient été gelés. Grâce à ce plan de sécurisation, 209 juridictions ont maintenant un portique de sécurité et 92 % des équipes de surveillance sont en place. Nous y consacrerons encore 39 millions l'année prochaine. Les chefs de cour et de juridiction ont joué un rôle essentiel dans la mise en oeuvre de ce plan. M. Détraigne a souhaité leur donner davantage d'autonomie dans la gestion de leurs crédits. C'est le cas pour la sécurisation des juridictions. Les chefs de cour et de juridiction disposent donc d'une marge de manoeuvre, même si certains l'estiment insuffisante.

Pour protéger les Français, il est également essentiel de prévoir des mesures de sûreté contre les pédophiles et les délinquants dangereux en fin de peine. C'est l'objet du projet de loi que j'ai présenté mercredi en conseil des ministres et qui concerne les personnes condamnées à au moins quinze ans de réclusion pour des crimes commis sur mineurs et qui sont toujours dangereux en fin de peine. Elles pourront être placées dans des centres fermés où elles bénéficieront d'une prise en charge médicale. Le bien-fondé du placement sera réexaminé chaque année. Quant aux irresponsables pénaux pour troubles mentaux, la procédure judiciaire ne s'achèvera plus par un non-lieu, terme mal vécu par les familles de victimes. Désormais, une audience publique pourra être tenue si les victimes le souhaitent. Les juges pourront ordonner des mesures de sûreté. Le projet de loi est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 18 décembre.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur du Luart, la justice est en pleine mutation. Ses principes fondamentaux évoluent pour mieux s'adapter aux attentes de notre société. La justice doit gagner en fermeté, en humanité, mais aussi en efficacité. Pour cela, nous devons moderniser l'organisation territoriale de la justice. Le Parlement a voté la loi du 5 mars 2007 qui instaure la collégialité de l'instruction, en réponse au drame d'Outreau car cette affaire a montré que la solitude du juge pouvait être dangereuse. L'article 6 de cette loi prévoit que, « dans certains tribunaux de grande instance, les juges d'instruction sont regroupés au sein d'un pôle de l'instruction ». Le Parlement a confié au Gouvernement le soin de fixer par décret la liste des tribunaux concernés. Selon la loi, il ne peut pas y avoir de pôles de l'instruction dans tous les départements. Ces pôles seront installés dans les tribunaux de grande instance ayant une activité suffisante pour trois juges d'instruction, ce qui suppose une réflexion territoriale. Nous avons recherché un équilibre dans chaque région.

Notre carte judiciaire datait de 1958. Chacun connaît les difficultés de fonctionnement qu'elle engendre et chacun comprend que l'on ne peut pas continuer à disperser nos moyens au sein de 1 200 juridictions sur 800 sites. Cette réforme est donc nécessaire, comme l'a rappelé M. Fauchon dont j'apprécie le soutien. La nouvelle carte judiciaire dessine une justice renforcée dans l'intérêt des justiciables. J'ai entendu les interrogations de M. Détraigne, je peux l'assurer que la future implantation des tribunaux correspondra aux réalités démographiques, sociales et économiques de notre territoire. Elle améliorera la qualité et l'efficacité de la justice. La réforme de la carte judiciaire n'a été ni mécanique, ni partisane, ni comptable.

Pour les tribunaux de grande instance, nous avons recherché les meilleurs équilibres locaux : un tiers des départements en métropole continuera à compter au moins deux TGI. Pour les tribunaux d'instance, 176 sur 462 seront regroupés. Nous n'avons pas créé de « désert judiciaire ». La proximité en 2007 n'est pas la proximité de 1958.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. - C'est sûr !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Aujourd'hui, ce n'est plus la proximité physique du tribunal qui importe mais la satisfaction rapide du besoin de justice. Les affaires familiales ? Elles n'ont jamais été du ressort des tribunaux d'instance mais des TGI ! Il faut donc dire la vérité aux Français. Les tribunaux d'instance ne traitent pas forcément de justice de proximité. Celle-ci sera désormais assurée par les maisons de justice, par les tribunaux d'instance renforcés ou les tribunaux d'instance regroupés. Ce qui est important pour les justiciables, c'est que les affaires familiales et civiles soient maintenues à proximité, et ce sera le cas.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. - Ce sera même renforcé !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - M. Fauchon a raison de dire qu'aller au tribunal, ce n'est pas aller au bureau de poste. Il faut faire la différence entre l'accès au droit et l'accès au juge.

M. Jean-Pierre Sueur. - S'il faut faire cent kilomètres pour aller au tribunal, il faut les faire !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Si c'est au pénal, on vient vous chercher.

M. Jean-Pierre Sueur. - Pas les victimes !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Mais si, elles sont prises en charge par la justice.

L'Assemblée nationale a adopté un amendement pour permettre de développer la politique de l'accès au droit en tenant compte des contraintes géographiques. Il faut dire la vérité aux Français. J'entends les mouvements de protestation mais ce que souhaitent les Français, c'est une justice de qualité, rapide et lisible. Ils veulent comprendre les décisions des tribunaux. Quand, dans un tribunal d'instance, il n'y a pas de magistrat ou pas de greffier, l'accès a la justice n'est pas le même qu'ailleurs. Avec cette réforme, nous restaurons l'égalité sur tout le territoire. Dans un tribunal d'instance à un seul juge, si celui-ci part en vacances, se forme ou est malade, le tribunal ne fonctionne plus ! Le regroupement améliore la continuité du service rendu !

M. Jean-Pierre Sueur. - Tout le monde est content !

M. Philippe Nogrix. - Surtout à la Chancellerie !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Sur cent quatre vingt cinq tribunaux de commerce, nous en regroupons cinquante-cinq et nous créons cinquante-six nouvelles juridictions commerciales pour exercer les compétences commerciales des tribunaux d'instance.

Pour les conseils de prud'hommes, le code du travail prévoit une consultation spécifique. Un avis du ministère du travail est paru au Journal officiel du 22 novembre : les collectivités, les organismes syndicaux et professionnels ont un délai de trois mois pour faire connaître leurs observations aux préfets. Je note que le conseil des prud'hommes de Flers n'a eu à traiter cette année qu'une centaine d'affaires, pour trente-deux conseillers...

M. Christian Cambon. - Bravo !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Le regroupement ne diminue pas le nombre de conseillers, mais il réduit les délais, au bénéfice des justiciables !

Monsieur Sueur, vous relevez les inquiétudes que cette réforme suscite : je les comprends, elles sont bien normales dans une organisation qui n'a pas changé depuis plus de cinquante ans, voire -selon M. Fauchon- depuis l'Ancien régime...

Ces inquiétudes s'estompent cependant : hier, le nombre des grévistes était inférieur à 20 %, -sans précédent selon M. Badinter- à comparer aux 44 % constatés lors de la réforme sur la présomption d'innocence présentée par Mme Guigou, en 2000, alors que ce n'était qu'une réforme de procédure...

M. Christian Cambon. - Petit rappel historique bien salutaire !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - En 1998, la loi sur le suivi judiciaire n'a été accompagnée d'aucun moyen nouveau, même chose pour l'institution du juge des libertés et de la détention ! Les magistrats en ont beaucoup souffert et c'est parce que nous ne voulons plus d'une telle situation, que nous réformons avec un bon budget.

M. Sueur nous reproche encore de ne pas avoir associé les parlementaires : j'ai rencontré directement deux cent trente cinq élus...

M. Jean-Pierre Sueur. - Ils sont inquiets !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - ... j'ai entendu les élus locaux lors de mes déplacements en régions : j'y ai d'ailleurs constaté que de nombreux élus -notamment de l'opposition- ne se sont pas déplacés, parce qu'ils ne pensaient pas que la réforme serait réalisée.

M. Jean-Pierre Sueur. - J'y suis allé !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous avons tenu compte de la plupart des propositions formulées par le comité consultatif. Je me suis rendue dans chacune des régions, chaque fois pour examiner en détail le rapport du chef de cour. Je rends du reste hommage aux chefs de cour, fortement impliqués dans la rédaction de ces rapports, que j'ai tous mis en ligne, dans un souci de transparence.

Vous demandez une commission parlementaire, mais il y a eu la commission Outreau... (Exclamations sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Sueur. - Cela n'a rien à voir ! C'était une commission d'enquête parlementaire !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - On y a longuement parlé de la carte judiciaire ! Cette réforme n'est ni de droite ni de gauche, je me suis largement inspirée des travaux de Mme Lebranchu, de Mme Guigou, de M. Nallet...

M. Jean-Pierre Sueur. - Mme Lebranchu n'est pas contente pour Morlaix !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - C'est toujours le cas lorsqu'on n'a pas réussi soi-même à réformer ! M. Nallet a salué le courage du Gouvernement, reconnaissant que la réforme de la carte judiciaire était nécessaire depuis longtemps ! Nous sommes plus protecteurs que les projets de nos prédécesseurs socialistes : M. Nallet envisageait la départementalisation de la justice, cela signifiait la fin des tribunaux d'instance ! Mme Guigou ne voulait prendre en compte qu'un seuil d'activité : dessus ou dessous. Nous tenons compte des réalités du territoire !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Permettez-moi de vous interrompre... Au Sénat, nous avons consacré bien des rapports à la réforme de la justice, tous ont insisté sur l'urgence de réformer la carte judiciaire. La réforme est nécessaire...

M. Jean-Pierre Sueur. - Nous en sommes d'accord !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - ... nous nous réjouissons que le Gouvernement en ait le courage ! Certains propos me rappellent les critiques contre la réforme des cartes des commissariats de police et des gendarmeries, nous savons tous combien elle a été utile ! Nous vous félicitons. (Applaudissements à droite)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous voulons agir, plutôt qu'installer une commission supplémentaire pour enterrer tout changement. La réforme sera progressive, de 2008 à 2010, nous mettons en place un accompagnement social : 1,8 million y sera consacré dès ce budget. Nous examinons la possibilité de compenser financièrement les avocats touchés par la réforme : j'ai déjà rencontré les bâtonniers, nous nous reverrons en début d'année. Une fois que cette nouvelle organisation territoriale sera stabilisée, il nous faudra réfléchir à une nouvelle répartition du contentieux au profit des justiciables.

Pour renforcer son efficacité, la justice doit aussi utiliser les outils de son temps. Les nouvelles technologies facilitent l'accès à la justice, la rendent plus rapide et plus efficace. Un décret du 15 novembre 2007 prévoit la dématérialisation des procédures pénales. Elle sera effective en 2008. La dématérialisation des procédures civiles interviendra en 2009. Plus de 67 millions seront consacrés l'an prochain aux programmes informatiques de la justice.

Nous voulons que la justice reflète la diversité de notre société. L'Ecole nationale de la magistrature sera modernisée, c'est la mission de son nouveau directeur : elle doit former des magistrats efficaces, responsables, ouverts sur le monde ; elle doit développer chez les auditeurs de justice les qualités humaines indispensables à l'exercice de leurs futures fonctions. La formation des magistrats et des personnels judiciaires sera l'un des chantiers de la présidence française de l'Union européenne. La justice prend toute sa part dans la politique d'égalité des chances : une classe préparatoire intégrée à l'ENM ouvrira dès janvier, pour accueillir quinze étudiants d'origine modeste qui veulent préparer le concours de la magistrature ; nous avons déjà reçu cent soixante seize dossiers de candidats de toute la France. D'autres classes préparatoires ouvriront : à l'École des greffes, à l'École de l'administration pénitentiaire et au Centre national de la protection judiciaire de la jeunesse.

Je souhaite également que les femmes soient mieux représentées au plus haut niveau de responsabilités du corps judiciaire. Je me suis engagée à assurer compétence et parité dans les nominations : sur les dix nouveaux procureurs généraux nommés le 14 novembre, il y avait cinq femmes. Nous accompagnons cette politique d'ouverture par une véritable politique des ressources humaines. La gestion des carrières des magistrats et des greffiers doit être modernisée avec, notamment, les détachements. En 2008, quatre cents emplois supplémentaires seront créés au profit des juridictions. Des emplois de magistrats sont destinés aux pôles anti-discrimination, au secrétariat général de tribunaux de grande instance, aux futurs pôles de l'instruction ; d'autres seront utilisés pour des remplacements. Une bonne gestion des ressources humaines, c'est mettre les bonnes personnes aux bonnes fonctions, plutôt qu'attendre des décennies de service méritant pour l'accès à des postes de responsabilité !

Il y aura autant d'emplois nouveaux de greffiers que d'emplois nouveaux de magistrats : cent quatre vingt sept magistrats et cent quatre vingt sept greffiers. La qualité du travail judiciaire, c'est aussi l'assistance qu'apporte le greffier au magistrat. Ces créations de postes et le recours aux nouvelles technologies réduiront le délai d'exécution des décisions de justice. J'ai créé à la Chancellerie une véritable direction des ressources humaines pour améliorer les conditions de carrière des magistrats et des greffiers.

La justice est en pleine modernisation, il y faudra de grands efforts et l'engagement de toutes les forces, de toutes les volontés de notre pays, et donc de la vôtre ! (Applaudissements à droite et au centre)

Examen des crédits

M. le président. - Amendement n°II-51, présenté par M. du Luart.

Modifier comme suite les crédits des programmes :

Administration pénitentiaire : AP : + 150 000 ; CP : +150 000

Conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés : AP : - 150 000 ; CP : -150 000

M. Roland du Luart. - J'ai reçu l'onction du président de la commission des finances pour cet amendement... (Sourires)

Les aumôniers jouent un rôle éminent au sein de l'univers carcéral. Ils y accomplissent une mission d'accompagnement importante, tant du point de vue moral que spirituel : le code de procédure pénale reconnaît l'assistance spirituelle parmi les actions de préparation à la réinsertion des détenus.

Garants de la modération du message religieux, les aumôniers favorisent en outre une meilleure harmonie entre les personnes dans les lieux de détention. Ils sont un facteur d'apaisement dans des établissements qui souffrent malheureusement pour beaucoup d'entre eux de surpopulation et sont, parfois, le théâtre de poussées d'agressivité et de violence.

L'administration pénitentiaire dénombre aujourd'hui mille quinze personnels cultuels. Parmi eux, trois cent vingt cinq sont rémunérés et correspondent à cent soixante emplois équivalents temps plein travaillé. Leur répartition selon les confessions est la suivante : 536 catholiques, 254 protestants, 94 musulmans, 74 israélites, 16 orthodoxes et 39 représentent divers autres cultes

La dotation, 1,7 million, reste inchangée depuis l'an dernier alors que sept nouveaux établissements pour mineurs fonctionneront à pleine capacité en 2008. Nous proposons donc de majorer cette dotation de 150 000 euros afin de créer de nouveaux postes d'aumôniers. Les dotations de l'action IV sont réduites d'autant.

En attendant la future loi pénitentiaire qui consacrera les droits fondamentaux des personnes détenues, améliorer les conditions d'exercice de tous les cultes en prison est essentiel. Si l'église catholique peut s'appuyer sur une longue tradition et une charte de l'aumônerie de prison promulguée en 2007, il n'en va pas de même des autres cultes. A cet égard, je salue les efforts d'organisation de l'aumônerie musulmane sous l'impulsion du Conseil français du culte musulman : l'institution d'un aumônier national, chargé de centraliser toutes les désignations d'aumôniers, ne laisse pas place aux courants intégristes dans nos prisons.

Enfin, la dotation majorée sera répartie entre l'ensemble des cultes.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je souscris à toutes vos observations, avis favorable. Le culte en prison est un facteur d'apaisement.

L'amendement n°II-51 est adopté, le groupe CRC s'abstenant..

Interventions sur l'ensemble

M. Jean-Pierre Sueur. - La réforme de la carte judiciaire nous est présentée sous forme de syllogisme : la réforme était nécessaire, elle n'avait pas été faite auparavant, donc il n'y avait qu'une seule méthode. Mais était-ce vraiment le cas ? Cela suffira-t-il d'affirmer à ceux qui font part aujourd'hui de leur sentiment d'abandon que « tout va bien » et qu'il ne sert à rien de contester, par principe, toute nouvelle réforme ? Au vrai, on aurait pu procéder autrement : il aurait fallu organiser un débat préalable au Parlement, fixer les orientations de la réforme puis définir une nouvelle organisation territoriale de la justice. Ainsi, la réforme n'aurait pas été vécue comme ayant pour seul but de supprimer des tribunaux et l'on aurait compris ses avantages. On me répondra qu'il est toujours plus simple de parler au conditionnel...

M. Jean-Jacques Hyest. - En effet !

M. Jean-Pierre Sueur. - Pour autant, vous n'avez pas choisi la bonne méthode ! Nous voterons contre.

M. Christian Cambon. - Vous n'aviez qu'à la faire, la réforme de la carte judiciaire !

M. Jean-Pierre Sueur. - Nous avons eu tort...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les réponses apportées n'étant pas satisfaisantes, le groupe CRC votera contre. Que les élus de la majorité aillent donc expliquer et défendre la réforme judiciaire sur le terrain !

M. Philippe Nogrix. - Dans cette assemblée, nous aimons être cohérents. Or il me semble que le Gouvernement ne l'est pas avec la réforme de la carte judiciaire. On ne cesse de confier davantage de responsabilités aux collectivités et de se battre pour faire vivre nos territoires. Et on effectue maintenant une réforme qui les dévitalise !

M. Philippe Nogrix. - Bref, il est difficile d'approuver la réforme dans son entier, quoi qu'elle soit nécessaire. Pour cette raison, certains membres du groupe UC-UDF voteront contre, d'autres s'abstiendront. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Les crédits de la mission, modifiés, sont adoptés.