Jeudi 26 janvier 2023

- Présidence de M.Stéphane Artano, président puis de Mme Micheline Jacques, vice-présidente-

Continuité territoriale entre l'Hexagone et les outre-mer - Table ronde sur le dispositif applicable à La Réunion et à Mayotte

M. Stéphane Artano, président. - Chers collègues, dans le cadre de son étude sur la continuité territoriale dont les rapporteurs sont Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier, nous faisons ce matin un focus sur l'océan Indien, avec la situation à La Réunion et à Mayotte.

Nous allons ainsi au cours des prochaines semaines aborder la situation pour les territoires du Pacifique et le bassin Atlantique. Je précise à cet égard que nos rapporteurs se déplaceront en Guadeloupe et en Guyane, dans le courant du mois de mars, pour échanger avec les acteurs locaux.

Ces échanges sont particulièrement importants pour saisir la diversité et la complexité des situations et pour élaborer des propositions d'amélioration.

Pour approfondir notre état des lieux, nous allons entendre successivement :

- pour le Conseil régional de La Réunion : Mme  Lorraine Nativel, vice-présidente déléguée à la lutte contre l'illettrisme et aux savoirs de base, à la continuité territoriale et au soutien des jeunes en mobilité, et M. Normane Omarjee, vice-président délégué au désenclavement aérien, maritime et numérique ;

- pour le Conseil départemental de Mayotte : Mme Bibi Chanfi, 5ème vice-présidente, chargée du développement économique et de la coopération décentralisée ;

- et pour la Direction de la sécurité de l'aviation civile océan Indien (DSAC-OI) M. Jonathan Gilad, directeur.

Nous nous tournerons ensuite vers les compagnies aériennes :

- Air Austral : représenté par M. Joseph Bréma, président directeur général ;

- Corsair : représenté par M. Julien Houdebine, directeur commercial ;

- et French Bee représenté par M. Charles-Henry Strauss, directeur des affaires juridiques.

Mesdames, Messieurs, nous vous remercions vivement pour votre disponibilité.

Vous allez avoir la parole à tour de rôle et dans l'ordre que je viens d'énoncer pour une dizaine de minutes chacun afin de présenter vos observations.

Vous pourrez vous appuyer sur la trame qui vous a été transmise et nous transmettre ultérieurement d'autres précisions par écrit.

Ensuite les rapporteurs interviendront pour vous demander certaines précisions, puis ce sera le tour de nos autres collègues.

Je vous livre deux informations complémentaires pour conclure cette table ronde, que je devrai quitter à 9 heures car j'accompagne tout à l'heure le président Gérard Larcher dans son déplacement à la Martinique, où nous rejoindrons Catherine Conconne puis nos collègues de la Guadeloupe. Je vous prie de m'excuser par avance et c'est Micheline Jacques qui présidera cette audition aux côtés des rapporteurs.

Je vous ai adressé récemment mes chers collègues, un courrier concernant mon audition devant le Conseil d'État, qui consacrera son étude annuelle 2023 au « dernier kilomètre dans les politiques publiques ». Vous avez tous eu l'occasion d'observer, ultramarins comme élus hexagonaux d'ailleurs, le décalage entre les annonces de réforme et leur mise en oeuvre. Je compte sur vos témoignages, bien évidemment, pour faire remonter des exemples concrets de difficultés sur la base de la trame que la délégation vous a adressée à cet effet. Mon audition est prévue le 14 février en matinée. J'aurai bien entendu l'occasion de vous en rendre compte.

Par ailleurs, avec Micheline Jacques, nous sommes encore en train d'affiner nos travaux sur les évolutions institutionnelles et ambitionnons de présenter ce rapport à la délégation le jeudi 16 février prochain, avant son examen et sa prise en compte par le groupe de travail « Décentralisation » du président Larcher. Il sera notamment tenu compte de notre échange très riche du 12 janvier.

Je vous laisse à présent la parole, mesdames et messieurs, dans l'ordre que je vous ai indiqué.

- Présidence de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

Mme Lorraine Nativel, Conseil régional de La Réunion, vice-présidente déléguée à la lutte contre l'illettrisme et aux savoirs de base, à la continuité territoriale et au soutien des jeunes en mobilité. - Je vous remercie pour votre invitation à cette table ronde sur un sujet aussi important pour nos territoires que sont les dispositifs d'aide à la continuité territoriale en vigueur. Ces dispositifs doivent répondre globalement aux besoins cruciaux des Réunionnais de tous âges devant se déplacer afin de se rapprocher des parents éloignés souvent peu mobiles, suivre des formations, passer des concours, chercher du travail, participer à des compétitions sportives ou à des manifestations culturelles, accompagner les personnes gravement malades, tout cela au même titre que n'importe quel Français résidant sur le sol hexagonal.

En vertu de l'article L.1803 du code des transports, l'État est le seul responsable légal de la continuité territoriale entre ces territoires ultramarins et l'Hexagone.

S'agissant de La Réunion, depuis 2015, l'ancienne majorité régionale avait rompu les liens avec l'État et avait décidé de mettre en place un dispositif volontariste et électoraliste en assumant seul le financement. En 2016, cette même majorité avait renforcé son dispositif en proposant l'accompagnement dans le sens Hexagone-La Réunion. Ce dispositif a été jugé illégal par le tribunal administratif en décembre 2020.

En 2021 à notre arrivée aux responsabilités, nous avons procédé à une évaluation dudit dispositif, qui a mis en évidence le fait que la région s'était substituée à l'État dans ses prérogatives. La parution du décret n°2021-845 et de l'arrêté du 28 juin 2021 est venue conforter notre volonté de refonte du dispositif de la continuité territoriale afin d'agir en complémentarité avec l'État et de mettre en oeuvre un dispositif plus juste et plus solidaire. Cette réforme des aides de l'État en 2021 a permis d'insuffler une nouvelle dynamique à la politique nationale de continuité territoriale en faveur des ressortissants des outre-mer, avec une réévaluation significative des montants des aides attribuées par rapport à la période antérieure.

En 2022, nous avons donc distribué 23 704 bons contre 3 452 bons en 2021. Une nouvelle étape a été franchie dès 2022 dans le processus d'harmonisation des dispositifs de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) et de la région Réunion, avec la mise en place d'une convention de partenariat permettant d'assurer une gestion conjointe et optimisée des aides à la continuité territoriale en faveur des familles les plus démunies, c'est-à-dire celles dont le coefficient familial est inférieur à 6 000 euros et ce, dans le cadre de leurs projets de déplacements dans le sens Réunion-métropole. Ce nouveau partenariat a été réalisé et suivi dans le cadre d'une collaboration exemplaire entre les services de la région et ceux de LADOM réunis.

La refonte du dispositif régional entré en vigueur depuis avril 2022, a fait l'objet des principales évolutions suivantes :

- l'alignement de la périodicité de l'aide régionale sur celle de LADOM, étant rappelé que la périodicité de l'aide régionale était annuelle alors que celle de LADOM est trisannuelle ;

- l'harmonisation du mode de calcul du quotient familial avec celui de LADOM en adoptant le revenu fiscal de référence au lieu du revenu imposable qui était précédemment retenu ;

- l'attribution d'une aide régionale de 100 euros en complément de celle de LADOM ;

- l'instauration d'un plafond maximal de revenu éligible pour la tranche de revenu n° 3, c'est-à-dire les familles dont le coefficient familial se situe entre 11 191 euros et 26 030 euros à hauteur de 65 000 euros avec maintien du coefficient familial à hauteur de 26 030 euros.

À ces familles, il a été décidé l'attribution d'un bon de continuité territoriale d'une valeur de 200 euros au lieu de 300 euros précédemment.

Afin de mieux accompagner notre population dans ses besoins de déplacement, la collectivité régionale a mis en place deux dispositifs complémentaires. Tout d'abord, un dispositif qui s'adresse à nos étudiants en mobilité. En effet, la détresse de ces étudiants pendant la crise sanitaire et l'impossibilité de leurs familles à les faire rentrer, nous a fait réfléchir à ce dispositif dénommé « Bon Ressourcement Étudiant », d'un montant de 400 ou 800 euros selon les revenus. Rentrer se ressourcer sur son île natale auprès de ses proches n'est pas toujours simple lorsqu'on est étudiant en métropole. La mise en place de cet accompagnement financier permet de contribuer à l'excellence et à la réussite éducative de nos étudiants ultramarins, qui se voient ainsi assurés de pouvoir rentrer auprès de leurs proches au moins une fois par an tout au long de leur cursus de formation. Cette aide s'étend également aux étudiants qui désirent effectuer un stage à La Réunion dans le cadre de leur formation. Leur donner la possibilité de se reconnecter à leur territoire, c'est favoriser leur retour au pays ainsi que leur insertion économique et sociale.

Ce dispositif initié par la région Réunion depuis 2022 a permis d'accorder près de 2 500 bons de ressourcement au cours de la période de mai à décembre 2022, sur le trajet métropole-Réunion. Cette mesure vient en complément du dispositif « Passeport Mobilité Études » de LADOM, qui intervient pour le départ des étudiants de La Réunion vers l'Hexagone pour les filières qui n'existent pas localement ou qui sont saturées. À ce titre, LADOM a financé 1 409 étudiants réunionnais en 2021.

La continuité funéraire est un autre dispositif mis en place par la région Réunion. Afin de répondre au caractère imprévisible d'un décès et à la situation d'urgence qui en découle, la région Réunion a pris l'initiative d'élaborer un nouveau dispositif qui associe les acteurs locaux de la continuité funéraire dans le cadre d'un partenariat permettant de mutualiser les aides existantes et d'offrir aux familles réunionnaises concernées un service public de qualité pouvant répondre au mieux à leur situation. Cette continuité funéraire se décline en deux principales mesures :

- la création d'un numéro d'appel unique commun région-département afin de permettre une assistance rapide et coordonnée de tous les acteurs ;

- la mise en place d'une convention de partenariat entre la région et le conseil départemental afin que les familles éligibles puissent être aidées dans des conditions optimales.

Dans le cadre de la continuité funéraire, la participation régionale est de 860 euros. Elle concerne l'aide au déplacement pour les obsèques en métropole ou pour un déplacement accompagnant un transport de corps vers La Réunion. La participation du conseil départemental s'élève à 5 000 euros maximum, uniquement pour le rapatriement de corps.

La mise en place de ces dispositifs complémentaires par la collectivité régionale démontre que l'ensemble des besoins de déplacements de la population n'est pas assuré, que la continuité territoriale est perfectible et qu'une réflexion suivie de propositions concrètes doit être menée. Cela est d'autant plus important que le récent arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 21 décembre 2022 risque de remettre en cause certains dispositifs en contestant la compétence des collectivités territoriales pour instituer des dispositifs d'aide à la continuité.

La région Réunion souhaite un meilleur accompagnement pour le « Bon Ressourcement Étudiant ». Par conséquent, un renforcement de l'aide à la mobilité des étudiants réunionnais pourrait être envisagé dans le cadre d'un partenariat avec LADOM, afin de toucher le maximum de nos ressortissants qui poursuivent leurs études en métropole et qui sont évalués à environ 12 000 selon les derniers chiffres disponibles. Ce partenariat pourrait être axé sur les déplacements ciblés des étudiants et des apprentis pour des motifs jugés prioritaires tels que la réalisation de leur stage à La Réunion, renouvelable autant de fois que nécessaire. Actuellement, ces déplacements sont limités à un par an. L'aide au retour des Réunionnais diplômés afin de participer à l'entretien d'embauche ou intégrer un emploi à La Réunion pourrait également être proposée, sachant que les modalités et les publics restent à définir.

La région Réunion souhaite également un meilleur accompagnement en matière de continuité funéraire, par exemple au moyen d'une participation de LADOM à hauteur de l'aide de 360 euros actuellement en vigueur, versée sous forme de bon au lieu d'un remboursement. Cet accompagnement interviendrait en complément de l'aide régionale, qui s'établirait à 500 euros, portant ainsi l'aide aux obsèques en métropole à un montant total de 860 euros - ce qu'assume seule actuellement la région Réunion.

La contribution de LADOM pourrait être mise en oeuvre par voie d'avenant à la convention de partenariat région-LADOM relative au dispositif conjoint de la continuité territoriale, signée le 7 juin 2022. Ce meilleur accompagnement pourrait se faire aussi par un redéploiement de l'aide de LADOM actuellement en vigueur, d'un montant de 1 000 euros pour le transport de corps dans le sens métropole-Réunion, en vue de la prise en charge d'un billet d'avion d'un montant à définir pour les déplacements de l'accompagnant qui réside en métropole. Cela permettrait d'optimiser le dispositif de LADOM, qui n'a financé en 2021 que 4 dossiers de transport de corps à La Réunion.

Le dispositif de la continuité territoriale de la région contient d'autres mesures spécifiques que LADOM ne finance pas actuellement. Au-delà de l'aspect purement financier, cette situation pénalise un certain nombre d'usagers au regard de leurs besoins spécifiques et de leurs fragilités, et rend certaines mesures à la fois illisibles et complexes dans leur mise en oeuvre.

Les dispositifs régionaux sur lesquels LADOM pourrait envisager de s'aligner afin de poursuivre le processus d'harmonisation entre l'État et la région, de simplifier les démarches des usagers et de respecter les termes de la décision de la Cour d'Appel de Bordeaux du 21 décembre 2022, concernent les accompagnateurs des jeunes espoirs sportifs et les sportifs de haut niveau. Actuellement, il y a une double démarche : les sportifs doivent solliciter LADOM pour avoir un bon de remboursement, et les accompagnateurs doivent solliciter la région. Le même schéma concerne les artistes et les acteurs culturels.

J'aimerais faire un point concernant les mesures dérogatoires, notamment en faveur des personnes âgées ou atteintes d'un handicap, afin que ces personnes puissent voyager en classe supérieure sur prescription médicale avec un bon de la continuité territoriale délivré pour un voyage en classe économique. Cette mesure est appliquée par la région actuellement, mais non par LADOM.

Concernant le transfert sanitaire, la région Réunion prend en charge un bon lorsque la Sécurité sociale n'assure pas la prise en charge à 100 %. Dans le même domaine de la santé, se pose également la question des autres accompagnateurs, notamment de la prise en charge des enfants mineurs en cas d'hospitalisation de longue durée des parents. Les formalités à remplir sont très complexes, nécessitant une coordination avec tous les acteurs du champ médico-social. Il importe également de prévoir des structures d'accueil et d'hébergement sur le territoire national pour les membres des familles qui accompagnent les malades.

On remarquera que toutes les aides déployées actuellement concernent le déplacement de La Réunion vers l'Hexagone. Or nous avons des Réunionnais qui ont été obligés de quitter leur territoire, fuyant le chômage avec l'espoir d'une vie meilleure, des Réunionnais qui se trouvent coincés là-bas avec juste de quoi vivre. Ces personnes n'ont pas les moyens de se payer un billet pour venir passer du temps sur leur île et rendre visite à leurs parents, comme le font les Français de l'Hexagone. L'État, au nom de l'égalité entre les citoyens, doit prendre en compte leur terrible réalité et mettre en place un accompagnement en leur direction.

Malgré l'effort financier de la collectivité régionale et la réévaluation du montant de l'accompagnement, les aides à la continuité territoriale ne parviennent pas à l'intégralité des publics bénéficiaires, et ce en raison notamment de la fracture numérique dont souffre une partie de la population, en particulier les personnes âgées isolées ou ne disposant pas d'internet. Un accueil adapté à ces publics doit être organisé dans des structures de proximité, tout en réalisant une communication plus soutenue envers les publics cibles. À cela s'ajoute l'explosion des tarifs aériens, qui ne permet pas aux familles les plus démunies de prendre en charge la contrepartie financière de l'aide à la continuité territoriale lors de l'achat du billet. Certaines familles sont obligées de renoncer à leur projet, même après avoir obtenu leur bon. Le reste à charge varie et peut passer du simple au double.

Il convient donc d'inciter l'État à assumer pleinement les dépenses afférentes à ses champs de compétence légale en matière de continuité territoriale et à garantir l'égalité de traitement avec d'autres territoires, tels que la Corse. L'intervention de l'État est d'autant plus légitime que le département de La Réunion est le plus éloigné de la France hexagonale.

Je terminerai mon propos en rappelant les termes de l'arrêt de la Cour administrative d'Appel de Bordeaux du 21 décembre 2022 :

« En vertu de l'article L.1803-10 du code des transports, l'Agence de l'Outre-mer pour la Mobilité (LADOM) est un établissement public de l'État à caractère administratif. Il a pour mission, en particulier, de mettre en oeuvre les actions relatives à la continuité territoriale qui lui sont confiées par l'État et de gérer les aides mentionnées à l'article L.1803-4 à L.1803-6. Ainsi, l'aide à la continuité territoriale relève d'une politique nationale de continuité territoriale fondée sur des principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République confiée à LADOM. Il est donc clair que les collectivités régionales ne peuvent se substituer à l'État en la matière. »

Mme Bibi Chanfi, Conseil départemental de Mayotte, 5ème vice-présidente, chargée du développement économique et de la coopération centralisée. - Je vous remercie de votre invitation à répondre au questionnaire sur la problématique de la desserte aérienne dans le cadre du dispositif de continuité territoriale.

Elle est l'occasion pour Mayotte de présenter les difficultés rencontrées au quotidien pour simplement se déplacer entre les départements d'outre-mer de La Réunion et de Mayotte. En effet depuis des années, les Mahorais dénoncent sans relâche la situation de crise de la desserte aérienne du département, malheureusement jusqu'à présent sans retenir l'attention des pouvoirs publics.

Avec un prix moyen pour un trajet entre l'île et la métropole un à deux fois plus cher que ceux pratiqués sur les autres lignes entre DROM, COM et métropole, sortir de Mayotte ou tout simplement voyager, est un privilège réservé à certains. Or, le besoin de se rendre en métropole est bien réel puisque la destination représente 35 % du trafic aérien à Mayotte.

Sur le plan des dessertes régionales, le constat est même plus alarmant, avec des tarifs excessivement élevés pour les trajets vers Madagascar, Mayotte et La Réunion. Ce dernier représente pourtant 58 % du trafic aérien mahorais sur l'ensemble des trois destinations. Cette situation est d'autant plus préoccupante que de nombreux Mahorais se déplacent fréquemment pour des raisons familiales, professionnelles ou de santé.

L'absence de réelle concurrence est préjudiciable. Les ouvertures de lignes limitées concourent ainsi à rendre la situation intenable pour l'ensemble de la population.

Concernant le partenariat avec LADOM, la convention que nous avons conclue fonctionne plutôt bien, avec une implication forte du conseil départemental depuis plus de quinze ans. On note cependant une faiblesse au niveau des ressources humaines. En effet, le conseil départemental vient en soutien pour quasiment la moitié du personnel, en mettant à disposition six personnes, alors que ce soutien était à l'origine prévu pour assurer la mise en oeuvre des actions de formation professionnelle du département dans le cadre de la mobilité.

Il y a donc une réflexion très sérieuse à mener sur ce sujet dans le contexte actuel de développement de l'alternance par la mobilité, en particulier via l'apprentissage, et du dispositif envisagé de l'immigration choisie pour les secteurs en tension dans l'Hexagone.

La réforme des aides sur la continuité territoriale de 2021 est une très bonne mesure pour Mayotte, qui bénéficiait précédemment de deux tranches d'aides de 135 euros et 440 euros. Désormais, il s'agit d'un montant unique de 440 euros. L'impact de cette mesure est certain mais doit être relativisé. En 2022, le nombre de billets émis atteint le chiffre record de 3 747 (contre 1 209 en 2021), mais ce rebond est certainement lié à « l'après Covid » car les Mahorais avaient besoin de sortir du territoire après la période de confinement.

Les collectivités d'outre-mer compétentes dans le domaine de la formation professionnelle, doivent améliorer la continuité territoriale pour former les ressortissants en métropole, voire dans le reste de l'Europe. C'est une nécessité évidente qui relève de la solidarité nationale. Par conséquent, l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, qui entend empêcher les régions d'instituer les dispositifs de continuité territoriale, aboutit à les empêcher d'exercer de manière complète et souveraine leurs compétences en matière de formation professionnelle au plan régional. Cela paraît quelque peu contradictoire.

Je voudrais faire un focus concernant les transports aériens. Pour Mayotte, on peut considérer que la fréquence des vols, notamment par le vol direct Dzaoudzi-Paris Charles de Gaulle s'est nettement améliorée, mais cette amélioration reste limitée et fragile. Le véritable sujet concerne le prix du billet d'avion, qui reste prohibitif. Le transporteur Ewa Air reste sous le contrôle d'Air Austral malgré les propositions d'intérêts mahorais afin de prendre la majorité du capital.

L'offre de Corsair sur l'axe Mayotte-La Réunion reste marginale, avec trois fréquences par semaine en haute saison. De plus, une possible alliance commerciale entre Corsair et Air Austral risque de faire disparaître la concurrence, avec pour conséquence une augmentation forte du prix des billets d'avions sur cet axe. Le seul moyen de garantir une saine concurrence sur cet axe est de forcer Air Austral à céder le contrôle de la compagnie Ewa Air aux intérêts mahorais. En résumé, la compagnie Air Austral, notamment à travers Ewa Air, joue un rôle clé dans la continuité territoriale de Mayotte. Elle opère en exclusivité des vols directs entre Mayotte et l'Hexagone et, en direct ou avec Ewa Air, la totalité des vols entre Mayotte et La Réunion à l'exception de quelques vols par semaine opérés par la compagnie Corsair international en prolongement de sa ligne Paris-La Réunion. À travers sa filiale Ewa Air, elle opère les vols entre Mayotte et Madagascar et les Comores.

C'est pourquoi le département de Mayotte est fortement intéressé à intégrer la filiale Ewa Air, et souhaite que les intérêts mahorais puissent prendre le contrôle de cette compagnie afin de garantir une saine concurrence. Toutefois, face au refus d'Air Austral de céder une partie du capital détenu sur Ewa Air, le département de Mayotte envisage la création de sa propre compagnie aérienne.

Par rapport à la période pré-Covid, la fréquence de la desserte aérienne s'est légèrement améliorée mais la ligne Mayotte-Hexagone nécessite toujours un détour par La Réunion. Les prix des billets restent très élevés. Par conséquent, le renforcement du nombre de vols directs entre l'Hexagone et Mayotte est une nécessité.

La liaison entre Mayotte et La Réunion s'est améliorée depuis quelques mois grâce à la nouvelle ligne d'Ewa Air, en plus d'une légère amélioration des prix, notamment sur la liaison Mayotte-Saint-Pierre. Cette offre reste fragile car elle dépend du bon vouloir d'Air Austral. Pour la région Réunion, la nécessité de rentabiliser la compagnie Air Austral, désormais sous contrôle d'intérêts privés, va à l'encontre des intérêts mahorais de baisser le prix du billet d'avion entre Mayotte et la métropole et entre Mayotte et La Réunion.

Sur la liaison Mayotte-métropole, la demande mahoraise concerne essentiellement le vrai tronçon de continuité territoriale, à savoir Paris-Dzaoudzi, pour lequel la concurrence est quasiment inexistante. Nous vous ferons parvenir en annexe le prix proposé pour les mêmes dates du trajet Paris-Dzaoudzi et La Réunion-Paris, qui est du simple au double. En haute saison (juillet), le prix est plus élevé de 40 % sur le trajet Dzaoudzi-Paris par rapport au tarif Réunion-Paris. Nous savons que la concurrence entre Corsair et Air Austral n'est pas réelle, mais relèverait plutôt d'une entente entre les deux compagnies, notamment depuis la crise sanitaire et leur projet de créer une alliance commerciale sur cet axe. Ainsi en 2021, dans le cadre des accords mis en oeuvre entre Corsair et Air Austral, Corsair a cessé la desserte directe de Mayotte depuis Paris et propose un vol en Boeing 737-800 affrété par Air Austral pour la continuité vers Dzaoudzi depuis Saint-Denis de La Réunion.

Vous trouverez également en annexe les prix pratiqués par les deux compagnies sur l'axe Dzaoudzi-La Réunion, de l'ordre de 400 euros l'aller-retour en classe économique, ce qui reste très élevé pour un vol de 2 heures 30. C'est donc, dans les faits, une concurrence qui n'a pas d'impact favorable sur le prix des billets d'avion pour les Mahorais.

Pour conclure, il faut reconnaître qu'effectivement il existe des dispositifs d'aide et un partenariat important avec LADOM. Néanmoins, au vu des prix des billets d'avion pratiqués par les compagnies aériennes, ces aides ne peuvent pas vraiment permettre aux Mahorais de se déplacer et notamment, de se rendre en métropole ou vers La Réunion.

Mesdames et messieurs, j'espère qu'à l'occasion de cette audition vous aurez été sensibilisés sur l'état des faits, afin de réfléchir aux mesures et dispositifs urgents et adaptés pour la population mahoraise. Je reste à votre écoute pour répondre à vos questions.

M. Jonathan Gilad, directeur de la sécurité de l'aviation civile océan Indien (DSAC-OI). - Je tiens tout d'abord à remercier la Délégation sénatoriale aux outre-mer pour son invitation à participer à cette table ronde consacrée à la continuité territoriale à La Réunion et à Mayotte. Je suis directeur de la sécurité de l'avion civile océan Indien. Dans les territoires, cette direction exerce un double rôle. D'une part, nous exerçons les prérogatives de l'autorité de surveillance en matière de sécurité aérienne et de sûreté pour l'ensemble des territoires français de l'océan Indien. Concrètement, nous veillons à ce que les opérateurs de l'écosystème aéronautique respectent et appliquent la réglementation en matière de sécurité et de sûreté. Nous les accompagnons dans les éventuelles actions correctives qu'ils doivent mettre en oeuvre.

D'autre part, je représente le directeur général de l'aviation civile pour les missions régaliennes de la DGAC, notamment en matière d'environnement et de régulation économique ainsi que dans l'accompagnement de la filière aéronautique.

En propos liminaire, je vous propose de vous présenter quelques éléments de contexte du transport aérien entre la zone de l'océan Indien et l'Hexagone. Après une description rapide des infrastructures existantes, j'exposerai notre perception de l'offre actuelle de transport aérien ainsi que les tarifs appliqués.

Dans la zone océan Indien, nous disposons de trois aéroports commerciaux certifiés, dont sur l'île de La Réunion l'aéroport de Saint-Pierre Pierrefonds et l'aéroport Roland Garros et à Mayotte l'aéroport Marcel Henry. Ces infrastructures aéroportuaires sont stratégiques pour la collectivité et les territoires ultramarins, et garantissent la continuité territoriale avec la métropole et entre les territoires de l'océan Indien.

En termes de trafic, l'année 2022 a vu une reprise forte, au-delà des attentes, principalement portée par les liaisons avec la métropole. Pour La Réunion Roland Garros, ce sont 2,3 millions de passagers qui ont transité en 2022 contre 2,4 millions en 2019. Pour Mayotte, ce sont près de 400 000 passagers en 2022 contre 388 000 en 2019.

Je vous propose de faire une description rapide du paysage concurrentiel qui a été évoqué par la vice-présidente du Conseil départemental de Mayotte.

Je vous communiquerai également quelques chiffres sur l'évolution de l'offre de sièges et des fréquences, en distinguant les liaisons La Réunion-métropole, Mayotte-métropole et Mayotte-La Réunion.

S'agissant de l'état de la concurrence, quatre compagnies aériennes proposent des vols entre La Réunion et la métropole : Air France, Air Austral, French Bee et Corsair. La métropole s'entend de Paris principalement, mais il y a également des liaisons entre La Réunion et Marseille, ainsi que Lyon.

Pour Mayotte, deux compagnies aériennes proposent des vols entre Mayotte et Paris : Air Austral et Corsair. Cette dernière pratique une escale à La Réunion dans les deux sens, tandis qu'Air Austral dispose d'un appareil qui lui permet de proposer des vols directs entre Mayotte et Paris. Toutefois en période d'été austral - c'est-à-dire en ce moment - une escale technique à Nairobi est nécessaire compte tenu des limitations techniques liées à la piste de Mayotte. À ce propos, un projet de construction d'une piste longue permettant de garantir la possibilité technique d'effectuer des vols directs entre Mayotte et Paris tout au long de l'année est en cours d'étude.

Enfin pour les liaisons entre Mayotte et La Réunion, trois compagnies proposent des vols, très majoritairement vers l'aéroport Roland Garros : Air Austral, Ewa Air et Corsair. De façon saisonnière, quelques vols sont proposés entre Mayotte et Pierrefonds mais, pour le moment, ils sont suspendus.

Un paysage concurrentiel s'est donc installé sur les lignes desservant les territoires de l'océan Indien.

Les routes aériennes entre la métropole et les départements d'outre-mer ainsi que les routes aériennes entre ces départements sont des liaisons européennes et donc à ce titre, entièrement libéralisées. Toute compagnie française et même européenne peut librement les exploiter sans limitation. Les compagnies n'ont pas besoin d'autorisation spécifique. Une simple notification à la DGAC leur suffit pour débuter leur service, si elles le souhaitent.

L'offre de sièges et les fréquences varient en fonction des périodes et présentent une forte saisonnalité.

Pour La Réunion, durant la saison IATA hiver (qui va d'octobre à mars), on constate une croissance de l'offre de sièges de l'ordre de 9 % par rapport à la période pré-Covid, soit près de 746 000 sièges pour la saison hiver 2022-2023, à comparer à 683 000 sièges pour la saison hiver 2019-2020. Cette évolution est notamment liée à l'augmentation des capacités de French Bee et à la mise en place d'un vol vers Charles de Gaulle par Air France.

Pour la saison IATA été (de mars à octobre), on constate une offre globalement stable, avec 1,2 million de sièges offerts en 2023 contre 1,03 million de sièges en 2019. Sur l'année IATA complète 2022-2023, ce sont donc près de 1,75 million de sièges offerts sur la route Réunion-métropole.

Les fréquences varient entre 24 rotations hebdomadaires sur les semaines les plus creuses à 59 rotations hebdomadaires en période de pointe.

Concernant Mayotte, l'offre de sièges a plus que doublé pour la saison IATA hiver, passant de 35 500 avant la crise sanitaire à plus de 76 000 pour la saison hiver 2022-2023, soit une augmentation de 115 %. Pour la saison IATA été, l'offre à venir serait supérieure de 71 % par rapport à la période pré-Covid, passant de 85 000 en 2019 à 145 000 en 2023.

Cette augmentation forte de l'offre de sièges s'explique par le retour de la concurrence sur cette liaison, avec l'arrivée de la compagnie Corsair.

Les fréquences vont de 6 rotations hebdomadaires pour les semaines les plus creuses à 12 rotations hebdomadaires en période de pointe.

Sur l'année IATA complète 2022-2023, ce sont près de 320 000 sièges qui sont offerts sur la ligne Mayotte-métropole.

Pour les liaisons entre Mayotte et La Réunion, l'offre de sièges a augmenté de 50 % par rapport à la période pré-Covid. Sur la période IATA hiver, le nombre de sièges passe de 94 000 sur la saison hiver 2019-2022 à 139 000 pour 2022-2023. En été, le nombre de sièges passe de 120 000 sièges offerts en 2019 à 179 000 en 2023. Sur une année complète, ce sont près de 320 000 sièges qui sont offerts sur la ligne Mayotte-Réunion.

Les fréquences vont de 9 rotations hebdomadaires pour les semaines les plus creuses à 23 rotations hebdomadaires pour les périodes de pointe.

La liberté tarifaire est la règle pour les transporteurs entre l'Hexagone et les outre-mer. En droit européen, des aménagements tarifaires sont toutefois possibles sous certaines conditions liées à l'imposition d'obligation de service public. De telles obligations de service public ont déjà été fixées pour les liaisons entre l'Hexagone et les régions ultrapériphériques, qui prévoient en particulier des réductions tarifaires obligatoires pour les mineurs, les personnes endeuillées ainsi que des possibilités d'évacuation sanitaire.

La concurrence effective sur les liaisons vers La Réunion, ainsi que la difficulté à  faire la preuve de besoins vitaux pour le développement économique et social de ces territoires, font que le cadre juridique européen ne permet pas de démontrer la proportionnalité d'une mesure imposant des prix maximum, s'il était envisagé une extension des contraintes tarifaires actuelles sur ces liaisons. En l'occurrence, ces besoins vitaux tels que la formation ou la santé, et pour lesquels les prix résultant de l'initiative commerciale des transporteurs peuvent paraître inadéquats, sont pris en compte par les aides sociales instaurées dans le cadre de la continuité territoriale.

En ce qui concerne l'évolution des prix, je laisserai la parole aux compagnies aériennes qui sont les mieux placées pour évoquer leur politique tarifaire. J'apporterai néanmoins quelques éléments de contexte pour comprendre la construction des prix. Cette construction passe d'une part par la compréhension des coûts, et d'autre part par la compréhension de la construction du prix en elle-même. Les structures des coûts sont variables en fonction des tailles de compagnies, des types de routes exploitées ou de services proposés. Néanmoins, une constante reste la part prépondérante du coût du carburant. Ainsi entre les mois de septembre 2021 et septembre 2022, le prix en euros du kérosène a presque doublé.

Un autre élément influençant la construction des prix est l'usage par les compagnies aériennes des techniques de gestion de la recette, connues sous l'appellation yield management, qui conduisent pour un même vol à proposer une multitude de tarifs différents afin de répondre aux attentes et contraintes des voyageurs. Les tarifs varient aussi en fonction de la classe de voyage, mais aussi de la date et de la durée du voyage, des conditions de modification du billet, etc.

La hausse des prix des billets d'avion sur un an peut s'expliquer par une série de facteurs propres à l'ensemble des transporteurs aériens : la hausse générale des coûts liée à l'inflation, notamment les coûts salariaux, la hausse plus spécifique du prix des carburants, l'évolution défavorable de la parité euro-dollar.

Les transporteurs devant faire face à l'augmentation de leurs coûts d'exploitation et disposant d'une trésorerie fragilisée par la crise sanitaire, se retrouvent contraints de reporter au moins en partie, toute hausse sensible de leurs coûts sur le prix du billet. En 2022, on a donc vu les prix des billets augmenter de façon significative par rapport à 2021 pour les liaisons entre la métropole et les territoires de l'océan Indien. Il convient néanmoins de noter que les prix des billets d'avion avaient fortement diminué en 2021 sous l'effet conjugué d'un nouvel entrant sur le marché et des restrictions de voyage liées à la crise sanitaire.

La hausse des prix en 2022 relève d'un effet de rattrapage, étant observé que le niveau des prix actuel est encore inférieur à 2017. La tendance structurelle sur les dix dernières années reste donc une baisse des prix. Pour autant, ces moyennes annuelles ne doivent pas occulter la forte saisonnalité des prix, notamment lors des pics de trafic constatés pendant la période estivale ou celle des fêtes de fin d'année.

En conclusion, un paysage concurrentiel s'est mis en place pour les liaisons entre Mayotte, La Réunion et l'Hexagone. Cette concurrence a contribué à augmenter l'offre de sièges et les fréquences des vols, et à amortir une partie des hausses des coûts d'exploitation par les compagnies aériennes.

M. Normane Omarjee, Conseil régional de La Réunion, vice-président délégué au désenclavement aérien, maritime et numérique. - Notre insularité crée une vulnérabilité de nos territoires, dont il découle un sentiment - avant que ce soit une réalité - d'être dans une situation d'inégalité de traitement par rapport aux Français de l'Hexagone. Je procèderai à un rappel historique pour comprendre la situation.

Dans les années 1990, quand est décidé de créer à La Réunion une société d'économie mixte actionnaire d'une compagnie aérienne, puisque la loi le permet, nous rencontrons une difficulté réelle, non de prix, mais de desserte aérienne continue.

Je mets en parallèle cette situation avec le maritime, où nous n'avons pas de desserte continue à l'heure actuelle, d'où un coût extrêmement important, entraînant un impact sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Par conséquent, le vrai sujet est à la fois ce sentiment de vulnérabilité et d'inégalités réelles et un coût de la vie excessivement important sur notre territoire. Cette problématique se retrouve dans le domaine aérien.

Nous sommes tous attachés au principe d'égalité, d'où découle la notion même de continuité territoriale. Il s'agit d'un beau principe mais qui n'a pas de valeur constitutionnelle. En 2003, le Conseil constitutionnel a affirmé que le principe de continuité territoriale était un corollaire du principe d'égalité, de sorte qu'il ne s'agissait pas en lui-même d'un principe à valeur constitutionnelle. Je vous le dis à vous, législateur : il y a un vrai enjeu de savoir ce que signifie le principe de continuité territoriale. En l'absence d'une telle définition, toutes les discussions sur le pouvoir d'achat seront à mon sens vaines, conduisant à une situation kafkaïenne.

Je veux prendre l'exemple de La Réunion car nos pères fondateurs ont été des visionnaires. Je parle de MM. Pierre Lagourgue et Paul Vergès. Quand ils prennent la responsabilité, en 1990, de créer une compagnie aérienne, Air France était en situation de monopole. Le choix courageux qu'ont opéré ces fondateurs a initialement porté sur une desserte régionale, avant de porter sur une desserte vers l'Hexagone. Ce choix a permis de rétablir la concurrence, avec un impact sur les prix.

Aujourd'hui paradoxalement, la ligne Paris-La Réunion est l'une de celles qui dessert le territoire avec quatre acteurs majeurs, sans que dans la perception du public le prix des billets d'avion ait pu baisser. Je mettrai cependant un bémol sur les prix des billets d'avion car sans être l'avocat des compagnies aériennes, il se trouve que selon le quotidien Le Parisien, qui avait établi une liste des destinations dont les prix avaient diminué au cours des trente dernières années, la ligne La Réunion-Paris a baissé de près de 25 %. C'est la réalité objective. De surcroît, nous connaissons la fragilité du secteur aérien et la vulnérabilité des entreprises qui le composent. Nous l'avons découvert lors du sauvetage d'Air Austral, qui nous a occupés ces dix-huit derniers mois, notamment en constatant les marges qui sont très faibles des compagnies aériennes. Pendant la crise Covid, Air France a bénéficié d'une aide, comme d'autres compagnies.

La question qui nous est posée à mon sens, s'agissant du prix des billets d'avion, a trait à l'égalité entre les citoyens.

Pour répondre précisément aux questions qui m'ont été posées, je suis opposé à l'idée d'un prix fixe car je considère pour ma part qu'il n'aurait pas de sens économique. Nous sommes à la fois attachés au principe de l'égalité de traitement pour rejoindre l'Hexagone et à la prise en compte de la situation économique réelle. Le vrai enjeu est de trouver, à travers le principe de continuité territoriale, une valeur constitutionnelle qui inscrirait les territoires ultramarins et leurs citoyens comme bénéficiant aussi de l'égalité de traitement. Beaucoup d'efforts ont été faits par les collectivités régionales pour pallier la carence de l'État et permettre cette continuité territoriale. Pourtant, telle n'est pas la mission d'une collectivité territoriale : ce que nous dépensons pour la continuité territoriale, nous ne pouvons pas le consacrer aux lycées, par exemple.

En son temps, le président Didier Robert avait consacré 50 millions d'euros à la continuité territoriale, ce qui avait été perçu politiquement comme une bonne mesure. Pour autant, la Chambre régionale des comptes a pointé cette mesure, ce qui a ensuite été confirmé par l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux.

Je pense donc que collectivement, nous devons mener une action. Je vous remercie à cet égard de l'initiative qu'a pris aujourd'hui le Sénat. Quand nous avons sauvé Air Austral, une levée de boucliers quelque peu démagogique a eu lieu sur le prix des billets d'avion. C'est un vrai sujet, ne le nions pas, puisqu'il existe une problématique de pouvoir d'achat sur nos territoires. Or, si nous ne consacrons pas le principe de continuité territoriale, nous resterons en permanence dans le palliatif et le correctif, sans jamais répondre de façon durable aux préoccupations des citoyens des outre-mer d'être des Français à part entière.

M. Joseph Brema, président directeur général Air Austral. - Mesdames et messieurs, merci de votre invitation à cette table ronde. J'avais préparé un document mais l'intervention du représentant de la DGAC en a évoqué la plupart des éléments. Je me contenterai donc de répondre aux points évoqués, notamment sur le rôle d'Air Austral dans la desserte de La Réunion et de Mayotte.

La compagnie Air Austral a été créée en 1990 à l'initiative du docteur Pierre Lagourgue, puis reprise par le président Paul Vergès. Précédemment dénommée Réunion Air Service puis Air Réunion, elle avait pour unique activité la desserte La Réunion-Mayotte dans le cadre d'une obligation de service public. Air Austral était donc la première compagnie à effectuer cette desserte. En 1990, nous avons eu la possibilité de desservir la ligne La Réunion-Paris, aux côtés d'autres opérateurs tels qu'Air France. Néanmoins, la desserte de Mayotte est toujours restée importante pour Air Austral, même après la cessation de l'obligation de service public à la fin des années 1990. Même après cette date, nous avons considéré qu'il était de notre obligation morale, en tant que compagnie aérienne de l'océan Indien, d'assurer la desserte de Mayotte.

En 2016, nous avons consenti un investissement important pour la desserte directe de Mayotte vers Paris, avec l'acquisition d'un Boeing 787-800.

Un élément n'a pas été suffisamment précisé par le représentant de l'aviation civile concernant la desserte de Mayotte. Il faut savoir que l'infrastructure au départ de Mayotte est contraignante pour les compagnies aériennes. En 1990, la piste mesurait 1 500 mètres, ce qui limitait le type d'avion susceptible d'y atterrir. Il n'était donc pas possible d'augmenter les fréquences. Cette situation n'a pas empêché pour autant le développement de la desserte entre Mayotte et La Réunion et entre Mayotte et Paris. Aujourd'hui, la piste mesure 1 900 mètres, ce qui limite encore le type d'appareils.

Les lignes La Réunion-Mayotte et Mayotte-Paris sont soumises au règlement européen permettant à toutes les compagnies basées en Europe de desservir ces lignes. En revanche, la contrainte liée à l'infrastructure aboutit à limiter le nombre d'opérateurs. De plus, le prix du carburant à Mayotte est le double du prix du carburant de La Réunion et de Paris. De ce fait, il est difficile pour une compagnie aérienne d'avoir un niveau de coût du carburant aussi élevé. Cet élément important explique pourquoi au départ de Mayotte, le prix est différent de celui au départ de La Réunion pour Paris. Cette différence est aussi marquée par les quatre opérateurs présents à La Réunion, qui permet d'offrir des tarifs d'appel lorsque la demande est faible.

La desserte directe Mayotte-Paris ne peut être effectuée qu'avec un seul type d'appareil, exploité avec toute sa performance sur une piste de 1 900 mètres. Air Austral a décidé d'augmenter le nombre de fréquences entre Mayotte et Paris à compter de janvier 2023. Ainsi, alors que le programme de vol modulait le nombre de fréquences en fonction de la demande de voyages, soit 6 à 7 fréquences en période de pointe et 3 à 4 fréquences en période creuse, le programme passera à une fréquence quotidienne sur Mayotte-Paris, ce qui permettra d'augmenter le volume de capacités offertes et de répondre à la demande.

Concernant La Réunion-Mayotte, trois opérateurs sont présents : Air Austral, Corsair et Ewa Air. Il n'y a pas de volonté de la part d'Air Austral de gérer la desserte entre Mayotte et La Réunion car la compagnie Ewa Air a sa propre politique commerciale et tarifaire. Par exemple, il existe une offre d'Ewa Air pour un aller-retour La Réunion-Mayotte à 129 euros alors que les tarifs d'Air Austral sont quelque peu supérieurs. Il existe donc une réelle concurrence entre ces deux opérateurs, même si la compagnie Ewa Air est contrôlée à 52 % par Air Austral.

Quant à l'évolution souhaitée par madame la présidente, c'est un point à envisager entre les actionnaires. Je laisserai donc madame la présidente se rapprocher de la Société d'économie mixte de transports aériens (SEMATRA) pour discuter des conditions dans lesquelles cette évolution pourrait intervenir. En tant que gestionnaire de la compagnie Air Austral, je réitère l'assurance que nous n'avons pas d'intervention sur la politique tarifaire d'Ewa Air, qui est libre de fixer son programme et ses tarifs entre La Réunion et Mayotte.

Concernant la continuité territoriale, nous n'avons pas, en tant que, compagnie aérienne, à intervenir dans ce domaine. Il est vrai cependant que c'est un sujet important car le déplacement des biens et des services entre Mayotte et La Réunion et l'Hexagone doit être géré par l'État. Les compagnies aériennes, ayant une activité commerciale, ne pourront pas aller au-delà de ce que les coûts leur permettront. C'est pourquoi si ces coûts sont trop élevés pour la population, il appartiendra à la puissance publique de prendre le relais et de favoriser les déplacements entre ces départements et l'Hexagone.

M. Julien Houdebine, directeur commercial Corsair. - Je commencerai mon propos par souligner que, pour Corsair, il est parfaitement clair que les territoires ultramarins, en l'espèce La Réunion et Mayotte, ont des besoins spécifiques pour le transport aérien. Pour ces territoires, le transport aérien n'est pas un luxe ni un loisir, c'est clairement un bien de première nécessité. C'est pourquoi nous travaillons avec les antennes locales de LADOM dans le cadre de la continuité territoriale.

Notre rôle en tant que transporteur aérien est d'assurer la qualité des liaisons entre ces territoires et l'Hexagone. Nous nous attachons par conséquent à améliorer, année après année, la qualité de la desserte. Il y a quelques années, notre flotte était encore composée de Boeing 747. Nous dépassions alors peu souvent le vol quotidien vers La Réunion. En outre, nous étions empêchés d'opérer sur Mayotte.

Pendant la crise du Covid, nous avons renouvelé notre flotte en acquérant des Airbus A330, qui nous permettent à la fois d'offrir une meilleure qualité de produits, puisqu'il s'agit d'A330 NEO exclusivement, qui opèrent vers La Réunion et Mayotte. De plus, ces appareils favorisent l'augmentation des fréquences. De ce fait, les dessertes de La Réunion sont a minima en vols quotidiens et peuvent monter jusqu'à 12 fréquences par semaine au départ de Paris, sans compter les deux fréquences par semaine au départ de Lyon et Marseille vers La Réunion. Pour certains d'entre eux, ces vols poursuivent vers Mayotte trois fois par semaine toute l'année et quatre fois en période de pointe durant l'été, afin d'assurer un vol La Réunion-Mayotte-La Réunion. L'objectif est de commercialiser les flux entre l'Hexagone et Mayotte mais également d'assurer les liaisons entre La Réunion et Mayotte.

Comme cela a été souligné, nous sommes contraints par les infrastructures à Mayotte, et opérons exclusivement via La Réunion. Nous souhaiterions pouvoir opérer en direct, mais notre type d'appareil ne permet pas les liaisons directes Mayotte-Paris, la piste étant trop courte. C'est plus une contrainte qu'un choix.

Par ailleurs, il a été fait état d'une forme d'entente entre Air Austral et Corsair. Je m'inscris en faux contre cette assertion. Bien évidemment, il n'existe aucune entente mais des discussions pour des accords commerciaux qui n'ont pas été mis en oeuvre. En revanche, la desserte de Mayotte a été suspendue pendant trois mois de décembre 2021 à avril 2022, ce qui a conduit Corsair à affréter plusieurs compagnies pour assurer la liaison entre La Réunion et Mayotte. Cette situation était uniquement due à des contraintes purement opérationnelles de Corsair. C'est pourquoi nous avons affrété pour commencer Ewa Air, puis une compagnie européenne qui a assuré des liaisons pour notre compagnie pendant près de deux mois, avant de conclure un accord opérationnel avec Air Austral. Par conséquent, il ne faudrait pas interpréter cette suspension temporaire comme une entente et une manière de ne pas se faire concurrence car tel n'est absolument pas le cas. La concurrence vers Mayotte et La Réunion existe et a eu pour conséquence de faire baisser les prix dans le temps pour nos clients, tant à La Réunion qu'à Mayotte.

En d'autres termes grâce à l'arrivée de Corsair à Mayotte, les prix sur la liaison La Réunion-Mayotte et depuis Paris ont baissé par rapport à la situation précédente. Tel est également le cas pour La Réunion sur une période longue depuis vingt ans, et même sur une période courte. Aujourd'hui, les prix d'appel sont inférieurs à ceux de 2013 à 2015, époque où le carburant était déjà élevé avant de baisser dans les années 2016-2017, ce qui a coïncidé avec une baisse des prix.

Corsair s'attache à développer la qualité de la connectivité entre l'Hexagone et ces territoires. La concurrence est réelle. Pour autant, nous devons faire face à un contexte d'augmentation des coûts. Pour une compagnie long courrier avant la hausse, le carburant représente environ 30 % des dépenses totales. Or le prix du carburant a doublé en dollars depuis l'an dernier, ce qui a occasionné une hausse de 30 % des prix en raison du seul effet fuel. À cela s'ajoute l'effet dollar, qui s'est apprécié par rapport à l'euro à un niveau historiquement fort. Sachant que les coûts d'une compagnie aérienne en dollars pèsent jusqu'à 60 % des coûts totaux et que l'ensemble des prix des pièces et matières premières augmentent, il nous faut répercuter cette augmentation.

De plus, comme l'a dit fort justement Normane Omarjee, les compagnies aériennes ont de faibles marges, quand elles en ont ! Nous nous attachons donc à les restaurer depuis la crise de la Covid, mais l'équilibre reste fragile. Nous nous trouvons donc dans l'obligation de répercuter la hausse des coûts, sachant que les tarifs actuels ne sont pas plus élevés que ceux pratiqués il y a quelques années, à un niveau comparable de prix du carburant. Finalement, on ne retrouve pas dans les prix aériens actuels une inflation des prix connus sur l'ensemble des biens de consommation.

Nous sommes bien conscients du fort besoin de continuité territoriale. Nous travaillons donc avec les antennes de LADOM pour appliquer les bons de réduction prévus par les dispositifs. Le changement de mode de soutien de la région Réunion coïncide malheureusement avec l'augmentation de coûts et des prix, ce qui induit un « effet de ciseau » sur les résidents de La Réunion et de Mayotte. Néanmoins, la mise en place d'un système de prix fixe ne nous paraît pas tenable économiquement. Une compagnie aérienne ne saurait se substituer aux pouvoirs publics pour assurer des mécanismes de continuité territoriale.

Nous nous attachons à développer la qualité du produit et des liaisons. Nous en voyons les effets bénéfiques en termes de prix et de développement de l'offre, qui est plus importante qu'avant la crise dans le sens Paris-La Réunion (+ 8% en 2022). La problématique du soutien reste entière, mais la modération des prix ne peut être le fait des compagnies aériennes.

M. Charles-Henry Strauss, directeur des affaires juridiques French Bee. - Un certain nombre de points ayant été évoqués durant les interventions, j'éviterai d'être redondant.

La concurrence est là, elle existe depuis des années et elle a tendance à tirer les prix vers le bas. Le modèle économique de French Bee l'a conduit à offrir les meilleurs tarifs à ses passagers. Nos avions sont modernes et hautement densifiés pour pratiquer les tarifs les plus bas.

Je souhaiterais attirer l'attention sur les coûts supportés par les compagnies aériennes. Nous avons évoqué abondamment le coût du fuel. Julien Houdebine a abordé la maintenance, qui, dans le contexte inflationniste actuel, explose par rapport à l'an dernier (+ 4 à 5 %). L'augmentation du dollar entraîne également un impact important. J'ajouterai que les différentes taxes et redevances supportées par les compagnies aériennes ont considérablement cru, à l'instar de la redevance de survol de l'Hexagone (+ 25 % en 2022) et des redevances aéroportuaires. Dans ce contexte de coûts très élevés, les compagnies aériennes ne sont pas toujours en mesure de proposer des tarifs attractifs pour le plus grand nombre.

Concernant la continuité territoriale, le dispositif avec LADOM fonctionne bien. La réforme de 2021 a entraîné un effet positif puisque le nombre de bons est en croissance. French Bee est partisan de ce type d'aides plutôt que de la mise en place d'un tarif imposé, qui de surcroît ne serait pas conforme au droit européen, sans compter qu'il serait très complexe à mettre en oeuvre pour les compagnies aériennes. C'est pourquoi nous militons pour le renforcement des dispositifs existants. Il pourrait être également intéressant de flécher des aides majorées selon la saisonnalité.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Merci à tous pour vos contributions. Je crois qu'il n'y a même plus de questions à poser tant les exposés ont été clairs et détaillés. Les propos de ce jour légitiment la mission que nous avons déclenchée. Il conviendra donc de mettre en place des dispositifs adaptés à la réalité de chacun des territoires. Je découvre aujourd'hui le fait qu'il y ait une telle activité entre Mayotte et La Réunion, de même que les problèmes de la piste de Mayotte. Je l'ai dit précédemment sous forme de boutade, mais il m'apparaît que notre mission pourrait soulever un grand nombre de « lièvres ». L'inégalité est là, bien visible dans la discontinuité territoriale. Comme l'offre de soin et de formation, le voyage devient un élément vital. Il est donc indispensable de rétablir l'équité entre tous les citoyens des territoires français, pour que tous aient un accès aux déplacements le plus équitablement possible.

Les éléments fournis par la région Réunion sur les aspects légaux et réglementaires du transport nous permettront de réfléchir à des ajustements législatifs, au-delà des propositions d'organisation. Notre mission arrive au bon moment, puisque LADOM est en pleine réforme, avec une nouvelle présidence et une nouvelle direction. Lors de la rencontre d'hier entre parlementaires de la Martinique et le ministre délégué aux outre-mer, j'ai demandé à ce dernier de bien vouloir « libérer » LADOM pour lui permettre d'être auditionnée par la délégation. Nous aurons en effet la nécessité d'ajouter des éléments de réforme issus de notre mission dans la réforme à venir de LADOM, notamment pour tenir compte des spécificités des territoires et de la baisse démographique dans certains outre-mer. D'ailleurs, les questions démographiques et celles du retour des ultramarins vers leur territoire d'origine devront aussi peser dans les réflexions concernant LADOM.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Je ne voudrais pas être redondant avec Catherine Conconne, mais je remercie vivement les intervenants de leurs différents exposés. Nous constatons combien la mobilité est un sujet majeur entre les territoires ultramarins et l'Hexagone, tout comme il peut l'être aussi en métropole entre les territoires ruraux et urbains. La mobilité est essentielle pour l'intégration dans la société, que ce soit pour l'accès aux soins ou pour l'accès aux études et au travail.

Les différentes interventions ont mis en lumière la nécessité pour l'État d'être le garant de cette égalité d'accès, de cette équité qui est toujours complexe à trouver pour rendre le droit à la mobilité effectif et efficient. Au Sénat, nous défendons le principe de différenciation et de territorialisation des solutions. Vous avez évoqué l'action de LADOM, qui est appelée à évoluer.

La jurisprudence de la Cour administrative d'appel de Bordeaux prévoit que la compétence n'appartient pas aux collectivités locales. Pour autant, nous avons bien pris note que ces collectivités intervenaient malgré tout. Je voudrais savoir si la mobilité représente un vrai sujet politique et de débat public à l'approche des échéances dans les territoires. Comment est-ce pris en compte sur le terrain ?

Mme Vivette Lopez. - J'ai l'exemple de quelqu'un qui habite à l'île de La Réunion. Alors qu'il pouvait bénéficier de la continuité territoriale chaque année, la fréquence est passée à tous les trois ans. Or, il est actuellement très compliqué de remplir le dossier demandé : en cas d'erreur, il semple que le dossier soit rejeté de sorte qu'il est nécessaire d'attendre trois ans supplémentaires pour bénéficier de la continuité territoriale. Qu'en est-il exactement ?

Mme Lorraine Nativel. - Je voudrais rassurer madame la sénatrice. Lorsqu'un dossier comporte une erreur, il n'est pas rejeté. Généralement, les services de LADOM et de la région se tournent vers l'usager pour lui demander de rectifier l'erreur ou de compléter le dossier. Le délai d'attente de trois ans n'a cours que lorsqu'un bon a été émis. J'invite donc le jeune homme à reprendre contact avec LADOM pour que son dossier soit à nouveau instruit.

Mme Nassimah Dindar. - Je félicite mes collègues pour le bien-fondé de cette mission. Nous avons eu en effet la chance d'avoir des éclairages importants, notamment sur le fait que la continuité territoriale ne serait pas un principe constitutionnel. Je remercie tous les intervenants pour leurs apports très pertinents à cette audition.

Je retiens que le transport aérien est une primordiale nécessité au regard de l'égalité citoyenne pour tous les Français. Nous l'actons aujourd'hui afin que ce bien commun soit égal et partagé entre les Français hexagonaux et les Français des outre-mer.

Je retiens en outre que la mission des compagnies aériennes est avant tout d'apporter de la desserte de qualité et d'être viable économiquement. En raison des problèmes de prix, les modes de soutien de l'État doivent accompagner toutes les compagnies aériennes et les collectivités, tout comme ils doivent apporter aux territoires les moyens nécessaires d'avoir les infrastructures adaptées.

Je retiens également que cette mobilité égalitaire ne doit pas se faire uniquement entre nos territoires et l'Hexagone mais aussi entre les territoires ultramarins. Je suis favorable à ce que la mobilité entre Mayotte et La Réunion soit mieux accompagnée. Un Réunionnais doit pouvoir se rendre à Mayotte de manière plus égalitaire et vice-versa. C'est donc un point politique que je souhaiterais voir inscrit dans notre rapport.

Tant mieux s'il existe des accords commerciaux entre compagnies aériennes, à la condition qu'ils interviennent au bénéfice des usagers. C'est pourquoi les politiques doivent admettre que les compagnies puissent être aidées et que les collectivités soient accompagnées dans leurs aides aux usagers. Enfin, il importe que ces derniers bénéficient de subventions pour faire face aux coûts des tarifs aériens car je partage tout à fait l'idée qu'un tarif fixe ne serait pas tenable.

En définitive, nous devons aider les citoyens dans leur mobilité entre les territoires de la France indivisible, qu'elle soit hexagonale ou d'outre-mer.

M. Gérard Poadja. - Il est important que la mission mène un réel travail sur les compétences de chaque collectivité, afin d'éviter des décisions de justice telles que celle de la Cour administrative d'Appel de Bordeaux.

Je note que parfois, nous rencontrons des difficultés purement techniques, avec des pistes d'aéroport non adaptées. De plus, tous les territoires n'ont pas la chance d'avoir plusieurs compagnies aériennes présentes, de sorte que le monopole reste la règle en bien des endroits. Il serait donc intéressant de tenir compte de cette situation.

Enfin, comme j'ai pu l'indiquer au Sénat en séance publique, nous rencontrons des difficultés inter-îles mais aussi pour nous rendre dans l'Hexagone. Un joueur de football originaire de mon territoire, récemment décédé en métropole, n'a pu être rapatrié facilement en raison d'un gros problème de liaisons. Je souhaiterais donc que le rapport insiste sur cet élément. À qui les citoyens doivent-ils s'adresser en matière de continuité territoriale, aussi bien dans l'Hexagone que dans les outre-mer ?

Merci à la délégation aux outre-mer, qui accomplit un travail très important pour nos compatriotes des outre-mer, qu'ils se trouvent encore sur ces territoires ou qu'ils résident dans l'Hexagone. Il est également important pour nous, élus mais également citoyens, de connaître les difficultés rencontrées par les compagnies aériennes.

Mme Victoire Jasmin. - Je souhaite simplement insister sur le fait que pour les usagers à titre individuel et les entreprises, les difficultés de la formation continue sont très importantes. Nous devons donc les prendre en compte.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je rejoins Gérard Poadja sur la continuité intérieure, qui représente un vrai problème dans les archipels.

J'apporterai une précision sur les aides de LADOM, actuellement versées sous forme de bon fixe représentant 40 % du prix du billet, mais qui ont été déterminées au moment de la mise en place du dispositif. Actuellement, ces aides ne tiennent pas compte de la variation des prix. J'ai donc attiré l'attention du ministre dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR), en lui demandant la possibilité de revoir ces aides. Il conviendrait de faire en sorte que ces aides représentent de façon effective 40 % du prix du billet, ce qui permettrait aussi de régler la problématique de la saisonnalité. Le ministre était tout à fait ouvert à cette discussion et à une révision du régime de LADOM. Nous aurons donc des propositions à faire dans le cadre de cette révision.

M. Guillaume Chevrollier. - Quelle est la part de résidents ultramarins sur vos lignes par rapport aux autres voyageurs ? Disposez-vous de statistiques précises ?

M. Charles-Henry Strauss. - Je n'ai pas la réponse mais je vous la transmettrai.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Pensez-vous qu'il soit réalisable de créer sur les territoires des petits pôles de maintenance, qui permettraient d'une part de créer de l'emploi, de développer de la technologie et d'autre part, de diminuer les coûts ?

M. Charles-Henry Strauss. - La maintenance s'effectue sous plusieurs formes. La maintenance en ligne, qui est légère, est celle effectuée à chaque escale au départ d'Orly ou à l'arrivée à La Réunion. En revanche pour la maintenance lourde, il n'existe pas d'atelier sur les territoires. Nous conduisons donc nos avions aux endroits où il y a de la place. Par conséquent, il pourrait être intéressant de développer la maintenance lourde.

M. Julien Houdebine. - Je rebondis sur l'aspect emploi. Localement, nous avons nos équipes commerciales et d'aéroport pour la maintenance légère. Nous employons une base de personnel naviguant à La Réunion, ce qui représente 40 personnes. Corsair dépasse ainsi son simple rôle de transporteur pour développer autant que possible l'emploi localement.

M. Joseph Brema. - Dans le cadre de la loi de finances 2022, a été accordée aux compagnies aériennes basées dans les outre-mer la possibilité de défiscaliser les avions long-courrier. Cette possibilité s'accompagne de la création de centres de maintenance basés dans les outre-mer. Par conséquence, il est vrai qu'en fonction du type de maintenance, il existe la possibilité pour les compagnies basées dans les outre-mer de créer des emplois et de développer sur place de la technologie pour atténuer le coût de maintenance. Aujourd'hui pour Air Austral, qui exploite des avions gros porteurs, les avions sont immobilisés dans les centres de maintenance européens, ce qui représente des coûts importants.

Je souscris donc à cette volonté de créer dans les outre-mer des centres de maintenance, en fonction du type de maintenance.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie pour cet éclairage. Je vous précise qu'une prochaine audition avec LADOM est prévue le 16 février prochain.

La séance se termine à 10 heures 25.