Mardi 1er décembre 2015

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

Audition de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique

La réunion est ouverte à 17 h 50.

M. Hervé Maurey, président. - M. le ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir. Nous avions sollicité votre venue dès l'examen de la loi qui porte votre nom, ayant de nombreux sujets à évoquer avec vous.

La question des sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) nous a beaucoup occupés il y a un an. Le groupe de travail coprésidé par Jean-Jacques Filleul et Louis-Jean de Nicolaÿ a fait des propositions et beaucoup insisté sur la nécessité d'une plus grande transparence des relations entre l'État et les SCA. J'ai écrit deux fois au Premier ministre pour connaître la teneur des accords conclus en avril, mais l'ai découverte, comme tout le monde, dans le Journal officiel du 23 août... Les travaux prévus par le plan de relance ont-ils commencé ? Quel est le calendrier ? Le versement de 100 millions d'euros à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) sera-t-il effectif dès cette année ? Le fonds d'investissement durable sera-t-il mis en place avant la fin décembre ?

Quel est le bilan de la mise en place du transport par autocar ? Quels en sont les effets sur le transport ferroviaire ?

La semaine dernière, Patrick Chaize et moi-même avons présenté un rapport sur l'aménagement numérique du territoire, fruit d'un groupe de travail créé en mars. Nous aimerions vous présenter nos dix-sept recommandations.

Nous avons dit, en séance, que nous nous réjouissions de vous voir rouvrir le dossier de la couverture mobile. Nous souhaitons que le processus se mette en place dans des conditions satisfaisantes. Mais il semble que les listes de communes non couvertes ne soient pas exhaustives... Dans l'Eure, dont je suis l'élu, le secrétaire général pour les affaires régionales a identifié huit communes quand le département en recense cent. La réalité est peut-être entre les deux... La concertation a manqué.

Le très haut débit fixe soulève deux grandes questions : comment l'État fera-t-il respecter leurs engagements aux opérateurs ? Comment faire pour que ceux-ci viennent sur les réseaux d'initiative publique (RIP), qui représentent un investissement de 11 milliards d'euros ?

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. - Je suis désolé de ne pas avoir pu venir devant vous plus tôt... Les sujets que vous venez d'évoquer sont importants ; ils ont été éclairés par vos travaux ou suscités par nos propres débats.

La négociation entre l'État et les sociétés d'autoroutes s'est achevée pendant l'examen de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. L'option retenue n'a pas été la résiliation des contrats, qui comportait des risques juridiques et budgétaires, mais la mise sous pression des sociétés afin de parvenir à un accord. La difficulté à communiquer les informations était liée au secret des affaires demandé par les sociétés d'autoroutes ; et certains détails techniques, dont le traitement fiscal de leurs contributions, étaient en discussion jusqu'à ces dernières semaines.

Nous avons progressé dans la mise en oeuvre du plan de relance, qui porte sur 3,2 milliards d'euros d'investissements pour les sept sociétés autoroutières en contrepartie d'une extension de la durée des contrats, et doit créer une dizaine de milliers d'emplois. Les sociétés ont signé les premiers contrats d'études, publié les premiers appels d'offres pour des travaux qui devront être effectués aux trois quarts par des PME, dont 55 % ne seront pas liées aux groupes autoroutiers - elles s'y sont engagées. L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) y veillera. Les investissements sont concentrés sur la période 2016-2019, mais les travaux se poursuivront jusqu'en 2025. Trente opérations sont prévues partout sur le territoire pour améliorer la sécurité ou fluidifier le trafic. Le processus se déroule conformément aux accords signés avec les sociétés. Quelques problèmes techniques ou fiscaux doivent être réglés pour que les derniers décrets paraissent. Les contrats de concession ont été rééquilibrés et stabilisés, les hausses tarifaires gelées en 2015, sans rattrapage avant 2018.

Les sociétés d'autoroutes se sont engagées à verser 1 milliard d'euros à l'Afitf, dont 300 millions d'euros au cours des trois premières années - 100 millions d'euros seront versés d'ici la fin 2015. Elles abonderont, à hauteur de 200 millions d'euros, le nouveau fonds d'investissement durable, géré sous mandat par la Caisse des dépôts. Le premier versement est prévu en décembre. Elles ont par ailleurs pris des mesures commerciales - étudiants, véhicules propres...

La réforme du transport par autocar, entrée en vigueur le 6 août, est d'application directe pour les liaisons de plus de 100 kilomètres. Nous avons publié les dispositions précisant la réglementation en matière d'équipement, de contrôle éthylique, de sécurisation des véhicules. Un décret autorisant les liaisons de moins de 100 kilomètres a été publié, après réception de l'avis conforme de l'Arafer. Toute ouverture d'une liaison de ce type doit être notifiée ; l'autorité organisatrice de transports (AOT) peut être saisie dans un délai de deux mois ; elle doit ensuite s'exprimer sur la base d'un avis conforme de l'Arafer, ce qui homogénéise le traitement des dossiers sur le territoire et facilite la prise en compte des équilibres. Nous n'avons rencontré aucun obstacle à ce stade. Le développement a plutôt porté sur des liaisons de plus de 100 kilomètres, mais le cadre juridique a été posé.

Reste le travail sur les gares routières, qui nécessite une ordonnance ; elle sera déposée dans les prochains jours au Conseil d'État après un travail technique important, mené notamment avec la sénatrice Fabienne Keller, le député Gilles Savary et les associations d'élus. L'objectif est de parvenir à un déploiement harmonisé des gares et des arrêts sur tout le territoire, avec les infrastructures nécessaires, et de prévoir des règles pour que les différentes sociétés de transport en partagent l'usage - il faut éviter les infrastructures exclusives. J'ai demandé qu'on procède à un recensement, notamment à la SNCF qui détient ou gère beaucoup de gares routières, de sorte que nous ayons une vision consolidée de la situation. M. Alain Vidalies et moi-même disposerons dans les prochains jours d'un cadre de déploiement harmonisé, l'idée étant de clarifier la réglementation applicable tant aux gares publiques que privées.

Les entreprises n'ont pas attendu l'ordonnance sur les gares routières pour démarrer leur activité. Près de 250 000 passagers ont été transportés depuis la réforme - deux fois plus qu'au cours de toute l'année 2014 ; 75 villes sont nouvellement desservies ; 275 autocars assurent chaque jour des liaisons ; 20 emplois sont créés par jour. J'aimerais que d'autres secteurs aient la même vitalité...

Nous devons désormais construire une filière. En France, seul Iveco à Annonay, construit des autocars. Je regrette d'ailleurs que, si l'équipe des All Blacks s'est déplacée dans un autocar Magelys produit à Annonay, l'équipe de France de rugby a préféré un car produit en Allemagne... Il faut que les entreprises améliorent leurs pratiques d'achat. Je leur ai demandé de privilégier les autocars produits en France ou de négocier avec les producteurs afin de favoriser l'implantation de structures de production en France. J'ai moi-même discuté avec des constructeurs tels que Daimler, actionnaire de référence de FlixBus, qui achète des autocars Iveco pour son déploiement en France et sous-traite avec beaucoup de PME. Les Allemands, qui comptaient 12 millions de voyageurs par car en 2014, contre 110 000 chez nous, fonctionnent de cette façon : 80 % des autocars circulant en Allemagne y sont produits. J'engage des discussions avec Scania, Volkswagen et Daimler. Des emplois industriels doivent être créés à côté des emplois de transport et de service dans les gares routières.

Il est un peu tôt pour connaître l'impact de la réforme sur les sociétés de transport et le ferroviaire. L'Arafer se montre très vigilante. La SNCF a considéré elle-même que la multimodalité avait un sens, puisqu'elle s'est massivement engagée dans la réforme : son opérateur Ouibus fournit, avec Transdev, l'offre la plus agressive sur le marché, en complément du ferroviaire. Le site Voyages-sncf.com propose des interconnexions entre train et autocar. La multimodalité est la bonne manière de développer le transport collectif. A ce stade la réforme n'a pas d'impact négatif.

Les difficultés de la filière ferroviaire sont antérieures à la réforme. Celles qui portaient sur la partie amont, notamment chez Alstom pour la période 2017-2020, sont en train d'être résolues grâce à la signature de contrats à l'étranger, qui rouvrent des perspectives aux sites de La Rochelle et de Belfort. Nous avons, de plus, accéléré les investissements au titre du Programme d'investissements d'avenir (PIA) avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et la SNCF, pour développer une nouvelle offre et donner du travail à Alstom-ingénierie. Enfin, Alain Vidalies a annoncé en juillet la réactivation de l'enveloppe d'investissements pour les TER et les TET.

À la suite des travaux du Sénat, la couverture numérique a été réintroduite avec volontarisme dans la loi pour la croissance et l'activité. Un arrêté du 7 novembre a établi une première liste de communes non couvertes, notre objectif étant que celles-ci soient toutes couvertes en 2G d'ici à fin 2016, et en 3G d'ici au printemps 2017. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a désormais un pouvoir de sanction contre les opérateurs qui ne s'y conforment pas. Le recensement a été mené sous l'égide des préfets, les opérateurs effectuant les tests. En cas de problème posé par la liste du 7 novembre, faites m'en part afin que je me retourne vers les préfets de région.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous ai écrit, M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. - Ce n'est pas encore venu jusqu'à moi. Quelque 171 communes ont été identifiées. J'appelle votre attention sur la distinction entre « commune » et « centre-bourg » : la loi précise que c'est celui-ci qui doit être couvert. Les opérateurs se sont rendus dans certaines communes signalées comme non-couvertes, or le centre-bourg l'était. Deux autres mécanismes aident les communes mal couvertes : l'amélioration de la transparence sur la réalité de la couverture, pour faire jouer la concurrence, et la mise en oeuvre de solutions de couverture dans les logements, en utilisant l'accès fixe à l'Internet - encore faut-il qu'elles soient disponibles chez tous les opérateurs et connues des consommateurs.

Au-delà des centres-bourg, 800 zones prioritaires seront recensées dans les prochains jours avec les associations d'élus, les opérateurs, l'Agence du numérique - le préfet Mirabaud est mobilisé et fait un travail remarquable -, selon des critères économiques, stratégiques, touristiques, de vie, pour un déploiement d'antennes-relais en complément de la couverture 2G et 3G. En juin dernier, l'ensemble des opérateurs ont signé la convention de déploiement et de financement, pour un budget de 800 millions à 1 milliard d'euros. Les travaux débuteront en 2016.

Je me suis expliqué avec les opérateurs au sujet du haut débit fixe dans les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii). La fusion entre SFR et Numéricâble a conduit à une demande de révision des accords de 2011 avec Orange, qui répartissaient la couverture à 20 %-80 %. Le dogme persistant de la concurrence par les infrastructures est une idée fausse qui crée des rentes injustifiées, une mauvaise couverture et une capture par les prix, alors que nous souhaitons une concurrence par l'offre. Si SFR-Numéricâble se déploie au-delà des 20 %, je suis prêt à rouvrir le dossier de l'équipement des zones Amii. Nous n'y sommes pas.

Dans les zones les moins rentables, où les collectivités territoriales et l'État accordent des financements dans le cadre du plan France Très Haut Débit, les projets de RIP sont regroupés. Cet été, nous avons élaboré un cahier des charges homogénéisant les offres et encadré les tarifs, certaines offres à très bas coût étant de moindre qualité. Je me suis engagé à clarifier la nature de l'offre. Un arrêté est en cours de discussion, qui distinguera la fibre du câble - ce dernier est surtout important en zone urbaine. Nous pouvons rattraper notre retard d'équipement en câble et fibre sur nos voisins en favorisant la seconde. Ce serait une erreur de déployer le câble alors que ses propriétés sont moins bonnes que celles de la fibre, surtout si nous voulons développer les objets connectés dans tous les secteurs. C'est pourquoi nous avons souhaité, avec l'Agence du numérique, que les RIP soient homogènes en matière de prix, de système d'information, d'ingénierie. L'Arcep a publié un projet de lignes directrices pour les opérateurs. L'objectif est de lancer tous les travaux dès le début de l'année 2016, puis d'accélérer. Nous sommes passés de 5 % du territoire couvert en très haut débit en 2012 à 25 %. Tous les départements ont fait part de projets. Nous devons désormais avancer à marche forcée.

M. Hervé Maurey, président. - Beaucoup de dossiers ont été présentés, mais les délais d'instruction sont de l'ordre de trois ans... Alors que le montant total des dossiers déposés est de 11 milliards d'euros, seuls quelques millions d'euros ont été décaissés, les collectivités territoriales assurant l'avance.

M. Louis Nègre. - Dans la loi du 4 août 2014, l'État se qualifie de stratège en matière ferroviaire. Quelle en est votre vision ? Lors du comité stratégique de la filière ferroviaire du 20 juillet 2015, vous avez affiché votre soutien à celle-ci, mais la situation ne s'est pas améliorée. Le plan 2017-2020 est en train de s'effondrer. Je ne suis pas opposé à des contrats à l'étranger s'ils apportent du travail en France, mais si un constructeur national a signé à l'étranger un contrat pour des centaines de locomotives et que seules cinq sont construites dans notre pays...

J'entends vos propos sur le PIA, l'Ademe et la SNCF. Quelle en est la signification concrète ? Nous attendons tous une décision sur les TET depuis le mois de juillet. Les industriels souhaitent de la visibilité. Quelles sont vos propositions ? Quel est votre calendrier ?

L'École polytechnique de Lausanne a souligné à plusieurs reprises le mauvais état de notre réseau ferroviaire. Il est nécessaire, non de le renouveler, mais de le moderniser. SNCF Réseau dit être au maximum de ses capacités. L'industrie propose une aide en conception, en réalisation, voire davantage, pour améliorer la compétitivité. En tant que président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF), j'ai soumis cette idée à M. Rapoport, président de SNCF Réseau. Son impression n'était pas négative. Avançons.

Vous avez courageusement ouvert le secteur des autocars à la concurrence - même si nous souhaitions tous ici que le seuil soit établi à 200 kilomètres. Je m'en félicite. Qu'attendez-vous pour faire de même pour les TER, dont le coût du train-kilomètre est de 19 euros en France contre 10 euros en Allemagne ? Les derniers sondages montrent que 80 % de la population française est favorable à l'ouverture à la concurrence... Nombre de régions y sont prêtes, non en 2026 mais dès 2019.

M. Rémy Pointereau. - Le Gouvernement est en pleine contradiction : alors que la COP21 se déroule à Paris, de nouveaux permis d'exploration pétrolière ont été délivrés dans la Seine-et-Marne, la Marne et le Bas-Rhin. La schizophrénie est aussi de mise dans le domaine des autocars, qui dégagent davantage de CO2 que le train et assèchent les lignes ferroviaires en déshérence - qu'on finira par supprimer.

Comment l'industrie automobile réagit-elle à la crise que Volkswagen traverse en Allemagne ?

Mme Évelyne Didier. - L'emploi est la première préoccupation des Français. Depuis 2012, les politiques financières et budgétaires ont renforcé considérablement les moyens des entreprises, même si le Medef en demande toujours plus. Peut-on faire le bilan de ces aides ? Les emplois attendus ont-ils été créés ?

La relance du plan autoroutier favorisera-t-elle l'emploi dans le BTP ? Le président de la Fédération nationale des travaux publics, M. Cavagné, estime que le plan empêchera la casse des emplois mais n'en créera pas. Avez-vous procédé à une évaluation ? Si la SNCF met en place la multimodalité, pourra-t-on encore l'appeler ainsi et non SNCM, M pour mobilité ? Vous réaffirmez le gel tarifaire des autoroutes, mais j'ai entendu qu'on annonçait une hausse prochainement. Je souhaite des précisions.

M. Jean-François Longeot. - L'argent de la cession par Alstom de ses activités énergétiques à General Electric réduira sa dette. Mais Alstom ne pèsera plus que 6 milliards d'euros, derrière Bombardier, 8 milliards, et les Chinois, entre 18 et 20 milliards. Alstom, l'un des acteurs les plus petits du marché, est-il en capacité d'acheter la branche transports de Bombardier ? Le carnet de commandes mondial d'Alstom est bien rempli. En revanche, l'entreprise connaît des difficultés sur le marché national, qui représente un quart de son activité. La contraction des budgets de l'État et des collectivités territoriales réduit significativement ses opportunités commerciales et fragilise sa base industrielle, qui concerne 30 % des effectifs du groupe, soit 9 200 collaborateurs répartis sur douze sites, et 25 000 personnes dans le réseau de ses fournisseurs. Quatre projets semblent structurants : le TGV du futur, le RER parisien, le métro du Grand Paris et le renouvellement des TET. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

M. Claude Bérit-Débat. - Merci, monsieur le ministre, de la précision de vos réponses. Je suis très favorable à la mise en place du transport par autocar. Peut-on déjà faire un bilan par département ou par région ? Quid de la desserte des territoires ruraux ? Quelles lignes ont été les plus fréquentées ? Je souhaite des informations complémentaires sur la mise en place des gares ou arrêts : qui les finance ? Des aides sont-elles disponibles ?

La couverture numérique des centres-bourg suffit-elle ? L'habitat peut être très dispersé, la zone commerciale située à quelques kilomètres du centre, en zone blanche. Les élus ne comprennent pas, ou contestent les études.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Dans la Sarthe, cinq communes sur 375 ont été identifiées comme n'étant pas couvertes par la téléphonie mobile. L'enquête que nous, sénateurs de la Sarthe, avons menée, révèle que 260 communes se plaignent de leur couverture. La proportion est un peu différente... Le département de la Sarthe investira 160 millions d'euros dans le numérique au cours des six prochaines années ; 30 à 40 millions d'euros resteront à la charge des communes. Les collectivités territoriales, qui souffrent de difficultés financières, peuvent-elles contracter des prêts à très long terme pour financer ces investissements dans le très haut débit ? Il reste à charge entre 300 et 500 euros par prise... Sans moyens exceptionnels, elles n'y arriveront pas.

Vous avez demandé aux sociétés d'autoroutes de faire travailler les entreprises françaises. Adoptez-vous la même démarche pour le développement de la fibre optique, en faveur d'entreprises comme Acome, dans le département de la Manche ?

M. Jean-Jacques Filleul. - Merci d'avoir tenu parole, monsieur le ministre. Lors des débats sur la loi pour la croissance et l'activité, vous aviez indiqué que les décrets d'application seraient concertés ; vous nous avez rencontrés trois mois après la promulgation de la loi. Il restait quelques décrets à publier. Où en êtes-vous ?

Je me félicite du bon travail de suivi sur les autoroutes. Le plan de relance se monte à 3,2 milliards, ce n'est pas rien. La promesse est tenue de faire leur place aux petites entreprises de travaux publics. Il est important de construire une filière dans le secteur des autocars, l'industrie française doit retrouver sa place.

Je me suis inquiété du sort d'Alstom auprès du ministre des transports. Quelle est la situation de l'entreprise et de ses usines en France ? Le président actuel et le futur président d'Alstom ont déclaré que les commandes en cours irrigueraient normalement la plupart des sites en France. Pouvez-vous faire le point ?

La création de l'Arafer représente un progrès fantastique. Elle suivra les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Son président Pierre Cardo s'est inquiété des moyens mis à sa disposition pour accomplir ses nouvelles missions. Confirmez-vous qu'ils lui seront accordés ?

M. Alain Fouché. - Vous avez rappelé l'obligation faite aux sociétés d'autoroutes de faire travailler des entreprises locales. Cela devra être suivi de très près. Dans mon département de la Vienne, l'entreprise nationale qui construit la ligne à grande vitesse n'a pas tenu ses engagements en la matière...

Les contraintes administratives freinent la création de petites entreprises. La dématérialisation est source de nouvelles difficultés. Certains indépendants sont dans l'incapacité pratique de payer la cotisation foncière des entreprises (CFE) faute de trouver l'avis d'imposition sur leur compte en ligne. Le régime social des indépendants (RSI) n'est pourtant pas dématérialisé, mais le 11 novembre, certains indépendants n'avaient toujours pas reçu leur appel à cotisation à payer avant le lendemain. Il faut simplifier. Le ministère de l'économie compte-t-il se saisir de ce dossier ?

M. Patrick Chaize. - Le recensement des zones couvertes en téléphonie mobile, engagé à votre initiative, est très hétérogène selon les régions et départements. Je vous remercie de laisser ouvert votre arrêté afin que des communes puissent être ajoutées. Vous avez évoqué l'encadrement nécessaire de la tarification du très haut débit pour éviter des prix trop élevés. Paradoxalement, la tarification proposée par l'Arcep pour les offres activées est jugée trop haute. Attention à ce que les petits opérateurs ne fuient pas les RIP. La notification à Bruxelles du plan France Très Haut Débit n'a pas reçu de réponse positive. À en croire Axelle Lemaire et Antoine Darodes, vous êtes plutôt optimiste. Qu'en est-il ?

Mme Nelly Tocqueville. - On ne peut que se féliciter de l'inscription dans la loi de dispositions relatives à la couverture mobile. Cependant, l'article 119 de cette même loi réforme le service universel en supprimant les cabines téléphoniques - symbole d'un paysage ancien mais utiles. Les élus ruraux s'en inquiètent, puisque la couverture totale de zones où l'habitat est dispersé ne sera jamais possible. Ne peut-on retarder la suppression des cabines en attendant la réalisation du programme de résorption des zones blanches ?

M. Pierre Camani. - Je salue l'ambition du plan France Très Haut Débit. Le déploiement de la fibre optique dans le département du Lot-et-Garonne, que je préside, représente un investissement de 130 millions d'euros, c'est-à-dire deux tiers de sa dette en capital. Grâce aux financements associés au plan, il devient possible. Nous attendons votre signature, monsieur le ministre, pour engager les travaux. Il faut accélérer les procédures.

Les opérateurs manquent de transparence. Comptez-vous prendre des mesures pour assurer le respect par les opérateurs privés du déploiement du très haut débit fixe, et assurer cette transparence ? Nous avons besoin d'une modification de la réglementation pour fédérer les RIP afin de les commercialiser.

M. Hervé Maurey, président. - C'est une de nos propositions.

M. Michel Raison. - Merci de votre respect pour les parlementaires, ce n'est pas le cas de tous vos collègues... Je ne remets pas en cause la facilitation du transport par autocar, mais je suis toujours inquiet du déséquilibre en défaveur du ferroviaire. Vous affirmez qu'il n'y a pas d'impact sur le rail, mais ce n'est pas ce que disent les dirigeants de la SNCF. Leur politique consiste à fermer les lignes très peu rentables - j'ai eu une entreprise : si j'avais coupé toute activité dès qu'elle n'était pas rentable, je n'aurais plus eu d'entreprise... En facilitant le transport par autocar, on renforce la mauvaise gestion des lignes. Le ferroviaire, le meilleur des transports, subit forcément une distorsion de concurrence avec la route puisque le passage sur les voies ferrées est cher. La SNCF est une belle entreprise qui souffre de gros défauts. Je ne connais que la mise en concurrence pour la stimuler. Je ne veux pas qu'on se réjouisse maintenant de la présence des bus sur la route et qu'on se désole, dans quelques années, de la mort à petit feu de la SNCF.

M. Jean-François Mayet. - Équiper les zones dépourvues de haut débit est un challenge pour les prochaines années ; il y va du développement économique, notamment du télé-emploi. La fibre est la solution royale mais elle coûte très cher en génie civil et construction de réseau. On aura du mal à en équiper les zones non densifiées. Je n'entends presque pas parler du satellite, parfaitement adapté à ces zones, comme il l'est en Afrique. Cette solution coûte moins cher que d'autres. Pourquoi ne pas l'étudier ?

La nuit dernière, près de chez moi, un accident très grave a été provoqué par un automobiliste qui avait emprunté l'autoroute à contre-sens. Ces accidents se multiplient, sans doute en raison du vieillissement de la population. Une solution peu onéreuse consisterait à installer un capteur sur les bretelles d'accès qui repère les véhicules en contre-sens et affiche un message « stop » sur un panneau. Pardonnez cette suggestion culottée...

M. Emmanuel Macron, ministre. - La rapidité de traitement des dossiers « très haut débit » par l'Agence du numérique aurait pu être accrue par une meilleure organisation. Les premiers dossiers, très hétérogènes, manquaient de cadrage, ce qui a rendu nécessaire l'élaboration d'un cahier des charges ; il fallait aussi attendre les lignes tarifaires de l'Arcep. L'accélération des délais de traitement est une priorité de mon ministère. Nous déploierons des moyens supplémentaires s'il le faut. Beaucoup de temps a été passé à accompagner les collectivités territoriales dans la constitution des dossiers. Le montant de 1,5 milliard d'euros engagé est suffisant. Nous sommes maintenant en phase de production. Je vous transmettrai le calendrier de programmation au premier trimestre 2016.

La tarification de l'accès aux RIP ne doit être ni trop basse, pour éviter le dumping, ni trop haute, pour ne pas pénaliser certaines collectivités territoriales. Le président de l'Arcep s'est fortement exprimé sur ce sujet. Les offres activées entrent dans ce cadre, parce qu'elles font émerger des propositions innovantes et intéressantes. L'incrément d'offre qu'elles apportent doit être ajouté aux plafonds des lignes directrices classiques. S'ils étaient trop bas, ils pénaliseraient ceux qui apportent une offre différenciée.

La couverture des centres-bourg sera améliorée. Je saisirai à nouveau les préfets de région. Les désaccords entre maires et préfets reposent sur le fait que les essais sont réalisés sur une zone fixe à partir d'un point de référence, la localisation de celui-ci étant parfois difficile, et sur le fait que l'intérieur des bâtiments peut être mal desservi. Au-delà de ces points techniques, l'insatisfaction des communes porte sur les zones éloignées du centre-bourg. La réconciliation ne sera jamais complète...

Les regroupements de projets RIP font l'objet d'une disposition dans le projet de loi sur le numérique. Nous serons vigilants à ce que l'offre corresponde à ce qui est le plus efficace.

Le plan Juncker peut financer les projets d'infrastructures par des prêts longs à faible taux. Un guichet de la Caisse des dépôts propose également des financements longs dans le cadre du plan France Très Haut Débit.

Le soutien à la filière française de fibre optique a été signifié aux opérateurs. Je me suis déplacé chez Acome dans la Manche, une entreprise remarquable. Draka est aussi un acteur d'importance. La France produit 50 % de la fibre européenne. Les acteurs sont au sommet de leur art, leurs carnets de commande sont remplis.

Le plan France Très Haut Débit a été notifié à la Commission européenne. L'interrogation porte sur le financement de la montée en débit de l'opérateur historique sur la partie cuivre - une spécificité française. J'ai discuté lundi avec la commissaire Vestager, qui m'a envoyé des signaux très favorables. La Commission, qui reconnaît l'absence d'abus, doit construire un cadre juridique justifiant cette situation unique sans qu'il puisse être répliqué ni détourné. Aucun pays ne dispose d'un réseau de cuivre porté par l'opérateur historique comme le nôtre. En l'espèce, Orange n'agit pas comme opérateur de premier rang mais pour le compte des autres opérateurs et des collectivités territoriales. Je continue à être rassurant, le débat ne portant pas sur le fond.

Nous avons modernisé la notion de service téléphonique universel. Quand la couverture sera satisfaisante, les cabines téléphoniques seront enlevées, sauf à envisager des usages autres que la téléphonie ou l'attachement à un symbole de notre imaginaire collectif... Orange s'est engagé à ne supprimer aucune cabine sans vérification de la couverture, sans concertation locale préalable, sans proposition de solutions alternatives aux collectivités territoriales telles que l'installation de bornes d'appel d'urgence.

Les lignes directrices de l'Arcep ont pour objectif d'apporter de la transparence sur les tarifs ; quant à la transparence sur la nature de l'offre, elle fait l'objet de l'arrêté qui sera pris dans les prochaines semaines.

La solution satellitaire, qui a été étudiée de près, est une bonne solution pour les zones très peu denses, comme en Afrique, mais n'est pas satisfaisante sur notre territoire car son maillage est beaucoup moins fin. En outre, nous ne pouvons pas la déployer dans un délai qui remettrait en cause le plan France Très Haut Débit. Nous l'envisageons à titre expérimental, et participons aux opérations africaines.

L'État est stratège dans le ferroviaire parce que la France est la troisième économie ferroviaire au monde après la Chine et l'Allemagne, parce que 70 % de l'activité est encore liée au territoire français, parce que ce secteur représente des emplois, de l'excellence industrielle, de la commande publique, parce que l'État est actionnaire de nombre des entreprises du secteur. L'État est aussi présent chez Alstom puisqu'il a repris les droits de Bouygues au capital.

L'État est stratège aussi parce qu'il accompagne la transformation du modèle. Le ferroviaire ne sera pas dans trente ans ce qu'il est aujourd'hui. Le double défi réside dans la modernisation du parc français et la conquête des marchés à l'international. En France, il faut améliorer l'offre en innovant et penser les nouvelles formes de mobilité. La SNCF doit se repenser dans la multimodalité et la complémentarité. Nos concitoyens à l'avenir ne voudront pas prendre le train mais un service de mobilité les conduisant rapidement d'un point A à un point B, dans la sécurité. La SNCF a un rôle critique à jouer. Où sera à l'avenir la valeur ajoutée ? Dans la capacité à créer des offres, dans la connaissance du client. Le site Voyages-sncf.com produit déjà une grande part de valeur pour de la SNCF. À l'avenir, la matière lourde perdra de la valeur, et la capacité à créer des solutions pour le consommateur final en gagnera.

La bataille à l'international, voilà le vrai plan de charge. Ces deux dernières années, l'État a prêté 1,5 milliard d'euros sur des projets ferroviaires à l'étranger. De nombreux marchés ont été gagnés hors de nos frontières, au Maroc, en Algérie, en Suisse... L'offre française est excellente. L'équipe de France doit jouer groupé, c'est vrai aussi dans le nucléaire. Elle peut être compétitive de deux manières : en proposant une équipe du ferroviaire, des sociétés de transport jusqu'au constructeur, ou une offre groupée « ville et mobilité ». Quand un pays vous a accordé le marché du métro dans sa capitale, il vous choisit pour le train... Le défi à court terme est le plan de charge de 2017-2020. Je m'engage à ce que la situation des TER-TET soit clarifiée d'ici la fin de l'année. Je suis confus que nous ayons tant tardé, même si c'est pour des raisons juridiques légitimes. Je travaille main dans la main avec Alain Vidalies.

J'avais proposé, dans le projet de loi pour la croissance et l'activité, l'ouverture des TER à la concurrence. Il en a été décidé autrement. Le rapport Duron propose des pistes pour les TET. Cela participe d'une amélioration de la compétitivité du secteur. La SNCF est prête, elle est performante ; l'ouverture ne se fera pas contre elle.

M. Pointereau m'a interrogé sur la cohérence de notre politique. Les permis accordés en matière d'hydrocarbure sont des renouvellements totalement conformes à la loi. Mon principe est simple : quand des entreprises ont investi, font travailler des employés et émettent une demande conforme à la loi, il est mieux de nous y conformer nous-mêmes. Cohérent ou pas, c'est l'idée que je me fais de mon rôle. Nous ne pouvons pas ouvrir aujourd'hui le débat sur le code minier, mais le texte est prêt. Je suis prêt à vous le transmettre. La charte « mine responsable » fournit, elle aussi, un cadre.

La réforme du transport par autocar est véritablement verte. L'impact carbone serait négatif si les voyageurs qui prenaient massivement le train se reportaient tous sur l'autocar. Le train va certes plus vite et est plus confortable... En fait, l'autocar se substitue à une couverture ferroviaire défaillante, au covoiturage, au véhicule individuel ou à l'absence de mobilité. Ce dernier cas apporte le seul bilan carbone négatif. Il faut penser la mobilité. Veut-on une société comme celle des Amish, s'éclairer à la bougie, se déplacer en charrette ?

Le Volkswagengate n'est pas un dieselgate. Nos constructeurs ont fourni beaucoup d'efforts pour réduire les émissions de leurs véhicules. Ne confondons pas les sujets. Volkswagen est un acteur de l'industrie automobile française, comptant beaucoup de sous-traitants. Nos constructeurs sont soumis à des tests, dont les résultats seront publiés. L'amélioration de la transparence de l'information est un défi collectif. Les tests sont effectués sur banc d'essai et non en conditions réelles, ce qui explique les écarts qu'on constate. Il n'y a pas en France de pratiques comparables à celles de Volkswagen.

Les villes desservies par autocar sont mentionnées sur une carte disponible sur le site economie.gouv.fr, à la page sur la loi pour la croissance et l'activité. 60 % de ce texte est d'application directe. Une douzaine de décrets ou d'arrêtés ont déjà été publiés, notamment sur les autocars, le travail du dimanche et le permis de conduire. Plusieurs dizaines de décrets sont en préparation ou soumis au Conseil d'État, afin que mon engagement de publication de 85 % des textes réglementaires six mois après la promulgation de la loi soit tenu. J'organiserai une réunion d'étape fin janvier ou début février.

L'Arafer recevra les moyens nécessaires. Son plafond d'emploi a été passé de 62,5 à 68 ETP dès 2016. Son budget atteint 12 millions d'euros en 2016.

Je ferai des propositions dans le projet de loi Nouvelles opportunités économiques (Noé) pour faciliter la vie des indépendants et simplifier les éléments déclaratifs. Il faut souhaiter aux indépendants de devenir mandataires sociaux... Je ne gère pas le RSI. À titre personnel, je pense que les indépendants gagneraient à rejoindre le régime général. Le RSI a été créé par une majorité précédente, à leur demande. C'est une mauvaise idée. Les indépendants doivent aller au bout de leur logique. Il ne faut pas confondre l'existence du régime et les charges, celles-ci couvrent des risques. Le régime des indépendants, en raison de son équilibre démographique, est débiteur du régime général.

M. Michel Raison. - Les indépendants croient que le taux est élevé parce qu'ils sont au RSI, or il est élevé pour tous.

M. Emmanuel Macron, ministre. - Il y a un peu de pédagogie à faire... Les difficultés qu'ils rencontrent sont plus économiques que fiscales. Et l'augmentation massive de la CFE est imputable aux intercommunalités, non au Gouvernement. Le système doit être simplifié dans son ensemble.

Plusieurs projets du Grand Paris ont été lancés. L'opération concernant Alstom a été subie dans un premier temps, l'État n'étant pas actionnaire. Je veux vous rassurer. Des garanties ont été obtenues. Les interrogations portent plus sur les sites allemands que les sites français.

Mme Évelyne Didier. - Et le site alsacien ?

M. Emmanuel Macron, ministre. - Le site alsacien dépend largement de la clarification appelée par le président Nègre. Le défi d'Alstom est de grandir. Assez peu de synergies existaient entre l'énergie et le ferroviaire. Maintenant qu'Alstom est concentré sur le ferroviaire, nous allons l'aider à se développer ; son désendettement lui permettra d'investir, d'acquérir des concurrents à l'étranger. L'État, qui détient 20 % des droits de vote, accompagnera sa croissance. Alstom affronte deux défis : le plan de charge intérieur et la conquête de marchés à l'international, où les deux concurrents chinois nous taillent des croupières. Le déploiement international est prioritaire. La logique est offensive.

M. Hervé Maurey, président. - Merci pour toutes ces réponses précises. Nous avons noté que vous étiez prêt à venir une fois par trimestre et aurons plaisir à vous accueillir à nouveau.

La réunion est levée à 19 h 30.

Mercredi 2 décembre 2015

- Présidence de M. Rémy Pointereau, vice-président -

Maintenir et développer sur l'ensemble du territoire national une offre de transport ferroviaire régional de qualité - Examen du rapport et du texte de la commission

La réunion est ouverte à 9 h 35.

M. Rémy Pointereau, vice-président. - Nous avons désigné Evelyne Didier rapporteure de sa proposition de loi, le 4 novembre dernier. Ce texte, qui comporte quatre articles, sera inscrit à l'ordre du jour dans l'espace réservé au groupe communiste, républicain et citoyen du jeudi 10 décembre 2015. L'article 1er s'inscrit dans la suite de l'audition de M. Macron, hier, puisqu'il s'agit de revenir sur la libéralisation du transport par autocar. La proposition de loi touche à deux autres sujets que notre commission a eu l'occasion d'aborder : la régionalisation du versement transport et le taux de TVA sur les transports publics.

Mme Évelyne Didier, rapporteure. - La proposition de loi qui nous réunit ce matin doit être examinée au regard de notre compétence en matière de transports, mais également d'aménagement du territoire, et évidemment de développement durable. Elle s'inscrit, de fait, dans une démarche globale, toujours défendue par les membres du groupe communiste, républicain et citoyen, qui considèrent le transport comme un service public et non un service marchand.

Qu'est-ce que cela implique ? Cela signifie que chaque citoyen doit pouvoir disposer du même service, quel que soit l'endroit où il habite et le lieu où il travaille. C'est un point essentiel en termes d'aménagement du territoire. Comme pour le déploiement du numérique, le développement des infrastructures routières, l'accès aux soins, les services postaux ou bancaires, c'est l'ensemble de notre territoire national qui doit être irrigué par des services de transport de qualité au bénéfice de l'ensemble des citoyens.

Si l'on assimile le transport public à un service marchand, on laisse la logique de rentabilité et de recherche de profit prendre le dessus, avec les conséquences que l'on connaît : la notion de service est réduite à peau de chagrin, et les mécanismes de péréquation aussi ; seules les lignes de transport les plus rentables sont maintenues, au détriment des lignes capillaires.

Cela a deux effets. Sur le plan social, on laisse au bord du chemin tous ceux qui n'ont pas les moyens d'habiter le long de ces axes considérés comme rentables. Sur le plan environnemental, on supprime une incitation à recourir au transport collectif, alors que c'est aujourd'hui l'un des principaux leviers disponibles pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre - comment l'ignorer en cette période de COP 21 ?

C'est pour ces raisons que nous refusons la libéralisation des transports par autocar prévue par la loi « Macron », et proposons de l'abroger, à l'article 1er de la proposition de loi. Car cette réforme revient à abandonner toute logique de péréquation dans l'organisation des transports collectifs. Les entreprises d'autocar pourront intervenir comme elles l'entendent, exploiter les lignes les plus rentables, engranger des profits, et tant pis pour ceux qui n'habiteront pas dans les territoires ainsi irrigués. Nous l'avons évoqué hier soir lors de l'audition du ministre : les entreprises pratiquent des prix d'appel, pouvant descendre jusqu'à un euro sur certains trajets, même longs, mais lorsqu'elles auront ainsi tué la concurrence, elles reverront ces tarifs.

Autant dire que cette libéralisation met frontalement en concurrence deux modes de transport, le mode ferroviaire et le mode routier, dans des conditions très inéquitables.

En effet, le mode ferroviaire qui est plus vertueux en matière de protection de l'environnement et de la santé mais aussi de sécurité, mériterait d'être encouragé. Or, il doit supporter des coûts importants liés à son infrastructure, au moyen des péages. Les autocars, eux, contribuent à peine à l'entretien des infrastructures routières - ils ne paient des péages que sur les autoroutes -, alors qu'ils contribuent fortement à les dégrader, et que leur impact sur la qualité de l'air a un coût élevé pour la société.

Cette mise en concurrence déloyale risque d'écarter du rail de nombreux usagers et d'amorcer une spirale négative, la baisse de fréquentation provoquant une perte de recettes pour les trains express régionaux et pour les trains d'équilibre du territoire, et rendra ces transports ferroviaires encore plus chers, au moment où ils seront moins utilisés. Du même coup, les autorités organisatrices seront moins encouragées à investir dans le domaine ferroviaire, ce qui dégradera la qualité du service public ferroviaire et écartera encore davantage d'usagers de ce mode de transport, et ainsi de suite jusqu'à la disparition de nombreuses lignes. En poussant cette logique à l'extrême, seules les lignes TGV les plus rentables seraient maintenues.

Et je parle bien du présent, non d'un futur lointain, car certains craignent déjà l'abandon, par les régions, de certains services ferroviaires, plus coûteux, au motif qu'ils sont désormais assurés par ces autocars privés. Ce matin même, la radio faisait état de la grogne des régions qui menacent la SNCF de se détourner de ces services.

C'est pour toutes ces raisons que nous souhaitons abroger la libéralisation des transports par autocar sans tarder, tant qu'il est encore temps.

Mais nous sommes aussi conscients que le maintien d'un service public de qualité exige des moyens financiers. Or, ceux-ci font cruellement défaut aux régions, pourtant devenues autorités organisatrices des transports ferroviaires régionaux en 2002. Faut-il rappeler qu'elles ont été les grandes perdantes de la suppression de la taxe professionnelle ?

Si l'on pouvait avoir des doutes, comme ce fut notre cas, sur l'intérêt d'un transfert aux régions de ce service public national, force est de constater qu'elles ont pris la mesure de leurs responsabilités dans ce domaine. Elles ont ainsi dépensé, en 2013, 6,8 milliards d'euros au titre de leur compétence « transports » - c'est leur premier poste budgétaire. Au sein de cette enveloppe, 3,9 milliards étaient destinés au transport ferroviaire régional, dont 2,8 milliards d'euros pour l'exploitation des TER. Ces chiffres sont en constante augmentation au fil des ans, compte tenu de l'inflation ferroviaire. Les régions ont ainsi dû assumer une partie des augmentations successives de la TVA applicable aux transports, passée de 5,5 % à 7 % en 2012, puis à 10 % en 2014. Certes, elles n'ont pas été les seules à supporter cette hausse - les autres autorités organisatrices de la mobilité, les opérateurs et les usagers l'ont aussi subie -, mais l'impact de ces hausses doit être pris en compte.

Je rappelle aussi que les régions vont récupérer, à partir de 2017, les compétences des départements en matière de transport, en application de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). D'après l'Association des régions de France, cela représentera près de 4 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Si une compensation de ce transfert est prévue, les régions auront tout de même besoin d'une recette supplémentaire, pour assumer leurs dépenses actuelles en matière de transport ferroviaire et développer l'offre.

C'est la raison pour laquelle le Sénat avait instauré, dans la loi de réforme ferroviaire d'août 2014, un versement transport au profit des régions, dit interstitiel car il n'aurait été applicable qu'en dehors des périmètres de transports urbains (PTU) sur lesquels les autorités organisatrices de la mobilité sont compétentes. Ce versement transport, dont le plafond avait été fixé à 0,55 % de la masse salariale, et qui devait rapporter quelque 450 millions d'euros, avait néanmoins été supprimé avant même sa mise en oeuvre, à la demande du Gouvernement, dans la loi de finances pour 2015.

Pour résorber les difficultés de financement que rencontrent les régions, nous proposons donc, à l'article 2, de rétablir un versement transport à leur profit, formé de deux composantes. En premier lieu, un versement transport additionnel, dans la limite de 0,2%, qui s'ajouterait au versement transport déjà perçu par les autorités organisatrices de la mobilité dans leur ressort territorial ; cela rapporterait près de 475 millions d'euros aux régions. En second lieu, un versement transport interstitiel, dans la limite de 0,3 %, sur les territoires situés hors du ressort territorial des autorités organisatrices de la mobilité. Ce versement, d'autant plus justifié que les régions vont désormais intervenir sur ces territoires, leur rapporterait 228 millions d'euros.

Enfin, nous proposons, à l'article 3, de rétablir un taux réduit de TVA de 5,5 % sur les transports publics urbains et interurbains de voyageurs. Un tel taux ayant déjà été appliqué aux transports par le passé, on ne pourra pas nous opposer sa non-conformité au droit européen. La mesure bénéficierait aux usagers de ces transports, ainsi qu'à l'ensemble des autorités organisatrices de transport, régions et autorités organisatrices de la mobilité, ainsi qu'aux entreprises. Elle s'inscrit dans la même logique, qui tend à permettre aux autorités publiques de maintenir un service public de qualité, offert de façon uniforme sur l'ensemble du territoire et pour tous les Français.

L'article 4 prévoit, pour compenser les pertes de recettes liées à cette réduction du taux de TVA, une baisse du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE, étant entendu que l'amélioration des transports bénéficiera aussi largement aux entreprises.

Au-delà de nos divergences politiques, je suis certaine, en cette période d `élections régionales, que vous serez sensible à la nécessité de dégager des marges de manoeuvre financières pour les autorités organisatrices de transport, en particulier régionales, dont l'action en matière de promotion du transport ferroviaire est, je crois, reconnue par tous.

M. Rémy Pointereau, vice-président. - Il est vrai qu'au-delà de nos divergences politiques, il est des points sur lesquels nous pouvons nous accorder, comme la préservation du service public et la réduction du taux de TVA.

M. Jean-Jacques Filleul. - Je salue notre rapporteure pour la qualité de son propos et son engagement. Je regrette, cependant, que sa proposition de loi parte d'un constat erroné, tant sur l'interprétation des préconisations du rapport de la commission sur l'avenir des trains d'équilibre du territoire, dit rapport TET que sur l'ouverture de nouvelles lignes d'autocar, autorisée par la loi « Macron » pour la croissance et l'activité, et sur laquelle vous entendez revenir.

Alors que vous faites du droit à la mobilité la pierre angulaire de votre texte, ce que vous proposez ne la favorise guère. Pour assurer ce droit, l'essentiel est en effet d'assurer une complémentarité entre les modes de transport, et c'est précisément ce que fait la loi « Macron », en permettant le développement d'une offre de mobilité là où elle n'existait pas.

Après avoir constaté la dégradation de cette offre, le rapport TET propose des pistes pour développer une offre pertinente entre les TER (trains express régionaux) et les TGV (trains à grande vitesse), en prenant en compte les besoins des usagers. Or, ce n'est pas exactement ce qu'il ressort de votre exposé. Ce rapport, sur lequel nous sommes quelques-uns à avoir travaillé, préconise non pas d'abandonner des lignes, mais de redynamiser et d'adapter l'offre de TET. Et la feuille de route présentée par le ministre Alain Vidalies, en juin 2015, redonne enfin toute sa place à l'État.

Le deuxième objectif de votre texte est la mise en place d'un versement transport au profit des régions. Dans le cadre de la réforme ferroviaire, le groupe socialiste avait défendu la création d'un versement transport interstitiel hors périmètres de transports urbains (PTU), pour lutter contre les stratégies d'optimisation fiscale, tout en ayant le souci de ne pas nuire à la compétitivité des entreprises déjà assujetties au versement transport. Le Gouvernement a choisi de ne pas nous suivre, notamment pour des raisons de compatibilité avec le versement transport existant. En tout état de cause, la solution mixte proposée à l'article 2 de votre texte fait peser une nouvelle charge sur l'ensemble des entreprises et diffère de la solution que nous avions alors préconisée. Nous ne pourrons vous suivre sur cet article. J'ajoute que le Gouvernement s'est engagé à compenser en totalité les conséquences du relèvement de neuf à onze salariés du seuil d'exonération, prévu à l'article 4 du projet de loi de finances pour 2016.

L'article 3 de votre proposition de loi prévoit l'application aux transports publics du taux de TVA réduit de 5,5 %. C'est une mesure qui a été ici proposée à plusieurs reprises, par la voix de notre ancien collègue, maire de Strasbourg, et à laquelle nous avions adhéré. Le Gouvernement y reste défavorable et le ministre des finances, Michel Sapin, en a exposé les raisons dans un récent courrier à l'UTP (Union des transports publics et ferroviaires), rappelant, entre autres, qu'elle ne serait pas conforme au droit européen, puisque cette baisse de TVA ne s'appliquerait qu'aux seuls transports du quotidien. Sans compter que ce n'est pas dans une proposition de loi, aussi qualifiée soit son auteure, que l'on peut modifier un taux de TVA. J'ajoute que ce n'est vraisemblablement pas aux plus démunis que profiterait une telle baisse, puisqu'ils bénéficient déjà de réductions voire de la gratuité sur les transports. Dernier point, enfin, l'article 39 du projet de loi de finances pour 2016 prévoit une compensation au titre des nouvelles compétences de transport scolaire et interurbain confiées aux régions, qui se verront dotées de 25 % de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, soit environ 4 milliards d'euros. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste s'abstiendra sur cet article.

M. Louis Nègre. - Je loue la détermination, la fougue et la conviction avec lesquelles notre rapporteure a présenté cette proposition de loi, mais le problème est que nos convictions ne sont pas les mêmes. Si nous partageons l'objectif de développer sur le territoire national une offre de transport régional de qualité, nous divergeons sur les moyens de le proposer. À la suite de la loi du 13 août 2004, à laquelle sont venues s'ajouter les dispositions de la loi NOTRe du 7 août 2015, la région est la collectivité qui bénéficie des transferts les plus importants, notamment en matière de transports. Elle devient l'autorité organisatrice de l'intégralité de la mobilité interurbaine, avec de nouvelles responsabilités.

À l'article 1er, vous entendez revenir sur la libéralisation du transport par autocar que nous devons à la loi « Macron ». Je rappelle que si un monopole a été accordé au service public de la SNCF, c'est à la suite de la décision, prise en 1948, de privilégier le rail pour le transport de voyageurs sur longues distances. Afin de favoriser la fréquentation du rail, ce monopole portait sur tous les trajets en chemin de fer. L'affrètement d'autocars restait libre pour les trajets occasionnels à longue distance, mais sujet à autorisation pour les liaisons régulières susceptibles de réduire la fréquentation des lignes de chemin de fer existantes. Il s'est ainsi développé un réseau très dense et très régulier de lignes de transport de voyageurs par rail. La loi « Macron », par son article 5, a supprimé ce monopole et librement autorisé la création de services de transport réguliers par autocar, au-delà d'un seuil de 100 km - je rappelle que le Sénat, qui n'a malheureusement pas été entendu par le Gouvernement, plaidait plutôt pour un seuil de 200 km, comme le souhaitait également le Groupement des autorités responsables de transport (GART).

L'objectif de la libéralisation des transports par autocar est de développer une nouvelle offre de transport collectif, mieux adaptée à certains territoires, mal desservis par le rail, et à certains publics, en raison de son coût modique, afin de diminuer le recours à la voiture individuelle, selon une logique parfaitement vertueuse. En Angleterre, en Allemagne, où se sont développés des réseaux de transport par autocar, une nouvelle clientèle s'est créée qui jusque-là ne pouvait accéder à d'autres modes de transport.

L'article 2, s'inspirant du modèle qui prévaut pour la région Ile-de-France, propose la généralisation du versement transport régional. Ce versement transport, institué par la loi du 12 juillet 1971 pour la seule région parisienne, a été étendu, à titre facultatif, aux autorités administratives des transports urbains des communes de plus de 300 000 habitants par la loi du 11 juillet 1973, avant que ce seuil ne soit abaissé à 100 000 par la loi du 13 décembre 2000. Le versement transport est dû par les personnes physiques ou morales, publiques ou privées - à l'exception des fondations à caractère social - employant plus de neuf salariés. Le Gouvernement a souhaité relever ce seuil d'assujettissement à onze salariés. Si notre groupe a toujours été favorable à des mesures d'allègement de charges pour les entreprises, il a également exprimé à plusieurs reprises ses plus vives préoccupations concernant le financement de la politique menée par le Gouvernement en matière de transports et veillera très attentivement au respect de l'engagement pris pour une compensation intégrale de cette dernière mesure. Il considère que les dispositions de votre proposition de loi conduiront à alourdir la fiscalité pesant sur les entreprises, ce que nous ne pouvons accepter.

L'article 3 vise à ramener le taux de TVA sur les transports en commun du quotidien à 5,5 %, soit celui qui est dévolu aux produits de première nécessité. En juillet dernier, tout semblait acté, et les annonces officielles devaient tomber à la rentrée. Il est clair aujourd'hui que le Gouvernement n'y est plus du tout disposé. C'est pourtant une revendication à nos yeux légitime, en particulier pour nos concitoyens les plus modestes. Ce revirement nous étonne d'autant plus à l'heure où s'ouvre la COP 21.

Bref, nous sommes d'accord sur l'objectif : oui, il faut rechercher la qualité. Nous sommes d'accord sur le constat - baisse des dotations et dégradation du service public, ainsi que vous l'avez vous-même souligné. Nous sommes d'accord sur l'insuffisance du financement de l'AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport de France). Nous sommes d'accord sur la TVA à 5,5 %. Mais en revanche, lorsque vous proposez d'atteindre la qualité en maintenant le monopole de la SNCF, nous ne sommes plus d'accord. Pour nous, à l'inverse, c'est par une ouverture à la concurrence que l'on sauvera la SNCF. Je le répète depuis 2008, et j'ai longtemps eu le sentiment de prêcher dans le désert, mais à présent, les lignes bougent, et on y vient. Vous êtes les seuls à rester sur vos positions.

Créer une taxe nouvelle sur les entreprises ? Est-ce bien le moment, madame la rapporteure, alors qu'elles sont déjà accablées par tous les impôts nouveaux qu'elles doivent désormais acquitter ?

Vous préconisez une reprise de la dette, en citant l'exemple de l'Allemagne. À ceci près que notre budget n'est pas, comme celui de ce pays, excédentaire. Et comment se charger d'un fardeau supplémentaire de 45 milliards quand notre dette s'élève déjà à plus de 2 000 milliards ? Sans compter que vous ne proposez aucune économie en regard.

Je m'étonne, par-dessus tout, que vous souhaitiez revenir sur la libéralisation du transport par autocar, alors qu'elle bénéficie aux couches les plus modestes de la population. Rendez-vous compte ! Voyager pour un euro, on ne peut pas rêver mieux quand on peine à boucler les fins de mois. Et vous y êtes opposés ! Je ne puis y croire !

Mme Évelyne Didier, rapporteure. - Trémolo à tirer les larmes. Sortons nos mouchoirs !

M. Louis Nègre. - Autant dire que je ne reconnais plus le parti communiste.

Notre groupe, soucieux de promouvoir la qualité des transports en commun, ne pourra vous suivre sur ce texte, et il votera contre.

- Présidence de M. Hervé Maurey, Président -

M. Hervé Maurey, président. - Un texte qui semble avoir réveillé chez M. Nègre un lyrisme tout méridional.

Mme Odette Herviaux. - À mon tour de féliciter notre rapporteure pour son travail intéressant et précis, même si je rejoins le propos de Jean-Jacques Filleul.

Je m'attacherai à la question des TER et de l'action des régions. Vous avez, tout à l'heure, fait une sorte de mea culpa en reconnaissant qu'en dépit des craintes d'un éclatement du réseau national que vous exprimiez en 2002, le bilan du transfert des TER aux régions est largement positif : il a permis d'améliorer les conditions de transport, la fréquence des trains et la qualité du matériel. Bref, c'est une réussite. Je le souligne d'autant plus aisément que dans un certain nombre de régions, dont la mienne, les vice-présidents en charge de ce secteur étaient de votre sensibilité. Pour l'avoir moi-même testé, je préfère largement faire le trajet en TER qu'en TET : c'est incomparable. Encore un élément à mettre au crédit des régions.

Je vous comprends donc mal lorsque vous dites que le développement de l'échelon régional va à l'encontre de l'unité nationale, qu'il n'est pourtant pas question de remettre en cause. À chaque fois qu'un transfert aux régions a eu lieu, cela a été une réussite, et elles ont investi beaucoup plus que ne l'aurait fait l'État. (M. Revet le confirme).

M. Claude Bérit-Débat. - Je remercie Evelyne Didier pour la vigueur de ses convictions, mais je ne partage pas, en l'occurrence, ses analyses. Comme élu de terrain et gestionnaire d'AOT (autorité organisatrice des transports), j'ai été confronté aux problèmes du milieu rural. C'est pourquoi j'estime que la libéralisation des transports par autocar est une chance pour beaucoup de ces départements ruraux. M. Macron nous a démontré hier, avec la force de persuasion qu'on lui connaît, l'intérêt de cette réforme pour le pays. Plutôt qu'y voir une concurrence aux TER, j'y vois une vraie chance, car c'est un élément de complémentarité. Je ne suis donc pas favorable à un retour en arrière. Et sans y mettre la faconde de M. Nègre, j'estime que c'est une vraie nécessité pour nos concitoyens.

En ce qui concerne le versement transport, le ministre nous a rassurés : le relèvement du seuil de neuf à onze salariés sera entièrement compensé, et de façon dynamique.

M. Michel Raison. - Ce n'est pas parce que le ministre le dit que je suis rassuré.

M. Claude Bérit-Débat. - On peut certes se méfier de la compensation, mais si la ressource est dynamique, c'est autre chose.

Si j'ai défendu, à l'époque, avec mes collègues socialistes, un versement transport interstitiel, je suis contre l'ajout d'un nouveau versement transport régional. C'est certes une facilité, mais je puis vous dire que lorsque l'on est responsable d'une AOT, il faut bien mesurer quel en sera l'effet sur les entreprises - dont beaucoup sont assujetties sans même être desservies. Ne pesons pas davantage sur les charges des entreprises.

Si donc je partage certains de vos diagnostics, je ne puis vous suivre sur les solutions que vous préconisez.

M. Charles Revet. - Je félicite à mon tour notre rapporteure, qui va au fond des choses lorsqu'elle s'engage - comme elle l'a fait dans son travail sur les autoroutes. Cela dit, nous ne partageons pas les mêmes orientations sur un certain nombre de points.

Je n'ai malheureusement pu participer à l'audition de M. Macron, que j'aurais pourtant souhaité interroger sur la cohérence du dispositif qu'il a mis en place avec la politique que prétend défendre le Gouvernement. Comment préconiser un transfert vers le ferroviaire tout en développant le transport par autocar ?

M. Jean-Jacques Filleul. - C'est aussi une forme de transport collectif.

M. Charles Revet. - À ceci près qu'il emprunte la route. Ces autocars rencontreront d'ailleurs les mêmes problèmes d'encombrement que les voitures aux entrées de ville. MM. Filleul et Nègre ne me démentiront pas : l'entretien que nous avons eu tous trois avec des spécialistes nous a convaincus que le transport routier provoque beaucoup plus de rejets dans l'atmosphère. Pour moi, la libéralisation du transport par autocar n'est qu'un palliatif. Si le Gouvernement s'y est résigné, c'est qu'il n'a pas les moyens de réhabiliter le secteur ferroviaire. Ce n'est pas cohérent.

Louis Nègre a évoqué les trains longue distance, en rappelant la loi de 1948, mais ce sont les trains de proximité qu'il faut, à mon sens, s'atteler à développer aujourd'hui. La France a la chance de pouvoir compter sur un réseau ferroviaire dont le maillage est le meilleur d'Europe. Si nous réhabilitions les trains de proximité, en s'appuyant sur le couple tram-train pour assurer la continuité entre villes et milieu rural, on désengorgerait la route et l'on permettrait aux familles, souvent contraintes, faute d'alternative, d'avoir plusieurs voitures, de faire des économies.

Dernier point, la question du monopole. Nous devrions approfondir notre réflexion sur le service public et son fonctionnement. Une entreprise qui assure un service public doit équilibrer son budget. Si la collectivité estime qu'il faut mettre en place des réductions ou la gratuité, c'est à elle de prendre en charge la différence. J'ajoute que quand existe un monopole, il y a un peu de laisser-aller. Si l'on commençait par réorganiser les structures, ce serait déjà une source d'économies.

M. Jean-François Mayet. - Je salue très sincèrement le travail de notre rapporteure, mais je n'irai pas jusqu'à la féliciter, car le coeur n'y est pas.

Comment s'obstiner, dans le contexte actuel, à prétendre taxer les entreprises dès que l'on a besoin de ressources ? Comme entrepreneur, je paye le versement transport depuis plus de quarante ans, et je l'ai utilisé lorsque j'étais maire de Châteauroux, ce qui m'a permis de financer la gratuité des transports urbains en même temps que de desservir les zones industrielles, car ce serait pour moi un comble que de faire payer les entreprises sans les desservir.

La SNCF est en train de mourir du monopole, comme en est mort Air Inter, dont j'imagine que le sort a dû donner lieu, à l'époque, à de terribles joutes au Parlement. Souvenez-vous que cette entreprise réussissait l'exploit de facturer le vol Paris-Marseille aussi cher qu'un billet pour New-York ! Dieu merci, la concurrence est arrivée, et l'on peut faire des allers-retours entre Toulouse et Paris pour 50 à 70 euros, soit un tarif moins cher que le train...

M. Alain Fouché. - Je salue la force combative de Mme Didier, même si je ne suis pas d'accord avec elle sur tout. Je salue également l'abstention complaisante et galante du groupe socialiste...

M. Jean-Jacques Filleul. - Elle se limite à l'article 3.

M. Alain Fouché. - ...sur un texte qui ne va pourtant pas vraiment dans le sens de la loi Macron, qui a reçu son soutien.

Comme le disait mon collègue à l'instant, on ne peut pas sans cesse faire payer les entreprises. Quant à baisser le taux de TVA à 5,5 %, une mesure qui bénéficierait tant à ceux qui ont les moyens qu'aux plus modestes, ce serait un manque à gagner que l'on ne peut se permettre par les temps qui courent.

Mme Annick Billon. - Merci à notre rapporteure. Pour le dire nettement, je suis favorable au car en complément du ferroviaire, ainsi que M. Macron l'a fait valoir hier, mais cela ne doit pas devenir une solution de substitution aux lignes existantes, qui méritent d'être améliorées tant pour ce qui concerne les infrastructures que les dessertes et les matériels roulants. Sous cette limite, je suis assez favorable à l'expérimentation de la concurrence.

Mme Évelyne Didier, rapporteure. - Nous avons cherché, avec cette proposition de loi, à trouver des ressources dédiées pour financer le transport ferroviaire sur les territoires.

Jean-Jacques Filleul a mal interprété mon propos. Je n'ai pas dit que le rapport TET préconisait l'abandon de lignes, mais que les politiques menées auront cette conséquence. Je vous invite à comparer ce qu'étaient les lignes ouvertes dans vos régions ou vos départements dans les années 1960 à ce qu'elles sont devenues aujourd'hui. Nous avons perdu beaucoup de petites lignes, ce que l'on appelle le capillaire (M. Rémy Pointereau le confirme). Il en va d'un territoire où le maillage du réseau n'est pas complet comme d'un organisme sans vaisseaux capillaires, où le sang ne circulerait que par les artères et les veines : il est mal irrigué. Et c'est un risque qui vaut pour tous les réseaux. Jean-Jacques Filleul a rappelé la position passée de son groupe sur le versement transport : le Gouvernement n'a pas suivi, et le groupe socialiste s'est rangé à ses positions. Quant à être rassurés par l'engagement du Gouvernement d'assurer une compensation intégrale du relèvement du seuil de neuf à onze salariés, vous êtes suffisamment aguerris en politique pour savoir que ces compensations ont toujours vocation à disparaître. On voit ce qu'il en est, à chaque loi de finances, des compensations qui ont accompagné la suppression de la taxe professionnelle.

Louis Nègre a rappelé le monopole établi, en 1948, sur le réseau Freycinet. La loi Macron a supprimé ce monopole : c'est un virage historique de grande ampleur, et qui ne restera sans doute pas dans les annales comme ce que nous aurons fait de mieux. M. Macron a certes suscité beaucoup d'enthousiasme lors de son audition d'hier, car il sait argumenter, mais chacun peut comprendre, quand on voit proposer des Paris-Lille à un euro, que cela ne va pas durer.

M. Louis Nègre. - Pourquoi ?

Mme Évelyne Didier, rapporteure. - Allons ! Vous êtes suffisamment compétent en matière économique pour le comprendre.

M. Michel Raison. - Notre rapporteure ne serait-elle pas atteinte de macronite ?

Mme Évelyne Didier, rapporteure. - Non, mais je ne suis pas macrolâtre.

Il est vrai que les cars représentent une nouvelle offre de transport collectif, susceptible de remplacer en partie les transports en voitures individuelles, mais ils seront aussi une concurrence forte pour le rail. Encore une fois, comme chacun a pu l'entendre ce matin à la radio, les régions demandent à la SNCF de revoir ses tarifs sous menace de se tourner vers le transport routier. Vu l'état des finances des collectivités, elles vont à un moment se trouver devant un choix difficile. Même si, comme l'a rappelé Odette Herviaux, la plupart des vice-présidents de région chargés des transports étaient de même sensibilité que la mienne, il est réaliste de penser que cela ne durera pas. Les régionales sont pour demain.

Quoi qu'il en soit, malgré la volonté des régions de travailler pour le rail, elles seront tentées de se tourner vers le car au détriment du train. D'autant plus que les routes sont restées aux départements, et que les régions ne subiront donc pas les conséquences de la charge supplémentaire que vont représenter ces cars pour l'entretien du réseau routier.

J'observe que nous ne sommes pas seuls à soutenir la TVA à 5,5 %.

L'ouverture à la concurrence ? En dépit des élans lyriques de Louis Nègre, je n'y vois pas la solution pour apporter un meilleur service et faire baisser les prix. On sait bien ce qu'il en est : dès lors que l'on a tué ce qui faisait concurrence, le monopole se reconstitue. Et dès que l'on est en situation de monopole, on est tenté d'en profiter. Je préfère, quant à moi, le monopole public au monopole privé.

Je ne démentirai pas les propos d'Odette Herviaux. Nous avons volontiers reconnu que les régions ont été efficaces sur la compétence transports, comme l'ont été les départements quand ils ont pris en charge les collèges. Les autorités publiques de proximité sont souvent plus attentives aux besoins et aux attentes des habitants. Pour autant, il faut préserver une politique nationale pour assurer l'égalité des citoyens. On ne saurait imaginer des régions totalement déconnectées de l'échelon national, qui agiraient chacune en fonction de leurs moyens et des idées de leur majorité ou de leur président. Dans le contexte politique actuel, c'est une question que l'on ne peut pas ne pas avoir à l'esprit.

Quand on est élu de terrain et que l'on gère une AOT, il faut certes, comme l'a souligné Claude Bérit-Débat, trouver des équilibres. Mais à l'intérieur du périmètre de transport urbain, tout le monde est concerné : il n'est pas choquant qu'un même versement transport s'applique. Et au-delà du PTU, il faut faire en sorte que tous les territoires soient concernés. L'objectif serait donc que les AOT se développent jusqu'à couvrir l'ensemble du territoire.

La complémentarité ? Entre transport routier et transport ferroviaire, elle existe déjà. Mais il ne faudrait pas aller jusqu'à mettre en péril le réseau ferroviaire, qui est, je le répète, en danger - et je ne suis pas la seule à le dire. Si l'on ne trouve pas le moyen d'aider les régions à conserver les capillaires, on n'y arrivera pas. D'où notre idée de leur trouver un revenu dédié.

Il est vrai, comme l'a rappelé Charles Revet, que nous avons le meilleur maillage d'Europe. Nous avions d'ailleurs les meilleures sociétés publiques dans tous les domaines. Devenues sociétés privées sur lesquelles l'État gardait la main, on y a peu à peu laissé entrer des capitaux privés. Le résultat ? La France perd des parts de marché. L'Europe n'a de cesse de faire disparaître nos monopoles, et ce sont généralement des groupes étrangers qui, in fine, récupèrent la mise.

Qu'est-ce que le service public ? Vous avez raison d'appeler à creuser la réflexion, pour redéfinir ce qu'il est et ce que l'on attend de lui, pour définir ses missions d'aujourd'hui. Nous nous soucions, et ce texte en témoigne, non seulement de la politique sociale mais aussi de la politique d'aménagement du territoire.

A notre collègue Mayet, qui argue que les entreprises ne sont pas des vaches à lait, je réplique que les entreprises ne sont pas hors-sol : elles ont besoin de salariés formés et en bonne santé, de routes, de tous les services qu'offre la société dans laquelle elles se trouvent, et dont elles sont demandeuses, pour la formation de leurs salariés, le transport de leurs marchandises, etc. Que l'on ne vienne pas nous faire croire que l'entreprise est en dehors de la nation et que dans le même temps, toute la nation doit la servir.

M. Gérard Cornu. - Personne n'a jamais dit cela.

Mme Évelyne Didier, rapporteure. - Notre collègue Fouché fait valoir que la période est mal choisie. Mais la situation va être durablement difficile. Il faut pourtant bien mener des politiques, mais le moment, nous oppose-t-on toujours, n'est jamais le bon.

Merci à Annick Billon d'avoir insisté sur le fait que la complémentarité ne doit pas conduire à tuer le rail. Je vous invite, encore une fois, à mesurer l'écart entre ce qu'était le réseau il y a cinquante ans et ce qu'il est aujourd'hui. Certaines lignes ont été déferrées. Certains ont été plus prudents et ont conservé l'emprise. Mais dans le secteur des trois frontières que je connais bien, en Lorraine, tout a disparu : on a déferré et vendu l'emprise, avant de s'apercevoir, quelque temps plus tard, que pour le fret avec le Luxembourg, ces lignes étaient nécessaires. Mais il était devenu impossible de recréer ces lignes dans un tissu urbain dense. Une fois que la ligne a disparu, impossible de rattraper les choses : soyons-y attentif.

M. Hervé Maurey, président. - Aucun amendement n'ayant été déposé, je vous propose de voter d'emblée sur l'ensemble de la proposition de loi. (Assentiment).

La commission n'adopte pas la proposition de loi.

Désignation d'un rapporteur

M. Hervé Maurey, président. - La Conférence des présidents qui se réunira la semaine prochaine devrait inscrire à l'ordre du jour de la séance du 13 janvier, dans la niche réservées au groupe UDI, la proposition de loi visant à lutter contre le gaspillage alimentaire déposée par Mme Nathalie Goulet, qui reprend des mesure que nous avions votées dans le cadre du projet de loi de transition énergétique, annulées par le Conseil constitutionnel parce qu'ayant été introduites en nouvelle lecture, elles étaient contraires à la règle de l'entonnoir.

La tradition au sein de notre commission veut que nous choisissions un rapporteur appartenant au même groupe que l'auteur de la proposition de loi.

Mme Chantal Jouanno est nommée rapporteure de la proposition de loi n° 663 (2014-2015) visant à lutter contre le gaspillage alimentaire.

La réunion est levée à 10 h 35.