Mercredi 23 septembre 2009

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président, puis de M. Patrice Gélard, vice-président-

Nomination d'un rapporteur

La commission a tout d'abord nommé M. Patrice Gélard rapporteur sur le projet de loi n° 1709 (AN - XIIIe lég.) portant fusion des professions d'avocat et d'avoué près les cours d'appel.

Application des articles 61-1 et 65 de la Constitution - Audition de M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation

La commission a ensuite procédé à des auditions sur le projet de loi organique n° 613 (2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application de l'article 61-1 de la Constitution et sur le projet de loi organique n° 460 rectifié (2008-2009) relatif à l'application de l'article 65 de la Constitution.

Elle a tout d'abord entendu M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation.

M. Vincent Lamanda a souligné l'importance des deux projets de loi organique.

En ce qui concerne le projet de loi organique relatif au conseil supérieur de la magistrature (CSM), il a rappelé que la réforme constitutionnelle de juillet 2008 avait eu pour triple but de refonder l'indépendance de l'institution judiciaire, d'ouvrir cette dernière sur l'extérieur et, enfin, de valoriser le rôle éminent de la Cour de cassation. Il a regretté à cet égard que les débats ayant accompagné l'accroissement du nombre de non-magistrats au sein de la composition du CSM aient en partie occulté une évolution qu'il estime essentielle : l'effacement du Président de la République et du garde des Sceaux du fonctionnement du CSM. Il a rappelé que la décision de confier la présidence du CSM au premier président de la Cour de cassation avait suscité des débats quant à la charge de travail et à la capacité de ce dernier à assumer l'ensemble de ses fonctions. Il a pour sa part considéré, se fondant sur sa propre expérience, qu'il était possible d'assumer ces deux présidences. En effet, il a rappelé que, à l'heure actuelle, le premier président de la Cour de cassation assumait d'ores et déjà la présidence de la commission d'avancement de la magistrature ainsi que celle de la commission de sélection des personnels enseignants et de direction de l'Ecole nationale de la magistrature, ces fonctions représentant une charge de travail d'environ deux mois pleins d'activité par an : dans la mesure où il cessera de présider ces deux commissions, le premier président de la Cour de cassation pourra s'acquitter de ses nouvelles fonctions à la tête du CSM sans difficulté.

M. Vincent Lamanda a attiré l'attention sur la composition du CSM, dont les deux seuls membres de droit seront le premier président et le procureur général près la Cour de cassation, les autres membres étant soit désignés, soit élus. Il a estimé que, à partir du moment où les magistrats étaient minoritaires au sein du CSM, il serait particulièrement souhaitable de prévoir que ce conseil est composé majoritairement de membres élus, et non de membres désignés. Il a en effet indiqué que, à ses yeux, une élection était moins susceptible de faire naître des soupçons de sujétion qu'une désignation. En particulier, il s'est déclaré opposé à ce que l'avocat membre du conseil soit désigné par le président du conseil national des barreaux, alors même que le conseiller d'Etat sera, quant à lui, élu par l'Assemblée générale du conseil d'Etat. Par ailleurs, il a exprimé les plus vives réserves quant à la possibilité laissée à cet avocat de continuer à plaider, rappelant notamment que le CSM renouvelait deux tiers des présidents de cours d'appel tous les quatre ans et se prononçait sur 2 000 mouvements de magistrats par an environ. En conséquence, les parties plaidant contre un adversaire représenté par cet avocat pourraient mettre en doute l'impartialité des magistrats dont le sort serait susceptible de relever du CSM dans un avenir proche.

M. Vincent Lamanda a estimé que le système prévoyant un renouvellement de la composition du conseil par moitié tous les deux ans risquait de poser un certain nombre de difficultés : son expérience personnelle lui a prouvé qu'il peut être difficile pour de nouveaux arrivants de trouver leur place dans une équipe déjà rôdée. En outre, il a rappelé que si le CSM entendait de nombreux candidats, il ne procédait en revanche qu'à une seule audition de chacun d'eux, valant pour toute la durée du mandat : dans ces conditions, il a estimé qu'il était important que chaque membre du conseil ait pu assister à chacune de ces auditions. Enfin, il a rappelé que les archives, le rapport annuel et le recueil des décisions disciplinaires tenaient lieu de « mémoire » du conseil.

Pour éviter tout risque de désaccord entre le premier président et le procureur général près la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda s'est prononcé pour la nomination du secrétaire général sur proposition du premier président, après avis du procureur général et du CSM. En outre, la durée du mandat de ce dernier devrait être identique à celle du mandat des membres du conseil, éventuellement renouvelable une fois.

M. Vincent Lamanda a estimé souhaitable de conserver en l'état le dispositif actuel de nomination, considérant que la motivation des avis du CSM, réclamée par certains, constituait en réalité une « fausse bonne idée ». Il a en effet souligné qu'il était parfois très difficile d'expliquer les raisons pour lesquelles un candidat n'avait pas été retenu ; en outre, une telle motivation, qui figurerait au dossier de l'intéressé, pourrait ultérieurement lui porter préjudice, à l'occasion d'une candidature à un autre poste ; enfin, il a souligné que la motivation des décisions de nomination ouvrirait la voie à des possibilités de contestation, et donc de recours. Or, une simple conversation permet souvent d'éclairer les magistrats non retenus sur les motifs de l'avis non conforme émis sur leur candidature.

Concernant le traitement des plaintes des justiciables, M. Vincent Lamanda a considéré qu'il était indispensable de prévoir que celles-ci ne pourraient constituer une cause de récusation du magistrat et ne pourraient être présentées contre un magistrat demeurant saisi de la procédure. Il lui a paru raisonnable de prévoir que la plainte devrait être présentée dans un délai maximal de six mois suivant la décision mettant fin à la procédure. Néanmoins, il a attiré l'attention sur l'expression, impropre à ses yeux, de « décision définitive » figurant dans le projet de loi organique : rappelant que ce concept relevait du droit pénal et qu'il n'était pas adapté aux affaires civiles, il s'est prononcé en faveur de l'ajout de l'adjectif « irrévocable » après l'expression « décision définitive ». Pour l'instruction des plaintes des justiciables, il a estimé indispensable d'octroyer au conseil des pouvoirs d'enquête et d'investigations afin que les demandes puissent être traitées de façon sérieuse, rappelant que, à l'heure actuelle, le rapporteur d'une procédure disciplinaire pouvait déléguer ses pouvoirs à un magistrat d'un grade au moins égal à celui du magistrat mis en cause et estimant qu'une disposition comparable devrait être prévue pour les enquêtes pré-disciplinaires qui seraient désormais menées par le CSM.

M. Vincent Lamanda a estimé que les garanties offertes par le projet de loi organique au magistrat mis en cause apparaissaient suffisantes. Il a, en particulier, jugé compatible avec les principes du droit français que la décision de rejet de la plainte ne puisse pas faire l'objet d'une voie de recours. Rappelant qu'un « filtrage » des plaintes était prévu, il s'est prononcé en faveur de l'existence d'une section commune de filtrage siège - parquet qui serait composée d'un magistrat du siège appartenant à la formation du siège, d'un magistrat du parquet appartenant à la formation du parquet et d'un non-magistrat membre commun à ces deux formations, afin de faire en sorte que la parité soit toujours respectée au sein du conseil de discipline.

Il a également rappelé que la parité magistrats - non magistrats devait, autant que possible, être respectée au sein de la formation de jugement, conformément au souhait du législateur, sans pour autant que soit exclue l'hypothèse où, à la suite de la récusation d'un de ses membres par exemple, le conseil connaît une composition impaire. Il a pour sa part estimé que de telles situations, qui se sont déjà produites dans le passé, ne soulevaient pas de difficultés particulières sauf à opposer artificiellement les membres du CSM selon leur origine.

Rappelant que la formation disciplinaire du conseil aurait à se prononcer sur la question de savoir si une faute a été commise par le magistrat mis en cause, M. Vincent Lamanda a jugé qu'il était particulièrement difficile de donner de la faute disciplinaire une définition suffisamment précise et assez large pour s'appliquer à toutes les situations. En revanche, il a estimé que le contenu de cette notion se dégageait d'un examen attentif de la jurisprudence du CSM.

En ce qui concerne l'échelle des sanctions prévues par le texte, il s'est déclaré opposé à ce que puisse être prononcée une suspension partielle ou totale des droits à pension en cas de révocation, estimant que le magistrat concerné avait cotisé pour sa retraite pendant ses années d'exercice professionnel et qu'il ne devrait pas être privé de la contrepartie de cette épargne.

En ce qui concerne la procédure d'interdiction temporaire d'exercice, il a estimé que celle-ci donnait à l'heure actuelle lieu à une décision du CSM dans les trois semaines environ de la saisine, ce qu'il a jugé satisfaisant, les hypothèses d'urgence absolue nécessitant d'interdire immédiatement un magistrat étant réglées par des dispositifs pénaux ou administratifs spécifiques (détention provisoire ou internement d'office). Il a de ce fait exprimé des réserves quant à la réduction des délais prévue par le projet de loi organique, estimant que cette réduction risquait de nuire à l'efficacité d'un système qui a fait ses preuves. Il a estimé essentiel de prévoir un délai suffisant permettant au conseil d'organiser sérieusement sa réunion et au magistrat mis en cause de préparer sa défense dans des conditions correctes. Il a également critiqué la disposition prévoyant, en cas d'empêchement de réunion de la formation du CSM, de donner au président la possibilité de se prononcer sur l'opportunité de l'interdiction, à charge pour le conseil de se réunir ultérieurement : une telle procédure lui a paru de nature à placer le premier président dans une situation délicate s'il venait à être désavoué par le conseil. En toute hypothèse, il lui a paru nécessaire de prévoir un délai de quinze jours à trois semaines pour prévoir la réunion de la formation du conseil.

M. Vincent Lamanda s'est interrogé sur la possibilité de saisir l'occasion de cette loi organique pour assurer l'indépendance budgétaire du conseil supérieur de la magistrature. En effet, il a indiqué qu'à ce jour le budget du conseil dépendait de la Direction des services judiciaires dont le conseil est chargé de contrôler le travail en matière de mouvements de magistrats.

En outre, il a jugé préférable que la rémunération des membres du conseil soit calculée sur une base forfaitaire, indépendamment du nombre de séances du conseil auquel participe chaque membre. Il a expliqué que cette solution écarterait les soupçons quant à une multiplication supposée abusive du nombre de séances disciplinaires.

Il a ensuite relevé une imprécision du texte du projet de loi organique, l'expression « chef du parquet général » étant préférable à celle de « chef de cour ». Enfin, s'agissant des dispositions transitoires, il a signalé une erreur de référence, les articles 17 et 24 devant être visés et non les articles 16 et 23.

A propos du mode de rémunération des membres du CSM, M. Jean-Jacques Hyest, président, a jugé que les deux solutions évoquées avaient leurs avantages et leurs inconvénients, la rémunération forfaitaire pouvant être soupçonnée de favoriser l'absentéisme. Il a rappelé que la rémunération est actuellement plafonnée. Il a ensuite estimé que la question de l'indépendance budgétaire du conseil ne relevait probablement pas de cette loi organique mais de la loi de finances. A cet égard, il a rappelé que la commission des lois avait à plusieurs reprises demandé cette réforme à l'occasion du débat budgétaire. Néanmoins, les parlementaires ne peuvent prendre l'initiative de modifier la répartition des crédits entre les missions budgétaires, la loi organique relative aux lois de finances réservant cette faculté au Gouvernement.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a demandé si la création d'une section de filtrage composée paritairement de membres du parquet et du siège serait de nature à affirmer l'unité du corps des magistrats. Il a ensuite fait part de son inquiétude quant à la faiblesse des moyens d'investigation du conseil et s'est demandé s'il faudrait permettre au conseil de recourir à l'inspection générale des services judiciaires. Enfin, faisant référence à une polémique récente sur la fiabilité des procès-verbaux des séances du conseil, il a demandé s'il ne conviendrait pas de renforcer la transparence ainsi que la précision de ces documents.

M. Vincent Lamanda a confirmé son souhait de sections de filtrage ainsi composées.

A propos des moyens d'investigation, il a rappelé que le garde des Sceaux avait seul le pouvoir de saisir l'inspection générale des services judiciaires ainsi que de rendre publics ou non ses rapports. Il a indiqué que son prédécesseur avait essayé de forcer la main du ministre en demandant une enquête complémentaire dans une affaire. Ce dernier avait accepté mais, en pratique, cette enquête n'avait apporté aucun élément nouveau.

Tout en partageant le constat de la faiblesse de ces moyens d'investigation, il s'est dit défavorable à la création d'une inspection propre au conseil. En revanche, une solution plus souple et tout aussi efficace consisterait à permettre au conseil de confier ponctuellement une mission à un magistrat, par exemple un ancien membre du conseil.

Enfin, concernant les procès-verbaux, il a jugé que le cas particulier évoqué n'était pas représentatif puisque, en règle générale, comme il avait pu le constater lorsqu'il participait aux travaux du CSM, les procès-verbaux ne contiennent aucun compte rendu des débats et se limitent à un simple relevé de décisions.

Incidemment, il a souligné que la réforme du CSM devrait améliorer considérablement la gestion des carrières. A l'heure actuelle, l'espacement des séances plénières du conseil est si important qu'il existe un délai de six mois entre le départ d'un magistrat et son remplacement. A l'avenir, il a expliqué qu'il ne sera plus nécessaire d'attendre que le garde des Sceaux arrête une date pour réunir le conseil et que celui-ci pourra délibérer immédiatement.

M. Jacques Mézard a déclaré partager les réticences de M. Vincent Lamanda à propos de la désignation du représentant des avocats par le président du conseil national des barreaux et de la faculté qui lui serait laissée de plaider. A cet égard, il a demandé s'il ne conviendrait pas aussi de l'obliger à céder ses parts d'une SCP.

M. Vincent Lamanda a précisé qu'il était favorable à l'élection du représentant des avocats par le conseil national des barreaux. Il a ensuite estimé que l'interdiction de plaider était suffisante, le véritable risque étant que ce représentant ait à connaître de la carrière d'un magistrat devant lequel il aurait plaidé.

A propos de l'indépendance budgétaire du CSM, M. Jean-Pierre Fourcade a rappelé qu'un problème similaire s'était posé pour assurer l'indépendance de la Cour des comptes vis-à-vis du ministère du budget. Il a demandé à connaître la solution envisagée.

M. Vincent Lamanda a indiqué que, à sa connaissance, le CSM était le seul organe constitutionnel dans une telle situation, la Cour de justice de la République, par exemple, possédant son indépendance budgétaire vis-à-vis du ministère de la justice.

A l'invitation de M. Jean-Jacques Hyest, président, il a fait part ensuite de ses observations sur le projet de loi organique relative à la question préjudicielle de constitutionnalité. Il a estimé que toutes les conséquences de cette réforme n'avaient pas été perçues et qu'il convenait de veiller à ce que sa mise en oeuvre ne bouleverse pas les équilibres institutionnels, certains commentateurs parlant déjà de la création d'une sorte de Cour suprême subordonnant les ordres administratif et judiciaire.

Il a axé son propos sur l'article 23-2 du projet adopté par l'Assemblée nationale qui articule la question de constitutionnalité et l'exception d'inconventionnalité, deux séries de critiques pouvant être développées relativement :

- au contrôle de conformité à la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- à l'articulation entre question de constitutionnalité et exception préjudicielle devant la Cour de justice des communautés européennes.

Sur le premier point, il a relevé une assimilation inexacte entre le contrôle de constitutionnalité traditionnel qui est un contrôle de légalité erga omnes et le contrôle du respect de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui est un contrôle concret par rapport à une situation donnée. En outre, il a jugé que la priorité donnée par le projet à la question de constitutionnalité sur le contrôle de conformité à la Convention européenne n'était pas conforme à la réalité de la hiérarchie des normes dans l'ordre européen. Enfin, il a craint que cette priorité n'aboutisse dans certaines circonstances à priver le justiciable de son droit d'accès au juge pendant six mois. Il a estimé qu'il ne fallait pas exclure la possibilité qu'une juridiction soit conduite à écarter l'application de dispositions de la loi organique qu'elle jugerait contraires aux exigences de l'article 6-1 de la Convention européenne.

Il a ajouté que le contrôle de conventionnalité s'avérait, dans bien des cas, plus efficace et mieux adapté à une protection effective des droits fondamentaux.

Pour lui, la priorité risque d'être inopérante dans les cas de mesures privatives de liberté : le juge, après avoir transmis la question à la Cour de cassation, devra se prononcer sur la question de conventionnalité sans attendre la décision du conseil constitutionnel. Le premier président s'est demandé si la priorité n'incitera pas les avocats à ne soulever qu'une exception d'inconventionnalité toutes les fois où elle leur apparaîtrait pouvoir satisfaire immédiatement les intérêts de leur client. M. Vincent Lamanda a privilégié, en conséquence, la faculté, pour le juge, de statuer en premier sur le moyen qui lui apparaîtrait le plus opérant.

Le premier président de la Cour de cassation a rappelé la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) qui, même si elle reconnaît l'autonomie des systèmes judiciaires nationaux, conduit, depuis son arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, le juge national à écarter toute disposition nationale contraire aux normes communautaires, tout acte ou pratique qui réduirait l'efficacité du droit communautaire. Il a évoqué l'obligation, pour le conseil d'Etat et la Cour de cassation, de saisir la CJCE d'une question préjudicielle, qualifiée d'exigence constitutionnelle par le conseil constitutionnel dans une décision du 10 juin 2004. Selon lui, la priorité va inciter les parties, devant le conseil constitutionnel, à tirer partie du défaut de conformité des dispositions législatives au droit communautaire.

Il a conclu au risque de placer le conseil constitutionnel dans une situation délicate si son analyse se révélait différente de celle de la CJCE, auquel cas elle ne pourrait pas s'imposer aux juges nationaux. En outre, le juge judiciaire comme le juge administratif pourront difficilement se retrancher derrière la décision du conseil constitutionnel pour refuser de saisir la CJCE. Là encore, a poursuivi le premier président, il n'est pas à exclure qu'une juridiction s'estime tenue d'écarter l'application de la loi organique pour pouvoir saisir la CJCE sans attendre la saisine du conseil constitutionnel.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a alors précisé que, lors du débat, le Constituant s'était posé ces questions.

M. Vincent Lamanda a indiqué qu'il souhaitait voir retenue la faculté de poser simultanément les deux questions de constitutionnalité et de conventionnalité, la première devant le conseil constitutionnel, l'autre devant la CJCE.

Il a ensuite abordé l'obligation, pour la juridiction saisie du moyen d'inconstitutionnalité, de statuer dans les deux mois : il a estimé qu'elle contraindrait le juge à décider sans avoir toujours le temps d'organiser un véritable débat contradictoire. Pour lui, même dans l'hypothèse d'un défendeur unique, le juge aura les plus grandes difficultés à se prononcer après un véritable débat contradictoire ; il devra donc se prononcer sans que l'adversaire ait pu faire véritablement valoir ses observations.

Il a considéré que, si l'exception d'inconstitutionnalité était invoquée aussi fréquemment que la question de conventionnalité, elle risquait d'être utilisée comme une manoeuvre dilatoire.

Sur le dispositif de renvoi de la question au conseil constitutionnel par la Cour de cassation, il a rappelé les trois hypothèses d'intervention de celle-ci : transmission par le juge du fond, pourvoi en cassation contre l'arrêt d'appel ayant refusé de renvoyer à la Cour de cassation mais ayant statué sur le fond, lequel serait incontestablement recevable, et moyen soulevé pour la première fois à l'occasion du pourvoi en cassation.

M. Vincent Lamanda a estimé que, s'il était compréhensible d'obliger la juridiction suprême à se prononcer dans un délai bref pour ne pas allonger les délais de l'instance, le délai de trois mois assigné par le projet de loi organique au conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour statuer sur la question d'inconstitutionnalité était inopportun : en cassation, le demandeur dispose de quatre mois en matière civile pour déposer son mémoire ampliatif. Dans ce cas, le Cour de cassation devra fréquemment se prononcer avant le dépôt du mémoire en défense.

Il a donc appelé à la fixation d'un délai suffisant pour permettre la vérification de la recevabilité du pourvoi. Il a également craint l'instrumentalisation des procédures. En outre, il a fait valoir que tant que le conseil constitutionnel ne se serait pas prononcé sur un texte, les tribunaux devront lui transmettre toutes les demandes s'y rapportant, même posées dans des termes identiques.

Pour lui, il serait préférable de n'imposer aucun délai à la Cour de cassation.

Puis, il a rappelé que, en 2008, les juridictions judiciaires avaient été saisies de trois millions d'affaires et remarqué que, si l'exception était soulevée dans un cas sur mille, le volume total correspondrait à l'activité d'un mois plein des six chambres de la Cour de cassation. Dans l'hypothèse où il serait porté à un sur cent, il égalerait l'activité de la Cour pendant un an.

Le premier président de la Cour de cassation a observé que la juridiction administrative ne serait pas confrontée au même problème dans la mesure où elle n'est pas marquée par l'hétérogénéité qui caractérise les magistrats judiciaires (prud'hommes, proximité ...).

Enfin, il a évoqué la disposition prévoyant le non-sursis à statuer jusqu'à la décision du conseil constitutionnel en matière de privation de liberté à raison de l'instance. Il a prédit son application fréquente devant la chambre criminelle, qui devrait conduire le conseil constitutionnel à se prononcer alors que le pourvoi aura déjà été jugé. Il a estimé qu'il conviendrait alors d'ouvrir le réexamen de la décision de condamnation pénale.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a souligné que la Constitution imposait au conseil d'Etat et à la Cour de cassation de se prononcer sur l'exception dans un délai déterminé.

Le président Lamanda a conclu sur le critère de la question nouvelle pour sa transmission au conseil constitutionnel. Il a appelé à sa suppression dans la mesure où il concernerait une masse d'affaires potentielle importante.

Application des articles 61-1 et 65 de la Constitution - Audition de M. Guillaume Drago, professeur de droit à l'université de Paris II, et de M. Bertrand Mathieu, professeur de droit à l'université de Paris I et président de l'Association française du droit constitutionnel

Puis la commission a entendu M. Guillaume Drago, professeur de droit à l'université de Paris II, et M. Bertrand Mathieu, professeur de droit à l'université de Paris I et président de l'Association française de droit constitutionnel.

Concernant le projet de loi organique portant application de l'article 61-1 de la Constitution, M. Guillaume Drago a estimé que la réforme ne serait réussie que si elle était à la fois effective, efficace et au service des citoyens.

Revenant sur les innovations introduites par l'Assemblée nationale en première lecture, il a rappelé que la question de constitutionnalité était désormais appelée « question prioritaire de constitutionnalité » ; il a jugé que cette terminologie n'était pas équilibrée et qu'il était préférable de maintenir l'appellation initialement proposée par le projet de loi organique.

M. Guillaume Drago a ensuite dégagé quatre points qui méritaient particulièrement d'être analysés.

Premièrement, il a indiqué que l'article 23-1 du projet de loi organique interdisait aux juges de relever d'office l'inconstitutionnalité d'une loi. Il a déclaré que cette interdiction risquait de nuire à l'effectivité de la réforme pour trois raisons :

- l'interdiction du relevé d'office réduira drastiquement le nombre de questions de constitutionnalité dont le juge aura effectivement à connaître ; en tant que telle, elle aura des effets disproportionnés par rapport à son objectif, qui est de prévenir le développement anarchique de ces questions ;

- dans un contexte où l'initiative du juge est prohibée, seuls les justiciables ayant les moyens financiers de faire appel à un conseil juridique pourront effectivement formuler des questions de constitutionnalité ;

- enfin, les juges pourront difficilement s'approprier un mécanisme qui est soustrait à leur initiative.

En conséquence, il a souhaité que l'inconstitutionnalité soit, à l'inverse de ce que prévoit le projet de loi organique dans sa rédaction actuelle, consacrée comme un moyen d'ordre public. Il a donc appelé le Parlement à faire confiance aux juges et à leur permettre de faire respecter la hiérarchie des normes, et donc de protéger l'Etat de droit, en les obligeant à relever d'office l'inconstitutionnalité des lois.

Deuxièmement, M. Guillaume Drago a constaté que, aux termes de l'article 23-2 du projet de loi organique, la question de constitutionnalité devait être transmise « sans délai et dans la limite de deux mois » au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Ayant souligné que cette précision, ajoutée par l'Assemblée nationale, était opportune car elle démontrait que la question d'inconstitutionnalité était une procédure d'urgence, il a jugé qu'il était nécessaire de permettre une résolution rapide des questions de constitutionnalité et donc de prévoir une transmission « sans délai ». Il a néanmoins émis des réserves sur la fixation d'un délai maximal de deux mois, en faisant valoir qu'un tel mécanisme, qui entraîne, dans la rédaction de l'Assemblée nationale, la transmission automatique des questions au terme de ce court délai, risquait d'inciter le juge à s'abstenir de traiter la question et à s'en remettre au juge suprême de son ordre.

En troisième lieu, M. Guillaume Drago a exprimé son opinion sur les conditions de transmission posées par le projet de loi organique :

- il a estimé que, à l'article 23-2, la formulation retenue par l'Assemblée nationale (qui prévoit que la disposition faisant l'objet de la question doit être « applicable au litige », plutôt que « commande[r] l'issue du litige ou la validité de la procédure ») était plus lisible, plus claire et plus conforme à la volonté du constituant que la rédaction initiale ;

- il a craint que la possibilité de remettre en cause les déclarations antérieures de conformité à la Constitution en cas de changement des circonstances de fait ne soit une source excessive de variabilité ; il a donc suggéré, conformément à l'intention du constituant telle qu'elle ressort de ses débats, de ne permettre au juge de se prononcer sur une question déjà traitée par le Conseil constitutionnel qu'en cas de changement des circonstances de droit ;

- ayant rappelé que l'article 88-1 de la Constitution ne concernait que le droit communautaire dérivé, à l'exclusion des traités, il a salué le choix de l'Assemblée nationale de supprimer la référence à cet article au cinquième alinéa de l'article 23-2, dans la mesure où elle était peu pertinente, et qualifié cette simplification de « salutaire ».

Quatrièmement, M. Guillaume Drago a évoqué les rapports entre le contrôle de conventionnalité et le contrôle de constitutionnalité. Il a tout d'abord souligné qu'il était logique de donner une priorité à la question de constitutionnalité sur les moyens tirés de l'inconventionnalité d'une loi : non seulement la Constitution est supérieure au droit conventionnel dans la hiérarchie des normes, mais surtout la déclaration d'inconstitutionnalité a des effets plus puissants qu'un constat d'inconventionnalité, puisqu'elle entraîne l'abrogation de la disposition contestée. Toutefois, se plaçant du point de vue du justiciable, il a expliqué qu'une telle priorité pouvait agir comme un repoussoir : à l'inverse de l'inconventionnalité, qui peut être sanctionnée immédiatement et directement par le juge du fond, l'inconstitutionnalité est prononcée, au mieux, au bout de huit mois. Dès lors, il a une nouvelle fois estimé nécessaire de faire de l'inconstitutionnalité un moyen d'ordre public, afin de donner tout son sens à la question de constitutionnalité et de garantir qu'elle soit soulevée malgré les probables réticences des justiciables.

En réponse à cette suggestion, M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, la question de constitutionnalité devait « [être soutenue] », ce qui laissait à penser que l'intervention du justiciable était indispensable au déclenchement de la procédure et que le juge ne pouvait se substituer à lui.

Ayant reconnu que le texte constitutionnel imposait que la question de constitutionnalité soit « soutenu[e] », M. Guillaume Drago a néanmoins souligné que la Constitution ne s'opposait pas à ce que cette initiative appartienne concurremment au justiciable et aux autres acteurs du litige. Il a noté que, dans ce cadre, se posait la question du rôle du ministère public et de sa capacité à poser, en tant que partie, une question de constitutionnalité. À ce titre, il lui a paru incohérent d'interdire aux juges du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation de soulever eux-mêmes un tel moyen, alors même qu'ils sont, en tant que juges suprêmes, les juges du droit.

M. Bertrand Mathieu a, quant à lui, retracé la genèse de la réforme et affirmé que la mise en place d'une question de constitutionnalité devait répondre non seulement à l'objectif d'effectivité, mais aussi à l'exigence de sécurité juridique.

Il a ainsi estimé que les travaux de l'Assemblée nationale avaient permis certaines améliorations, en évitant que le système de « filtres » successifs ne soit trop étroit, en permettant un accès effectif des justiciables au Conseil constitutionnel, et en mettant en place une procédure rapide et simple. Surtout, il a relevé que le projet de loi organique respectait la primauté du requérant dans la mesure où la priorité accordée aux moyens tirés de l'inconstitutionnalité sur les moyens tirés de l'incompatibilité entre une loi et le droit conventionnel interdit au juge d'éluder la question de constitutionnalité lorsqu'elle a été posée par les parties. En ce sens, en désaccord avec M. Guillaume Drago, il a affirmé que le caractère « prioritaire » de la question de constitutionnalité était indispensable au succès de la réforme et à la « reconstitutionnalisation » des droits et libertés fondamentaux.

En lien avec les observations présentées par M. Guillaume Drago, M. Bertrand Mathieu s'est déclaré partagé face à l'interdiction du relevé d'office. Tout en signalant que l'importance des enjeux attachés à la réforme justifiait de faire de l'inconstitutionnalité un moyen d'ordre public, il a néanmoins estimé que le mécanisme institué par l'article 61-1 de la Constitution était destiné au seul justiciable, et non au juge.

Ayant rappelé que le contentieux de constitutionnalité serait un contentieux de la norme, au cours duquel la loi serait contrôlée de manière objective, M. Bertrand Mathieu s'est interrogé sur l'invocabilité des objectifs à valeur constitutionnelle (OVC). Dans ce cadre, il a jugé que les OVC seraient invocables dès lors qu'ils pourraient être rattachés à des droits ou libertés fondamentaux ; il a précisé que ce choix était conforme à la volonté du constituant d'intégrer les droits sociaux dans la procédure de l'article 61-1, dans la mesure où ceux-ci découlent pour la plupart, non pas du texte constitutionnel lui-même, mais de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il a toutefois indiqué que, selon lui, les OVC, par opposition à ceux qui se rattachent aux droits et libertés fondamentaux, n'étaient pas susceptibles de faire l'objet d'une question de constitutionnalité.

M. Bertrand Mathieu a ensuite affirmé la nécessité d'interdire au juge de revenir sur les déclarations antérieures de constitutionnalité en raison de changements des circonstances de fait, cette dérogation étant porteuse de réels dangers pour la sécurité juridique. Ainsi, il a considéré qu'une telle disposition présentait de nombreux risques :

- d'une part, le changement des circonstances de fait est, par nature, facilement invocable et peut donc avoir de graves effets perturbateurs ;

- d'autre part, il incite à remettre en cause l'autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel, qu'il fait dépendre de données contextuelles et relatives.

Dès lors, M. Bertrand Mathieu a considéré que la reconnaissance d'un tel pouvoir équivalait à donner aux juges un rôle similaire à celui du Parlement en les habilitant à faire évoluer le droit hors de toute intervention du législateur et, surtout, à évaluer l'adaptation du droit à la réalité, c'est-à-dire à déterminer l'intérêt général. Il s'est donc rallié à l'opinion de M. Guillaume Drago sur ce point et a plaidé pour que le projet de loi organique indique explicitement que les déclarations antérieures de conformité à la Constitution ne peuvent être remises en cause qu'en cas de changement des circonstances de droit.

Concernant la possibilité de déclarer recevable une question de constitutionnalité fondée sur un moyen nouveau opposé à une disposition déjà déclarée conforme, M. Bertrand Mathieu a indiqué que le projet de loi organique prévoyait que la disposition ne devait pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution. En conséquence, il a précisé que cette disposition ne pouvait plus être contestée quels que soient les moyens invoqués.

Il a fait observer que plus la capacité de filtrage offerte aux juridictions administratives et judiciaires serait importante, plus le risque de divergence entre ces deux ordres juridictionnels serait accru, ce risque étant en particulier accentué par la prise en compte des changements de circonstances de fait.

M. Bertrand Mathieu a estimé que, dans les hypothèses où le juge est amené à trancher une question au fond, il pourra, sans surseoir dans l'attente de la réponse donnée à la question de constitutionnalité, être conduit à examiner la question de la conventionnalité. Il a néanmoins souligné que, quelle que soit la réponse à la question de conventionnalité, la question de constitutionnalité garderait sa pertinence.

Il a précisé que, si le juge écartait l'application de la loi comme contraire à une disposition conventionnelle, la déclaration d'inconstitutionnalité de cette même loi entrainerait son abrogation, alors que la déclaration de conformité à la Constitution ne remettrait pas en cause les conséquences tirées par le juge du prononcé de l'inconventionnalité. A l'inverse, si le juge appliquait la loi -la considérant comme conforme au droit conventionnel-, le juge constitutionnel pourrait néanmoins prononcer son inconstitutionnalité, les conséquences de cette déclaration devant être tirées dans les conditions du droit commun. Il lui a semblé, en tout état de cause, qu'il n'était pas nécessaire que cette question soit abordée dans la loi organique.

Il a estimé souhaitable que les décisions des juridictions transmettant à la cour suprême de l'ordre dont elles relèvent une demande de renvoi au Conseil constitutionnel soient motivées.

Il a précisé qu'il appartenait au Conseil constitutionnel de régler la question des effets de sa décision sur les décisions de justice devenues définitives.

Concernant le régime des incompatibilités applicables aux membres du Conseil constitutionnel, il a posé la question de l'inclusion au sein de ce régime de l'exercice de la profession d'avocat au regard du renforcement du caractère juridictionnel du Conseil constitutionnel.

Abordant la question des perspectives de développement de ce nouveau contentieux, M. Bertrand Mathieu a souligné que les juridictions administratives et judiciaires devraient apprendre à se servir d'un nouvel outil et d'une nouvelle procédure. S'agissant des effets de cette réforme sur le Conseil constitutionnel lui-même, il a estimé que, dans un premier temps, le nombre de questions de constitutionnalité posées serait important, en raison notamment de la nouveauté même de cette procédure. Il a néanmoins fait observer qu'une régulation progressive serait mise en place, notamment dans les domaines du droit fiscal, du droit du travail et du droit de l'environnement, dans lesquels les questions seraient vraisemblablement les plus nombreuses.

Il lui a semblé que, à terme, cette nouvelle procédure de contrôle de constitutionnalité serait utilisée en particulier par des requérants collectifs ou institutionnels aux fins d'obtenir l'abrogation de la loi.

Il a dit ne pas avoir d'inquiétudes sur les incidences matérielles de cette réforme pour le Conseil constitutionnel.

M. Hugues Portelli, rapporteur, s'est interrogé sur la pertinence de la mise en place d'une procédure spécifique devant le Conseil constitutionnel pour traiter des contentieux sériels, en particulier en droit fiscal.

Il a souligné que ce nouveau contrôle de constitutionnalité laissait subsister les autres procédures existantes. Il a fait observer que, en matière de contrôle de conventionnalité au regard notamment de la Convention européenne des Droits de l'Homme, s'appliquaient les règles de procédure classiques, ce qui conduisait à ce que les délais de procédure soient plus longs que les délais prévus en matière de contrôle de constitutionnalité. Il a précisé que, dans les États qui connaissaient ce type de contrôle de constitutionnalité, il était fréquent, pour opérer le contrôle de conventionnalité, d'attendre l'épuisement des voies de recours internes. Il a estimé que la question était plus délicate s'agissant du droit communautaire mais qu'il y aurait certainement une régulation naturelle de cette question.

S'agissant du régime d'incompatibilité applicable aux membres du Conseil constitutionnel, il a indiqué que se posait la question de son champ, se demandant s'il était souhaitable d'élargir les règles d'incompatibilité à l'exercice de fonctions juridictionnelles.

M. Bertrand Mathieu a estimé que la mise en place d'une procédure relative aux questions sérielles ne lui paraissait pas inopportune mais soulèverait des questions relatives à l'égalité des citoyens et à l'organisation de la défense. Il a souligné qu'une grande partie des séries serait réglée, dans la pratique, par l'impossibilité de poser des questions se rapportant à des questions déjà tranchées par le Conseil constitutionnel.

Évoquant le contrôle de la conventionnalité au regard de la Convention européenne des Droits de l'Homme, il a rappelé que la logique actuellement retenue était de pratiquer d'abord un contrôle dans l'ordre juridique interne et, à défaut seulement, un contrôle dans l'ordre juridique externe. Il a fait observer que, si ce système allongeait les délais de procédure, les questions seraient néanmoins résolues efficacement.

Il a jugé souhaitable une incompatibilité de la qualité de membre du Conseil constitutionnel avec l'exercice de la profession d'avocat ou les fonctions de magistrat. Il a indiqué que se posait également la question de la prise en compte, à titre plus général, des activités de conseil pouvant, le cas échéant, être exercées par les membres du Conseil constitutionnel.

M. Guillaume Drago a estimé que les contentieux sériels interviendraient vraisemblablement dans le domaine fiscal et dans le domaine de l'environnement, compte tenu notamment de l'absence d'actions de groupe en France. Il a évoqué la possibilité d'un véritable « lobbyisme juridictionnel » destiné à obtenir l'abrogation de certaines dispositions législatives. Il a fait observer néanmoins que le filtrage exercé par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation permettrait d'éviter ces litiges sériels devant le Conseil constitutionnel. En revanche, il a jugé non envisageable de restreindre les questions devant les juridictions du fond.

Il s'est déclaré en accord avec les observations de M. Bertrand Mathieu relatives au contrôle de conventionnalité.

S'agissant du régime des incompatibilités, il a estimé qu'il convenait de laisser en l'état les équilibres politiques et juridiques actuels au sein du Conseil constitutionnel, tout en évitant les conflits d'intérêt qui pourraient survenir, évoquant en particulier le problème des magistrats qui auraient connu des questions de constitutionnalité dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles antérieures. Il s'est prononcé en faveur de l'inscription d'une exigence de compétences juridiques pour siéger au Conseil constitutionnel.

M. Patrice Gélard a fait observer que cela aurait sans doute pour effet pratique d'exclure les anciens Présidents de la République de cette institution.

M. Alain Anziani a estimé incohérent que le projet de loi organique interdise au juge de relever d'office la violation d'un droit constitutionnel.

M. Guillaume Drago, approuvant cette position, a estimé qu'il était difficile d'imposer au juge une autolimitation, alors même que le juge est le gardien de la légalité. Il a jugé que l'instauration d'une priorité pour l'examen de constitutionnalité, sans permettre dans le même temps au juge de relever d'office un tel moyen, était paradoxale.

M. Bertrand Mathieu a rappelé que la logique du texte constitutionnel était de donner aux seuls justiciables la prérogative de soulever une question de constitutionnalité. Il lui a semblé qu'il n'y avait pas lieu de modifier la priorité instituée au profit de l'examen de constitutionnalité, soulignant en outre que, si le juge pouvait soulever d'office la violation d'un droit constitutionnel, il en résulterait alors un allongement des délais de procédure qui n'était pas forcément souhaité par le justiciable.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a précisé que le ministère public avait, en vertu du projet de loi organique, la possibilité de soulever la question au cours de l'instance. Il lui a semblé difficile d'admettre que le pouvoir de relever d'office la question de constitutionnalité soit refusé au juge. Il a fait observer que le Conseil constitutionnel, interprétant les termes de l'article 61-1 de la Constitution, serait sans doute amené à se prononcer sur cette question. 

M. Jean-Pierre Michel a estimé que, avant même la mise en place de ce nouveau contrôle de constitutionnalité, il aurait été préférable de réformer le Conseil constitutionnel, qui n'apparaît pas comme un organe juridictionnel, le principe du contradictoire n'y étant pas respecté et ses débats n'étant pas publics.

M. Bertrand Mathieu a reconnu que cette réforme aurait pu être un préalable mais que, en tout état de cause, la nouvelle procédure de contrôle de constitutionnalité conduirait à une modification du règlement du Conseil constitutionnel qui aura nécessairement pour conséquence un renforcement du respect du principe du contradictoire.

M. Guillaume Drago a insisté sur le fait que la réforme opérée à l'article 61-1 de la Constitution allait bouleverser les équilibres actuels du contrôle de constitutionnalité, induisant un renforcement tant du contrôle a priori que du contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois.

M. Patrice Gélard a jugé que ce bouleversement devrait également impliquer certaines modifications dans la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel, en permettant notamment aux rapporteurs du texte à l'Assemblée nationale et au Sénat d'être entendus.

Application des articles 61-1 et 65 de la Constitution - Audition de M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation

Puis la commission a entendu M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation.

Abordant le projet de loi organique relatif à l'article 65 de la Constitution, M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, a souligné l'importance de la réforme et ses conséquences sur l'architecture de la justice en France. Il a estimé que les modifications opérées par la loi constitutionnelle de juillet 2008 et proposées par le projet de loi organique étaient de nature à limiter les reproches de corporatisme et de politisation parfois adressés au conseil supérieur de la magistrature.

Il a ajouté que le rôle dévolu au ministère public au sein du projet de loi organique arrivait à un moment où le statut des magistrats du parquet était contesté devant la Cour européenne des droits de l'Homme sur le fondement d'une violation de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Il a jugé que le fait que les procureurs généraux ne soient plus nommés en Conseil de ministres aurait pour conséquence d'accroître leur professionnalisme et leur légitimité.

Abordant les questions relatives à la désignation des membres du conseil supérieur de la magistrature, M. Jean-Louis Nadal a estimé que la désignation de l'avocat membre du conseil par le président du conseil national des barreaux n'était pas satisfaisante, dans la mesure où l'avocat serait alors le seul membre du conseil supérieur de la magistrature désigné par une personnalité unique, sans autre contrôle, ce qui pourrait être préjudiciable à l'institution. Il a en conséquence proposé que l'avocat soit élu par l'assemblée générale du conseil national des barreaux.

S'agissant de l'exception prévue au régime des incompatibilités de fonctions au profit de l'avocat, il a estimé que pour garantir son impartialité, l'avocat ne devrait pas siéger dans une affaire dont il aurait eu à connaître dans ses fonctions antérieures. Il a indiqué qu'il n'y avait pas d'obstacle à ce que l'avocat membre du conseil supérieur de la magistrature reste actif professionnellement à condition que s'appliquent à lui des obligations déontologiques fortes le conduisant à se déporter en cas de conflit d'intérêts. Il a souligné que cette question renvoyait à celle plus générale de la déontologie des membres du conseil et s'est prononcé en faveur de l'inscription d'un article préliminaire rappelant leurs obligations déontologiques strictes de ses membres.

Sur la question de l'application du principe de parité pour l'élection des magistrats membres du conseil supérieur de la magistrature, M. Jean-Louis Nadal a estimé que celui-ci ne pouvait s'appliquer en toutes circonstances : si son application est envisageable pour les magistrats élus au scrutin de liste, elle est en revanche impossible pour l'élection des magistrats hors hiérarchie ou des chefs de cour ou de juridiction, dans la mesure où elle induirait une rupture d'égalité.

En réponse aux questions qui lui avaient été transmises au préalable par M. Jean-René Lecerf, rapporteur, M. Jean-Louis Nadal :

- s'est déclaré défavorable au renouvellement par moitié, tous les deux ans, du CSM, de nature, selon lui, à rompre la « synergie » du Conseil ;

- a jugé acceptable la composition de la formation plénière du CSM, prévue à l'article premier du projet de loi organique ;

- a noté qu'aucun mécanisme n'était prévu pour rétablir la parité entre magistrats et non-magistrats au sein des formations disciplinaires, en cas d'empêchement d'un de leurs membres, mais n'a pas jugé problématique que les magistrats y soient minoritaires afin d'éviter tout risque de collusion ;

- a considéré que la désignation du secrétaire général du CSM par le premier président de la Cour de cassation après avis du procureur général près cette cour et après avis du CSM marquerait l'autonomie de ce dernier, d'autant que le secrétaire général va voir son rôle renforcé avec la gestion administrative des plaintes des justiciables ;

- a salué comme une grande avancée la nomination des procureurs généraux après avis du CSM, la situation antérieure pouvant laisser planer des soupçons de politisation ;

- a estimé souhaitable de prévoir la motivation précise de tous les avis défavorables, ainsi que celle des avis favorables concernant les nominations des Chefs de Cour et de juridiction, voire de rendre publics ces avis ;

- a jugé inutile de prévoir, comme le fait le projet de loi organique en son article 17, que les chefs de cour puissent saisir, en cas d'urgence, le CSM en matière disciplinaire, à charge pour lui de statuer dans un délai de huit jours, les cas d'urgence étant déjà réglés par des dispositifs administratifs ou pénaux ;

- s'est déclaré favorable à l'unification des régimes disciplinaires des magistrats du siège et du parquet ;

- a jugé intéressante l'idée de prévoir un filtrage unique des plaintes relatives au comportement des magistrats, qu'ils appartiennent au siège ou au parquet, et ce, au nom de l'unité du corps, dans un contexte marqué par la contestation devant la Cour européenne des droits de l'homme de la qualité même de magistrat aux magistrats du parquet ;

- a estimé nécessaire, dans un souci d'impartialité et de déontologie, qu'un membre de la section de filtrage ayant rejeté une plainte directe ne se prononce pas sur une saisine identique présentée ultérieurement par le garde des sceaux ou par un chef de cour ;

- s'est félicité de la possibilité, offerte par le projet de loi organique, pour tout justiciable de saisir directement le CSM, notant avec satisfaction l'existence de deux garanties de nature à préserver la sérénité et l'autorité de la justice : d'une part, le fait que cette saisine ne constitue pas une cause de révocation du magistrat ; d'autre part, que la plainte ne puisse pas être dirigée contre un magistrat qui demeure saisi de la procédure ; 

- au sujet de la disposition du projet de loi organique selon laquelle la plainte du justiciable ne peut plus être présentée à « l'expiration d'un délai de six mois suivant la décision définitive mettant fin à la procédure », a constaté que l'expression « décision définitive » n'avait pas la même signification au civil et au pénal, et proposé ainsi la formule alternative « décision qui a acquis force de chose jugée » ; d'autre part, il a indiqué ne pas être hostile à un allongement du délai ;

- a estimé suffisante l'information, prévue par le texte, du magistrat visé en cas de saisine disciplinaire du CSM, soulignant toutefois la nécessité de prévoir la possibilité, pour le magistrat, de venir, s'il le souhaite, s'expliquer devant le CSM ;

- a jugé conforme aux principes de notre droit  l'interdiction, faite par le texte, de tout recours en cas de rejet de la plainte par la section de filtrage ;

- s'est interrogé sur l'opportunité de maintenir la possibilité de suspension des droits à pension en cas de révocation d'un magistrat, notant que le CSM n'y avait eu recours qu'exceptionnellement par le passé ;

- a jugé inopportun de rouvrir le débat, engagé en 2007 à l'occasion de l'examen du projet de loi organique sur la formation et la responsabilité des magistrats, sur la définition de la faute disciplinaire, estimant la jurisprudence du CSM, du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel suffisamment éclairantes en la matière.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, s'est interrogé sur l'opportunité de limiter à un ou deux mandats la durée des fonctions du secrétaire général du CSM.

Concernant le projet de loi relatif à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, M. Jean-Louis Nadal a tout d'abord regretté trois modifications apportées par l'Assemblée nationale, contraires, selon lui, à la logique de filtrage de la réforme :

- l'élargissement des critères en vertu desquels la juridiction doit transmettre la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation ;

- le fait que la juridiction doive se prononcer dans un délai de deux mois sur la transmission de la question de constitutionnalité ;

- le fait que le Conseil d'Etat et la Cour de cassation  disposent d'un délai de trois mois pour rendre leur décision.

Il a craint en particulier que l'assouplissement des critères de renvoi au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation soit utilisé par les parties à des fins dilatoires et n'engorge ces juridictions.

Il s'est par ailleurs étonné que les députés aient prévu que, saisi d'une question de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel doive se prononcer même si l'action à l'occasion de laquelle la question a été posée est éteinte.

Il a également jugé trop court le délai de trois mois imposé aux juridictions suprêmes pour se prononcer sur une question de constitutionnalité, en particulier lorsque le moyen est soulevé pour la première fois en cassation.

- Présidence de M. Patrice Gélard, vice-président -

En réponse à M. Hugues Portelli, rapporteur, il a estimé :

- que tant le juge que le ministère public, y compris lorsqu'il n'est que partie jointe à une instance, comme tel est le plus souvent le cas dans un procès civil, devaient pouvoir relever d'office la question de l'inconstitutionnalité ;

- que les normes invocables intégraient bien les objectifs de valeur constitutionnelle dès lors qu'ils étaient rattachables à un droit ou une liberté ;

- que le dialogue des juges devait permettre de réduire les risques d'appréciation différente des critères de recevabilité entre les deux ordres de juridiction ;

- que les décisions des juridictions (sur la transmission à la cour suprême de l'ordre dont elles relèvent ou sur le renvoi au Conseil constitutionnel) devaient être motivées ;

- qu'il était souhaitable de compléter le régime des incompatibilités des membres du Conseil constitutionnel afin d'interdire l'exercice de la profession d'avocat, et ce afin de prévenir tout conflit d'intérêt ;

- que ce nouveau contentieux devrait connaître, au début, un certain engouement avant une phase de stabilisation ;

- qu'il faudrait prévoir un filtrage renforcé devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation en cas de saisines en nombre sur des affaires identiques ou connexes.

M. Patrice Gélard, président, a estimé nécessaire de doter toutes les autorités constitutionnelles indépendantes, à savoir le CSM, le Conseil économique, social et environnemental, la Cour des comptes et le Conseil d'Etat, de l'autonomie financière.