Mardi 23 janvier 2007

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Audition de Mme Francine Mariani-Ducray, directrice des musées de France au ministère de la culture et de la communication

La commission a procédé à l'audition de Mme Francine Mariani-Ducray, directrice des musées de France au ministère de la culture et de la communication, et M. Henri Loyrette, président-directeur de l'Etablissement public du Musée du Louvre.

M. Jacques Valade, président, a rappelé que la politique menée par les musées nationaux en matière de coopération et d'échanges internationaux avait fait l'objet récemment d'une confrontation de points de vue par voie de presse.

La commission a souhaité rencontrer successivement les principaux protagonistes de ce débat pour mieux connaître leurs arguments. La présente audition devrait ainsi permettre d'entendre le point de vue du ministère de la culture et celui du musée du Louvre sur la politique que doit conduire l'Etat en ce domaine.

Mme Francine Mariani-Ducray, directrice des Musées de France, a résumé les grands traits de ce que l'on pouvait connaître de la coopération envisagée avec l'émirat d'Abou Dhabi, compte tenu du fait que ce projet était encore en cours de négociation.

Elle a indiqué que les autorités émiriennes souhaitaient constituer, dans une « Ile des musées », un musée, disposant à terme de collections propres et ayant pour vocation de rendre compte de l'histoire des arts et des civilisations dans toutes les parties du monde.

Elle a ajouté que ces autorités ont choisi d'adresser à la France une demande de coopération globale pour les aider dans la réalisation de ce qui s'apparente à un musée national de type universel.

Elle a ensuite décrit les différentes composantes de ce projet global de coopération :

- l'élaboration rapide, en moins d'un an, d'un projet scientifique et culturel d'autant plus ambitieux que les autorités d'Abou Dhabi, après avoir évoqué dans un premier temps la création d'un musée « classique », se sont finalement fixées pour objectif la création d'un musée universel ;

- une mission de conseil portant sur la constitution progressive d'une collection propre au musée par voie d'acquisitions réalisées dans le respect de nos exigences déontologiques, de façon à garantir tant la qualité des oeuvres recherchées que la parfaite licéité des sources ;

- un appui à l'élaboration des structures tant administratives que scientifiques des musées, notamment en matière de recrutement, de formation et de sélection des conservateurs, dans la perspective d'une ouverture du musée en 2012 ;

- sans aller jusqu'à une véritable assistance à la maîtrise d'ouvrage, du moins une mission de conseil assez poussée pour la conception du bâtiment, déjà confiée par les autorités d'Abou Dhabi à l'architecte Jean Nouvel ;

- un partenariat muséal comportant deux axes principaux : l'élaboration et la production d'expositions temporaires pendant une durée de 15 ans après l'ouverture du musée ; des prêts d'oeuvres d'une importance décroissante sur dix ans pour alimenter les galeries permanentes ;

- enfin, ce qui constitue un geste politique : l'autorisation d'utiliser l'emblème du Louvre pendant 20 ans.

Mme Francine Mariani-Ducray a estimé que ce projet ambitieux, d'autant plus intéressant qu'il se réclamait d'une exigence de qualité à la française, demeurait cependant à l'échelle de ce que nous pouvons faire sans affaiblir nos collections, à condition toutefois de faire appel à l'ensemble des musées nationaux, d'où l'idée de constituer une agence qui serait l'émanation des différents établissements publics nationaux intéressés, de la réunion des musées nationaux et de l'Etat lui-même.

Elle a relativisé l'importance des prêts envisagés, qui pourraient porter sur quelques centaines d'oeuvres chaque année au regard des quelque 10.000 oeuvres qui font chaque année l'objet d'un prêt.

Elle a jugé que de nombreux musées relevant des collectivités territoriales pourraient en effet trouver un intérêt culturel à participer à cette coopération, qui s'accompagnera, en outre, de contreparties financières non négligeables.

Elle a précisé que les contreparties financières actuellement en discussion devraient, en tout état de cause, comporter :

- une contrepartie globale correspondant à l'usage du nom du Louvre ;

- une rémunération des services rendus au titre des activités de conseil ;

- une contrepartie correspondant au montage des expositions temporaires ;

- enfin, une contrepartie globale pour la mobilisation des prêts d'oeuvres destinés aux galeries permanentes, prêts dont la durée variera de six mois à deux ans en fonction des oeuvres.

M. Henri Loyrette, président-directeur de l'établissement public du Musée du Louvre, a estimé que le projet de coopération soulevait une question à laquelle réfléchissent aujourd'hui tous les grands musées du monde, et plus particulièrement ceux qui sont des musées dits « universels ».

Estimant que le débat actuel confinait parfois au fantasme, il s'est interrogé sur son objet véritable. Evoquant les critiques portant sur la fourniture d'expositions, il a rappelé que l'organisation d'expositions « mécénées » était une pratique courante et bien admise depuis plusieurs années déjà, distincte des locations d'oeuvres individualisées que pratiquent seuls quelques musées américains.

Abordant ensuite les critiques qui portent sur le rôle en quelque sorte diplomatique du Louvre, il a estimé que celui-ci se rattachait à sa vocation première, issue d'un mouvement de pensée né au siècle des Lumières, consacré par la Révolution, puis par l'Empire : celui d'un musée à vocation universaliste, qui doit à la fois assurer la conservation des oeuvres d'art et les mettre au service de l'ensemble de la Nation. C'est à cette vocation nationale qu'il a rattaché la politique de prêt d'oeuvres en direction des musées nationaux en régions, et le projet d'ouverture du Louvre à Lens.

Dans le droit fil de la notion de « République des lettres » créée au XVIIIe siècle et de celle de « part sacrée » évoquée par Chaptal, il a estimé que le Louvre ne devait pas renier la dimension universelle de sa vocation qui le conduit déjà à prêter des oeuvres à des musées étrangers et à tisser des partenariats précieux, par exemple en matière d'archéologie, notamment avec des pays des Proche et Moyen-Orient.

Il a jugé nécessaire de combattre toute tentation de repli et de diversifier les partenariats avec des institutions étrangères, en acceptant de mettre à leur disposition nos compétences et nos collections.

Un débat a suivi ces exposés.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances, a rappelé que celle-ci préparait actuellement un rapport consacré aux relations qui unissent l'Etat à quelques grands établissements publics culturels, dont le musée du Louvre, avec le souci de vérifier, notamment, dans quelle mesure ces établissements, qui constituent en quelque sorte la « force de frappe » du ministère de la culture, s'inscrivaient bien dans le cadre des politiques définies par l'Etat, ou si leur action tendait à s'en affranchir au gré des personnalités qui les dirigent.

Il a estimé que, dans le cas présent, l'épreuve avait eu le mérite de montrer que le Louvre et le ministère de la culture étaient bien sur une ligne identique.

Tout en estimant qu'il conviendrait d'examiner avec attention le contenu des accords, il a jugé très positif un projet qui permet à la France d'exporter son savoir-faire et d'étendre le rayonnement du Louvre. Confiant dans la qualité des négociateurs, il s'est déclaré favorable à un projet qui ne devrait pas « dépeupler » les collections des musées nationaux.

M. Philippe Richert a estimé que le débat actuel soulevait la question de savoir dans quelle mesure la France avait encore l'ambition de son rayonnement culturel. Il a jugé très positif que l'on fasse aujourd'hui appel à nos compétences pour réaliser un lieu culturel de toute première importance, considérant que c'était une chance pour notre pays d'être présent dans cette région du monde. Tout en soulignant que la polémique actuelle avait eu le mérite de permettre de mieux cerner la nature et l'importance du projet, sans pour autant lui inspirer, a priori, d'inquiétude majeure, il a demandé cependant davantage d'assurances sur le fait que les prêts envisagés ne porteraient pas atteinte à l'attractivité des collections présentes dans les musées français. Il a regretté le tabou qui frappe les questions d'argent, dès lors qu'on parle de culture, car cette attitude a contribué à retarder l'émergence en France d'une politique du mécénat ayant vocation, non à se substituer à l'Etat, mais à compléter les efforts qu'il consent. Il a donc invité les autorités françaises à persévérer dans la conduite d'un projet qui constitue une chance et un enjeu important en termes de recettes comme de rayonnement culturel.

Déplorant le ton inhabituel pris, dès l'origine, par le débat public, M. Ivan Renar a regretté que le ministère de la culture n'ait pas, sur ce sujet sensible, pris les devant pour organiser un débat de fond devant le Parlement. Il a rappelé que les projets de création du Louvre à Lens ou du musée Georges Pompidou à Metz avaient également suscité des critiques qui témoignaient de la nécessité d'un vrai débat. Tout en jugeant indispensable de se montrer vigilant à l'égard de tout risque de marchandisation de la culture, il a insisté sur l'intérêt de rappeler l'influence de l'esprit des Lumières dans la vocation du musée du Louvre. Il s'est interrogé sur le malaise que pouvaient rencontrer les conservateurs face aux métamorphoses des conditions d'exercice de leur métier. Enfin, faisant part de la fierté que lui avaient d'abord inspirée les projets avec Atlanta et Abou Dhabi, qui lui paraissaient de nature à humaniser la mondialisation et à contribuer au rayonnement de la France, il a indiqué que le débat avait fait évoluer sa réflexion et a souhaité qu'une issue positive soit trouvée à la crise actuelle grâce à la fixation de règles claires.

M. Jacques Valade, président, a estimé qu'il convenait de dépasser une querelle, d'origine, sans doute, en partie confraternelle, pour tirer de la discussion actuelle un ensemble de règles de conduite.

M. Yves Dauge a regretté qu'il ait fallu attendre le déclenchement de cette polémique pour que ces projets de coopération fassent l'objet d'un débat public. Il a jugé indispensable, dans le contexte actuel, que la France ne paraisse pas se rallier, par suivisme, aux pratiques marchandes de quelques grands musées américains, comme le musée Guggenheim, qui n'ont ni la même nature ni la même vocation que nos musées nationaux. Il a donc souhaité que les autorités françaises élaborent une charte de référence permettant de distinguer les pratiques admises de celles qui ne doivent pas l'être, en s'appuyant sur les règles internationales en vigueur, et notamment les conventions de l'UNESCO que notre pays a d'ailleurs largement inspirées.

Il a élevé une mise en garde contre le risque, pour le ministère, de se couper du milieu professionnel de la conservation et des musées.

Enfin, insistant sur le caractère fondamental du projet culturel et scientifique, il a estimé que celui-ci devait faire l'objet d'un accord préalable entre les parties avant de passer aux autres aspects de la négociation, ainsi qu'à la définition du projet architectural. C'est à cette condition impérative qu'il a subordonné son assentiment au projet, dénonçant les risques qu'entrainerait toute volonté de précipiter le bouclage de l'accord.

M. Ambroise Dupont a estimé que l'audition avait permis de compléter les informations données par le ministère de la culture en réponse à la question orale qu'il lui avait posée lors de la séance du 11 janvier dernier.

Il a souhaité des précisions sur les effets qu'auraient sur le marché de l'art les acquisitions nécessaires à la constitution des collections du musée d'Abou Dhabi, soulignant que ceux-ci pourraient varier selon qu'ils porteront sur des oeuvres du passé ou sur l'art contemporain.

Il a également demandé avec quels pays et suivant quelles modalités s'effectuaient actuellement les échanges avec d'autres musées étrangers, pour la réalisation d'expositions temporaires, et les accords qui réglaient ces questions.

Enfin, il s'est interrogé sur le degré de notoriété des oeuvres qui seraient ainsi prêtées et sur la façon de donner à ce « Louvre » les moyens de ses ambitions, sans affaiblir pour autant l'attrait des collections qui resteront dans les musées français.

M. Jacques Valade, président, a souhaité savoir s'il était toujours possible de trouver sur le marché, en y mettant le prix, des oeuvres en qualité et en quantité suffisantes pour constituer une collection.

M. Henri Loyrette a apporté les éléments de réponse suivants :

- pour éviter tout risque de conflit d'intérêts, les conservateurs français fixeront les orientations et la politique d'achat du futur musée d'Abou Dhabi, mais ne participeront pas à la politique d'acquisition des oeuvres ;

- il est toujours possible, aujourd'hui, de constituer une belle collection, comme l'ont montré la création du musée Paul Getty, des collections semi-publiques comme celle du Qatar, et certaines collections privées ; l'arrivée sur le marché de l'art du musée d'Abou Dhabi contribuera certes à accentuer la concurrence, mais ne devrait pas être un obstacle à l'enrichissement des collections de nos musées nationaux, ni provoquer une hémorragie de notre patrimoine national ; c'est dans le domaine de l'archéologie que seront concentrés d'éventuels risques.

Mme Francine Mariani-Ducray a fourni les précisions suivantes :

- le projet de musée d'Abou Dhabi s'inscrit dans une politique globale de l'émirat, qui vient aussi de conclure un accord avec le Salon « Art Paris », peu évoqué par les médias, et d'ouvrir une antenne de la Sorbonne ; cette convergence de projets est le signe positif d'une volonté politique de miser sur le développement culturel ;

- la création d'une fondation consacrée à la politique d'achat doit conjurer tout risque de conflits d'intérêts ;

- la Cour des Comptes a travaillé, au cours des 18 derniers mois, à la rédaction d'un rapport traitant des questions éthiques liées au patrimoine et proposant des solutions s'appuyant sur des éléments du code de déontologie de l'International Council of Museums (ICOM) ; le ministre de la culture a demandé de hâter la publication de ce rapport, dont on a jusqu'à présent très peu parlé ;

- le projet de coopération résulte d'une demande formulée par les autorités émiriennes, et non d'un quelconque démarchage effectué par la France ;

- le ministère de la culture a le souci, d'une façon générale, de ne pas entraver les initiatives prises par les établissements publics, mais comme le projet actuel nécessite l'intervention de plusieurs opérateurs, il est indispensable que l'administration centrale intervienne ;

- la direction des musées s'est efforcée de mettre en oeuvre les recommandations formulées par la commission des affaires culturelles dans son rapport d'information sur les réserves des musées ; à côté d'oeuvres, intéressantes pour le seul spécialiste et qui ne se prêtent pas à une exposition publique, figurent aussi des oeuvres de grande importance qui ne peuvent être exposées en raison de leur état dégradé ;

- les prêts d'oeuvres dans le cadre d'expositions ne font pas l'objet d'accords internationaux, mais s'inscrivent dans une pratique qui s'appuie sur le code de l'ICOM et sur des recommandations consensuelles, qui garantissent la gratuité, des prêts tout en autorisant la prise en compte des frais de gestion et la facturation des frais de dossiers ; ces principes sont repris dans le cadre des travaux de l'Union européenne sur la mobilité des collections publiques ;

- la direction des musées est attachée aux mêmes principes que les conservateurs, dont les compétences reconnues constituent un atout essentiel ; mais il faut aussi admettre que le monde évolue et que les échanges se développent.

M. Jacques Valade, président, a souligné, en conclusion, la tonalité positive des interventions et a souhaité l'élaboration rapide, par le ministère de la culture, d'une charte de bonne conduite qui devra être soumise au Parlement.

Mercredi 24 janvier 2007

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Audition de M. Serge Eyrolles, président du syndicat national de l'édition

La commission a procédé tout d'abord à l'audition de M. Serge Eyrolles, président du syndicat national de l'édition (SNE).

M. Serge Eyrolles, président du syndicat national de l'édition (SNE), a présenté tout d'abord la situation de ce secteur, caractérisé par la publication annuelle de 60.000 livres, l'existence de 665.000 titres disponibles (et donc d'autant d'ayants droit), de 15.000 salariés, de 400 à 500 maisons d'édition réalisant un chiffre d'affaires significatif et d'environ 8.000 éditeurs recensés.

Il a observé qu'il constituait le premier secteur culturel en France, son chiffre d'affaires représentant 50 % de celui de la presse et étant deux fois supérieur au secteur musical et quatre fois supérieur à celui du cinéma. Après cinq années de croissance entre 2000 et 2005, l'année 2006 s'est avérée moins florissante ; la progression, même faible, du chiffre d'affaires de l'activité éditoriale est à mettre en regard avec l'effondrement de celui des autres secteurs culturels.

M. Serge Eyrolles a souligné la grande richesse de la création littéraire, l'importance des efforts de présentation des ouvrages (couvertures, etc.) et l'impact très positif sur le circuit du livre d'un certain nombre de lois récentes : sur la reprographie en 1995, sur le droit de prêt en bibliothèque du 18 juin 2003, sur le droit d'auteur et les droits voisins en 2006.

Il s'est félicité, également, de la protection dont bénéficie le réseau des distributeurs, avec environ 2.500 points de vente de livres et 11.500 « Points presse ».

M. Serge Eyrolles a évoqué, ensuite, les changements enregistrés depuis quelques années, avec notamment un mouvement de concentration des maisons d'édition et des librairies, suscitant l'inquiétude sur l'avenir du réseau des petites librairies, dont la fragilité est liée notamment à la hausse des loyers en centre-ville. Il a suggéré que leur soient étendues les dispositions protectrices de la « loi Sueur » du 13 juillet 1992 relative au cinéma d'art et d'essai. Par ailleurs, il a regretté que la loi du 1er janvier 1981 sur le prix unique du livre ne soit pas généralisée au sein de l'Union européenne, dont un certain nombre d'Etats membres souhaitent plutôt instaurer la liberté des prix, ce qui irait à l'encontre de l'exception culturelle française.

Il a relevé que les nouvelles technologies permettaient le développement de nouveaux moyens de diffusion des oeuvres. Il a jugé cet enjeu réel et extrêmement compliqué, à la fois pour des raisons techniques (les livres n'étant numérisés que depuis une dizaine d'années, un investissement considérable est nécessaire pour traiter les ouvrages antérieurs) et en raison de l'élargissement de l'offre qui en résulte (récemment, avec la possibilité de feuilleter les livres en ligne avant achat éventuel).

M. Serge Eyrolles a jugé inquiétante la question du téléchargement illégal et a estimé que l'application de la loi précitée sur le droit d'auteur était très compliquée, compte tenu notamment des trois exceptions votées par le Parlement. En effet :

- la mise en oeuvre de l'exception pédagogique pose de nombreuses questions, telles que la définition de « l'extrait » d'une oeuvre dont l'utilisation est autorisée sans application du droit d'auteur ou l'avenir de l'accord passé avec le ministre de l'éducation nationale ;

- l'importance du périmètre accordé à l'exception en faveur des handicapés rend complexe la mise en oeuvre d'une plateforme internet spécifique ;

- l'exception relative aux bibliothèques pose en revanche moins de difficultés.

M. Serge Eyrolles s'est déclaré très préoccupé par la disparition de nombreuses librairies françaises à l'étranger, qui s'accompagne de la diminution de la présence de la langue française, y compris dans les pays francophones, et il a regretté l'absence d'une politique en faveur des livres à l'exportation, alors que l'année 2006 a enregistré des résultats particulièrement mauvais en la matière.

Il s'est félicité du fait que la publicité à la télévision en faveur des livres soit réservée aux chaînes câblées. Il a estimé qu'une généralisation aux chaînes hertziennes inciterait ces dernières à créer leurs propres maisons d'édition.

Après avoir indiqué que, globalement, l'activité de lecture ne faiblissait pas, il a dénoncé les effets pervers de la gratuité des manuels scolaires au sein des lycées, leur financement par certaines régions dissuadant les élèves et leurs familles de fréquenter les librairies ; il serait toutefois possible d'y remédier, par exemple par le biais du paiement des ouvrages par les lycéens avec une carte à puce offerte aux familles.

M. Jacques Valade, président, a proposé d'approfondir la réflexion sur la place et la promotion du livre français à l'étranger, des actions pouvant être proposées ou menées en ce sens.

M. Louis de Broissia a demandé si les alliances ponctuelles entre maisons de presse et éditeurs ne constituaient pas une façon de soutenir le secteur. Par ailleurs, s'agissant du prix du livre, il a évoqué les opérations menées par certaines librairies, telles que des rabais de 5 %.

M. Ivan Renar a estimé que la gratuité des livres scolaires, initiée par un certain nombre de collectivités territoriales, s'inscrivait dans une démarche sociale utile et qu'il convenait seulement d'en éviter les effets pervers. Par ailleurs, il s'est déclaré attaché à la « distribution des prix » à l'école, tradition qui s'est perdue alors qu'elle permettrait aux livres de pénétrer dans les familles, qu'elle constituait souvent pour les jeunes l'amorce d'une bibliothèque et qu'elle contribuait à la valorisation du travail.

Il a jugé que le livre représentait un outil de promotion individuelle et collective et qu'une politique dans ce domaine était possible quelle que soit la taille des communes. Il s'est interrogé, enfin, sur l'impact pour la lecture de l'introduction d'ordinateurs dans les écoles.

Mme Monique Papon a déclaré partager le point de vue du dernier intervenant relatif à la « distribution des prix » à l'école, mais non celui concernant la gratuité des manuels scolaires, dans la mesure où celle-ci ne favorise pas l'accès des familles modestes aux librairies. Puis elle s'est interrogée sur l'usage croissant de polycopiés à l'école, au détriment des livres.

M. Pierre Laffitte a critiqué également la pratique consistant à photocopier des extraits de livres, au détriment d'une lecture exhaustive des oeuvres. Il a suggéré que des livres en « fin de carrière » puissent être donnés aux bibliothèques des petites communes ou des quartiers de villes, ainsi qu'aux pays francophones aux moyens limités, plutôt que d'être détruits.

M. Pierre Martin a souligné que le respect du livre devait s'apprendre très tôt à l'école et il s'est interrogé, lui aussi, sur l'impact des photocopies sur le rapport des élèves au livre et à la lecture.

En réponse aux intervenants, M. Serge Eyrolles a apporté les précisions suivantes :

- le SNE est hostile aux opérations consistant à coupler ventes de presse et de livres, même si elles permettent d'élargir le marché, car elles entraînent un détournement de clientèle au détriment des libraires (leur développement en Espagne et en Italie le démontre d'ailleurs) et parce que la faiblesse des prix ne donne pas une juste image du livre. En outre, le développement d'une politique de gratuité des journaux (offerts dans de nombreux lieux, tels que les avions) a un impact négatif sur la situation de la presse et n'incite donc pas le secteur de l'édition à adopter ce type de pratique ;

- le prix des livres n'a pas changé depuis cinq ans ; en revanche, les politiques de rabais de certaines librairies évoluent (la FNAC réservera désormais ses réductions à ses adhérents, par exemple). Les éditions peu onéreuses connaissent une situation florissante ; ainsi les livres de la collection Poche ont vu leur volume de vente s'accroître de 40 % depuis quatre ans, en dépit d'un délai de parution postérieur de neuf mois à la publication initiale ;

- la politique de gratuité des manuels scolaires à l'école pose le problème de leur durée de vie, compte tenu notamment des fréquents changements de programmes. En outre, elle entraîne une diminution de l'activité des libraires, alors même qu'ils sont déjà souvent en situation de fragilité ;

- il serait intéressant de généraliser à nouveau la pratique des distributions de prix à l'école ;

- afin d'encourager la lecture de livres par les jeunes, M. Xavier Darcos, lorsqu'il était ministre de l'enseignement scolaire, avait rendu obligatoire la diffusion auprès des professeurs d'une liste de 180 livres dont la lecture pouvait être recommandée aux élèves ;

- les écarts de budgets consacrés aux livres par des communes de taille similaire vont de 1 à 10 ;

- nombre de livres destinés à être détruits ont été sanctionnés par le lectorat et ne méritent donc pas d'être diffusés dans de petites librairies ou à l'étranger ;

- de nombreuses librairies françaises à l'étranger, bien qu'aidées par le Gouvernement, sont dans un état critique et il conviendrait de les redynamiser ;

- il serait important de convaincre les pays étrangers d'adopter une loi sur le prix unique du livre.

Audition de Mme Françoise Cachin, directeur honoraire des Musées de France

La commission a ensuite procédé à l'audition de Mme Françoise Cachin, directeur honoraire des Musées de France.

Après avoir souligné les éminentes fonctions précédemment exercées par Mme Françoise Cachin au musée d'Orsay, du Louvre puis comme directrice des musées de France, M. Jacques Valade, président, a rappelé que celle-ci était également cosignataire d'un article intitulé « Les musées ne sont pas à vendre » publié dans les colonnes du journal Le Monde daté du 13 décembre 2006 et condamnant fermement les négociations en cours relatives à la construction d'un musée estampillé « Louvre » à Abou Dhabi.

Mme Françoise Cachin a affirmé que les préoccupations relatives à la création d'un musée à Abou Dhabi, formulées par la tribune publiée dans Le Monde, n'étaient pas le seul fait des trois cosignataires, mais étaient largement partagées par la profession des conservateurs de musées. Elle a ainsi rappelé qu'un article intitulé « Vends musées contre pétro-dollars » était paru dans le Journal des Arts à la même date.

Elle a déclaré que son opposition au projet de création d'un musée du Louvre à Abou Dhabi était étayée par des considérations morales et éthiques inspirées des principes républicains auxquels elle était attachée.

Elle a rappelé que la commercialisation du patrimoine national était un phénomène nouveau apparu récemment à la suite du prêt payant au High Museum d'Atlanta de trois chefs-d'oeuvre exposés au Louvre. En prêtant contre la somme de 5 millions d'euros des toiles telles que « Le Jeune Mendiant de Murillo », « Le portrait de Balthazar Castiglione » par Raphaël et une scène célèbre de Nicolas Poussin, elle a regretté que l'Etat français ait ainsi rompu avec la tradition séculaire du prêt gratuit.

Après avoir observé que ce type de politique commerciale n'avait jamais eu cours ni en France ni à l'étranger à l'exception de celle menée, en raison de son statut privé, par la fondation Guggenheim, elle s'est interrogée sur la possibilité juridique de louer à titre onéreux une partie du patrimoine artistique français.

S'agissant plus spécifiquement du projet d'Abou Dhabi, elle a estimé qu'il s'agissait d'une opération politique et diplomatique ne tenant compte d'aucune considération culturelle. Ce projet ne constituait pas une ouverture vers la culture occidentale, mais une distraction supplémentaire destinée à une ville pour milliardaires comparable à Las Vegas.

Précisant qu'elle n'était opposée ni à la construction d'un musée à Abou Dhabi, ni à l'organisation d'une exposition française au sein de ce musée, elle s'est en revanche déclarée choquée par l'idée que des représentants français puissent s'occuper du dépôt des oeuvres dans cet établissement, tout en conseillant ce nouveau musée pour ses futures acquisitions.

Elle a également rappelé que la France attirait chaque année des millions de touristes grâce à la richesse de ses musées et qu'il convenait par conséquent de conserver les principaux chefs-d'oeuvre au sein de collections exposées sur le territoire national.

Elle a indiqué que son opposition au projet de création du musée d'Abou Dhabi s'appuyait en second lieu sur des arguments de nature économique. Précisant que les principaux musées français rapportaient beaucoup de recettes indirectes, elle a estimé qu'il fallait prendre garde à ne pas dévaloriser cette manne financière.

Elle a mis en avant la tendance consistant à tenter de trouver régulièrement de nouvelles sources de financement pour les musées. Elle a toutefois souligné qu'à l'échelle internationale les musées français faisaient en ce domaine figure d'exception, compte tenu du soutien sans faille assuré par l'Etat et les collectivités territoriales.

En guise de conclusion, elle a affirmé que le développement du prêt payant des oeuvres d'art était effrayant, tout en reconnaissant que cette pratique était tentante pour les dirigeants des musées et des collectivités qui les abritent.

A l'issue de cette présentation, un large débat s'est engagé.

Après avoir précisé qu'il avait signé la pétition pour « le maintien de l'intégrité des collections des musées français » lancée par La Tribune de l'Art en raison de son attachement tant à la tradition française de l'échange d'oeuvres gratuit qu'aux dispositions de la déclaration de l'UNESCO sur les musées signée par la France rappelant le rôle de ces établissements en matière patrimoniale et éducative, M. Yves Dauge a estimé qu'il fallait tenter de trouver les moyens de sortir de cette situation par le haut.

Il a déclaré que la France ne devait pas suivre les dérives de la marchandisation de l'art lancée par le Guggenheim, mais plutôt rester fidèle à ses principes et à sa déontologie afin d'assurer son rayonnement culturel.

Regrettant que le Gouvernement se soit lancé dans le projet d'Abou Dhabi de manière quasiment secrète, il s'est interrogé sur le contenu du projet culturel et scientifique justifiant cette entreprise. Il a souhaité qu'aucun accord ne soit conclu entre les deux Etats avant que les principes fondamentaux de cette collaboration artistique ne soient définis.

M. Ivan Renar a regretté que la représentation nationale ait été informée de ce projet par l'intermédiaire de la presse, et non pas par le ministre de la culture. Il a souhaité que l'issue de ce débat soit à l'honneur de la République et que de nouvelles solutions soient proposées.

Soulignant la nécessité de faire circuler les oeuvres d'art tout en dénonçant la marchandisation de ces dernières, il a insisté sur la nécessité d'humaniser le phénomène de mondialisation actuel.

Afin de trouver une issue positive à cette situation traduisant certainement le malaise du corps des conservateurs de musées, il s'est prononcé en faveur de la rédaction d'une Charte de bonne conduite sur le sujet.

Après avoir rappelé que M. Henri Loyrette, président-directeur du musée du Louvres, avait affirmé, lors de son audition par la commission, que la location des oeuvres d'art proposées au futur musée d'Abou Dhabi se ferait à titre gratuit, M. Yann Gaillard a souhaité connaître la vérité à ce sujet.

Il s'est étonné des propos réducteurs tenus par Mme Cachin quant aux caractéristiques du lieu d'implantation de ce futur musée, M. Loyrette ayant, quant à lui, insisté sur le rayonnement de ce nouvel établissement dans l'ensemble des Emirats du Golfe persique.

Il a enfin souligné que la politique menée par le Louvre à Abou Dhabi s'apparentait à celle suivie par le centre Pompidou à Shanghai. Il a estimé qu'il s'agissait d'un mouvement d'échanges inéluctable nécessitant de dégager au niveau national une doctrine claire et cohérente.

M. Ambroise Dupont a affirmé que les élus pouvaient légitimement se préoccuper des politiques artistiques menées par les conservateurs de musées.

Après avoir souhaité connaître les conditions préconisées par Mme Cachin permettant d'encadrer efficacement l'échange des oeuvres, il s'est interrogé sur la possibilité de voir à terme une partie importante du patrimoine artistique et architectural français quitter le territoire. A cet égard, il s'est demandé si une protection excessive de ce patrimoine ne risquait pas de s'avérer contre-productive.

M. Pierre Laffitte a souligné le caractère passionnant du débat actuel. Il a souhaité que les pouvoirs publics définissent les conditions dans lesquelles des partenariats privilégiés pouvaient être passés avec des établissements étrangers afin d'assurer le rayonnement culturel français.

S'appuyant sur son expérience d'administrateur de la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, il a insisté sur le fait que l'importance des contreparties financières proposées à l'occasion des prêts consentis par les musées ou fondations était désormais prise en compte par ces institutions soucieuses d'équilibrer leurs comptes.

M. Jacques Valade, président, a estimé que les préoccupations légitimes de Mme Cachin ne devaient pas être affaiblies par des arguments spécieux. Il a notamment souligné que toutes les oeuvres prêtées avaient vocation, au terme d'une période plus ou moins longue, à revenir sur le territoire national.

Il a, par ailleurs, rappelé que, par manque de place, une infime partie des oeuvres composant les collections des principaux musées français étaient actuellement exposées. Dans ces conditions, il a estimé qu'il appartenait aux conservateurs d'assurer la rotation de ces oeuvres.

Il a souligné que le débat actuel faisait ressortir la nécessité :

- d'assurer le rayonnement culturel de la France à l'étranger ;

- d'encadrer la pratique des échanges d'oeuvres entre établissements ;

- de définir un code de bonne conduite à ce sujet.

En réponse aux intervenants, Mme Cachin a apporté les précisions suivantes :

- il convient de tordre le coup au mythe des réserves pléthoriques des musées français. Certes, le musée du Louvre n'expose que 35 000 des 350 000 pièces qu'il détient, soit seulement 10 %. Mais les oeuvres laissées en réserve n'ont pas pour autant les mêmes caractéristiques que les pièces présentées : ainsi les 200 000 dessins et gravures ne peuvent être exposés plus de trois mois par an pour des raisons de conservation, alors que les nombreuses pièces archéologiques sont quasiment impossibles à présenter au public.

Seul, le musée d'art contemporain Georges Pompidou, qui n'expose que 1 500 de ses 58 000 oeuvres, fait exception à cette règle. Si ce musée disposait de suffisamment d'espace pour exposer la totalité de ses collections, il pourrait devenir l'équivalent français du Museum of Modern Art de New York. Dans ces conditions, la création d'une antenne du musée Pompidou à Shanghai peut se concevoir.

- les échanges d'oeuvres d'art ne doivent pas se faire à titre payant. De même, les pièces majeures du patrimoine français ne devraient être prêtées que dans le cadre d'expositions réalisées par des conservateurs, et non isolément.