Mercredi 22 février 2006

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

Audition de M. Seyed Ali Moujani, chargé d'affaires ad interim à l'ambassade de la République islamique d'Iran

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Seyed Ali Moujani, chargé d'affaires ad interim à l'ambassade de la République islamique d'Iran.

M. Serge Vinçon, président, a souhaité que M. Moujani apporte à la commission les précisions nécessaires concernant le programme nucléaire initié par son pays, présenté comme ayant un objectif énergétique civil, mais dont la communauté internationale s'inquiète des risques potentiels qu'il recèle vers l'acquisition d'une capacité nucléaire militaire. Une telle évolution pourrait constituer un élément d'incertitude grave dans une région où le dialogue et la diplomatie doivent prévaloir.

Trois pays européens, dont la France, a poursuivi M. Serge Vinçon, président, ont choisi la voie diplomatique pour permettre le développement de capacités nucléaires civiles en Iran, tout en écartant les risques liés à l'enrichissement de l'uranium, qui pourrait avoir un usage militaire. Cette négociation est aujourd'hui au point mort. M. Serge Vinçon, président, a souhaité savoir si l'Iran accepterait la proposition russe relative à l'enrichissement de l'uranium en Russie et si, plus généralement, son pays pourrait s'engager, de façon précise et transparente, à dissiper les inquiétudes internationales.

M. Seyed Ali Moujani a rappelé que l'Iran se trouve au centre d'une région caractérisée par une évolution géopolitique constante. Ainsi, le nombre de ses voisins est passé de cinq à quinze depuis 1919. La population iranienne est persanophone et majoritairement chiite et, à l'échelle du monde, le nombre de chiites atteint environ 196 millions et celui des persanophones à environ 164 millions. Ces deux composantes se sont réunies, dès 1501, pour constituer le premier gouvernement national et religieux persan-chiite. La Perse a, de longue date, tissé des liens avec l'Europe, en particulier pour contrer l'expansionnisme ottoman.

M. Seyed Ali Moujani a explicité la logique de la diplomatie iranienne, qui se fonde sur une politique d'équilibre destinée à obtenir ou préserver la paix. Quelles que soient les situations historiques (guerres mondiales, guerre froide, crise pétrolière, Révolution islamique), l'Iran n'a jamais choisi de s'allier avec une puissance étrangère particulière.

Le chargé d'affaires a rappelé que l'Iran, depuis un siècle, avait dû s'adapter à un environnement perturbé. Aujourd'hui, le pays relève le défi d'une forte concentration urbaine, de l'éducation de sa population, d'une importante croissance économique et, enfin, d'une démographie en augmentation. Les besoins énergétiques de l'Iran sont donc croissants. Le pays a fait le choix de l'énergie nucléaire, dans la mesure où les ressources fossiles sont limitées et consacrées essentiellement aux investissements nécessaires pour les industries de transformation ainsi qu'à la production du combustible nécessaire aux transports intérieurs.

M. Seyed Ali Moujani a souligné que l'Iran constituait une puissance nucléaire pacifique qui avait adhéré, dès 1958, à l'Agence internationale de l'énergie atomique et, dès 1969, au Traité de non-prolifération nucléaire. Le programme nucléaire iranien, commencé en 1970, a été marqué, en 1974, soit cinq ans avant la Révolution islamique, par la création de l'usine de conversion de l'uranium à Ispahan et, en 2000, par la construction des installations d'enrichissement de Natanz. Ce programme nucléaire pacifique a été affecté par l'annulation unilatérale des contrats, par certains des pays européens, au mépris des besoins énergétiques iraniens ; la méfiance s'est donc installée dans le processus de négociation entre l'Iran et les pays maîtrisant la technologie nucléaire.

Depuis mars 2003, date à laquelle le Président de la République Islamique d'Iran a déclaré que les chercheurs iraniens avaient acquis le savoir nucléaire, le programme nucléaire de ce pays fait l'objet d'un débat hautement politique. En octobre 2003, par la déclaration de Téhéran, l'Iran a accepté de suspendre, volontairement et momentanément, à tout enrichissement d'uranium et à accroître sa coopération avec l'AIEA pour lever certaines ambiguïtés. En contrepartie, les pays de la troïka européenne (France, Allemagne, Grande-Bretagne) se sont engagés à dissiper les inquiétudes sécuritaires iraniennes (sécurité régionale, menaces terroristes, protection des frontières contre la mafia de la drogue, immigration illégale) et à coopérer avec l'Iran dans le programme nucléaire pacifique pour le développement économique du pays et de la région. Toutefois, l'Iran, bien qu'ayant pratiqué une politique de transparence, a été déçu, en particulier, de ce que, jusqu'au 8 août 2005, la partie européenne n'avait toujours pas présenté, le projet exhaustif de coopération, annoncé dans la Déclaration de Paris du 15 novembre 2004, et ce retard était un manquement à la Déclaration de Paris.

L'unilatéralisme européen qui a marqué ces négociations et le mépris des préoccupations iraniennes pour un développement nucléaire pacifique expliquent qu'en novembre 2005, l'usine d'Ispahan ait commencé la conversion d'uranium et qu'en janvier 2006 des activités de recherche aient débuté, sur un certain nombre de centrifugeuses de laboratoires d'essais. Les négociations irano-européennes, relancées à l'initiative iranienne, n'ont pas abouti à ce jour. Quant à la récente proposition russe, la première version de cette proposition entraînait l'appropriation par la Russie du savoir des scientifiques iraniens, ce qui n'est pas envisageable, aussi les négociations ont commencé avec la Russie et se poursuivent toujours. Selon les diplomates européens le dernier événement marquant de ce dossier est le « dialogue de sourds » du 4 février 2006, à l'issue duquel l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique a émis une résolution dans son rapport sur le dossier iranien à l'intention du Conseil de sécurité.

A la suite de cet exposé, M. Aymeri de Montesquiou, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Iran, a fait état d'un climat d'incompréhension persistant entre l'Iran et la communauté internationale, alors même que chacun s'accorde à reconnaître la valeur de l'héritage historique et religieux de l'Iran, son rôle éminent, sur le plan politique et religieux, dans toute la région, tout comme sa capacité à influer sur le règlement de plusieurs questions clefs comme celles de l'Irak ou du conflit israélo-palestinien. Il a également rappelé que l'Iran faisait de l'opposition à toute présence militaire étrangère dans la région une constante de sa politique étrangère. Il a reconnu que les différences culturelles, par exemple celles qui peuvent exister entre un système théocratique comme celui de l'Iran et un Etat laïc comme la France, pouvaient constituer une source d'incompréhension. Il a aussi estimé que certaines déclarations contribuaient à créer des tensions inutiles. Cela avait été le cas lorsque le président Georges Bush avait stigmatisé un « axe du mal », mais les récents propos du président iranien sur l'Etat d'Israël et son droit à l'existence n'étaient absolument pas acceptables. M. Aymeri de Montesquiou a enfin considéré que le différend actuel entre l'Iran et la communauté internationale ne pouvait être résolu sans l'acceptation par l'Iran de la plus grande transparence possible en matière de non-prolifération nucléaire. Estimant que les réponses actuellement apportées n'étaient pas suffisantes, il s'est demandé si l'une des voies à explorer ne pouvait pas être la constitution, entre l'Iran et des compagnies étrangères, d'une société commune chargée des activités d'enrichissement du combustible.

M. Seyed Ali Moujani a tout d'abord estimé que la présence de forces étrangères dans la région n'avait fait qu'accroître les tensions dans la région. Il a notamment mentionné l'augmentation du trafic de stupéfiants qui n'avait pas été enrayée et regretté que les Européens n'aient pas été en mesure d'apporter à l'Iran les garanties qu'il attendait en matière de sécurité. Il a souhaité la mise en place d'un véritable système de sécurité régionale, couvrant la zone allant du Yémen à l'Afghanistan, et considéré que les Européens avaient un rôle majeur à jouer à cet effet. S'agissant des propos tenus par le président Ahmadinejad au sujet d'Israël, M. Seyed Ali Moujani a estimé qu'ils avaient fait l'objet d'interprétations erronées et qu'il convenait de se référer aux positions officiellement exprimées par les plus hautes autorités iraniennes, comme celles rappelées par le secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale iranienne lors de son interview en direct sur France Inter le jeudi 17 février 2005 . En ce qui concerne le programme nucléaire iranien, il a indiqué que son pays souhaitait que soit reconnu son droit légitime à l'accès aux technologies nucléaires civiles. Il a précisé que l'Iran n'émettait pas d'opposition de principe sur le recours à un consortium international pour la production du combustible nucléaire, mais qu'il ne pouvait, en aucun cas, renoncer à conserver sur son sol les activités de recherche que lui permet de conduire le savoir-faire accumulé par ses scientifiques au cours de ces dernières années. Il a déploré que persiste sur ce dossier un dialogue de sourds entre l'Iran et ses interlocuteurs européens, ces derniers ne tenant pas suffisamment compte, à ses yeux, des réalités iraniennes.

Mme Dominique Voynet s'est étonné des justifications avancées par le chargé d'affaires à l'appui des activités conduites par l'Iran dans le domaine nucléaire, compte tenu notamment des possibilités offertes par l'exploitation de considérables réserves en pétrole et en gaz. Elle a également rappelé qu'alors en charge de l'environnement au sein du Gouvernement français, elle avait présenté des propositions à son homologue iranien en vue de coopérations dans le domaine des énergies renouvelables. Elle a douté que la création d'une filière nucléaire complète allant de la construction de centrales à la gestion des déchets, en passant par la fabrication du combustible, représente pour l'Iran un investissement rentable. Elle s'est par ailleurs demandé si l'élévation du niveau socio-économique n'allait pas hâter la transition démographique en Iran et elle a souhaité savoir si les pouvoirs publics prenaient des mesures en vue de modérer l'augmentation de la population.

M. Seyed Ali Moujani a répondu que l'économie de l'Iran était aujourd'hui dépendante du pétrole, l'essentiel des échanges s'effectuant par voie routière. Il a indiqué que le prix de l'essence était largement subventionné par l'Etat afin de maintenir un coût modéré pour l'usager. Il a également fait état des coûts d'exploitation élevés qui réduisent les possibilités de pleinement bénéficier des importantes réserves énergétiques du pays. En ce qui concerne l'accroissement démographique, il a précisé qu'en une quinzaine d'années, son taux était revenu de 3,4 % à 1,4 % par an, ce qui témoignait des efforts accomplis par les pouvoirs publics pour en modérer l'évolution. En dépit de ce ralentissement, la population pourrait cependant dépasser 100 millions d'habitants d'ici à une vingtaine d'années.

M. Jean François-Poncet a souligné qu'au-delà des Européens et des Etats-Unis, des pays comme la Russie, la Chine et l'Inde venaient de montrer, par leur vote au sein du conseil des gouverneurs de l'AIEA, qu'ils n'étaient pas, eux non plus, convaincus par les arguments avancés par l'Iran à l'appui de son programme nucléaire. Rappelant que les voisins de l'Iran, notamment l'Arabie Saoudite et l'Egypte, étaient eux aussi très préoccupés par cette question, il a évoqué le risque de voir certains d'entre eux tentés de développer des capacités nucléaires militaires si le programme nucléaire iranien devait se poursuivre dans les conditions actuelles, qui ne permettent pas de garantir sa finalité exclusivement civile.

M. Seyed Ali Moujani a considéré que l'attitude de la Russie pouvait se justifier par sa crainte de voir son influence politique et économique se réduire davantage en Asie centrale et dans le Caucase si l'Iran venait à accélérer son développement économique grâce à l'accès à l'énergie nucléaire civile. Il a estimé que la Chine était essentiellement préoccupée par sa croissance économique et qu'elle ne souhaitait pas entrer en conflit avec une partie de la communauté internationale au sujet de l'Iran, bien qu'elle admette pleinement le droit de ce dernier à disposer de l'énergie nucléaire civile. S'agissant des pays de la région, il a souligné que l'Iran entretenait avec eux des relations confiantes. Il a indiqué qu'avec l'Arabie Saoudite, la coopération était étroite et que les questions concernant le plateau continental du Golfe Persique avaient été réglées. Il a écarté tout risque de prolifération nucléaire dans la région, estimant au contraire que la reconnaissance du droit de l'Iran à développer un programme nucléaire civil consoliderait l'autorité de l'AIEA et des régimes internationaux de non-prolifération.

Mme Josette Durrieu a rappelé les conditions dans lesquelles était intervenu l'accord de Téhéran du 21 octobre 2003 entre l'Iran et les trois ministres des affaires étrangères français, britannique et allemand. Elle a estimé qu'au lendemain même de sa signature, des doutes étaient apparus sur la possibilité de réellement rétablir la confiance et de lever toutes les inquiétudes de la communauté internationale. Elle a évoqué les événements survenus depuis lors et souhaité connaître la position de l'Iran sur les moyens de résoudre la crise en cours et de garantir la stabilité dans l'ensemble de la région.

M. Seyed Ali Moujani a indiqué que l'Iran avait constamment agi en vue de réduire les sources d'inquiétude de la communauté internationale. Il a estimé qu'en dépit des engagements pris, les Européens n'avaient pour leur part effectué aucune proposition de nature à renforcer la stabilité régionale. Il a précisé qu'en la matière, le conflit israélo-palestinien ne constituait pas la seule préoccupation de l'Iran. Il a évoqué le développement inquiétant du trafic de stupéfiants, alors que les Européens refusent à l'Iran d'acquérir les équipements modernes, en particulier les radars, qui permettraient de contrôler ses frontières. Il a également cité l'expansion du salafisme et du terrorisme, favorisée par les occupations étrangères - soviétique puis américaine - en Afghanistan. Il a souligné que l'Iran avait constamment démenti vouloir se doter d'une capacité nucléaire militaire et il a ajouté que l'exemple du Pakistan montrait que la voie du nucléaire militaire s'accompagnait d'une paupérisation déstabilisatrice pour le pays et l'ensemble de la région. Si l'Iran se distingue dans la région, cela résulte du haut degré de scolarisation et d'éducation d'une population désormais très largement urbanisée et de sa capacité à développer, de ce fait, une coopération bénéfique avec ses voisins.

Mme Catherine Tasca a relevé une contradiction dans les positions exprimées par les autorités iraniennes, qui mettent en avant les nécessités économiques et sociales d'un développement de l'énergie nucléaire civile, tout en insistant sur les préoccupations liées à la sécurité et aux rapports de force stratégiques dans la région. Elle a estimé qu'il en résultait nécessairement des doutes sur l'objectif réel du programme nucléaire iranien. Aussi a-t-elle souhaité que l'Iran offre toutes les garanties de transparence nécessaires en matière de programme nucléaire civil sans les conditionner au règlement des différentes questions de sécurité propres à la région. Par ailleurs, elle a récusé les explications fournies par le chargé d'affaires au sujet des déclarations du président Ahmadinejad à propos d'Israël. Elle a estimé que les déclarations publiques du premier responsable d'un Etat engageaient nécessairement celui-ci et ne pouvaient être assimilées à de simples opinions personnelles.

M. Seyed Ali Moujani a souligné les efforts accomplis par l'Iran pour contribuer à la sécurité régionale. Il a mentionné la coopération étroite avec les services occidentaux, notamment les services français, pour rechercher les éléments terroristes fuyant l'Afghanistan après le 11 septembre 2001. Il a également cité les coopérations en cours, dans le domaine sécuritaire, au sujet de l'Afghanistan et de l'Irak. S'agissant des propos du président Ahmadinejad, il a réaffirmé que ceux-ci avaient été mal interprétés. Si l'éventualité de voir l'Etat d'Israël effacé de la carte du monde a pu être évoquée, ce n'est, dans l'esprit du président, que dans le cadre d'un processus démocratique au terme duquel les populations concernées pourraient librement choisir leur destin. Par le passé, la Palestine, l'Union soviétique ou la Yougoslavie ont bien été effacés des cartes du monde. Le président Ahmadinejad a voulu dire que, seules, les populations des territoires en cause peuvent décider si elles veulent vivre au sein d'un seul ou de deux Etats.

M. Robert Bret a demandé si, dans le cadre du processus de retour à la pleine souveraineté en cours au Liban, l'Iran considérait devoir continuer à financer le Hezbollah.

M. Seyed Ali Moujani a répondu que l'Iran continuerait à financer le Hezbollah tout comme le Hamas. Il a considéré que ces deux organisations constituaient des forces politiques et sociales utiles et des organisations de résistance que l'Iran aidait de manière totalement transparente. Il a signalé que, si toute source officielle de financement leur était supprimée, ces organisations seraient confrontées à la pauvreté et la faiblesse et le climat deviendrait favorable pour les organisations terroristes. Il s'est étonné de les voir qualifiées d'organisations terroristes alors qu'à l'image de la Résistance en France durant la seconde guerre mondiale, elle n'ont été constituées que pour s'opposer à une occupation étrangère.

M. Robert Bret a jugé hasardeuse la comparaison entre le Hezbollah et la Résistance française à l'occupation nazie. Il a par ailleurs estimé que c'était aujourd'hui à l'armée régulière libanaise d'assurer la sécurité sur l'ensemble du territoire du Liban.

M. Seyed Ali Moujani a indiqué que le Hezbollah constituait une force politique reconnue au Liban et que son intégration à l'armée régulière constituerait un processus progressif.

M. Charles Pasqua a considéré qu'il était normal qu'un grand pays comme l'Iran souhaite être maître de son destin, mais il a souligné qu'il lui était essentiellement demandé aujourd'hui de fournir des garanties sur la nature exclusivement civile de son programme nucléaire. Il a indiqué que dans d'autres domaines, l'Iran avait su monter sa capacité à coopérer et à tenir ses engagements. Il a constaté que, sur le terrain du nucléaire, la compréhension entre Iraniens et Européens n'avait guère progressé et que si la différence des types de systèmes politiques de part et d'autre pouvait constituer une difficulté, il appartenait néanmoins à l'Iran de comprendre les réels motifs d'inquiétude des dirigeants européens et d'une large part des opinions publiques, face au risque de prolifération nucléaire. Par ailleurs il a jugé inacceptable toute attitude pouvant apparaître comme témoignant d'une volonté de détruire l'Etat d'Israël.

M. Seyed Ali Moujani a estimé que l'Iran avait fourni de multiples garanties quant à la finalité de son programme nucléaire, à travers son adhésion au traité de non-prolifération nucléaire, la mise en oeuvre du protocole additionnel et l'acceptation des contrôles de l'AIEA. Il a déploré les malentendus actuels entre la France et l'Iran alors que les deux pays partagent tant de valeurs communes, comme l'attachement à l'indépendance, à la liberté et à la justice, au multilatéralisme et à la diversité culturelle. Il a regretté qu'au cours des derniers mois, l'attitude française à l'égard de l'Iran se soit trop souvent révélée hostile et menaçante. Il a rappelé que l'Iran était une démocratie et que les démocraties n'avaient jamais de visées agressives à l'encontre d'autres pays. Il a d'ailleurs souligné qu'au cours des deux derniers siècles, l'Iran n'avait jamais attaqué un pays tiers.

M. Robert Del Picchia a demandé si pour prouver sa bonne foi, l'Iran serait prêt à accueillir sur son territoire des experts et journalistes internationaux qui seraient totalement libres d'aller et venir pour mener leur enquête sur le programme nucléaire iranien.

M. Jean-Pierre Plancade a estimé que le rôle régional majeur de l'Iran et son rayonnement culturel rendaient d'autant moins acceptables les déclarations du président Ahmadinejad à propose de l'Etat d'Israël. S'agissant du programme nucléaire, il a rappelé que l'accès à l'énergie nucléaire civile n'était en rien contesté, mais qu'une transparence totale s'imposait comme un impératif absolu. Enfin, il a considéré que l'Iran ne pouvait se dire victime d'un traitement discriminatoire, dans la mesure où un très grand nombre d'Etats partageaient les mêmes inquiétudes quant au risque de prolifération nucléaire.

Mme Hélène Luc a souligné que le statut régional de l'Iran lui imposait des responsabilités particulières. Elle a considéré que l'attitude réservée et responsable de la France à propos de la guerre d'Irak ne donnait que plus de force aux exigences qu'elle formule au sujet du programme nucléaire iranien. Elle a insisté sur les dangers que fait peser sur la sécurité mondiale la prolifération nucléaire et sur la nécessité, pour tous les Etats, de s'engager sur la voie d'une élimination progressive des armes nucléaires. Enfin, elle a estimé que la question de la Palestine ne pouvait être réglée si l'existence d'Israël n'est pas pleinement reconnue.

M. Serge Vinçon, président, a rappelé que le processus démocratique ayant permis au Hamas d'accéder au pouvoir découlait des accords d'Oslo, qui ont consacré la reconnaissance d'Israël par les Palestiniens.

Mme Catherine Tasca a demandé des précisions sur la politique de l'Iran à l'égard de la Russie et des pays issus de l'ex-Union soviétique.

En réponse à ces différentes questions, M. Seyed Ali Moujani a apporté les précisions suivantes :

- l'Iran est disposé à faire preuve de la plus grande transparence à l'égard de l'opinion publique internationale, comme en témoigne la possibilité récemment offerte à deux journalistes français d'interroger en direct le Secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale iranienne ;

- les inquiétudes exprimées par les responsables français sont transmises par l'ambassade au gouvernement iranien, qui en est donc pleinement informé ;

- l'aggravation de la crise actuelle ne touchera pas seulement l'Iran ; c'est l'ensemble de la communauté internationale qui serait touchée par l'affaiblissement de l'Iran ;

- l'attitude de la France n'a pas toujours été bienveillante à l'égard de l'Iran, puisqu'elle a apporté son soutien à Saddam Hussein lors du conflit irako-iranien ;

- la première version de la proposition émise par la Russie n'est pas acceptable par l'Iran, dans la mesure où elle se traduirait par un transfert du savoir-faire iranien sur le territoire russe ;

- l'Iran souhaite des relations fructueuses avec tous les pays issus de l'Union soviétique, fondées sur un développement des relations commerciales et un renforcement de la stabilité régionale ;

- l'Iran ne porte en rien atteinte à la crédibilité du TNP, à la différence de la nouvelle doctrine nucléaire française qui fragilise l'article 6 du TNP ; bien au contraire, les discussions avec l'Iran ont permis à l'AIEA de trouver une nouvelle crédibilité ;

- la suspension du soutien financier européen à l'autorité palestinienne ne pourrait que produire des effets contraires aux attentes européennes ; dès lors que le Hamas s'inscrit dans un processus démocratique, il n'y a aucune raison de refuser de coopérer avec lui ;

- l'Europe n'a formulé des propositions de coopération économique avec l'Iran qu'au moment où elle a pris conscience que l'Iran pouvait accéder à l'énergie nucléaire civile ; ces propositions sont en outre très insuffisantes et ne répondent pas aux attentes de l'Iran dans le domaine énergétique.

M. Serge Vinçon, président, a tenu a préciser que la présence étrangère, et notamment française, en Afghanistan, ne pouvait être considérée comme un facteur d'instabilité, puisqu'elle avait au contraire permis de chasser les Talibans et d'engager un processus de reconstruction et d'établissement d'un Etat démocratique. S'agissant du financement de l'autorité palestinienne, il a rappelé qu'il était subordonné à la reconnaissance de l'Etat d'Israël et à l'arrêt des violences. Enfin, il a estimé que les propos du président Ahmadinejad ne pouvaient être considérés comme une simple opinion personnelle dès lors qu'ils portaient sur l'existence même d'un Etat reconnu par la communauté internationale.

Après avoir remercié le chargé d'affaires de l'ambassade d'Iran, M. Serge Vinçon, président, a conclu en soulignant que chacun reconnaissait le rôle régional de l'Iran et son droit à disposer de l'énergie nucléaire civile. Il s'est inquiété du climat d'incompréhension actuel et a évoqué les conséquences d'un rejet par l'Iran des propositions russes et d'un examen du dossier par le Conseil de sécurité des Nations unies. Il a souhaité une poursuite des efforts, de part et d'autre, pour préserver les perspectives de paix et de stabilité dans la région.

Audition de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères.

M. Serge Vinçon, président, a souligné que la venue du ministre des affaires étrangères constituait l'occasion d'évoquer les principaux sujets de l'actualité internationale. Il en a relevé deux en particulier : le dossier nucléaire iranien, qui ne semble pas évoluer positivement, et la mise en place de la nouvelle autorité palestinienne, après la victoire électorale du Hamas. Il a estimé que cette victoire posait la question du soutien financier à l'autorité palestinienne, que l'Union européenne sera amenée à poursuivre ou à interrompre, à terme, selon la position que prendra le mouvement à l'égard d'Israël.

Evoquant d'abord la situation dans les territoires palestiniens, M. Philippe Douste-Blazy a rappelé la récente victoire électorale du Hamas, qui allait le conduire à occuper une place centrale au sein de l'Autorité palestinienne. Il a précisé que le Président Mahmoud Abbas avait chargé, lors de la séance inaugurale du nouveau Conseil législatif palestinien, le 18 février dernier, un représentant du Hamas, M. Ismaïl Haniyeh, de former le gouvernement. M. Haniyeh dispose de trois à cinq semaines pour parvenir à constituer un gouvernement que le Hamas souhaite d'union nationale. Le ministre a estimé que ce contexte plaçait le Président Abbas au centre du jeu politique palestinien, car il était le garant de la pérennité des institutions, et le partenaire principal de la communauté internationale. Alors qu'il constituera sans doute le principal contre-pouvoir au futur gouvernement dominé par le Hamas, le Président Abbas demeure fidèle à une solution négociée du conflit israélo-palestinien, seule capable d'aboutir à deux Etats vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. Il a d'ailleurs rappelé les principes politiques qui devront encadrer l'action du futur gouvernement : maintien de la négociation avec Israël, respect des accords passés avec ce pays, ainsi que le dépôt des armes, sous le contrôle exclusif des forces de sécurité internationales. M. Philippe Douste-Blazy a estimé que le Hamas avait montré certains signes d'évolution possible mais refusait encore à ce stade d'entrer dans une logique de dialogue et de responsabilité, marquée par la reconnaissance d'Israël et la reprise du processus de paix.

Le ministre a ensuite fait état de la situation prévalant aujourd'hui en Israël, caractérisée par la campagne électorale pour les législatives du 28 mars prochain. Cette campagne est dominée par l'avenir du processus de paix et les relations qu'il sera possible d'entretenir avec une autorité palestinienne dominée par le Hamas. Les autorités israéliennes semblent avoir fait, pour l'heure, le choix d'une ligne dure, refusant de poursuivre le versement des taxes perçues au nom de l'Autorité palestinienne, durcissant les conditions de circulation dans les territoires, accroissant les obstacles à l'entrée et à la sortie des territoires palestiniens aux membres du Conseil législatif. Le ministre a relevé que les sondages plaçaient le parti Kadima, fondé par Ariel Sharon, largement en tête des intentions de vote, loin devant le Parti travailliste et le Likoud. M. Ehoud Olmert, Premier ministre par interim, pourrait donc se voir confirmé à son poste.

Le ministre a constaté que la communauté internationale souhaitait afficher une position ferme et cohérente face à cette nouvelle donne régionale, et procéder à une évaluation générale des politiques dans la perspective d'une relance, à terme, du processus de paix. Trois principes fondamentaux que devra suivre tout gouvernement palestinien ont recueilli l'unanimité : renonciation à la violence de façon explicite et publique, reconnaissance de l'Etat d'Israël et des accords précédemment conclus entre Israël et les Palestiniens, notamment les accords d'Oslo de 1993. L'Union européenne et les Etats-Unis s'accordent également sur le refus de tout contact avec les dirigeants du Hamas, mouvement qui reste inscrit, à ce jour, parmi les organisations terroristes. Cette position ne pourra être réexaminée qu'à la lumière des engagements pris par le Hamas vis-à-vis des trois principes évoqués.

Puis M. Philippe Douste-Blazy a évoqué la question cruciale du maintien de l'assistance internationale à l'Autorité palestinienne. Cette assistance, d'un montant annuel de 1,3 milliard de dollars, est indispensable au fonctionnement de l'Autorité et constitue sa principale ressource. L'Union européenne a donc décidé de maintenir son assistance, dans l'attente de la composition du prochain gouvernement palestinien et de ses orientations politiques.

Le ministre a déclaré que le respect, par le Hamas, des trois principes déjà cités constituait un préalable indispensable, dont le non-respect conduirait au réexamen de l'assistance européenne. Il convenait cependant de prévenir le développement d'une situation chaotique dans les territoires palestiniens, car un effondrement de l'Autorité palestinienne et de l'économie de ces territoires offrirait un terrain propice à tous les extrémismes et à une reprise de la violence à grande échelle. Il a cependant estimé que le peuple palestinien ne devait pas se sentir puni pour avoir voté en faveur du Hamas, et a donc appelé à une action sur le futur gouvernement palestinien, et le Hamas derrière lui, de nature à lui faire adopter des positions acceptables par tous.

Le ministre a ensuite évoqué le dossier nucléaire iranien. Il a estimé que la communauté internationale devait manifester conviction et fermeté face à ce dossier, et a rappelé que, depuis le mois d'août 2005, le gouvernement iranien persistait dans une position de fermeture, dans ses actes comme dans ses décisions. Cette position s'est notamment traduite par la reprise des opérations de conversion de l'uranium, la reprise de l'enrichissement et l'introduction de matière nucléaire dans les centrifugeuses, la coopération insuffisante avec l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique), le refus de discuter réellement des propositions russes, enfin, les propos inqualifiables du Président iranien sur Israël et l'Holocauste. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont fait montre d'unité dans ce dossier. Comme l'a montré la résolution de l'AIEA du 4 février dernier et le rapport transmis au Conseil de sécurité, M. Philippe Douste-Blazy a rappelé que la visite à Moscou du Premier ministre français avait été l'occasion d'une convergence d'analyse avec les Russes, et que la France se félicitait du rôle positif joué par Moscou dans ce dossier. Le ministre a souligné que son homologue britannique, M. Jack Straw, avait adopté une attitude analogue. La politique iranienne du fait accompli devrait conduire le directeur général de l'AIEA, M. El-Baradeï, à faire rapport à cette instance qui sera transmis au Conseil de sécurité de l'ONU. Il incombera ensuite à cet organe de prendre les décisions adéquates.

Le ministre a alors évoqué la crise suscitée par la publication, dans un journal danois, de caricatures de Mahomet. La reprise de ces dessins dans plusieurs organes de presse, notamment français, a suscité des interrogations dans l'opinion publique et a provoqué des réactions sérieuses à l'étranger vis-à-vis de notre pays. Ainsi, en Iran, notre ambassade a fait l'objet d'une manifestation hostile et peu spontanée. En Syrie également, la mission diplomatique française a été attaquée et, au Liban, des incidents graves ont conduit au saccage du Consulat du Danemark. L'onde de choc suscitée par cette publication continue à se propager, avec des manifestations violentes, au Nigéria, au Pakistan et en Libye. Le ministre a souligné que les ambassades et consulats français restaient mobilisés pour assurer la sécurité de nos compatriotes et que ceux-ci avaient été invités à faire preuve de vigilance et de prudence. Les autorités françaises s'étaient montrées fermes et actives dès le début de cette crise : ainsi, lors de la première publication des caricatures dans un quotidien français, le ministère a fait connaître sa position de manière précise et publique, en condamnant les violences exercées contre les missions diplomatiques européennes, mais en rappelant également son attachement au principe de liberté de la presse, à l'esprit de tolérance et au respect des croyances et des religions. Le 2 février, les ambassadeurs des pays arabes ont été reçus au ministère des affaires étrangères. Enfin, le Président de la République a condamné, le 8 février dernier, « toutes les provocations manifestes susceptibles d'attiser dangereusement les passions ».

M. Philippe Douste-Blazy s'est félicité de voir la tension s'apaiser, notamment en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et a rappelé l'initiative du Haut représentant européen pour la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), M. Javier Solana, de se rendre dans les pays les plus marqués par les troubles. Un projet de résolution est à l'étude à l'Assemblée générale de l'ONU concernant l'islamophobie et la diffamation des religions. La France, pour sa part, s'en tient à la déclaration tripartite signée le 7 février dernier entre les secrétaires généraux de la Conférence islamique et des Nations unies, et le Haut Représentant, M. Solana.

M. Philippe Douste-Blazy a, par ailleurs, évoqué la situation en Haïti, après l'élection, le 7 février, au premier tour, de M. René Préval à la présidence. La suite du processus électoral, et notamment le deuxième tour des élections législatives prévu le 19 mars, devrait se dérouler dans des conditions transparentes. La France encourage, dans ce contexte, le Président Préval à promouvoir un climat de dialogue qui associerait l'ensemble des forces politiques dans un esprit de réconciliation nationale. Le ministre a précisé que la France entendait poursuivre sa collaboration avec Haïti, notamment dans les domaines du développement et de la sécurité, et soutenait l'action de la MINUSTAH (mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti) dont le mandat vient d'être renouvelé pour six mois. Il convient cependant d'engager une réflexion sur ce mandat pour évaluer les effectifs comme les missions de la MINUSTAH, en tenant compte des priorités des autorités récemment élues.

Le ministre a ensuite abordé l'actualité européenne avec l'analyse de la directive « services » votée par le Parlement européen le 16 février dernier. Il a souligné que les modifications introduites par le Parlement européen donnaient satisfaction à la France sur la plupart des points importants. Ainsi, le principe du pays d'origine a été écarté au profit du respect du droit social du pays d'accueil, comprenant les conventions collectives. Les inspecteurs du travail conserveront, sur notre territoire, tous les moyens actuellement à leur disposition pour contrôler l'application du droit du travail national.

Le ministre a ainsi estimé que le Parlement européen avait permis d'approfondir le marché européen tout en respectant les diversités nationales et les niveaux de protection propres à chaque pays. Le Parlement a également réduit le champ d'application de la directive, qui ne s'applique plus aux services publics non marchands, aux transports, à la santé, aux services sociaux, aux services juridiques ainsi qu'à l'audiovisuel au sens large. Les services d'intérêt économique général, comme les réseaux d'eau, d'électricité ou de gaz, bénéficieront de protections, tout comme les services locaux. Le ministre a estimé que les services publics étaient ainsi protégés d'une mise en concurrence.

Il a observé que ce texte avait été voté massivement par les parlementaires européens, de droite comme de gauche, par le PPE comme par le PSE. L'ampleur de ce vote devra être prise en compte lors des discussions du Conseil européen de mars prochain et par la Commission, dans la proposition révisée qu'elle devra soumettre au Conseil avant l'été. Le ministre s'est félicité de ce vote, qui démontre que le Parlement européen est à l'écoute de l'opinion publique des Etats membres sur cette question difficile. Il a également souligné les bénéfices que l'emploi en France pourrait tirer d'une ouverture des services au sein de l'Union.

M. Philippe Douste-Blazy a conclu en évoquant le récent déplacement du Président de la République en Inde, qui a notamment permis de faire avancer le dossier nucléaire civil, en négociation depuis plusieurs années. Il a rappelé que la forte croissance économique de l'Inde, qui n'est pas signataire du Traité de non-prolifération (TNP), se traduisait par de gros besoins énergétiques, aujourd'hui satisfaits par des énergies fossiles, comme le pétrole et le charbon. Pour faire évoluer cette situation potentiellement préjudiciable à l'environnement, l'Inde s'est engagée à se soumettre au contrôle de l'AIEA, et la France à lui fournir les éléments indispensables au développement d'une industrie nucléaire civile.

Un débat a suivi l'exposé du ministre.

M. Serge Vinçon, président, s'est demandé si la participation du Fatah, parti qui a reconnu l'Etat d'Israël, à un futur gouvernement palestinien pourrait susciter un infléchissement des conditions préalables posées pour le versement de l'aide communautaire.

M. Jean-Pierre Plancade a fait part de ses inquiétudes face à la détermination iranienne dans le dossier nucléaire et à ses conséquences sur la situation régionale et s'est interrogé sur la portée concrète de la transmission du dossier iranien au Conseil de sécurité. Evoquant les propositions américaines d'un partenariat mondial sur le nucléaire qui se traduirait par l'internationalisation de la production d'uranium enrichi, il a souhaité savoir quelle était la position du Gouvernement sur ce sujet. Il a enfin évoqué la situation au Darfour et l'éventuelle relève de l'Union Africaine par l'Organisation des Nations unies.

M. Jean François-Poncet a considéré que le Hamas paraissait peu disposé à souscrire aux trois conditions posées pour le versement des aides internationales à l'Autorité palestinienne. Il s'est interrogé sur le volume résiduel d'une aide européenne, supprimée dans son principe, mais partiellement maintenue aux fins d'éviter le chaos. Il a relevé que l'Iran était disposé à remplacer l'Union européenne dans son rôle de bailleur de fonds et en avait vraisemblablement les moyens. Un tel résultat, qui aurait en outre pour conséquence de ne laisser à Israël que le choix d'appliquer une politique unilatérale d'évacuation partielle des territoires occupés, serait préoccupant dans la mesure où il consisterait, de facto, à la mise à l'écart du Quartet. Evoquant le dossier iranien, il a considéré que la saisine du Conseil de sécurité était désormais probable et s'est interrogé sur la position que prendraient alors la Russie et la Chine, mais aussi sur les moyens de pression, notamment économiques, dont dispose la communauté internationale à l'égard de l'Iran, dans un contexte d'augmentation des prix du pétrole qui pèse déjà sur l'économie mondiale.

M. Didier Boulaud a souhaité obtenir des précisions sur les négociations en cours sur le statut final du Kosovo, ainsi que sur l'arrestation évoquée par certains organes de presse de M. Ratko Mladic.

Mme Maryse Bergé-Lavigne, évoquant les conditions préalables posées pour l'établissement de relations avec l'Autorité palestinienne, s'est interrogée sur leur application éventuelle à Israël dans la mesure où l'occupation israélienne, les assassinats ciblés et la réinstallation de 8 à 10 000 colons de Gaza en Cisjordanie constituent eux aussi une violence. Elle a estimé que la feuille de route était restée lettre morte, que le Quartet n'avait plus de véritable rôle à jouer et que le Président de l'Autorité palestinienne lui-même n'avait jamais pu établir un dialogue constructif avec Israël. Elle a rappelé que le tracé du mur de séparation dessinait un territoire palestinien constitué de trois enclaves privées d'accès au Jourdain et que, dans ce dossier, la communauté internationale pouvait être accusée de pratiquer le « deux poids deux mesures ».

M. Louis Mermaz a estimé que l'accélération des mesures d'expulsion de Comoriens depuis le territoire de Mayotte risquait de contribuer à porter au pouvoir, lors des prochaines élections comoriennes, un candidat islamiste dont l'élection pourrait compromettre la coopération avec la France. Considérant que le droit d'asile était de plus en plus restreint, il a appelé de ses voeux un débat sur la politique d'immigration dans lequel interviendrait le ministère des affaires étrangères.

M. Pierre Mauroy a jugé la situation internationale très dangereuse. Il a considéré que le temps, la prudence et la patience devaient prévaloir pour parvenir à une solution dans un processus qui consiste à transformer une organisation terroriste, le Hamas, en une organisation ouverte à la coopération internationale. Il a formé des voeux pour que, dans une conjoncture très difficile, les électeurs israéliens fassent le choix de la sagesse. Il a par ailleurs appelé à la cohésion des Etats européens dans le traitement du dossier iranien et a considéré que l'avenir du monde pouvait se jouer dans ce dossier avec le risque, pour l'organisation des Nations unies, de se retrouver dans une situation de discrédit comparable à celle de la Société Des Nations. Evoquant les caricatures du prophète Mahomet publiées par un journal danois, il a considéré que toute provocation devait être évitée et qu'il ne s'agissait pas de mettre le feu au monde au nom de la liberté. Il a enfin rendu hommage au travail accompli par le Parlement européen sur la Directive sur la libéralisation des services, considérant qu'il s'agissait là d'une belle leçon de démocratie.

M. Philippe Nogrix s'est interrogé sur la date du référendum prévu au Monténégro sur l'indépendance de ce pays vis-à-vis de la Serbie.

Mme Josette Durrieu a observé que la Russie entendait préserver sa mainmise sur l'espace qu'elle a perdu en Asie centrale et dans le Caucase. Evoquant ensuite les élections palestiniennes, elle a considéré que la position française devait, certes, être ferme, mais aussi faire preuve de subtilité et de diplomatie, sans négliger le fait que ce processus électoral s'était déroulé dans un pays occupé. Elle a estimé que nul n'avait souhaité la victoire du Hamas, liée à la sanction par les électeurs palestiniens du bilan du Fatah, mais a rappelé que le texte de campagne de ce mouvement ne faisait plus mention de la destruction d'Israël, à la différence de sa charte fondatrice, et évoquait, à défaut de désarmement, une trêve.

M. André Boyer, évoquant les propositions formulées par le ministre des affaires étrangères turc sur la question de Chypre, a souhaité savoir si elles pouvaient constituer une base de discussion pour la reprise des négociations.

Mme Hélène Luc, évoquant le refus, par l'Iran, des propositions de la Russie d'enrichissement d'uranium sur son sol, s'est interrogée sur des propositions similaires qui pourraient être formulées par la France ou d'autres Etats européens et qui seraient peut-être plus acceptables par l'Iran. Elle s'est demandé s'il était possible de conjuguer fermeté et souplesse afin qu'après la saisine du Conseil de sécurité on n'aboutisse pas à une situation bloquée et conflictuelle.

Le ministre des affaires étrangères a apporté les éléments de réponse suivants :

- des réflexions sont actuellement en cours sur l'organisation d'un système de contrôle mondial de l'usage du nucléaire civil, dont la différence avec le nucléaire militaire réside dans le taux d'enrichissement de l'uranium. Ce contrôle pourrait être réalisé par l'AIEA, mais aucune proposition concrète n'a encore été examinée à l'échelle internationale ;

- la suspension par l'Iran de ses activités d'enrichissement est un préalable à la reprise de négociations rompues à son initiative. La reprise de la conversion d'uranium en août 2005, puis de l'enrichissement, il y a quelques semaines, ont motivé la décision de l'AIEA de transmettre le dossier au Conseil de sécurité. L'Agence internationale de l'énergie atomique enquête depuis plus de deux ans sans avoir pu lever les craintes qui entourent le programme nucléaire iranien. Selon les termes mêmes de l'Agence, aucun programme nucléaire civil ne peut en effet justifier la reprise des activités d'enrichissement d'uranium. Le directeur général de l'AIEA doit faire un nouveau rapport début mars qui sera transmis au Conseil de sécurité qui décidera alors des actions à entreprendre. Il devrait ainsi affermir l'Agence dans ses demandes de suspension des activités dangereuses. Une concertation étroite est menée avec la Russie et la Chine, la crise iranienne étant un sujet de préoccupation pour toute la communauté internationale, qui doit préserver son unité. Les propositions formulées par la Russie portent sur la production d'uranium enrichi sur le sol russe, à l'exclusion de tout transfert de technologie lié à l'enrichissement d'uranium et de tout enrichissement sur le sol iranien. Les autorités iraniennes ne peuvent qu'être préoccupées par la saisine du Conseil de sécurité, par conséquent l'action de la communauté internationale doit continuer d'allier unité et fermeté ;

- l'aide financière à l'Autorité palestinienne doit être assortie d'assurances sur les pratiques d'un Etat de droit. Si la mise en oeuvre de projets non encore engagés dépendra de la position du Hamas, les financements des grands projets doivent aussi être affectés directement à des actions portant notamment sur la santé, la justice, plus que versées à une entité qui les redistribue. La communauté internationale, qui entretient une relation de confiance avec le président de l'Autorité palestinienne, souhaite poursuivre les projets déjà engagés et maintenir une aide humanitaire qui pourrait cependant emprunter de nouveaux canaux, en recourant aux ONG. La question du développement économique est primordiale et l'Union européenne a, par exemple, un rôle important à jouer dans la reconstruction du port de Gaza. Si nul ne peut se réjouir de la construction du mur de séparation, force est de constater qu'il a permis une diminution des attentats de près de 80 % et qu'il contribue au droit d'Israël à la sécurité. La feuille de route, qui prévoit notamment le démantèlement des colonies, reste valable et doit être respectée. Les différents acteurs de la région paraissent disposés à progresser vers la paix. L'entrée du Fatah au sein du Gouvernement palestinien ne serait pas une condition suffisante, la position du Hamas devant faire l'objet des évolutions demandées ;

- au Soudan, la situation au Darfour continue de se dégrader. Le transfert de la responsabilité des opérations de l'Union africaine à l'ONU semble désormais acquis et le Conseil de sécurité devrait en décider au mois de mars. Les effectifs pourraient être portés à 20 000 hommes, ce qui représenterait un coût annuel de 1,5 milliard de dollars. Dans ce processus, il conviendra de veiller à éviter d'éventuelles réactions de rejet de la part des populations. A cet égard, les propositions américaines de solliciter l'OTAN en relais temporaire de l'Union Africaine ne seraient pas sans conséquences ;

- pour ce qui concerne le Kosovo, les parties ont été réunies à Vienne les 20 et 21 février, sous l'égide du représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, M.  Atisaari, sur la question de la décentralisation. Cette réunion s'est tenue un mois après le décès d'Ibrahim Rugova et moins d'une semaine après la désignation de son successeur. Des convergences de vue se sont dégagées sur des sujets techniques, mais la négociation s'annonce difficile. Les Kosovars souhaitent, dans leur grande majorité, une indépendance qui ne pourra cependant être que limitée et conditionnelle. La communauté internationale devra rester présente au Kosovo afin d'accompagner le processus de transition. La rumeur concernant l'arrestation de M. Mladic était infondée, ce dernier n'ayant été ni arrêté, ni même localisé. Les mouvements opérés par les Serbes, sur cette question, peuvent cependant être considérés comme positifs ;

- aux Comores, les élections prévues au mois d'avril prochain constituent le terme d'un long processus de sortie de crise. Les mouvements intégristes se renforcent effectivement dans l'archipel, mais il est indispensable de gérer l'afflux considérable que représente l'immigration pour Mayotte. Dans le débat sur la politique d'immigration, les solutions à apporter doivent être examinées en liaison avec les partenaires de la France sur le fondement de trois principes : l'arrêt de l'immigration illégale, le bénéfice d'un meilleur accueil pour les immigrés dont l'entrée est admise et le renforcement de la politique d'aide au développement. Le sommet de Barcelone, prévu en juillet, entre la France, l'Espagne, le Maroc et les pays d'Afrique sub-saharienne portera précisément sur l'immigration et le développement ;

- au Monténégro, un référendum sur l'indépendance est toujours envisagé, mais la date définitive n'en est pas encore fixée, dans l'attente d'avancées dans les négociations sur le statut final du Kosovo. Il pourrait cependant intervenir avant l'été. En tout état de cause, le résultat devrait être favorable à l'indépendance ;

- pour ce qui concerne la question chypriote, les propositions turques ne sont pas nouvelles. Elles consistent dans la reconnaissance de Chypre nord et dans l'établissement de relations d'Etat à Etat qui ne sont pas acceptables par les autorités de Nicosie. Le secrétaire général des Nations unies est disposé à la reprise des négociations sous l'égide de l'ONU mais reste prudent, dans l'attente de signaux favorables des parties.

Le ministre des affaires étrangères a rappelé, en conclusion, que la présente réunion de la commission se tenait à la veille du quatrième anniversaire de la détention d'Ingrid Bétancourt et de sa collaboratrice, Clara Rojas. Il a rappelé que, lors de son voyage en Colombie, le Président colombien Alvaro Uribe lui avait indiqué qu'il acceptait la proposition formulée par la France, l'Espagne et la Suisse d'une rencontre entre les Forces armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) et les autorités gouvernementales, afin d'arrêter une solution humanitaire pour tous les otages. Il incombe désormais aux FARC de répondre à cette proposition. Le ministre a considéré que la France se devait de penser à l'ensemble des otages et d'oeuvrer à leur libération.

Jeudi 23 février 2006

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense

La commission a procédé à l'audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la question du démantèlement de la coque de l'ex-porte-avions Clemenceau.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a tout d'abord indiqué avoir souhaité l'organisation de cette audition, également ouverte aux sénateurs membres des autres commissions, en vue d'aborder les problématiques de fond soulevées à l'occasion des décisions prises concernant l'ex-Clemenceau, mais aussi de rétablir la réalité de certains faits.

Elle a souligné que le désamiantage et le démantèlement des navires en fin de vie, civils ou militaires, concernerait dans les 20 années à venir des dizaines de milliers de bâtiments et posait ainsi un problème à tous les pays possédant une marine. Elle a rappelé que les pays de l'OCDE ne possédaient pratiquement pas de chantiers capables de mener les opérations de démantèlement qui s'effectuent principalement en Asie du Sud-Est, en Chine, en Inde ou au Bengladesh. Elle a précisé que faute de solution européenne existante, la France avait envisagé, à partir de l'exemple de l'ex-Clemenceau, de créer une filière propre et sûre pour ces opérations, en élaborant un véritable partenariat avec l'Inde, grande Nation désireuse de moderniser et de qualifier son industrie dans le respect des réglementations et des bonnes pratiques internationales.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a détaillé la chronologie des évènements survenus depuis le désarmement du Clemenceau.

Le porte-avions a cessé son activité opérationnelle en 1997 et a été placé en réserve spéciale le 2 mars 1998. Jusqu'en 2002, aucune décision n'a été prise concernant son avenir, son désamiantage ou son environnement. Ainsi que l'attestent les réponses du ministre de la défense de l'époque à des questions parlementaires, aucun projet de transformation en bâtiment-musée n'a été envisagé en raison des coûts d'aménagement et de fonctionnement induits. Le bâtiment a simplement été utilisé pour fournir des pièces détachées pour le Foch jusqu'à la vente de ce dernier au Brésil, en 2000. En juillet 2000, la commission de condamnation avait conclu que la seule destination possible pour le Clemenceau était le démantèlement, mais aucune initiative concrète n'est intervenue jusqu'en mai 2002.

Ce n'est qu'après le changement de gouvernement qu'a été prise la décision de suivre l'avis de la commission de condamnation et conformément à la législation, le bâtiment a été remis à la direction des Domaines du ministère de l'économie et des finances le 16 décembre 2002. Cette dernière a lancé le 14 avril 2003 un appel d'offres européen en vue de trouver une société assurant le désamiantage et le démantèlement du bâtiment.

Une société espagnole, Gijonesa de Desguaces, a été retenue, parmi trois candidats, et l'ex-Clemenceau a quitté Toulon en octobre 2003. Constatant que la coque se dirigeait vers la Turquie et non vers l'Espagne, en contradiction avec le contrat, il a été décidé d'intercepter le convoi et de le ramener à Toulon.

Ayant rompu avec la société espagnole, l'Etat a alors décidé de contracter avec la Ship Decomissioning Industries Corporation (SDI), société qui était arrivée deuxième lors de l'appel d'offres. Signé le 20 octobre 2003, ce nouveau contrat prévoyait un désamiantage en Grèce, puis un démantèlement en Inde. Toutefois, à la suite d'une campagne de presse, le gouvernement grec a opposé un refus à la réalisation de ces opérations sur son territoire, ce qui a fermé définitivement la voie à une solution européenne.

Un avenant établi le 23 juin 2004 par la direction des Domaines a modifié alors le contrat passé avec SDI. Ce contrat a posé des conditions de sécurité et de qualité qu'aucun chantier n'avait jusqu'à présent réunies :

- l'Etat français reste responsable et propriétaire de la coque jusqu'à son démantèlement ;

- tout le désamiantage réalisable techniquement en France, sans mettre en péril la navigabilité de la coque, doit y être opéré ;

- le chantier choisi en Inde doit présenter des certifications internationales en matière de protection des travailleurs et de l'environnement ;

- un transfert de compétences est assuré à travers la formation en France des ingénieurs indiens chargés d'encadrer le chantier sous le contrôle d'ingénieurs français spécialisés ;

- une expertise indépendante doit contrôler régulièrement le chantier et le respect des normes européennes et internationales ;

- par ailleurs, et au-delà du contrat lui-même : un contrôle médical des 30 à 60 travailleurs indiens intervenant sur le désamiantage devait être effectué avant, pendant et après le chantier.

Enfin, la France s'engageait à rapatrier les déchets issus du désamiantage final.

La société de démantèlement indienne à Alang, proposée par SDI comme partenaire, offrait pour son chantier des garanties sans précédent en termes de certifications internationales. Les images diffusées dans les médias n'étaient pas celles du chantier choisi et ne correspondaient en rien à la réalité.

Ce projet permettait d'envisager la création d'une filière propre de démantèlement des navires et reposait sur un véritable partenariat avec l'Inde, incluant la formation de travailleurs indiens en France et un transfert de technologie, de savoir-faire et d'équipement. Il est faux et injurieux, a insisté Mme Michèle Alliot-Marie, de dire que la France aurait pu choisir une voie mettant en danger la sécurité des travailleurs indiens.

Le désamiantage préalable de la coque a débuté à Toulon en novembre 2004 sous la responsabilité de la société Technopure qui devait retirer toute l'amiante friable et directement accessible, sans porter atteinte à la navigabilité de la coque. Les experts indépendants chargés du contrôle ayant constaté que Technopure n'avait pas entièrement effectué le désamiantage requis, le contrat avec cette société a été rompu par SDI. En outre, des irrégularités ont été relevées en ce qui concerne le tonnage d'amiante effectivement enfoui, différent de celui déclaré à l'enlèvement, et la disparition d'équipements de bord, ce qui a conduit le ministère de la défense à déposer plainte contre Technopure.

La société Prestocid a achevé le désamiantage, comme l'ont certifié des experts indépendants, et l'ex-Clemenceau était prêt à partir pour l'Inde en septembre 2005.

Des recours avaient toutefois été introduits par des associations devant les juridictions civiles, au motif que le bâtiment devait être considéré comme un déchet et non comme un matériel de guerre. La position soutenue par l'Etat était que l'ex-Clemenceau, comme tout équipement militaire retiré du service, demeurait un matériel de guerre, tant en raison de ses caractéristiques techniques que de sa nature, qui justifie l'application du régime juridique des armes et matériels de guerre. En effet, si les équipements retirés du service n'étaient plus considérés comme des matériels de guerre, le régime juridique spécifique applicable pour leur commerce et leur exportation ne serait plus applicable. Il deviendrait ainsi possible de vendre ces équipements ou certains de leurs composants sans que s'exerce le contrôle prévu en matière de commerce et d'exportation des matériels de guerre, notamment vis-à-vis des pays soumis à embargo. Deux décisions rendues en juillet et en octobre 2005 par le tribunal de grande instance puis par la cour d'appel de Paris ont donné raison à l'Etat sur la qualification juridique de matériel de guerre.

La procédure d'exportation du bâtiment s'est déroulée conformément à la réglementation et les autorisations d'exportation et de passage en douane sont intervenues en fin d'année 2005. Le 30 décembre 2005, le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours en référé de certaines associations contre l'autorisation d'exportation. L'ex-Clemenceau a appareillé dès le lendemain pour l'Inde. Ce n'est que le 6 janvier 2006 qu'un recours a été introduit devant le Conseil d'Etat à l'encontre du jugement du tribunal administratif.

La France a répondu naturellement aux demandes d'information transmises par les autorités égyptiennes et indiennes. L'Egypte a naturellement accepté le passage du convoi par le canal de Suez et le comité d'experts auprès de la Cour suprême indienne a rendu, à sa majorité, le 6 février dernier un avis favorable au transfert de l'ex-Clemenceau en Inde.

Le 15 février, le Conseil d'Etat, statuant en cassation sur un référé, a considéré qu'il pouvait exister un doute sur la qualification juridique de l'ex-Clemenceau, la qualification de matériel de guerre n'étant pas à son sens nécessairement exclusive de celle de déchet. Aussi a-t-il demandé de suspendre le transfert vers l'Inde en attendant la décision sur le fond. Le Président de la République a alors annoncé le retour vers la France du bâtiment, effectif depuis le 22 février. Le contrat avec SDI a été rompu par entente commune.

A la suite de cet exposé chronologique, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a considéré que le problème du démantèlement des navires en fin de vie demeurait entier. Elle a rappelé qu'une solution avait été apportée par le gouvernement pour les avions, avec la création, annoncée en 2004, d'un centre à Châteaudun, et le projet d'un second centre à Tarbes. Elle a souhaité qu'une filière propre pour le démantèlement des navires civils et militaires soit créée en Europe, le schéma envisagé pour l'ex-Clemenceau pouvant toujours constituer un point de référence à cet égard. Elle a souligné que l'Etat entendait bien assumer toutes ses responsabilités d'armateur mais aussi de pays respectueux de l'environnement, attentif à la sécurité des personnes et soucieux de la coopération économique avec les pays du Sud. Elle a ajouté que les réflexions ne pouvaient faire abstraction des impératifs financiers et que de ce point de vue, le contrat passé par les Domaines avec SDI n'avait engendré aucune dépense pour l'Etat, puisque la société supportait toutes les dépenses liées au désamiantage, au transport et au démantèlement.

Le ministre a indiqué qu'un groupe d'enquête interministériel, associant le contrôle général des armées, l'inspection générale des finances et le conseil général des mines, conduirait une mission sur la réforme des procédures d'exportation des navires militaires en fin de vie. Un bureau d'expertise établira un nouveau diagnostic complet des matériaux potentiellement dangereux se trouvant encore à bord de l'ex-Clemenceau. Enfin, une mission interministérielle plus large s'intéressera aux solutions envisageables pour le démantèlement des navires civils et militaires en fin de vie, en liaison avec les autres pays européens et les partenaires comme l'Inde.

En conclusion, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a estimé que, dans le dossier de l'ex-Clemenceau, la France n'avait pas commis de faute et n'avait donc pas à s'excuser, mais qu'elle avait en revanche pris le risque d'une solution innovante sur un problème majeur aujourd'hui non pris en compte. Elle a observé que des voix commençaient à s'élever pour souligner l'intérêt que présentait le projet en matière de respect de l'environnement. Elle a cité l'association écologiste Robin des Bois qui en avait reconnu l'exemplarité. Elle a regretté que ces opinions n'aient pas retenu, au cours des dernières semaines, autant d'attention que celles qui cherchent à systématiquement dénigrer les choix effectués par la France. Elle a marqué sa détermination à défendre les actions dont la France doit être fière face à ceux qui se complaisent dans l'auto-dénigrement.

Un débat a suivi l'exposé de la ministre.

Mme Hélène Luc a rappelé qu'elle avait fait part de ses inquiétudes sur les conditions de désamiantage de l'ancien porte-avions Clemenceau, en raison de l'insuffisance de la réglementation indienne, dans une lettre au ministre où elle avait affirmé son soutien aux associations ayant formé des recours devant les juridictions administratives. Elle a noté les différences de traitement réservées par l'association Greenpeace à des situations comparables, rappelant que cette association ne s'était pas opposée à la mise au fond de bâtiments de guerre américains désaffectés. Elle a considéré que la procédure de désamiantage mise en place par le ministère de la défense était pertinente, mais qu'elle aurait nécessité une plus grande transparence et un débat de fond sur les solutions à apporter. Faute d'une telle démarche, la France avait donné le sentiment qu'elle souhaitait se débarrasser de déchets dangereux en les exportant vers des pays tiers. Dans l'opinion publique, cette affaire donnait en outre le sentiment d'un gaspillage financier. Elle a considéré qu'il conviendrait d'aider l'Inde ou le Bangladesh à développer un chantier totalement adapté, avec l'aide de l'Union européenne, afin de mettre en place une solution durable. Elle a souhaité savoir où se trouvaient les quantités d'amiante enlevées à Toulon et quelle était la quantité exacte d'amiante résiduelle dans la coque du navire. Elle a enfin indiqué que son groupe demanderait la constitution d'une commission d'enquête sur ce sujet.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a précisé que le recours en cassation, devant le Conseil d'Etat, de la décision prise en référé par le tribunal administratif n'avait été introduit par les associations que le 6 janvier 2006, soit une semaine après le départ du Clemenceau du port de Toulon. Elle a indiqué que les normes appliquées en Inde sur le chantier retenu pour le démantèlement du navire étaient les normes françaises et internationales et que leur application s'accompagnait d'une formation des personnels encadrant les 30 à 60 personnes appelées à intervenir sur le chantier, d'un contrôle permanent et de vérifications sanitaires. Elle s'est interrogée sur les garanties supplémentaires qui auraient pu être apportées dans ces conditions déjà très sécurisées. Elle a estimé que l'information du Parlement avait été assurée et qu'il était légitime que l'opinion publique ressente un certain malaise, dans la mesure où il a été difficile au ministère de se faire entendre dans les médias, qui n'ont ouvert leurs colonnes et leur antenne qu'aux détracteurs des choix du Gouvernement. Elle a observé que cette tendance commençait à s'inverser. Elle a par ailleurs fait valoir que l'obstacle majeur au retraitement des navires en Europe était l'absence de demande d'acier retiré des opérations de retraitement, alors que ce besoin est avéré dans certains Etats tiers, comme l'Inde.

Elle a indiqué que l'amiante retiré de la coque avait fait l'objet d'opérations d'enfouissement et qu'à l'occasion de ces opérations, des irrégularités et un manque de rigueur avaient été constatés de la part de la société Technopure, chargée des opérations de désamiantage. Les quantités enfouies ne correspondaient pas aux quantités déclarées par la société qui avaient servi de base à sa rémunération, ce qui a conduit le ministère de la défense à déposer une plainte. Le différentiel était important, puisqu'il portait sur près de 30 % du travail qui devait être effectué et s'établissait à environ trente tonnes.

M. Didier Boulaud s'est déclaré impressionné par l'esprit combatif manifesté par le ministre dans ce dossier, tout en regrettant la démarche récurrente tendant à faire porter la responsabilité aux précédents gouvernements. Cela donnait à penser que rien n'était fait avant l'arrivée du ministre actuel, alors même que l'efficacité des forces armées repose sur une certaine continuité républicaine dans les politiques menées en matière de défense. Il a considéré que l'affaire du Clemenceau venait s'ajouter à d'autres crises, Chikungunya, grippe aviaire, Arcelor, CPE... qui semblaient, l'une après l'autre, échapper à la maîtrise du Gouvernement et sur lesquelles celui-ci, en effet, ne parvenait plus à voir son message relayé par les médias. Il a cependant indiqué qu'il n'entendait pas renchérir sur cette affaire de l'ex-Clemenceau, attitude qu'il aurait aimé voir suivre, avant 2002, par l'opposition d'alors, sur des sujets comme la sécurité.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a rappelé que, sans chercher à accabler son prédécesseur, elle formulait un simple constat chronologique : le porte-avions Clemenceau a été désarmé en 1997 et laissé dans le port de Toulon jusqu'en 2002. Bien avant 2002, l'hypothèse d'une transformation du bâtiment en lieu de loisir avait été d'emblée considérée comme inenvisageable, notamment pour des questions financières. Elle a fait observer que la critique des gouvernements précédents n'était pas le monopole du gouvernement actuel. Elle a ensuite considéré que le fait de ne pas être entendu dans les médias ne devait pas conduire à l'inaction, l'immobilisme étant incompatible avec la responsabilité politique. Les idées, les réalités et les chiffres doivent alors emprunter d'autres canaux. C'est le rôle d'un ministre que de savoir gérer les crises, l'affaire du Clemenceau n'étant pas la première à laquelle son ministère était confronté. Sur la grippe aviaire, le ministère de la défense était effectivement au coeur du dispositif de lutte, de même que pour le Chikungunya, avec près de 1.000 militaires déployés à la Réunion.

M. André Dulait a salué les positions courageuses prises par le ministre, estimant que la mise au point qu'elle venait d'effectuer sur le dossier de l'ex-Clemenceau était nécessaire.

Mme Isabelle Debré s'est déclarée surprise par l'attitude du maire de Brest qui refuse que soit assuré, dans sa ville, le traitement de l'ancien porte-avions. Elle a souligné que la France était le pays où les positions du Gouvernement avaient été les moins bien soutenues, mais a estimé que la France sortirait grandie de cette crise. Elle a appelé de ses voeux une communication conjointe des ministres européens de la défense sur le dossier du démantèlement des navires.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a considéré que les positions du maire de Brest n'étaient pas polémiques, mais révélaient la disposition constante à accueillir la construction et la mise en place de nouveaux équipements navals, mais aussi le refus de recevoir des matériels en fin de vie en vue de leur démantèlement. Il s'agit là de la problématique générale de la gestion des déchets. Elle a indiqué qu'elle continuerait à travailler en 2006 en vue de faire aboutir le dossier du démantèlement des navires. Elle a enfin souligné qu'elle assumait l'ensemble des décisions gouvernementales et qu'elle refusait l'esprit de dénigrement systématique qui semble prévaloir dans le pays.

M. Jean-Guy Branger s'est interrogé sur le point de savoir si une vaste campagne d'information de l'opinion était envisagée sur la gestion du démantèlement de l'ex-Clemenceau.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a rappelé qu'elle avait tenu une conférence de presse et que les informations de fond devaient désormais passer sur le terrain. Elle a souligné que des voix extérieures au Gouvernement commençaient à se faire entendre et que des armateurs et des industriels avaient pris publiquement position en faveur des choix gouvernementaux. Elle a souhaité que le retour de la coque de l'ancien porte-avions ne conduise pas à se détourner du problème plus général du démantèlement des navires, qui doit désormais être pris en charge de façon urgente.