Mardi 28 janvier 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 18 h 05.

Audition de M. Hervé Guillou, président-directeur général de Naval Group

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous poursuivons nos travaux consacrés au rachat des Chantiers de l'Atlantique par le groupe italien Fincantieri. J'ai le plaisir d'accueillir M. Hervé Guillou, président-directeur général de Naval Group. Votre groupe est le deuxième actionnaire des Chantiers après l'État français, détenant 11,7% des parts de l'entreprise contre 84,3% pour l'État français.

Naval Group fait partie des leaders européens du « naval de défense », vos seize sites dans le monde s'ajoutant aux dix sites français. Le dynamisme de votre activité est impressionnant. D'un montant de 30 milliards d'euros, le « contrat du siècle », signé l'année dernière avec l'Australie pour la construction de sous-marins, a marqué les mémoires. Ce chiffre témoigne du poids de la construction navale militaire et civile pour notre économie, pour notre performance à l'export et pour le rayonnement de l'industrie française.

Nous souhaiterions que vous nous présentiez les liens qui existent entre Naval Group et les Chantiers de Saint-Nazaire, outre le lien capitalistique. Quel atout les Chantiers représentent-ils pour vous, alors que vous coopérez avec eux pour la construction de certains bâtiments, comme les quatre pétroliers ravitailleurs commandés en 2019 ? Est-ce le cas sur d'autres types de navires ? Nous avons entendu que les chantiers de Saint-Nazaire disposent de savoir-faire uniques, en matière de coque de porte-avions par exemple. En matière d'énergies marines renouvelables, champ très prometteur, quel a été le développement de vos activités et entendez-vous poursuivre vos efforts ? Travaillez-vous en lien avec les Chantiers dans ce domaine ? Dans ce contexte, si la Commission européenne donne son feu vert au rachat des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri, quel sera l'avenir de votre collaboration et de votre participation au capital des Chantiers ?

Après plusieurs années d'hésitation, cette année marque aussi l'approfondissement de votre partenariat avec Fincantieri par la création d'une coentreprise, Naviris. À terme, vous souhaitez pouvoir présenter des réponses communes aux appels d'offres et ainsi conquérir de nouveaux marchés. Mais aujourd'hui, votre performance à l'export semble bien meilleure que celle de Fincantieri : qu'est-ce que Naval Group peut gagner par une telle alliance, et comment assurer le partage des marchés et de l'activité ? Il ne faudrait pas que cette convergence se fasse au détriment des sites français.

Cette question résonne particulièrement, alors que Fincantieri vient justement d'élargir son partenariat avec le géant chinois et de lancer la construction de son premier grand paquebot construit entièrement en Chine. Selon vous, la tentation chinoise est-elle une opportunité de croissance et de développement ou une erreur stratégique pour la compétitivité de l'industrie européenne ?

Nous voulons particulièrement appréhender le risque de transfert de technologies stratégiques, voire de transfert d'emplois, auquel est confrontée l'industrie française de construction navale, civile comme militaire. La Chine est aujourd'hui le plus grand constructeur naval au monde ; il ne lui manque plus que quelques briques de technologies pour asseoir sa domination, notamment sur le secteur des paquebots. Naval Group est actif dans un domaine où la protection de la souveraineté et des technologies est critique : comment assurez-vous cette protection et quelles en sont les limites ?

Enfin, après près de six ans passés à la tête de DCNS puis de Naval Group, quels enseignements tirez-vous ? Quelles devraient être les priorités stratégiques du groupe pour l'avenir ?

M. Hervé Guillou, président-directeur général de Naval Group. - Avec près de 3,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, une profitabilité de 7,6 %, un carnet de commandes en dur de plus de 15 milliards d'euros, un carnet de commande futur de 60 à 70 milliards d'euros, une belle croissance sur les dernières années - entre 15 et 25 % - et une performance opérationnelle en nette amélioration en réduisant notamment nos délais de construction, Naval Group est maintenant le leader du naval de défense en Europe.

Notre vocation est d'être l'outil de souveraineté de l'État dans le domaine naval. Depuis 400 ans, nous entretenons 400 compétences couvrant la totalité du spectre des navires de combat, depuis la construction des navires de surface et sous-marins jusqu'aux systèmes de combat - c'est une spécificité française - en passant par la maintenance.

Avec un portefeuille capacitaire qui couvre les cinq mers du globe et des capacités de projection qui nous permettent de nous déployer simultanément dans trois à cinq zones, la marine française se place au deuxième rang mondial en termes de technologie. Nous souhaitons assurer une croissance durable par un équilibre entre le service de la souveraineté de la France et, grâce à un portefeuille d'export fourni qui représente entre 40 et 60 % de notre production, le maintien du niveau de compétitivité de notre industrie.

Naval Group doit avoir la robustesse financière pour maintenir les compétences entre deux programmes de construction de la France. À Lorient, par exemple, nous avons construit près de trente navires de premier rang, dont 16 pour la France et 14 pour l'export : sans ces derniers, nous n'aurions pas pu fournir à la France ses navires au prix en question. En France, une frégate vaut environ 750 millions d'euros contre 1 milliard d'euros en Allemagne - pays qui n'exporte pas - et 1,2 milliard de livres au Royaume-Uni. Notre différentiel de compétitivité est d'environ 30 à 40 % en faveur de la France, et nous estimons que le retour sur investissement de notre activité d'export représente environ 400 millions d'euros par an de pouvoir d'achat supplémentaire.

Telles sont les raisons de notre stratégie duale : l'excellence pour la France et préservation d'un volume d'export indispensable à la souveraineté française. Pour répondre à cette double obligation, nous avons trois axes stratégiques. Le premier est l'accélération de l'innovation, pour suivre l'accélération des cycles de technologie. Aujourd'hui, notre capacité en recherche et développement (R&D) doit être multipliée par trois.

Le deuxième axe est l'investissement dans notre présence à l'international, où nous avons beaucoup investi pour développer notre présence industrielle, notamment au Brésil, en Australie, en Malaisie, en Inde, en Égypte.

Le troisième axe est la consolidation européenne. Cette dernière nous semble indispensable. En effet, l'Europe est le seul continent qui ait besoin d'exporter 40 à 60 % de sa production. Notre marché domestique représente entre le tiers et le quart des marchés américains ou chinois et la moitié du marché russe. Alors que les entrepreneurs chinois, russes ou coréens ont fusionné au sein d'entités uniques et que deux entreprises se partagent le marché américain, en Europe nous sommes douze constructeurs, plus divisés que jamais.

Par comparaison, il y a trente ans, on comptait quatre fabricants de TGV dans le monde, tous européens. Deux ont disparu en Italie et en Espagne, et l'on a empêché le rapprochement des deux autres, Siemens et Alstom, qui se classent aujourd'hui loin derrière deux groupes chinois, deux groupes coréens, un groupe japonais et d'autres nouveaux entrants.

En 2003 le marché naval était exclusivement occupé par des groupes européens. Les russes et américains ne faisaient pas d'export, mais seulement quelques coopérations politiques ponctuelles. Depuis 2018, les Européens sont plus divisés que jamais : les Suédois et les Allemands ont divorcé, les Allemands sont disséminés au sein de trois entités et nous nous sommes séparés des Espagnols. Dans le même temps, les Chinois sont devenus les premiers mondiaux, les Russes sont, depuis cette année, les deuxièmes mondiaux, et la concurrence japonaise et coréenne s'accroît. Lors du dernier appel d'offre brésilien pour seulement 4 corvettes, il y avait 22 candidats...

Notre accès à ces marchés à l'export est menacé, en particulier dans le secteur militaire. C'est pourquoi il ne faut pas se lancer dans des compétitions fratricides avec Fincantieri, les suédois ou les allemands, qui tuent nos marges, mais plutôt de serrer les rangs en Europe avant qu'il ne soit trop tard et de se tourner vers nos vrais concurrents. Aucun pays européen n'a aujourd'hui de marché domestique suffisant pour entretenir une base technologique complète et compétitive.

Il y a cinq ans, Naval Group et Fincantieri ont décidé de se rapprocher autant que possible afin de développer conjointement leur présence sur le marché. Cela nous permet notamment de mutualiser nos investissements en R&D au lieu d'augmenter nos marges, et de mettre en commun les frais commerciaux considérables, qui vont jusqu'à 20 millions d'euros dans notre domaine, tout en complétant notre portefeuille d'export. Cette coopération s'est traduite par la création de la joint-venture Naviris, qui est désormais pleinement opérationnelle et dont le premier conseil d'administration s'est tenu le 13 janvier dernier.

Naviris sera aussi un outil de construction de l'Europe : nous avons fait des propositions à la Commission pour des corvettes européennes et pour une roadmap commune de R&D, qui commence à intéresser d'autres pays.

Nous disposons d'outils nous permettant de coopérer sur certains sujets tout en protégeant nos actifs stratégiques : c'est notre savoir-faire de tous les jours. La défense qualitative et quantitative du partage du travail est aussi inscrite dans nos accords d'actionnaires : ce projet vise bien à créer du business. Nous veillons à la préservation de nos parts de travail, mais aussi à celle de nos supply chain nationales et des petites et moyennes entreprises (PME) qui travaillent avec nous. En somme, cette coopération ne peut que profiter à l'activité française. Nous l'envisageons de manière pragmatique, afin de ne pas se retrouver le dos au mur dans quinze ans.

Cette stratégie italienne n'est pas exclusive d'autres initiatives. Si l'Allemagne ne souhaite pas pour l'heure s'engager dans un rapprochement, nous menons des coopérations ponctuelles avec les Espagnols et nous avons entamé des discussions avec la Grèce. Mais ceux qui débutent une consolidation seront ensuite les premiers à en bénéficier.

Sur le segment des énergies renouvelables, notre activité est très différente de celle des Chantiers de l'Atlantique, qui se sont spécialisés dans les modules de conversion d'électricité - dérivés de technologies navales historiques. Naval Group s'était d'abord positionnés sur les hydroliennes, mais faute de commandes, notamment de la France qui n'a pas tenu ses engagements, nous avons interrompu cette activité à l'été 2018. Nous nous sommes alors concentrés sur deux niches : les énergies thermiques marines et les éoliennes flottantes. Sur ce dernier segment, nous intervenons en tant qu'intégrateurs d'objets flottants complexes, car le marché de la fabrication de machines est déjà envahi.

J'en viens à notre coopération avec les Chantiers de l'Atlantique. L'activité navale a souffert mille morts et mille restructurations pendant près de trente ans et sous la pression concurrentielle et la réduction des budgets, dans le civil comme dans le militaire. Naval Group comptait 34 000 salariés à la fin des années 1970. Ce chiffre est descendu à 12 000, ce qui a conduit à une spécialisation drastique des sites : Cherbourg pour les sous-marins, Brest pour leur entretien, Lorient pour les navires de surface... Comme nous n'avions pas suffisamment de flux de commandes françaises pour maintenir une activité de bâtiments de gros tonnage à Brest, nous avons décidé de nous appuyer sur les Chantiers de l'Atlantique, du moins pour la fabrication des coques. Tant que nous étions encore puissance publique, nous pouvions nous imposer dans le carnet de commandes des Chantiers de l'Atlantique. Depuis que nous sommes devenus une société de droit privé, nous avons décidé, pour sécuriser notre lien stratégique avec les Chantiers de l'Atlantique et notre capacité de construction de gros tonnage, d'en devenir un actionnaire minoritaire. Nous ne sommes pas leur opérateur : ils ont bien d'autres clients. Ce partenariat est légitime et fonctionne très bien, par exemple pour les pétroliers ravitailleurs franco-italiens, les bateaux de projection et de commandement (BPC), et évidemment pour le futur porte-avions français que nous étudions déjà avec les Chantiers.

Si la Commission donne son feu vert au rachat des Chantiers par Fincantieri, l'accord tripartite d'actionnaires entre Naval Group, l'APE et Fincantieri entrera en vigueur. Dans cette hypothèse notre rôle resterait le même, à savoir assurer la disponibilité des moyens nécessaires aux intérêts stratégiques de la France. Du reste, tant que le marché est favorable aux gros bateaux, ce rachat avantagerait plutôt les Chantiers de l'Atlantique, car les chantiers de Fincantieri situés à Trieste sont plus petits que ceux de Saint-Nazaire.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ne seriez-vous pas dilués ?

M. Hervé Guillou. - Notre pourcentage d'actions resterait le même, à environ 11 %. Seul l'État vendrait ses actions.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous n'avez pas répondu à ma question relative au partenariat de Fincantieri avec la Chine.

M. Hervé Guillou. - Il ne m'appartient pas d'en juger, mais je peux vous indiquer les faits. Dans le secteur de la construction militaire, les constructeurs chinois sont principaux concurrents. Aujourd'hui, il faut savoir que la plupart des constructeurs et équipementiers européens ont des partenariats avec la Chine. Dans le cas de Fincantieri, la note transmise par le groupe italien lors de la négociation de nos accords précise que leur partenariat avec la Chine n'implique pas de transfert de technologie, et qu'il permet aux Chinois de construire sur plan un paquebot pour le marché chinois. De toute façon, le marché chinois ne nous est aujourd'hui pas accessible.

En revanche, il faut avoir en tête que si le naval militaire a souffert pendant trente ans, les chantiers civils ont tous disparu sauf un, du fait notamment de la concurrence chinoise. Les européens ont dû quitter de nombreux marchés et s'hyperspécialiser sur certaines niches. Grâce à la clairvoyance d'Alsthom à l'époque, Saint-Nazaire s'est spécialisé sur les paquebots, qui représentent aujourd'hui 95 % de la production européenne. Les enjeux de la consolidation dans le domaine du naval civil sont donc exactement les mêmes que dans le domaine du naval militaire. La seule question est : « Quand se réveillera-t-on, et sera-t-il trop tard » ?

Mme Cécile Cukierman. - L'annonce de la nomination du numéro deux de Thalès à la tête de Naval Group est inquiétante pour l'avenir de notre fleuron industriel et de ses salariés, au vu des critiques portant sur la politique de prix de Thalès. La politique jusqu'au-boutiste du Président de la République et de son ministre de l'Économie et des Finances, dont l'objectif avoué est d'intégrer nos industries de défense pour créer une prétendue industrie de la défense européenne, ne doit pas se faire au détriment de notre souveraineté industrielle. Comment le risque que représente cette nomination est-il anticipé au sein de vos équipes ?

M. Roland Courteau. - Ma première question vient d'être posée par ma collègue Cécile Cukierman.

Sur le plan national, l'une des réponses à l'objectif de porter à 40 % la part d'énergies renouvelables dans la part d'électricité en 2030 est l'éolien flottant. Vous avez indiqué que la bataille était perdue pour les machines. Est-il vraiment trop tard ? Qui sont vos concurrents ? Il me semblait que la France avait quelques longueurs d'avance. Cela me semble d'autant plus regrettable que les débouchés de cette filière sont d'envergure planétaire. Que penser de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui est en cours ? Comment favoriser une industrie européenne de l'éolien flottant ?

M. Martial Bourquin. - Il y a le pavillon italien et l'ogre chinois. Le rapprochement de Fincantieri et d'une société chinoise a permis à cette dernière d'entrer sur le marché des navires de plaisance. N'allons-nous pas nous retrouver dans une situation de monopole de fait de la Chine ? Ne courrons-nous pas le risque de voir des savoir-faire européens capturés ? Pourquoi n'y aurait-il pas de solution européenne ? Disposez-vous d'un appui des États pour favoriser une telle solution ?

Plusieurs ports interdisent ou vont interdire l'arrivée de navires qui fonctionnent au fioul lourd. Pensez-vous que la France et l'Europe devraient prendre des initiatives fortes en la matière ?

M. Marc Daunis. - Je me joins à la question qui vient d'être posée sur l'empreinte carbone dans le domaine naval.

J'ai ouï dire que la livraison d'un premier navire à l'Australie serait retardée. Il semblerait qu'il s'agisse sinon d'une fake news, au moins d'une interprétation malveillante. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point, au vu de l'importance du partenariat stratégique entre l'Australie et la France ?

Thalès pourra-t-il poursuivre son rôle d'équipementier pour Naval Group, ou y a-t-il un risque d'instrumentalisation ?

M. Yves Bouloux. - Vous l'avez dit, se regrouper est une évidence, et est vital. Dans quelle mesure les différences, notamment culturelles, entre Naval Group et Fincantieri affectent-elles le fonctionnement de la nouvelle entité Naviris ? Quelles sont les autres pistes de coopération européenne et dans quel délais ?

M. Daniel Gremillet. - En matière d'énergie éolienne, la France ne peut pas se résoudre à n'investir que le marché des flottants. Il est désormais inscrit dans la loi qu'un bilan carbone de tout dispositif produisant des énergies renouvelables doit être réalisé. Pourriez-vous vous appuyer sur cet article pour retrouver une place dans la compétition ?

Vous avez dressé un tableau plutôt morose de la compétitivité européenne en matière d'aviation, de ferré et de naval, y compris militaire. Comment pourrions-nous renouer avec des perspectives plus réjouissantes ? Que faire ?

Mme Sophie Primas, présidente. - L'activité civile des Chantiers de l'Atlantique est aujourd'hui relativement prospère, son carnet de commande continuant à se remplir. Y a-t-il d'autres raisons qui vous font dire que ce mariage européen est nécessaire pour le naval civil ?

Naval Group et Fincantieri sont à parts égales au sein de la nouvelle joint-venture Naviris. Mais dans le cas des Chantiers de l'Atlantique, il n'y aura pas de parité, puisque ceux-ci seront rachetés par Fincantieri. Ne pourrait-on pas imaginer que les Chantiers et Fincantieri soient à parts égales ?

M. Hervé Guillou. - Je ne suis absolument pas morose : je suis lucide et ultra-combatif. Il ne faut pas attendre qu'il soit trop tard. C'est pour cette raison que je me suis battu depuis ma nomination il y a cinq ans pour créer cette société Naviris. Je dois dire que l'aide du gouvernement français a été sans faille du début à la fin. Il faut être combatif, c'est-à-dire prendre des initiatives, faire le tour de l'Europe pour convaincre nos partenaires du bien-fondé de cette initiative européenne. Je pense qu'il est dans l'intérêt de la France d'être aux manettes de cette stratégie.

Chez Naviris, cela se passe aujourd'hui très bien. On a choisi les premiers dirigeants, la société a été incorporée le 13 janvier. Nos deux sociétés coopèrent depuis très longtemps, se connaissent très bien, ont des cultures assez proches et l'habitude de travailler ensemble. Dès 1993, j'ai été le premier directeur du programme de construction de frégates qui associait déjà l'Italie. La France et l'Italie ont réalisé les deux seuls grands programmes de coopération en matière d'objets militaires puis de frégates multimissions. Le choix des dirigeants de Naviris reflète cette proximité et l'importance de cette entente culturelle.

En ce qui concerne le contrat australien, c'était là une attaque médiatique à charge, qui a ensuite été relayée par un certain nombre de médias qui ne nous veulent pas que du bien. L'État australien a été le premier à défendre Naval Group et notre partenariat. Le seul point qui pourrait faire l'objet de critiques est que nous avons effectivement décalé de 5 semaines une revue de conception, en raison d'évolutions opérationnelles qui nécessitent des études supplémentaires. Sur un programme de vingt-cinq ans, je ne pense pas que cela soit un problème... La première livraison reste fixée à 2032 et je ne vois pas de raison de penser qu'elle ne sera pas honorée.

En matière d'éolien flottant, j'ai parlé tout à l'heure des machines, c'est-à-dire de l'aérien avec son système de conduction de l'énergie. Les fabricants de machines ont développé leur compétitivité d'abord sur l'éolien terrestre, puis sur l'éolien posé : ce sont eux qu'on retrouve aujourd'hui dans l'éolien flottant. La France n'a initialement pas développé son activité dans l'éolien terrestre ou posé, les grands constructeurs de machines sont donc maintenant allemands, espagnols ou danois. Cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas essayer de garder un peu de valeur ajoutée en France. J'ai par exemple cité tout à l'heure les modules de conversion d'énergie produits par les Chantiers de l'Atlantique. Il y a aussi forcément des lignes d'assemblage qui se constituent à proximité des champs éoliens que l'on veut déployer : ce n'est pas rien. On peut également fabriquer des pales, ou développer les services nécessaires à proximité des champs éoliens - lamanage, offshore, raccordement électrique...

Je n'ai pas d'avis ni de chiffres sur l'article de loi relatif au bilan carbone des énergies renouvelables. Il aidera probablement dans le cas des produits transportés depuis des régions lointaines. Mais si les producteurs de machines sont allemands ou espagnols, je ne suis pas sûr que cela ait beaucoup d'influence. Pour ce qui est de la PPE, j'ai toujours recommandé des politiques d'achat public qui, sans enfreindre les règles de la concurrence européenne, permettraient aux entreprises françaises d'avoir leur chance face à des sociétés à bas coûts qui vont importer des structures du Vietnam ou d'autres pays. Aujourd'hui, il n'y a pas de politique industrielle dans la PPE, le champ concurrentiel est complètement ouvert.

À ma connaissance, il n'y a pas d'alliance capitalistique entre Fincantieri et les Chinois. Il s'agit d'une société en joint-venture, qui n'a pas d'actifs, c'est une société de projet. Il n'y a pas d'échange de technologies, mais simplement un échange de plans pour que les chinois construisent des bateaux pour leur propre marché. Naval Group le fait aussi tous les jours, lorsque l'on construit en Inde ou au Brésil, sans perdre notre souveraineté pour autant. On maîtrise la technique, le design, on envoie une assistance technique. Nous avons tous les outils pour maîtriser nos transferts, surtout que l'on ne transfère pas nos études.

D'ailleurs, il ne faut pas imaginer que, sans notre aide, la Chine ne rentrera pas sur ces marchés si elle souhaite y rentrer. Ils ont pénétré tous les autres segments : les sous-marins nucléaires, les porte-avions, les métalliers, les frégates... Ils sont gros, ils sont forts, ils sont soutenus par les équipementiers du monde entier. C'est d'abord une question de tempo de la politique intérieure chinoise. Le jour où la Chine l'aura décidé, et surtout où l'on s'en rendra compte, cela sera trop tard. La Chine n'est plus un pays en voie d'accès aux technologies : c'est désormais une grande puissance. Dans le domaine des paquebots, il n'y a pas de brevets mais uniquement des savoir-faire. L'Europe est une industrie de savoir-faire et c'est cela qu'il nous faut protéger, entretenir au travers des générations.

En ce qui concerne la motorisation des navires, je parlerai en tant que président de la filière industrielle de la mer, qui rassemble le groupement des industries de construction et activités navales (GICAN), la fédération des industries nautiques (FIN), l'industrie de l'off-shore et l'industrie des énergies marines renouvelables, pour environ 40 milliards d'euros de chiffres d'affaires et 120 000 emplois. On ne peut pas réduire la question de l'empreinte carbone à la seule réduction de la vitesse des porte-containers. La filière a conclu un contrat en octobre 2018, qui présente notre stratégie pour maintenir le rang de la France en termes de développement technologique et le décline en actions concrètes de R&D : c'est la filière « Greenship ». Nous avons aussi créé le conseil de la recherche et de l'innovation des industriels de la mer (CORIMER), chargé de fédérer l'ensemble des propositions de l'industrie en matière de R&D. Cependant, nous avons beaucoup de mal à accélérer les procédures, en particulier l'accès aux guichets financiers. Aujourd'hui, un seul des neuf projets labellisés au mois de mai 2019 a pu débloquer son financement. Le Président de la République a pris des engagements en ce sens qu'il nous a récemment répétés, mais on est loin du compte. Il faut que le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), Bpifrance, l'Ademe, accélèrent les procédures d'attribution. Si les grands groupes peuvent survivre sans fonds, les PME et PMI ne peuvent pas attendre 12 ou 18 mois.

En matière de coopération européenne, c'est l'auberge espagnole. Je fais régulièrement le tour des interlocuteurs : nous avons de réelles marques d'intérêt des Espagnols, qui sont cependant aujourd'hui bien seuls. L'Allemagne est réticente à se lancer dans le secteur naval, car elle a déjà des coopérations en cours dans d'autres domaines et considère que les relations avec la France ne sont pas assez stabilisées. J'ai aussi parlé aux Suédois. Je ne désespère pas, la porte est ouverte. Les Chinois, eux, s'adapteront de façon pragmatique.

La question de Thalès est claire. Le candidat proposé par l'État et qui sera soumis au vote du conseil d'administration ne sera plus l'ancien « numéro deux » de Thalès, mais se consacrera entièrement à défendre à les intérêts stratégiques de Naval Group à compter de sa nomination, y compris à l'encontre de son fournisseur ou concurrent Thalès, et à l'encontre de l'État, son client et actionnaire. La position du président n'est pas simple dans cet univers, mais il peut compter sur mon aide pour trouver ses marques. Je comprends toutefois aussi l'attitude du personnel : cela fait trente ans que ces difficultés de positionnement relatif existent. Vous mentionniez le prix des équipements, il y a également des enjeux liés à notre concurrence avec Thalès sur certains appels d'offres, relatifs aux frontières technologiques ou à la cybersécurité. Nos clients et partenaires peuvent aussi exprimer certaines inquiétudes. Mais j'y réponds que l'État a réaffirmé de façon extrêmement claire sa volonté de voir Naval Group rester un groupe indépendant et le champion européen du naval. Mon successeur bénéficiera de la continuité du plan stratégique voté en juillet 2018 - axé sur l'excellence au regard de la loi de programmation militaire (LPM), sur le plan de conquête à l'export avec la garantie de notre indépendance commerciale et d'un périmètre intègre, et la poursuite résolue de la consolidation européenne. L'État protégera cette direction stratégique. Je comprends donc les positions respectives : il va falloir créer la confiance indispensable entre le président et le corps social.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous comprenons donc que vous êtes très favorable au rachat des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri, et que vous attendez la décision de la commission européenne. Auriez-vous des informations relatives à la date à laquelle celle-ci prendra sa décision ?

M. Hervé Guillou. - Cela devait être le 17 mars, mais la date a été décalée d'une vingtaine de jours.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions.

La réunion est close à 19 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 29 janvier 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Olivier Guersent, directeur général des services de la concurrence à la Commission européenne

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le directeur général, nous nous réjouissons de pouvoir vous accueillir aujourd'hui, un peu moins de deux mois après la mise en place de la nouvelle Commission européenne et votre nomination à la tête des services de la Direction générale de la concurrence. C'est une maison que vous connaissez bien, puisque vous vous êtes longtemps occupé de la lutte anti-cartels et du contrôle des concentrations par la Direction générale.

Il était particulièrement important pour nous de vous recevoir en ce début d'année car, plus que jamais, les enjeux de concurrence irriguent de nombreux travaux récents de notre commission des affaires économiques.

Je veux d'abord citer le travail réalisé par MM. Chatillon et Bourquin, qui s'étaient penchés en 2018 sur le projet de création d'un géant européen du ferroviaire entre Alstom et Siemens. Le rejet par la Commission européenne de l'opération a fait l'effet d'un coup de tonnerre en France et en Europe, et a contribué à relancer le débat autour d'une réforme du droit de la concurrence. Je ne doute pas que mes collègues auront des questions à ce sujet. Près de deux ans plus tard, la vision de la Commission européenne a-t-elle évolué ? Quelle place la politique de la concurrence fait-elle à des champions européens ?

Notre groupe de suivi consacré à la stratégie industrielle de l'Union européenne, qui est composé de membres de notre commission mais aussi de membres de la commission des affaires européennes, travaille actuellement sur l'évolution de la politique de la concurrence et de sa conciliation avec les objectifs de politique industrielle. Vous avez reçu, je crois, l'un de ses rapporteurs à Bruxelles.

Le droit de la concurrence fait régulièrement l'objet de critiques dénonçant, je cite, sa « naïveté » ou sa « rigidité », ou encore, plus généralement, son « adéquation » aux enjeux nouveaux, comme les enjeux du numérique ou les distorsions de concurrence liées aux géants chinois.

Nous attendons pour le 4 mars prochain la nouvelle stratégie industrielle de la Commission européenne. Une évolution du droit de la concurrence est-elle au menu pour 2020 ?

En décembre dernier, notre commission a lancé une mission consacrée au rachat envisagé des Chantiers de l'Atlantique par l'italien Fincantieri, opération en cours d'examen par la Direction générale de la concurrence au titre du contrôle des concentrations.

J'en profite pour rappeler à l'ensemble de mes collègues que M. Guersent ne pourra bien entendu pas s'exprimer sur l'enquête en cours au niveau européen, qui devrait se conclure, je crois, d'ici mi-avril. Nous souhaitons en revanche que vous nous exposiez d'une façon générale les critères d'analyse de la Direction générale de la concurrence lorsqu'elle examine une telle opération ou un tel marché.

Dans notre économie actuelle, les risques de transferts de technologie, la montée en puissance rapide d'entreprises subventionnées par leur pays, comme la Chine, touche tous les secteurs économiques. De façon générale, comment le cadre juridique actuel et les outils à la disposition de la Commission européenne lui permettent-ils de prendre en compte ces pressions concurrentielles et la protection des technologies critiques ?

Enfin, nous examinerons la semaine prochaine la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace. Il s'agit de proposer un nouveau modèle de régulation de l'économie numérique qui soit adapté à ses spécificités, tout en respectant le droit européen.

L'existence d'acteurs bénéficiant d'immenses effets de réseau et d'économies d'échelle favorise la concentration croissante des géants du numérique. Cela se traduit par un certain enfermement des consommateurs, qui limite leurs choix et emportent la vie et la mort de nombreuses entreprises. Après des piles de rapports, nous estimons qu'il est temps aujourd'hui de passer à l'action. Le ministre allemand de l'économie a la même analyse, puisqu'il a publié un projet de loi de réforme en vue d'adapter le droit de la concurrence à l'économie numérique.

Que pensez-vous des mesures proposées par notre commission et par l'Allemagne depuis quelques jours ? Au niveau européen, quelles réflexions ou transformations la Direction générale de la concurrence a-t-elle lancé pour s'adapter à ces nouveaux enjeux ? Est-il possible et nécessaire de réformer le droit européen ?

M. Olivier Guersent, directeur général des services de la concurrence à la Commission européenne. - Je vous remercie beaucoup pour ces propos liminaires et pour votre invitation. Je suis déjà venu devant votre commission et devant celle des affaires européennes lorsque je m'occupais de la stabilité financière et de la régulation financière à la Commission européenne.

Par voie de propos liminaires, je voudrais poser un certain nombre de cadres trop souvent oubliés et qui sont utiles pour avoir une discussion productive, que l'on ait ou non la même opinion.

Tout d'abord, un droit efficace est un droit qui permet plusieurs politiques. Dans le droit de la concurrence, l'article 106 du traité, sur les monopoles publics, a été interprété par la Commission européenne et la Cour de justice pendant trente-cinq ans comme autorisant les monopoles publics d'État puis, les trente-cinq années suivantes, comme les interdisant
- ou quasiment. C'est le même standard de droit, on n'en a pas changé une virgule.

Je puis vous assurer que le droit des concentrations communautaires permet plusieurs politiques. En matière de concentration ou de droit de la concurrence, comme dans pratiquement toutes choses dans la vie, il est assez peu répandu que les choses soient binaires. On est donc assez rarement dans une situation blanche ou noire, mais dans des nuances de gris. À l'évidence, l'endroit où placer le curseur dépend de ce que sont les objectifs de politique générale. C'est vrai en France comme dans tous les pays du monde, ainsi qu'au niveau européen.

En ce sens, je réponds déjà aux premières questions : bien évidemment, la politique de concurrence s'adapte en fonction des objectifs de politique générale de l'Europe - lorsqu'il y en a. Assez souvent, il n'en existe pas. Il existe par exemple un assez fort mouvement pour doter l'Europe d'une politique industrielle. À titre personnel, je pense que c'est souhaitable et qu'on aurait dû le faire depuis longtemps, mais force est de constater que si une telle politique existait jusqu'à présent, elle est demeurée discrète. Cependant, lorsqu'une politique est clairement affichée, l'ensemble des moyens à la disposition de l'Union européenne se mettent en place, dans les limites du standard de droit.

J'ai dit tout à l'heure qu'il existait une vaste zone de gris. On trouve aussi un petit peu de noir sur la gauche et un petit peu de blanc sur la droite. Certaines choses ne peuvent s'adapter au standard de droit mais il existe, à l'intérieur de la zone grise, une vaste zone pour exercer un jugement politique.

C'est pourquoi, à titre personnel, je ne pense pas qu'un système ressemblant au système américain, dans lequel la Commission européenne serait procureur devant les juges de la Cour de justice de l'Union européenne, serait meilleur. Je n'ai guère plus confiance dans trois juges à Luxembourg que dans 27 hommes politiques à Bruxelles pour prendre une décision globale, qui doit tenir compte des objectifs politiques généraux de l'Union européenne. C'est une des raisons essentielles pour lesquelles la politique de la concurrence a été logée au sein de la Commission européenne et non dans une agence technique indépendante.

Deuxième remarque : le droit de la concurrence, c'est le droit de l'intervention publique dans le pouvoir de marché excessif des firmes, que ce pouvoir soit acquis par son propre poids - c'est l'abus de position dominante - ou par la collusion - c'est l'entente. Dans les deux cas, il s'agit d'un comportement qui vise à exercer seul ou collectivement un pouvoir de marché afin d'en extraire de la rente. C'est ce qui légitime l'intervention publique. Le droit de la concurrence n'est pas le droit du laissez-faire, c'est le droit de l'intervention de la puissance publique lorsque les acteurs privés développent un pouvoir trop important et qu'ils en abusent.

C'est également le fondement sur lequel nous contrôlons les concentrations d'entreprises. Il est important de le garder en tête. Si on est plutôt libéral, on a tendance à être moins interventionniste, si on l'est moins, comme c'est souvent le cas en France, on est plus interventionniste. On le constate aux États-Unis, où le droit de la concurrence est extrêmement utilisé par les administrations démocrates et traditionnellement moins pour les administrations républicaines. Il légitime le fait que le même standard de droit autorise plusieurs politiques.

Ce que ne permet pas ce standard de droit, ce sont des applications à géométrie variable - pour être clair : dur avec les Chinois et compréhensif avec les Français. Ce n'est alors pas un standard de droit, mais autre chose et on n'est plus dans un État de droit. La politique de concurrence s'adapte en permanence et va continuer à s'adapter, selon des formes qu'il conviendra de déterminer, mais elle ne peut adopter un standard à géométrie variable.

Je voudrais aborder le sujet de la technologie. L'un des objectifs de la politique de concurrence - et en cela elle ne s'oppose pas à la politique industrielle, est de concourir à la compétitivité de l'industrie sur le territoire dont elle a la responsabilité - dans notre cas, le territoire européen. J'ai toujours pensé que la politique de concurrence était l'un des éléments d'une politique industrielle intelligente, qui joue sur les cadres.

La politique de concurrence trouve ses limites face aux vagues d'innovations qui se succèdent, emportant un potentiel transformatif de plus en plus important, comme dans le domaine de l'intelligence artificielle. Toutes les politiques ont du mal à s'adapter, et la politique de concurrence ne fait pas exception.

Ceci pose notamment des problèmes de rapidité d'action : à quelle vitesse est-on capable d'intervenir ? Le procès de la concurrence est un procès qui, comme tous les procès dans un État de droit, garantit les droits de la défense et les droits des plaignants. Ce sont en outre des affaires généralement extrêmement complexes. Ceci signifie qu'il y a un temps d'enquête, si l'on veut accorder les garanties procédurales que l'on doit aux différentes parties, qui sont difficilement compressibles.

La Commission européenne a essayé de remédier à cet inconvénient, qui est en même temps un mal nécessaire, en réactivant des mesures qu'elle n'utilisait plus depuis très longtemps après avoir été sanctionnée par la Cour de justice, qu'on appelle des mesures conservatoires ou des mesures intérimaires, qui permettent d'arrêter une pratique pendant qu'on est en train de l'évaluer. Ce n'est pas une panacée. Cela a un coût. Si le résultat de l'évaluation détermine que la pratique était légitime, le coût d'opportunité est important, surtout dans un domaine comme le numérique, où il est possible que le simple fait d'arrêter la pratique en ruine tout le bien-fondé et la rende impraticable.

Tout cela soulève des questions importantes et difficiles à résoudre. Ma conviction - ainsi que celle, je le pense, de Mme Vestager - est que le droit de la concurrence ne résoudra pas ces questions de façon isolée, pas plus que la question de la compétitivité internationale de l'industrie française. Certes, le droit de la concurrence a un rôle à jouer, mais je crains que celui-ci ne soit surévalué par rapport à d'autres parties de la politique qui me semblent plus importantes, comme notre politique commerciale, notre production de normes ou notre politique fiscale. Lors du dernier mandat, une grande partie de l'activité de la Direction générale de la concurrence en matière d'aides d'État a porté sur les aides fiscales. J'ai la conviction qu'il s'agissait d'aides illicites : qu'on les donne sous forme de rescrit fiscal ou sous une autre forme, cela reste des aides d'État. Cela étant, il faut admettre qu'en régime de croisière, il est plus efficace d'avoir un régime fiscal dont on est satisfait plutôt que de devoir le corriger au moyen des règles de concurrence. Il existe donc toute une palette de politiques, y compris en termes de politique de régulation qui, en complément, permettent de développer une politique intelligente.

Il y a une dizaine d'années, j'étais le directeur de cabinet de Michel Barnier, lorsqu'il était commissaire européen. Il avait à l'époque proposé une clause de réciprocité dans les marchés publics au moment de leur réforme. Cette idée a été à l'époque rejetée unanimement. Personnellement, je n'ai jamais compris pourquoi il était protectionniste de demander à des partenaires commerciaux l'accès à leurs marchés publics dès lors que leurs entreprises pénétraient le marché européen voire recevaient des financements européens. Ce n'est là pas du droit de la concurrence, mais des problématiques de compétitivité.

Il existe tout un tas d'autres instruments politiques dans le cadre desquels ces questions peuvent être résolues. Ce qu'il faut, c'est une politique globale cohérente, puis jouer sur chacun des instruments en fonction de ce qu'on peut en attendre, afin de mettre cette politique en musique.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci. La parole est aux commissaires.

M. Daniel Laurent. - Monsieur le directeur général, en octobre dernier, l'OMC permettait aux États-Unis de prendre des sanctions contre des biens européens, dans le cadre du conflit sur les subventions accordées à Airbus. Début décembre, les États-Unis ont formulé de nouvelles menaces visant à imposer de nouveaux droits de douane additionnels, jusqu'à 100 % sur certains produits. En cause : le projet de taxe sur les géants du numérique.

Les exportateurs ont réduit leurs marges, mais redoutent de perdre des parts de marché qui seront difficiles à reconquérir, d'autant que ces mesures entraîneront des distorsions de concurrence, tant au niveau européen qu'international. Certains gros opérateurs enregistreraient déjà une baisse de dix millions d'euros de leur chiffre d'affaires en fin d'année 2019, et de 30 % de leurs ventes, particulièrement aux États-Unis.

Quelle est votre analyse sur cette situation ? Disposez-vous de projections sur les conséquences au niveau européen de ces sanctions, en termes de fonctionnement des marchés européens et de la concurrence ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Monsieur le directeur général, le Brexit va avoir lieu dans quelques heures. Les Britanniques ont toujours eu une politique très forte en matière de concurrence et été particulièrement attentifs à toute décision qui provoquerait une augmentation des prix pour leurs consommateurs.

Pensez-vous que la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne aura des conséquences sur la politique européenne de la concurrence, notamment dans l'éventualité d'une redéfinition de cette politique ?

M. Alain Duran. - Monsieur le directeur général, vous avez affirmé qu'un droit efficace est un droit qui permet plusieurs politiques. Je voudrais revenir, en matière de concurrence, sur le cas d'EDF, qui pose un problème aux territoires quant à l'avenir des barrages et au renouvellement des concessions. Sans commenter le projet Hercule, la séparation des branches est-elle obligatoire pour convaincre la Commission européenne d'autoriser la nationalisation du nucléaire français et des centrales hydroélectriques ?

Vous l'avez rappelé, une politique de concurrence est une politique industrielle. Or ce projet semble plutôt d'ordre financier. Existe-t'il un autre chemin ?

Mme Sophie Primas, présidente. - J'étais convaincue que cette question allait arriver !

Mme Viviane Artigalas. - Monsieur le directeur général, ma question porte sur le numérique. Vous n'avez pas répondu à la question de Mme Primas au sujet de notre proposition de loi. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? Quelle est votre position sur ce que nous proposons ?

Par ailleurs, en juillet 2019, la France, l'Allemagne et la Pologne ont présenté un document commun dans lequel elles proposaient d'élargir les champs de coopération industrielle à des secteurs comme l'intelligence artificielle, le stockage en ligne des données et la cybersécurité, en s'attaquant en même temps aux nouveaux conglomérats du numérique. Comment la Commission européenne peut-elle favoriser ce développement de coopérations dans ces domaines, voire de conglomérats européens ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Il ne vous aura pas échappé que toutes mes questions n'ont pas eu de réponse. J'y reviendrai...

M. Alain Chatillon. - Monsieur le directeur général, nous rédigeons avec mon collègue de la commission des affaires européennes Olivier Henno un rapport sur l'évolution de la politique de concurrence en Europe, en particulier au regard de sa stratégie industrielle. Nous avons interrogé hier la présidente de l'Autorité de la concurrence, Mme de Silva, au sujet d'Alstom. Sa réponse m'est apparue surprenante. Elle nous a dit que l'opération n'avait pas pu être autorisée car, des risques de restriction de concurrence sont apparus à la consultation de leurs clients respectifs. Je veux bien l'entendre, mais où va-t-on ?

Le leader chinois détient 30 % du marché, le leader américain 18 %. L'addition d'Alstom et Siemens ne représentait que 13 %. Veut-on asphyxier les entreprises capables de se placer sur le marché international ? Airbus s'inquiète aujourd'hui de voir les milliards de dollars investis par les États-Unis pour relancer le nouveau Boeing, au mois de juin prochain, alors que nous avons été critiqués parce que la France et l'Allemagne avaient mis quelques milliards pour accompagner ce secteur. Se rend-on compte qu'il faut que les pays européens s'unissent pour assurer un développement mondial de ces secteurs ?

C'est une inquiétude que Martial Bourquin et moi-même partageons, avec l'ensemble des membres de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes. Quelle est votre position à ce sujet ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le directeur général, vous avez la parole pour répondre à cette première série de questions.

M. Olivier Guersent. - Le cas d'Alstom, contrairement à celui des concessions hydroélectriques, n'est plus en cours de traitement. Nous avons donc sur ce sujet une certaine liberté de parole.

Le droit de la concurrence protège les capacités d'arbitrage des clients. L'enquête de concurrence - qui est désormais consultable - a montré qu'Alstom et Siemens, parce qu'ils détiennent à eux deux les deux technologies clés sur les marchés de la signalétique, avaient la capacité d'exercer un pouvoir de marché important en Europe et d'extraire de ce fait de la rente de leurs clients, les compagnies ferroviaires. Est-on satisfait de cette situation ? Si c'est le cas et qu'on l'autorise, la rente qu'ils auront tirée des compagnies ferroviaires nationales sera-t-elle utilisée pour financer leur compétitivité à l'export ? Qu'est-ce qui pourrait les inciter à le faire, compte tenu de la répartition de leur capital, plutôt que de servir des dividendes plantureux à leurs actionnaires internationaux ? Je laisse cette question de côté, parce que ce n'est pas vraiment une question de politique de concurrence, mais je me suis toujours demandé en quoi le fait d'abriter durablement des sociétés de la concurrence et de les autoriser à « traire » le consommateur européen allait mécaniquement leur apporter un avantage en matière de concurrence internationale. Cela mérite débat.

Dans le cas Siemens-Alstom, je trouve que le débat est un bon débat mais c'est probablement le pire des cas pour l'avoir. Vous avez peut-être remarqué que, lorsque la Commission européenne a publié ses griefs, les parties ont mis sur la table des remèdes qui, de l'avis général et selon celui même de leurs propres conseils, n'étaient pas de nature à répondre aux préoccupations exprimées. Ils ont immédiatement annoncé qu'ils n'avaient aucune intention de négocier pour améliorer ces remèdes. En trente ans de pratique du droit de la concurrence, je n'avais encore jamais vu cela. En d'autres termes, les parties nous demandaient de les autoriser à exploiter la rente sur le marché européen. Or les remèdes existaient. L'un d'eux, assez simple, consistait à donner une licence sur les technologies de signalétique au principal concurrent européen, Talgo, qui est espagnol. On aurait ainsi eu un grand groupe mondial et de la concurrence en Europe, mais ni Siemens ni Alstom n'étaient prêts à entrer dans cette discussion.

Ce cas n'était pas mécaniquement voué à l'interdiction, mais il faut être deux pour danser le tango ! Mme Vestager a proposé aux parties de discuter afin de trouver des remèdes de nature à permettre la constitution du groupe, tout en tentant de « digérer » les problèmes de concurrence en Europe qui sont au détriment de nos consommateurs européens. Cette discussion n'a jamais débuté. À partir de ce moment, il devenait difficile de connaître un autre épilogue que celui qu'on a connu.

S'agissant de Boeing et d'Airbus, comme vous le savez peut-être, la Commission européenne est en train de passer en revue la concentration entre Boeing et Embraer. Nous sommes extrêmement critiqués, car nous sommes la seule autorité de concurrence au monde qui y voit des difficultés. En matière de concurrence, comme dans beaucoup d'autres cas, selon que vous êtes dans la plaine ou sur la montagne, vous ne voyez pas le paysage de la même façon. Nos collègues américains ont autorisé cette opération sans aucun problème, comme nos collègues brésiliens ou chinois, même si ces derniers avaient un peu moins d'intérêts dans l'affaire. Nous pensons à tout le moins que cela mérite un examen approfondi.

Vous avez évoqué Airbus et les sanctions américaines, ainsi que Boeing. Je ne puis trop m'étendre sur le sujet. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la Commission européenne a été assez bonne fille avec Airbus sur le plan du contrôle des aides d'État pendant de nombreuses années, ce qui montre que, lorsqu'il existe un projet européen, les instruments de politique se mettent en place.

Cependant, à l'OMC, nous avons perdu au panel. Lorsque nous gagnons, nous nous attendons à ce que nos adversaires et partenaires commerciaux en tirent les conséquences : de même, les Américains, qui ont gagné le panel, s'attendent à ce que l'Europe en tire les conséquences. On ne peut apprécier le multilatéralisme quand cela nous arrange et ne pas l'apprécier lorsqu'on perd dans des procédures d'arbitrage multilatérales. Nous reprochons à nos grands partenaires commerciaux de ne pas jouer le jeu du multilatéralisme, dont nous nous faisons les champions : nous ne pouvons donc que nous comporter convenablement quand les systèmes multilatéraux fonctionnent.

Par ailleurs, comme vous le savez certainement, un cas opposant l'Europe à Boeing va être discuté par ce même panel, et doit être tranché dans les mois qui viennent. Nous avons toute confiance que cela rétablira un sain équilibre entre les parties.

Je suis entièrement d'accord avec vous : une politique d'imposition de droits de douane et de restriction du commerce ne profitera à personne. Dans le même temps, on ne peut expliquer qu'il est urgent d'ériger de hauts murs autour de l'Europe pour y bâtir une industrie compétitive. Soit l'on pense que le libre-échange convenablement régulé est dans l'intérêt de chaque partie, soit on pense le contraire, mais cela ne peut être bien quand cela nous arrange et détestable dans le cas contraire !

Bien évidemment, les sanctions commerciales, dans la mesure où elles sont liées au fait que les États-Unis ont gagné au panel, sont au moins juridiquement légitimées. D'autre part, exercer des pressions pour amener une juridiction souveraine à changer la façon dont elle désire taxer les entreprises qui opèrent sur son territoire n'est pas une bonne chose. C'est pourquoi nous préférons le multilatéralisme. Lorsqu'on en sort, c'est le droit du plus fort qui prévaut. Je suppose que c'est la raison pour laquelle certains États particulièrement puissants préfèrent en sortir. L'Europe considère cependant que le multilatéralisme est une manière civilisée de régler nos différends et de protéger les moins forts d'entre nous, et nous continuerons à nous battre pour cela.

Je suis désolé de ne pouvoir vous parler des affaires de renouvellement de concessions hydroélectriques, actuellement en cours d'examen par la Commission européenne. Je dois dire qu'elles le sont depuis assez longtemps, et qu'il serait bon qu'une solution fut trouvée, mais je ne ferai pas d'autres commentaires.

Permettez-moi de revenir sur le Brexit avant de terminer sur le numérique, puisqu'on m'a demandé d'être plus précis sur ce que nous en pensons. Nous sommes beaucoup à regretter que le Royaume-Uni quitte l'Union européenne. Il est exact que le Royaume-Uni, plus libéral que la moyenne des États, avait un rôle d'équilibre dans le triangle franco-germano-britannique. Ce rôle disparaît avec leur départ.

Ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard si, quand ils nous regardent, les observateurs étrangers font un lien entre la montée en puissance des concepts de politique industrielle et le départ du Royaume-Uni. Je crois que ce lien est très exagéré, car cette prise de conscience existe aussi au Royaume-Uni, mais également dans d'autres pays traditionnellement beaucoup plus libéraux que la France, comme les Pays-Bas.

Si les Européens ne définissent pas ensemble leurs intérêts économiques offensifs et défensifs, personne ne le fera pour eux. Dans le grand match de football auquel se livrent les Chinois et les Américains, qui seront rejoints demain par les Russes, la question qui se pose aux Européens est de savoir s'ils veulent continuer à être le ballon ou faire partie des joueurs. Cela suppose que l'on définisse ensemble nos intérêts économiques communs. C'est plus compliqué chez nous que chez les autres parce que l'intérêt français n'est pas nécessairement l'intérêt allemand, polonais, espagnol, italien, ou luxembourgeois.

Pour définir nos intérêts et ce qu'on veut défendre tous ensemble, on a besoin d'en parler, alors qu'aux États-Unis l'intérêt industriel américain est internalisé, implicite et n'a pas besoin d'être discuté.

C'est probablement ce qui fait qu'il a traditionnellement toujours existé un hiatus entre les politiques du marché intérieur, qui participent à la compétitivité, et la politique de concurrence, qui nécessite un mode de décision unique, alors que les autres politiques nécessitent des discussions et des compromis. Par définition, cela va plus lentement.

Je pense que le départ des Britanniques n'a pas vraiment de conséquences dans la mesure où, au Royaume-Uni, également, cette prise de conscience existe. D'ailleurs, le gouvernement de M. Johnson a sur ces sujets des positions assez ambiguës : un jour c'est Singapour-sur-la-Tamise, le lendemain il faut protéger l'industrie automobile du nord-est de l'Angleterre. Comme nous tous, ils sont eux aussi confrontés à ces questions. Il me semble que les choses sont plus simples lorsqu'on est seul, mais on est aussi plus puissant à plusieurs pour imposer ses vues sur la scène internationale. Je crains que les Britanniques ne le découvrent assez rapidement. En l'occurrence, le fait que nous devons prendre en charge nos intérêts communs, définir une politique de compétitivité - pour ne pas dire une politique industrielle - et mettre ensuite en ligne différents instruments s'impose partout en Europe, même au Royaume-Uni.

S'agissant du numérique, ainsi que je l'ai dit dans mon propos liminaire, la politique de concurrence a toujours essayé de s'adapter aux évolutions de l'économie et aux objectifs politiques généraux de l'Union lorsqu'ils existaient. Cela va continuer.

Certes, le numérique pose un challenge particulier parce que c'est un domaine plus rapide que les secteurs traditionnels et transformant les pratiques mises en oeuvre, les effets de réseau étant très puissants. L'intervention de la concurrence peut donc être tardive. En matière de concurrence, on trouve des remèdes - mais une fois que les concurrents sont morts, il n'y a plus beaucoup à en attendre. Il existe aussi des amendes, mais ces entreprises ont tant de ressources qu'on peut s'interroger sur leur efficacité réelle. Il faut bien sûr continuer à en distribuer, mais est-ce vraiment dissuasif ? La question se pose.

Nous avons commandité l'an dernier un rapport qui énumère des pistes extrêmement intéressantes. Les États membres contribuent eux-mêmes à ce débat - France, Pays-Bas, Allemagne. La palette d'instruments à la disposition des États membres est un peu différente de celle de la Commission européenne. En effet, les États membres, en matière de régulation économique, ont à leur disposition des instruments qui vont des pratiques restrictives jusqu'au droit de la concurrence. C'est ce qui existe en France dans le cadre des différents avatars des ordonnances de 1986. Cela permet une certaine flexibilité, car on n'est pas nécessairement obligé de définir si on intervient grâce à tel instrument ou tel autre. Le cas échéant, on peut jouer sur les deux.

La compétence n'a été dévolue à l'Europe que sur un sujet, celui du droit des atteintes au marché, selon des articles 101 à 110 du traité. C'est ce qu'on appelle l'antitrust. On y a ajouté la réglementation en matière d'aides d'État, ce qui n'existe pas ailleurs, qui n'est rien d'autre que notre OMC interne pour garantir l'équité entre les grands et les petits, ceux qui ont des poches profondes et ceux qui n'en ont pas. Pour le reste, c'est du droit classique d'atteinte au marché : ententes, abus de position dominante, contrôle des concentrations.

Pour intervenir, il faut qu'il y ait une atteinte au marché et qu'on puisse le démontrer, alors que le droit des pratiques restrictives - « unfair practices » en droit américain - est normatif et définit les possibilités d'action, sans nécessiter de démonstration. Par exemple lorsqu'une chaîne de grande distribution abuse de sa puissance d'achat vis-à-vis de ses fournisseurs, il n'est pas nécessaire de démontrer que cela a eu un impact économique sur la victime de la pratique ni sur le fonctionnement du marché.

Le droit de la concurrence communautaire comporte cette exigence de démonstration, les États membres ne nous ayant pas délégué le droit des pratiques restrictives. Il est important de le prendre en compte. Le droit de la concurrence est très puissant, mais comporte aussi quelques limites.

Cela signifie-t-il qu'on ne peut rien faire ? Non. J'ai la conviction, je l'ai dit tout à l'heure, que le droit de la concurrence doit fonctionner en synergie avec le droit de la régulation sectorielle. Cela laisse une marge de manoeuvre assez importante. D'ailleurs, cela a été fait dans beaucoup de cas. La libéralisation de la téléphonie est une synergie entre une régulation sectorielle du marché du fixe d'un côté, du marché du mobile de l'autre, et le droit de la concurrence. Je vous rappelle que les directives 96-2 et 96-19 de libéralisation de la téléphonie fixe et mobile relèvent du droit de la concurrence et non de l'article 114 du traité. On y a ajouté ensuite tout un tas de régulations. Le cadre juridique dans lequel s'exerce la régulation des réseaux, notamment câblés, est un cadre mixte mêlant concurrence et régulation. Vous pouvez dire la même chose des marchés de l'énergie, etc. Ce n'est donc pas non plus une idée révolutionnaire. C'est en réalité une question de bon sens.

S'il existe un domaine dans lequel Mme Vestager ne peut être soupçonnée d'avoir réagi mollement, c'est certainement celui du numérique. Elle a déclaré au début de son nouveau mandat qu'elle aurait agi encore plus vigoureusement si elle avait pu se douter de l'ampleur du problème.

Il existe en tout état de cause un champ de possibilités dans l'articulation entre la réglementation sectorielle et le droit de la concurrence. Je suis en contact avec mon collègue Roberto Viola, directeur général des activités digitales, sous la responsabilité de Thierry Breton, pour présenter à nos deux patrons une proposition cohérente, notamment pour ce qui constitue selon moi le principal problème, les plateformes.

Je vous ai parlé tout à l'heure de la régulation des grandes infrastructures publiques. Les plateformes en présentent beaucoup de caractéristiques. En fait, on peut tout à fait les considérer comme des infrastructures, tirer des leçons de la pratique passée en la matière et les transposer. Il existe un certain nombre de pistes. Il est trop tôt pour être beaucoup plus précis. Nous y travaillons ensemble pour le moment, mais c'est certainement dans cette direction qu'il faut aller.

Je ne serais pas complet si je ne précisais pas que le droit de la concurrence interdit un certain nombre de choses, mais n'oblige à rien. En ce sens, il est complémentaire du droit de la régulation. C'est le droit de la régulation qui peut, le cas échéant, inciter la puissance publique à fournir tel ou tel type de solution, d'activité ou de cadre en cas de défaillance du marché.

Il s'agit dès lors d'un autre contexte. La coopération devient alors pro-concurrentielle et permet de faire naître une activité qui ne serait pas née en dehors de la coopération. Cela permet d'accepter un certain nombre de restrictions de concurrence entre les parties, puisque ceci va favoriser le développement d'une nouvelle offre permettant la concurrence. Tout ceci n'a rien de nouveau, mais apparaît aujourd'hui sous une lumière nouvelle.

D'une certaine façon, cela existe déjà. Ma direction générale, par exemple, comporte une unité qui s'occupe uniquement des grands projets importants européens d'intérêt commun (PIIEC) pour lesquels nous avons créé un régime spécial. Ceci illustre ce que je disais au début : quand il existe une claire volonté politique, on met en place les outils pour faire en sorte que tout se passe dans les meilleures conditions, dans la limite de ce que permettent les standards juridiques. Vous avez probablement noté que ces projets sont rapidement traités, en adéquation avec le standard qui a été défini. Dans le numérique encore plus qu'ailleurs, le grand sujet est la rapidité. L'adéquation avec les droits de la régulation permet de créer des cadres qui autorisent une action rapide, parce qu'on a un critère normatif que le droit de la concurrence ne peut apporter. Le droit de la concurrence fixe les limites de ce que l'on peut faire dans une situation donnée. Les acteurs économiques peuvent en tirer un certain nombre de conséquences, mais cela ne va guère au-delà.

Si la synergie est utile, elle ne constitue toutefois pas l'alpha et l'oméga d'une politique industrielle, y compris en matière digitale.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour ces premières réponses. La parole est aux commissaires.

Mme Anne-Marie Bertrand. - Monsieur le directeur général, qui dit marché commun dit règles communes. Le premier réflexe, lorsqu'une concurrence est faussée, est de vouloir mettre un terme à cette pratique, et c'est bien légitime. C'est en cela que votre service porte l'immense responsabilité de rendre crédible et viable le projet européen.

Dans mon département des Bouches-du-Rhône, les agriculteurs, en particulier les maraîchers et les arboriculteurs, font face à la concurrence déloyale d'autres pays européens, comme l'Espagne ou l'Italie, souvent parce que notre pays souhaite être plus vertueux que les autres et ne donne pas à nos entreprises le temps de s'adapter.

Si l'État peut faire valoir la clause de sauvegarde qui permet d'interdire l'importation de produits ayant été traités avec des produits interdits en France, il me semble également intéressant de connaître votre travail afin d'uniformiser les systèmes d'appellation qui, elles aussi, faussent parfois la concurrence en trompant le consommateur.

M. Franck Montaugé. - Monsieur le directeur général, vous avez indiqué que l'objectif premier de votre direction générale était de préserver les capacités d'arbitrage des clients européens. C'est exactement le parti de la commission des affaires économiques, qui doit bientôt discuter d'un texte relatif à la neutralité des terminaux, l'interopérabilité des plateformes et à la question des acquisitions qui viennent perturber la concurrence, voire la créativité et l'innovation.

Nous sommes d'accord sur ce que vous avez dit à propos des plateformes, et je pense que nos objectifs sont comparables. Lorsque nous avons auditionné la Direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies (DG Connect), j'ai soulevé la question des délais, notamment par rapport à la révision de la directive sur le e-commerce, mais aussi par rapport à d'autres démarches. Cela nous amène à un horizon de quatre à cinq ans. Or le temps passe et on a intérêt que les choses en la matière aillent le plus vite possible pour limiter les dégâts.

Quelle est votre position par rapport aux démarches comme la nôtre - celle de la France, mais aussi celle de l'Allemagne qui, sur ces sujets, a pris des initiatives législatives qui pourraient utilement abonder votre démarche ? On espère que leur mise en oeuvre sera rapide pour ce qui concerne les prérogatives juridiques des États nations, car il ne s'agit pas d'empiéter sur ce qui est prévu au niveau de l'Union européenne.

Mme Sylviane Noël. - Monsieur le directeur général, l'Allemagne a tout récemment publié un projet de loi dont les objectifs sont proches de la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, actuellement étudiée par notre commission. Elle confierait à l'autorité de la concurrence allemande le soin de la régulation économique des plateformes structurantes. Je souhaiterais connaître votre avis sur cette initiative.

Par ailleurs, notre proposition de loi prévoira certainement un renversement de la charge de la preuve dans les cas de litiges liés aux acquisitions dites prédatrice. Quel est votre point de vue sur la question ?

M. Fabien Gay. - Monsieur le directeur général, mon propos n'a rien de personnel, mais je considère que le droit à la concurrence de l'Union européenne fragilise notre économie, notamment en matière numérique. Les GAFA sont bien plus puissants que les États et se jouent de nous en matière sociale, fiscale et environnementale. Nous n'arriverons pas enrayer cette situation. Ils fragilisent durablement notre industrie.

Je partage les propos d'Alain Chatillon concernant Alstom. Vos remèdes consistaient à se séparer de sites industriels, c'est-à-dire à perdre des emplois en France et en Europe.

À la sortie de la crise automobile de 2008, tous les acteurs guettaient les aides à PSA Peugeot Citroën et étaient prêts à nous attaquer. Dans le même temps, de l'autre côté de l'Atlantique, General Motors était nationalisé à nouveau et recevait 50 millions de dollars d'aides publiques ! Même si nous avions voulu aider notre secteur automobile, nous n'aurions pas pu, les traités et les articles 107 et 108 nous l'interdisant. C'est une distorsion énorme.

Quand allons-nous changer tout cela et mettre ces traités à bas pour soutenir l'emploi industriel en France et en Europe ? Si nous maintenons les traités actuels, nous n'y parviendrons pas !

M. Martial Bourquin. - Monsieur le directeur général, vous avez beaucoup insisté sur l'intérêt du client et du consommateur. Puisqu'on aborde la question de la concurrence, j'aimerais qu'on mette sur un pied d'égalité la culture du consommateur et celle du producteur. Le problème est là ! À force de faire de la concurrence une fin en soi, je crains que l'Europe ne devienne, par rapport à la Chine et à l'Amérique, un lieu où on consommera sans produire. La Chine, dans le cadre de son plan 2025, comme l'Amérique, investit directement des fonds publics dans leurs entreprises. Cela constitue pour nous une concurrence totalement déloyale, interdite en Europe.

J'ai l'impression qu'on ne réagit pas comme il le faudrait. L'idée d'une taxe carbone aux frontières de l'Europe, avec un projet industriel mais aussi agricole de qualité, m'apparaît, dans la situation actuelle, comme absolument nécessaire, sans quoi des industries disparaîtront chaque année.

Ne le prenez pas comme une attaque personnelle, mais j'ai le sentiment qu'on se désindustrialise et que notre agriculture peut être mise en difficulté à cause du CETA et d'autres politiques européennes. N'est-il pas temps de remettre les pendules à l'heure et de se doter d'une politique pour ce faire ?

Mme Françoise Férat. - Monsieur le directeur général, la concurrence libre et non faussée a constitué le principe fondateur de la Communauté européenne. Qu'en est-il désormais ? Certes, éviter les ententes permet la transparence, mais laisser libre accès à notre marché à des produits ne respectant pas nos normes environnementales ou sociales fausse celui-ci. Ne pas traiter les déchets polluants et les fumées toxiques, ne pas financer la protection sociale en matière d'assurance maladie, de retraite, de formation, de solidarité réduit bien évidemment le coût du travail. Ces critères faussent la concurrence.

L'Union européenne a-t-elle la volonté de donner les moyens à notre économie de défendre la concurrence non faussée ? Si on doit jouer le jeu, il faudrait que nous ayons les mêmes cartes.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Monsieur le directeur général, quelles sont vos relations avec l'OMC face à l'escalade à laquelle on assiste depuis des mois ? Un certain nombre de plaintes déposées par l'Union européenne devrait par ailleurs donner lieu à des sanctions de l'Union européenne sur les produits américains...

Vous avez estimé que le droit de la concurrence devait être complémentaire du droit de la régulation. Dans quelle mesure vos services participent-ils aux réflexions autour du Green Deal et de l'ajustement carbone aux frontières pour tenter de rétablir des conditions de concurrence plus équitables pour les entreprises européennes ?

M. Daniel Gremillet. - Monsieur le directeur général, je partage complètement l'avis de notre collègue Alain Duran sur les concessions hydroélectriques. Je comprends votre devoir de réserve. Néanmoins, ce sujet doit-il être traité sous l'aspect purement concurrentiel et non sous l'angle stratégique ?

Par ailleurs, nous sommes à quelques heures du Brexit. C'est un échec pour l'Union européenne. Est-on en mesure d'en tirer les enseignements ? On connaît la faiblesse de l'organisation industrielle française et européenne à travers le monde. Parfois les interdictions faites au nom de la non-concurrence font disparaître des pans entiers de l'économie dans certains territoires. On en a un exemple dans le secteur agroalimentaire, où la reprise d'un outil industriel a été considérée comme créant une situation trop dominante. Quelques sites ont fini par disparaître.

Vous avez également évoqué la téléphonie et le numérique. On en voit bien les limites et on ne peut que déplorer l'absence de notion territoriale. Les populations se sentent exclues en permanence : dans le Grand Est, c'est aujourd'hui le contribuable qui finance, afin de ne pas reproduire les erreurs du passé en matière de téléphonie mobile. N'a-t-on pas besoin de davantage d'Europe ? On va finir par ne plus répondre aux attentes de la société, et chacun va se replier sur lui-même faute de réponse.

Enfin, dans le secteur agricole, la concurrence va---elle permettre au monde paysan de mieux s'organiser ? Certains progrès ont déjà été accomplis, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour garantir la souveraineté alimentaire du pays dans le futur.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ceci rejoint une de mes questions à propos de laquelle j'aimerais obtenir une réponse. Quels sont les critères d'analyse de la Direction générale de la concurrence : effet territorial, aménagement du territoire, marché pertinent...?

M. Chatillon voudrait vous poser une ultime question...

M. Alain Chatillon. - Monsieur le directeur général, nous avons le sentiment d'un éloignement de l'Europe. J'ai été chef d'entreprise pendant trente-huit ans dans l'agroalimentaire : en Allemagne, les fonctionnaires européens accompagnaient une de mes filiales en permanence, ce qui n'était absolument pas le cas en France. On peut donc se poser des questions.

Par ailleurs, y a-t-il un lien suffisant entre l'Autorité de la concurrence et la Commission européenne ?

S'agissant du numérique, je crois savoir que l'Allemagne a déjà quasiment achevé ses projets dans ce domaine. Où en est la France ? Ne prend-on pas trop de retard ? On a le sentiment que l'Union européenne est très éloignée du terrain. Or la proximité est indispensable.

Enfin, les réglementations qui s'appliquent en Allemagne, aux Pays-Bas ou ailleurs sur les importations agroalimentaires sont-elles identiques à celles que l'on connaît en France ? Notre laxisme est incroyable. La DGCCRF a-t-elle les moyens de mener son travail ? Ce sont les agriculteurs qui le payent ! On comptait, il y a quarante ans, deux millions d'agriculteurs. On en dénombre aujourd'hui 350 000, et nous perdons un département moyen en terres agricoles tous les sept ans. De la proximité, monsieur le directeur général, voilà ce qu'il faut !

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le directeur général, vous avez la parole.

M. Olivier Guersent. - Je suis Corrézien, et j'ai coutume de dire que, dans mon petit village de Basse Corrèze, la moitié de la population est constituée de cousins, et l'autre de Britanniques et de Néerlandais. Cela fait très longtemps qu'il n'y a plus de Poste - au moins 30 ans -, ni d'épicerie. Le premier boulanger est à quinze kilomètres. Ce sont donc des questions auxquelles je suis sensible.

Je reviens à votre question sur l'éloignement. Tout d'abord, l'Union européenne n'a jamais compté beaucoup de fonctionnaires dans les entreprises. D'une certaine façon, c'est peut-être souhaitable. Je n'ai jamais cru que le bon modèle consiste à disposer à Bruxelles d'une sorte de Léviathan qui contrôle tout dans l'Union européenne. C'est illusoire, probablement inefficace, et extrêmement bureaucratique.

L'Union européenne est une structure légère. La Commission européenne compte 30 000 fonctionnaires. Comparé aux effectifs des différentes administrations françaises, c'est une petite structure, et c'est bien ainsi.

La question, que beaucoup d'entre vous ont évoquée, c'est celle de l'articulation. Bien souvent, et notamment en matière alimentaire, l'application de la réglementation relève du terrain. J'ai commencé ma carrière, il y a très longtemps, à la DGCCRF. J'ai été fonctionnaire français avant d'être dépêché par M. Bérégovoy à Bruxelles. Certes, vous devez disposer de fonctionnaires de terrain pour appliquer les sanctions lorsque c'est nécessaire, mais également pour guider la petite entreprise, car la réglementation est souvent compliquée, changeante et coûteuse. La fonction de conseil est donc extrêmement importante et difficilement compatible avec des effectifs trop réduits. Il ne m'appartient pas de me prononcer sur les priorités du Gouvernement français en la matière. Je ne fais que constater que les effectifs de la DGCCRF n'ont pas augmenté depuis que je l'ai quittée, il y a presque trente ans.

Vous avez également raison de dire qu'il est important que l'on marche tous d'un même pas. On n'a pas besoin d'un contrôle central à Bruxelles, mais d'appliquer les mêmes standards de la même façon avec une discipline collective. C'est cela, l'équité concurrentielle.

Je viens de passer dix ans, d'abord aux côtés de Michel Barnier, puis sans lui, à essayer de réguler le système financier pendant et après la crise. Il existe plein de « trous » : les États ont des intérêts et points de vue différents. Cela engendre soit à des standards européens flous, soit lorsqu'il s'agit de directives, à des implications potentiellement assez différentes sur le terrain dans les différents États, soit à une absence de standard.

Une question m'a été posée à propos des initiatives françaises et allemandes. Sera-t-on mieux loti si on met en place un patchwork de 27 réglementations nationales sur les plateformes numériques qui, bien sûr, ne seront pas les mêmes ? Si on a de la chance, elles seront similaires, inspirées par les mêmes principes - et c'est déjà beaucoup -, mais elles seront mécaniquement différentes. Les entreprises excellent à se nicher dans les interstices que laissent ces légères divergences entre États membres, que ce soit en matière fiscale, sociale, ou quel que soit le domaine.

Il faut donc faire vite au niveau européen. Lorsque l'Europe comptait quinze membres, les Guignols de l'info racontaient que le temps administratif, c'était deux fois le temps normal, et que le temps européen représentait quinze fois le temps administratif. Ce n'est pas tout à fait vrai. La Commission européenne travaille très rapidement. J'ai fait adopter des réglementations financières extrêmement complexes en dix-huit mois parce qu'il y avait urgence.

Il faut le temps à la Commission européenne, surtout dans ces matières complexes, de proposer un standard de droit solide et évalué. Nous avons une culture de l'évaluation ex ante, et nous publions toujours nos études d'impact. Je trouve que c'est une bonne pratique, même si cela prend un peu de temps et rallonge le processus de trois à six mois, mais ceci permet d'objectiver un certain nombre de choses. C'est utile pour réaliser une bonne législation. On prend ensuite les options politiques que l'on veut.

Mais une négociation au Conseil européen et au Parlement, si tout se passe bien, prend au minimum deux ans, et ce n'est pas illégitime. C'est plus compliqué qu'au niveau national, les intérêts des États membres n'étant pas nécessairement les mêmes. Il faut discuter et arriver à des compromis plus ou moins efficaces.

Le Parlement, légitimement, veut pleinement jouer son rôle qui, du point de vue de la Commission européenne, est extrêmement utile, puisqu'il aide à rassembler les éléments en un tout cohérent. Il existe donc des temps malheureusement incompressibles en matière législative. Nous ne disposons pas d'ordonnance ou de décrets-lois. C'est peut-être souhaitable, car cela poserait d'autres questions de contrôle démocratique. C'est ainsi. Il faut aller aussi vite qu'on peut.

Une partie du secret consiste à avoir des discussions très en amont avec les États membres. C'est pourquoi je passe beaucoup de temps à rencontrer mes collègues des États membres. Je me fais un devoir d'aller devant un Parlement national aussi souvent que je suis invité. Il est important de se parler, car cela fait ensuite gagner du temps.

Toutes les problématiques de la concurrence ne sont pas solubles dans le droit de la concurrence. Vous estimez, madame, qu'un certain nombre d'importations intra-européennes constituent une concurrence déloyale. Je n'en sais rien, parce que ce n'est pas du tout mon domaine d'expertise, cela ne relève pas du droit de la concurrence.

Supposons que vous ayez raison : la France peut avoir décidé de se doter de standards plus durs dans tel ou tel domaine, harmonisé ou non. Les États membres en ont le droit. Le standard commun ne constitue pas une concurrence déloyale. Il faut en accepter l'idée. C'est la démocratie.

Les contrôles sont-ils moins efficaces ailleurs ? Je ne le pense pas. J'ai plutôt le sentiment que le contrôle devrait mieux s'exercer partout en Europe. D'une manière générale, les budgets publics ont connu une pression forte pour diminuer les masses salariales. Dans le même temps, les missions sont plus nombreuses et plus compliquées. Ce n'est pas un problème spécifiquement français, espagnol ou italien. Les effectifs de la Commission européenne ont diminué de 5 %. Les problèmes ne sont pas devenus moins nombreux ou plus simples.

Un certain nombre de questions ont tourné autour du cadre législatif. J'accepte parfaitement qu'on estime qu'il faille supprimer les articles 101 à 110 du traité, même si ce n'est pas ma position. On le fera le jour où les gens qui pensent comme vous, monsieur, auront gagné les élections à peu près partout en Europe, le traité devant se modifier à l'unanimité. En attendant, le standard démocratiquement accepté est celui que nous avons.

Ceci signifie-t-il pour autant que la concurrence est un but en soi ? Ce n'est pas un but en soi et cela ne l'a jamais été. Si j'osais une boutade, je dirais que même la Commission européenne ne le soutient pas. Nous acceptons par exemple les financements des projets d'intérêt économique commun.

Connaissez-vous le taux d'intervention de la commission en matière de concentration ? Il est de 5 % à 6 %, alors que le taux d'interdiction s'élève à moins de 1 % ! Plus de 90 % des aides d'État sont exemptées par voie de règle générale. Pour le reste, les interdictions sont une infime minorité. Je ne peux donc pas vous laisser dire cela !

Vous pouvez ne pas être d'accord avec les faits, mais si l'on veut avoir une discussion civilisée, il faut partir de là et en tirer des arguments. Vous m'avez dit que nous faisions de la concurrence pour la concurrence. Ce n'est pas ma culture, ce n'est pas ce que je pense ni ce que pense la commissaire Margrethe Vestager, et ce n'est pas ce que l'on fait. Nous pouvons le démontrer !

Si vous avez d'autres faits, je suis évidemment prêt à les entendre et à en discuter.

Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est à Fabien Gay, pour une courte réponse.

M. Fabien Gay. - Je ressens ce que vous venez de dire comme du mépris. Vous devriez être un peu plus humble, surtout quand on sait comment le traité a été adopté en 2005, contre l'avis des peuples.

Je crois à l'Europe et au fait qu'il faut réaliser des choses au niveau européen mais, face au Brexit et au populisme qui monte partout, face à la désindustrialisation, la politique que vous êtes en train de poursuivre en matière de concurrence conduit les peuples à se détourner de l'objectif commun.

Si on veut avoir un débat « civilisé », pour reprendre vos termes, il faut éviter le mépris et conserver beaucoup d'humilité.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour cette insertion.

M. Olivier Guersent. - Monsieur le sénateur, avec toute l'humilité du paysan corrézien que je demeure...

M. Fabien Gay. - C'est facile à dire !

M. Olivier Guersent. - Non, ce n'est pas facile à dire. J'ai passé ma jeunesse à fendre du bois avec mon grand-père, en Corrèze. Vous ne me donnerez ni leçon de proximité ni leçon d'humilité.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous sommes dans un débat apaisé. Les choses sont dites. Monsieur le directeur général, vous pouvez poursuivre.

M. Olivier Guersent. - Puisqu'on est sur les faits, en toute humilité, et avec beaucoup de respect - que je ne dois pas seulement aux parlementaires, mais à chacun en général -, savez-vous exactement ce qui, dans le domaine du droit de la concurrence, a été modifié en 2005 ? Rien ! Le traité de 2005, qui a été soumis au référendum et qui a fait l'objet d'un « non » en France, ne modifie pas une ligne des dispositions de la concurrence contenues dans le traité de 1958. Je veux bien entendre tous les arguments, mais le traité de 1958 a été adopté de manière parfaitement démocratique. Ce n'est pas en 2005 qu'on a inventé la concurrence libre et non faussée.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'étais vice-présidente du Parlement européen. Ce n'est pas vrai ! Cela n'a plus les mêmes valeurs depuis 1992.

Mme Sophie Primas, présidente. - On ne va pas faire ici un débat politique. Merci de laisser répondre M. Guersent.

M. Olivier Guersent. - S'agissant des questions de neutralité et d'interopérabilité, il va falloir bien réfléchir aux articulations entre les initiatives nationales, qui sont normales et louables. Je comprends que, si cela n'avance pas assez vite sur le plan européen, on veuille aller plus vite, mais on ne sera pas plus fort avec un cadre réglementaire fragmenté.

Avec mon collègue de la DG Connect, nous sommes en train de réfléchir pour déterminer la bonne régulation européenne à ce sujet. On peut aussi se poser d'autres questions à propos du standard. Vous avez évoqué le renversement de la charge de la preuve : c'est assez difficile dans un contexte de pure concurrence, toutes les parties ayant des droits.

En, revanche, on peut, dans le cadre de la régulation, édicter des normes, des interdictions, etc., et se demander dans quelle mesure, par exemple, il est légitime que des opérateurs d'infrastructures qu'on peut définir comme essentielles, puissent s'intégrer verticalement sur les marchés de services.

Si on trouve qu'il n'est pas légitime que les opérateurs ferroviaires détiennent à la fois la maîtrise des voies et fassent rouler les trains, pourquoi serait-il plus légitime que les opérateurs de plateformes contrôlent les services qu'ils distribuent sur ces plateformes ? C'est un débat qu'il faut avoir. Les législateurs devront éventuellement prendre position.

Enfin, beaucoup ont parlé d'équité concurrentielle sur le plan mondial. Je trouve que la question est plus compliquée qu'elle n'y paraît. Taxer des importations en provenance de toutes les parties du monde dans lesquelles nos standards sociaux et environnementaux ne sont pas les mêmes soulève des questions par rapport aux pays en développement, qui en sont là où nous en étions il y a quelques décennies. Leur demander d'adopter nos standards les place totalement hors marché.

Par ailleurs, si on n'achète plus leurs produits, il y a assez peu de chances pour qu'ils continuent à acheter les nôtres. Or nous demeurons, en Europe, une industrie très fortement exportatrice. Il me semble que notre devoir de pays industrialisés est de les aider à accéder rapidement à des modes de développement décarbonés, car leur choix, s'ils veulent continuer à se développer, est d'émettre plus de carbone. Cela ne sert pas à grand-chose d'essayer de faire décroître nos émissions si, par ailleurs, on les oblige à accroître les leurs pour arriver à se développer ! Dire que s'ils ne respectent pas nos standards sociaux ou environnementaux, nous mettrons des barrières aux frontières, cela ne me semble pas être une réponse efficace à nos objectifs. Ce sont là des questions profondes.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le directeur général, de nous avoir exposé votre point de vue, qui on l'a vu, peut faire l'objet d'une véritable discussion.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Philippe Wahl, candidat proposé à la présidence du conseil d'administration de La Poste

Mme Sophie Primas, présidente. - En application de l'article 13 de la Constitution, nous accueillons ce matin M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste, en vue de son éventuelle confirmation dans ses fonctions de président du conseil d'administration.

Je rappelle que cette nomination ne sera effective qu'en l'absence d'opposition des commissions parlementaires compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat dans les formes prévues par la Constitution. Si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés, l'État ne pourrait pas procéder à cette nomination. À l'issue de l'audition, nous procéderons immédiatement au vote, ainsi qu'au dépouillement, de manière simultanée avec l'Assemblée nationale, qui vous a entendu plus tôt dans la matinée.

Monsieur le président, vous dirigez le groupe La Poste depuis septembre 2013. C'est le deuxième plus grand employeur public après l'État. Il réalise un chiffre d'affaires de près de 25 milliards d'euros. À la faveur des dispositions de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, le groupe connaît une transformation profonde : c'est désormais la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui est majoritaire, et non plus l'État. Votre nouveau patron est donc le directeur général de la CDC, et non plus le ministre de l'économie ; et les activités financières représentent désormais l'essentiel du bilan de La Poste, puisque l'opération s'est accompagnée d'une prise de contrôle de CNP Assurances par La Banque postale.

Cette réorganisation est la raison pour laquelle vous revenez devant nous de façon anticipée, votre dernière nomination, pour cinq ans, datant du 21 janvier 2016. Notre commission doit exprimer un avis sur l'adéquation entre un candidat et un poste. Manifestement, vous cochez toutes les cases : vous êtes déjà en fonctions depuis bientôt sept ans, vous êtes passé par le secteur financier, et en particulier, par la Banque postale. Avec votre nomination, c'est une solution de continuité qui nous est proposée. Cela revient à nous demander de valider votre bilan comme votre stratégie pour l'avenir du groupe.

Vous pourrez donc nous présenter le bilan de votre action, en particulier au regard des objectifs définis par le plan stratégique « La Poste 2020 », adopté en 2014. Vous pourrez également nous dire quelle nouvelle stratégie vous comptez proposer à La Poste pour les prochaines années. Vous reviendrez sans doute sur le défi que constitue l'opération en cours et vous pourrez nous expliquer quelles en sont les implications pour le groupe La Poste, ses activités et ses 251 000 employés, qui sont par ailleurs déjà confrontés à de nombreux changements depuis ces dernières années.

Cette opération constitue sans doute l'acte de diversification d'activité le plus important jamais réalisé par La Poste. Il vous permet d'atteindre l'objectif que vous vous étiez fixé s'agissant du courrier, à savoir que celui-ci ne représente plus que 20 % du chiffre d'affaires du groupe ! La diversification des activités du groupe est une stratégie offensive, que vous défendez depuis votre entrée en fonctions. L'équation est connue : le repli du courrier, qui s'accélère, affecte les comptes du groupe, qui a vu son résultat d'exploitation plonger de 12 % en 2018. La croissance du commerce en ligne permet de développer le marché du colis, mais La Poste a aussi investi dans le secteur de la santé à domicile, sur le marché des seniors, et elle accélère sa percée dans les services numériques. Pourtant, le rapprochement avec CNP Assurances semble indiquer que l'État s'est résolu à ce que le statut de La Poste vienne surtout des services financiers. Cette situation me conduit à vous poser la question suivante : face aux difficultés à faire émerger des services de proximité divers et rentables, la banque est-elle le seul moyen de sauver La Poste ? Ou, de façon plus polémique, à l'avenir, La Poste ne sera-t-elle plus qu'une banque ?

Par ailleurs, La Poste reste une entreprise publique sur laquelle pèsent certaines obligations. La diversification des activités ne doit pas se faire au détriment du service universel postal. Certains maires se sont publiquement plaints des dysfonctionnements récurrents dans leurs communes. Vous nous direz sans doute comment redresser la barre.

Enfin, estimez-vous que La Poste peut apporter, par ses missions de service public, et au-delà - je pense notamment aux maisons France services - une solution à la dévitalisation de certains territoires, question à laquelle nous sommes particulièrement sensibles, et qui est revenue sur le devant de la scène à la faveur des mouvements sociaux récents ?

M. Philippe Wahl, candidat proposé à la présidence du conseil d'administration de La Poste. - C'est un honneur pour moi de venir vous demander votre confiance dans le cadre de ce processus de nomination. Vous m'invitez, Madame la Présidente, à présenter le bilan et la stratégie que je propose pour votre Poste, pour notre Poste.

Notre plan stratégique « La Poste 2020 : conquérir l'avenir » a été mis en oeuvre dans un contexte très difficile. La baisse du courrier a été légèrement supérieure à ce que nous avions anticipé - et nous avions pourtant été très prudents. Elle a représenté, sur la période, une perte de 3,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour La Poste. Alors que 18 milliards d'objets et lettres étaient distribués en 2008, nous n'en avons convoyé que 9 milliards cette année. À cette difficulté, que nous avions anticipée, est venue s'ajouter la baisse continue des taux d'intérêt, qui pèse sur notre banque - jusqu'aux taux d'intérêt négatifs qui existent depuis le début de l'année 2019. Les marges du colis, qui est une activité en forte croissance, sont sous pression, au niveau des prix et au niveau des coûts en raison d'Amazon et des e-commerçants. Enfin, la fréquentation de nos bureaux de poste, comme celle de tous les commerces, diminue avec la révolution numérique.

Ainsi, notre entreprise a fait face, au cours des cinq dernières années, à un contexte plus difficile que jamais. Et pourtant, nous avons poursuivi notre plan stratégique, et nous nous sommes adaptés.

Quelques chiffres, d'abord. Pendant cette période, notre chiffre d'affaires sera passé, malgré le choc des 3,6 milliards d'euros que j'évoquais, de 22 milliards à 26 milliards d'euros. Notre résultat d'exploitation, même s'il connaît un infléchissement en fin de période, est passé de 790 millions d'euros à 898 millions d'euros. La Poste a toujours gagné de l'argent pendant cette période, et nous avons pu investir massivement. Même si nous n'avons pas atteint tous les objectifs financiers que nos deux actionnaires, l'État et la CDC, nous avaient fixés, nous leur avons continûment, au cours de ces années, payé notre dividende.

Considérons à présent notre indicateur de diversification. Notre stratégie est une stratégie de conquête et de diversification, pour investir dans des secteurs en croissance, alors même que nous sommes confrontés à l'attrition historique et puissante de notre métier de base. En 1990, 70 % du chiffre d'affaires de La Poste était fourni par le transport des lettres ; en 2010, cette proportion était de 40 %, contre 28 % en 2018, et notre objectif est de passer à moins de 20 % à la fin de 2020. Si nous réussissons cette diversification, La Poste ne réalisera plus qu'un cinquième de son chiffre d'affaires dans ce qui était son activité historique, la lettre.

J'en viens à l'exécution des missions de service public que vous nous avez confiées en matière de service du courrier. La qualité de service, telle que mesurée par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), a été dans les clous pendant toute la période, si l'on intègre des événements exogènes, comme le fait l'Arcep. Nous aurons investi plus de 2 milliards d'euros en matière d'aménagement du territoire et de rénovation de nos bureaux de poste. Notre banque, enfin, est la première banque des personnes en situation de fragilité, la première banque des exclus. Au-delà de nos missions de service public, la Banque postale a créé les assises de la banque citoyenne et, dans la crise de financement des collectivités locales qui a sévi entre 2011 et 2013, nous avons construit une banque des collectivités locales à partir de rien, sur le fondement du mandat que vous nous avez accordé.

Enfin, alors que toute l'industrie postale vient de prendre un très grand engagement, en juin dernier à Bonn, sur le fait qu'elle serait neutre en carbone en 2040, La Poste l'est déjà depuis 2012 : nous sommes déjà des leaders de la décarbonation. Au-delà de la qualité statistique, nous avons installé une mesure de notre qualité telle que vue par nos clients. C'est souvent sévère - vous vous en faites également les porte-paroles ! Le service qui est préféré par les clients, avec un score de 72 %, c'est le passage du code de la route à La Poste. Pour le courrier, le score n'est positif que de 14, ce qui montre que nous pouvons faire mieux, mais il est tout de même positif.

Dernier indicateur : l'indicateur social. Nous faisons vivre un pacte social avec les postières et les postiers. Tout ce que je vous ai décrit aurait été impossible sans le courage, la résilience et l'engagement des postières et les postiers, que je veux remercier devant vous. Sans eux, nous ne parviendrions pas - et nous ne parviendrons pas - à transformer La Poste ! Ils ont été extraordinaires d'engagement et de dévouement, et nous en tenons compte dans notre pratique sociale. Nous avons bien sûr signé des milliers d'accords sociaux, ce qui est logique puisque nous sommes plus de 250 000, avec des milliers d'établissements. Il y en a trois, en particulier, dont nous sommes fiers. Le premier s'appelle « un avenir pour chaque postier » et a accompagné notre plan stratégique. C'est un accord majoritaire. Le deuxième est un accord sur les bureaux à priorité sociétale dans les zones urbaines sensibles, qui donne des moyens supplémentaires - et des salaires supplémentaires - aux postières et aux postiers qui viennent y travailler. Le troisième accord est celui qu'on a appelé « Facteur 2017 », et qui redéfinit la journée du facteur. En effet, nous avons pris à bras-le-corps la vraie difficulté tenant au fait que la journée traditionnelle des facteurs est bousculée par les nouvelles technologies. Cet accord, signé avec nos syndicats, permet 30 000 promotions sur les 70 000 facteurs : il est gagnant-gagnant. Notre méthode est le dialogue social et la signature d'accords. D'ailleurs, j'ai moi-même très régulièrement un dialogue stratégique avec chacune des fédérations syndicales de notre groupe pour poser les problèmes stratégiques, les écouter, et les convaincre.

Le plan stratégique que je vous présente aujourd'hui a encore besoin d'être travaillé et approfondi.

Le contexte des cinq années à venir sera difficile : les taux d'intérêt négatifs vont continuer à peser sur la banque et menacer aussi CNP Assurances. En ce qui concerne le volume de courrier, nous avions 9 milliards d'objets en 2019, nous n'en aurons plus que 5 milliards à la fin de l'année 2025 : c'est dire qu'une perte de 2 milliards d'euros s'annonce encore. Mais nous allons faire face ! D'abord, en posant un acte, qui est notre plan stratégique « La Poste 2030 ». Ce plan comporte, bien sûr, un premier jalon en 2025, qui est la raison de ma présence devant vous, puisque je vous le soumets et que je vous demande votre confiance. Mais il nous a semblé que, d'un point de vue stratégique, il fallait aller jusqu'en 2030 pour définir, entre nous, postiers, et avec vous, élus, ainsi qu'avec les clients et l'ensemble des parties prenantes de La Poste, ce que serait La Poste en 2030.

Il s'agira fondamentalement d'une entreprise publique en croissance et rentable, qui mettra sa puissance en termes de proximité et de confiance au service des gens par des services qui leur simplifieront la vie, et qui aidera notre société à affronter les grands défis que sont le défi territorial, le défi du vieillissement et le défi digital. La Poste est une entreprise de solutions au service des politiques publiques de l'État, des collectivités locales, de notre futur premier actionnaire - la CDC et de la société dans son ensemble. Mais nous devons d'abord réussir sa transformation. Le plan stratégique précédent a engagé cette transformation, mais celle-ci n'est pas terminée. Nous allons donc maintenant devoir la réussir.

Pour ce faire, nous devons poursuivre la diversification, avec une seule solution : investir massivement dans les technologies, dans l'appareil de production, les usines à colis, les drones, l'intelligence artificielle, et ce grâce à nos profits et à des augmentations de capital, que nos deux actionnaires pourraient nous consentir dans les années à venir. Soyons clairs : il n'y a pas de transformation sans investissements massifs. Pour faire pivoter le modèle stratégique de La Poste, il faut qu'en 2025, par ses profits et sa capacité d'investissement propres, La Poste soit capable d'assurer l'ensemble de l'équilibre de son modèle stratégique. Nous avons progressé, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Par ailleurs, nous devons être capables de faire évoluer les modèles de chacune de nos activités. Actuellement, nos deux activités majeures sont la logistique et les services financiers. Dans la logistique, nous allons poursuivre notre internationalisation. Nous ne sommes pas une banque et nous n'avons pas l'intention de devenir uniquement une banque, madame la présidente ! Je joins les chiffres à la parole : en 2013, le chiffre d'affaires de GeoPost, notre leader du colis express international, était de 4,4 milliards d'euros ; à la fin de l'année 2020, il sera de 10,1 milliards d'euros. Ainsi, en sept ans, dans une compétition terrible avec les intégrateurs et les grands e-commerçants, nous nous sommes montrés capables de faire plus que doubler le chiffre d'affaires de GeoPost, qui devrait, en 2020, être notre premier secteur d'activité.

Même si la banque, notamment avec CNP Assurances, est beaucoup plus rentable, la logistique est cruciale, et l'expansion internationale va nous amener en Inde, en Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique latine. Nous sommes déjà le leader européen du colis, notamment grâce à l'acquisition, il y a quelques semaines, de l'entreprise Bartolini, une entreprise familiale du nord de l'Italie, qui est le leader du courrier dans son pays. Notre grande priorité sur le territoire national est ce que nous appelons la logistique décarbonée. Nous avons signé des accords avec 19 des 22 métropoles françaises pour diffuser un transport complètement décarboné des marchandises dans ces métropoles. Une fois que ces métropoles auront avancé avec nous, nous irons vers les grandes villes, les moyennes villes, les petites villes. C'est une grande priorité pour notre plan stratégique.

Pour les services financiers, il faut réussir l'articulation entre la Banque postale et CNP Assurances. Ce rapprochement a été voulu par le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, que je remercie à la fois de son soutien et de sa décision. Il a été rendu possible grâce à la Commission de surveillance de la CDC et à son directeur général, qui nous ont fait confiance. Nous le devons aussi aux parlementaires que vous êtes, puisque c'est un amendement à la loi Estrosi de 2010 qui nous permet de faire cette opération. Nous attendons encore quelques autorisations réglementaires, mais le résultat sera la treizième banque de l'Union européenne - en 2005, nous n'étions même pas une banque ! C'est dire le chemin parcouru par les postières et les postiers, par nos actionnaires et par les parlementaires, qui, à plusieurs reprises, nous ont accompagnés : en 2005, en 2010 par la loi Estrosi, puis par la loi Pacte. Nos deux grandes priorités seront d'être exemplaires en matière de banque citoyenne - être la banque de tous dans ce monde digital - et d'être exemplaires en matière d'écologie et de développement durable.

Cette année, nous allons installer deux nouveaux moteurs de croissance puissants au sein de La Poste. En effet, dans notre modèle stratégique, nous considérons qu'il faut être multiactivités : ni totalement logistique, comme la Poste allemande, ni principalement financiers, comme la Poste italienne. Le modèle multiactivités est plus stable et correspond aux souhaits des parlementaires et des territoires, ainsi qu'aux intérêts des postières et les postiers par la mobilité interne qu'il leur permet. Ces deux moteurs de croissance répondent à deux immenses défis de notre temps : le vieillissement de la population et la digitalisation.

Quelques chiffres parlent d'eux-mêmes : il y aura 1,3 million de nonagénaires dans notre pays en 2030, et 10 millions de personnes de plus de 70 ans en 2040. Qui peut imaginer une seconde que ces mouvements démographiques ne vont pas totalement bouleverser notre pays ? C'est pourquoi nous croyons à l'essor du service à domicile, en lequel nous investissons. En 2019, notre chiffre d'affaires des nouveaux services, tout compris, aura représenté 484 millions d'euros, contre zéro en 2013. Vous avez raison de souligner que c'est encore insuffisant pour absorber les 2 milliards d'euros que nous allons encore perdre. Mais, à 494 millions d'euros, ce n'est plus ni une anecdote ni un caprice du PDG ! Les élus, les présidentes et présidents de centres communaux d'action sociale (CCAS) nous disent qu'il y a un besoin de proximité considérable. La Poste est là pour y répondre. C'est loin d'être évident, mais, avec 494 millions d'euros en 2019, je pense que nous sommes au rendez-vous, nous sommes même au-delà de nos objectifs.

La vraie reconnaissance ne vient pas simplement des trois millions de jeunes qui ont été enchantés de passer leur code de la route dans des locaux postaux ; elle ne vient pas simplement des personnes âgées à qui nous allons livrer tous les jours des repas fabriqués à travers les CCAS : elle vient de l'extérieur du monde postal. Ainsi, dans le département des Landes, le président du conseil départemental a créé avec La Poste une société d'économie mixte pour construire un village Alzheimer et mettre en place une structure d'accueil des seniors. Nous sommes très fiers de ce choix. Nous avons également été associés par le professeur Bruno Vellas, un grand gérontologue, à son travail pour l'Organisation mondiale de la santé et pour le plan de Mme Buzyn sur la prévention des difficultés du grand âge, pour que les facteurs soient des intervenants dans cette politique de proximité. S'il nous a choisis, c'est qu'il pense que La Poste est l'acteur le plus efficace. Enfin, l'équipe du professeur Marescaux, à l'Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif de Strasbourg, qui est un pôle d'excellence de technologie médicale, nous a fait signe pour nous confier l'ensemble de ses données sur ses patients. Pourquoi ? Parce qu'il pense que, à La Poste, ces données intimes seront bien gardées.

Deuxième défi : devenir le tiers de confiance dans la société numérique, être un acteur universel et neutre qui conserve les données des personnes. Nous sommes déjà le premier hébergeur de données de santé en France. Le système de l'Ordre des pharmaciens - le fameux dossier pharmaceutique personnel, qui permet de suivre les ordonnances - est géré et conservé par La Poste. Et ce n'est pas un hasard si les pharmaciens nous ont choisis. La semaine dernière, nous avons encore affirmé notre rôle de protection de l'identité numérique puisque l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) nous a décerné un certificat de valeur substantielle de l'identité postale, qui va permettre à des millions de Français d'acquérir une identité numérique. C'est un très grand succès. Nous protégeons également les données de la vie intime des gens, grâce à Digiposte, notre base confidentielle et notre boîte aux lettres électronique. Enfin, nous pensons que nous avons un rôle clé à développer, avec les élus, en matière d'inclusion numérique. La transformation va très vite, et nous devons réduire autant que possible la part de la population qui en est exclue.

Il y aura donc, dans La Poste de 2030, quatre moteurs de croissance : la logistique, les services financiers, les services à domicile et les services de protection numérique. De plus, nous vivons avec l'impératif et la volonté d'être utiles à la société tout entière, par nos missions de service public et au-delà.

Le service universel postal, le courrier postal, est en déficit depuis 2018, d'après les chiffres de l'Arcep. Il va nous falloir le rétablir, et pas simplement par la hausse des prix. Notre priorité sera de conserver le « six jours sur sept », à la différence d'autres postes. De plus, nous nous engageons à garder 17 000 points de contact et à rester présents dans les territoires. Mais, dans une France qui se transforme, qui se digitalise, qui se polarise géographiquement, ce ne sera pas possible sans une mutualisation avec les collectivités locales. Nous aurons deux vecteurs de mutualisation avec celles-ci. D'une part, la présence postale territoriale fera l'objet d'un accord tripartite État-La Poste-Association des maires de France (AMF) que nous allons signer la semaine prochaine avec Mme Gourault et M. Baroin pour en redéfinir, dans les trois années à venir, les conditions de cette présence. D'autre part, la mutualisation sera aussi le maître-mot dans le cadre des maisons France Services, dont nous allons être un acteur majeur. Enfin, notre banque va négocier avec la Commission européenne les nouvelles conditions de l'accessibilité bancaire dans les cinq années à venir.

Nous sommes donc engagés dans les missions de service public, et nous les défendons. Nous souhaitons même aller au-delà. Nous le faisons en matière de décarbonation : nous voulons construire le leader du transport décarboné de marchandises en France et en Europe. Nous avons déjà pris de l'avance en étant neutres en carbone. Même si, en 2020, nous allons distribuer 2 milliards de colis, nous voulons le faire en produisant moins d'émissions carbonées. Ce travail de décarbonation va peser sur l'ensemble de nos activités comme une ardente obligation et un impératif. De même, en matière financière, la Banque postale et CNP vont s'efforcer d'être exemplaires dans le traitement des clientèles fragiles et dans les investissements durables. La Banque Postale Asset Management sera d'ailleurs le seul gestionnaire d'actifs qui sera 100 % ISR - investissement socialement responsable - en 2020. Nous sommes la seule banque au monde qui ait cette caractéristique ! C'est la preuve de notre engagement au service de la société.

Toute cette transformation est faite par et pour les postiers. Nous sommes une entreprise de 250 000 personnes, avec 10 000 personnes supplémentaires prévues en 2020 : 5 000 venant d'Italie et 5 000 de CNP Assurances. Nous allons continuer à investir massivement dans la formation. Déjà, nous investissons plus de 4 % de notre masse salariale en formation, et 80 % des postiers suivent une formation chaque année. Mieux former les postiers à leur nouveau métier, c'est leur donner confiance dans l'avenir ; c'est assurer de bonnes conditions de travail et un avenir professionnel, ce qui est une exigence pour nous. Nous voulons aussi investir massivement dans les méthodes de formation. Dans les cinq années qui viennent, si l'évolution du modèle stratégique est favorable, nous procéderons à une ouverture du capital aux postiers, comme la loi que vous avez votée nous le permet.

En ce moment même, 48 000 tournées sont en train d'être réalisées par nos quelque 70 000 facteurs. Elles ne sont pas toutes parfaites, certes. Il faut bien dire que les réorganisations sont complexes, en ville comme dans les territoires. Mais nous sommes à votre écoute. C'est par et pour les postiers que nous voulons cette transformation.

Notre vision est celle d'une entreprise de proximité humaine, d'inclusion digitale, au service de millions de personnes ; une entreprise fidèle à ses missions de service public et qui veut représenter des objectifs de cohésion sociale et d'impératifs écologiques ; une entreprise qui s'efforce de réussir sa bascule stratégique complète. Bref, une entreprise publique en croissance et durable, et une entreprise qui travaille à l'épanouissement de ses centaines de milliers de salariés.

Mme Catherine Procaccia. - Sur les problèmes de distribution du courrier, vous venez de dire que vous êtes à notre écoute. Dans le Val-de-Marne, vous l'êtes sans doute, mais rien ne change ! Sur la diversification, vous avez évoqué nombre de points importants. Vous êtes opérateur de téléphonie, et je fus cliente de La Poste. Quelle part La Poste Mobile représente-t-elle dans le chiffre d'affaires ? Avez-vous des retours des clients ? Pour ma part, je viens de résilier mon abonnement. Il y a un très important retard en matière de numérique : on ne peut même pas gérer son compte à partir du compte client ! Vous êtes, en somme, un opérateur un peu moins performant que les autres.

M. Daniel Gremillet. - Vous avez mentionné la signature d'une convention avec la ministre et le président de l'AMF, mais des élections municipales auront lieu dans quelques semaines. Comme d'habitude, entre 30 et 40 % des mairies changeront de titulaire. Or il peut être difficile de comprendre les nouveaux aménagements. Pourtant, l'expérience montre que ce qui a été fait rend service à la population, avec parfois une amplitude horaire encore plus vaste. Qu'allez-vous faire pour favoriser une bonne appropriation ? La mutualisation signifie-t-elle qu'on s'éloigne du maire pour aller un peu plus vers la structure intercommunale ?

Je me réjouis de ce que vous avez dit sur le numérique, dont 15 % des Français sont aujourd'hui exclus. Outre l'appropriation, il faut de l'accompagnement, et les données sont très personnelles... Sur les maisons des seniors, un travail sénatorial avait été fait, avec des positions très fortes. Allez-vous les limiter aux conventions avec les collectivités, ou envisagez-vous des partenariats avec le privé ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Vous êtes un visionnaire en développant ainsi l'aspect multimétiers de La Poste ! Sur vos 270 000 salariés, 37 000 d'entre eux sont à l'international. Plus d'un quart du chiffre d'affaires est réalisé à l'étranger. La filiale GeoPost réalise plus de 80 % de son chiffre d'affaires en dehors de la France. Pouvez-vous revenir sur la politique de votre groupe en matière de développement à l'international ? Quels sont les principaux projets d'expansion ? Est-il prévu que le marché international du groupe devienne encore plus important que ce qu'il est aujourd'hui ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Dans les communes rurales des Alpes-Maritimes, les bureaux de poste n'ont pas fermé. Pour autant, leurs amplitudes horaires ont été réduites ou modulées. Est-ce une stratégie nationale ? Ou bien est-ce à chaque direction départementale de gérer ses bureaux en fonction de leur volume de fréquentation ?

Le réseau France Services a été lancé le 1er janvier dernier. Le Gouvernement nous dit qu'il faudra deux agents d'accueil - cela me semble tout à fait légitime - pour aider les Français dans leurs démarches administratives, cinq jours sur sept. Or, comme me l'a confirmé Mme Gourault, l'État ne financera qu'un seul de ces agents d'accueil. Le deuxième va donc être financé par les collectivités. Ne pourrait-il l'être par des opérateurs, dont La Poste, qui est une figure majeure, avec la SNCF, ou les opérateurs mobiles ? Quel pourrait être l'apport budgétaire de La Poste ? Les maisons de services au public (MSAP), créées en 2015, seront réduites en conséquence, et l'État cessera de les financer le 31 décembre 2021. Quid de l'après ?

L'identité numérique de La Poste pourrait-elle être adoptée par d'autres entreprises - banques, assurances, mutuelles -, qui demanderaient à leurs clients d'effectuer les démarches administratives en ligne ? Quel sera le gage de sa sécurité ? Cette identité numérique est valable pour cinq ans. Avez-vous anticipé ses modalités de renouvellement ?

M. Roland Courteau. - Le rapprochement entre CNP Assurances et La Poste va permettre à la CDC de détenir plus de 50 % du capital de La Poste, l'État devenant actionnaire minoritaire. Même si La Poste reste une entreprise détenue à 100 % par des capitaux publics, il n'est pas interdit de s'interroger sur sa future gouvernance et sur la future stratégie de cette entreprise lorsque la CDC sera son actionnaire majoritaire. Tout investisseur public qu'elle est, la CDC exigera un retour sur investissement. Quelles seront les incidences sur l'emploi, sur les salaires, sur les conditions de travail et sur le service public ? N'est-ce pas, comme le craignent certains syndicats, une porte qui s'ouvrirait vers une certaine forme de privatisation ? Quelles garanties pérennes sur les missions de service public, et sur leur qualité ? Bref, y aura-t-il compatibilité entre la recherche de rentabilité du pôle financier et les missions de service public ? Enfin, quelles sont les garanties que la transformation de La Poste se fera en respectant le principe de présence territoriale ? Quand La Poste a été transformée en société anonyme, on nous avait garanti que l'État resterait actionnaire majoritaire. Or, ce n'est plus le cas. Reconnaissez que l'on peut se poser des questions sur la suite !

M. Jean-Pierre Decool. - Nous entendons et lisons partout que l'ambition du groupe La Poste est de devenir le leader des services publics de proximité humaine. Nous ne demandons qu'à y croire, comme nous espérons que les maisons France Services seront une version plus aboutie, et plus performante, des MSAP précédentes. Cette ambition passe notamment par vos quatre missions de service public. Vous avez, en vertu de l'article L. 518-25 du code monétaire et financier, une mission générale d'accessibilité bancaire, par la mise à disposition d'un produit d'épargne de base à toute la population sans aucune restriction. Cette mission générale d'accessibilité bancaire pourrait être complétée d'une mission d'accessibilité du public aux espèces, car le secteur bancaire traditionnel a tendance, ces dernières années, à déserter les zones rurales et les distributeurs automatiques de billets et à s'éloigner, à l'instar des services publics, des habitants. C'est une préoccupation forte dans le Nord-Pas-de-Calais, ou en Corrèze, ou dans d'autres territoires de la République. Nous comprenons que le modèle économique des distributeurs automatiques de billets empêche leur maintien dans certaines zones, mais nous nous interrogeons sur le rôle que pourrait jouer La Poste pour améliorer l'accessibilité du public aux espèces dans le cadre de partenariats avec les territoires. Êtes-vous prêt à prendre des initiatives sur ce dossier ?

M. Jean-Claude Tissot. - C'est la troisième fois que nous nous rencontrons. À chaque fois, vous tenez un discours dynamique, enthousiaste, optimiste. Mais force est de constater que, quand on redescend sur nos territoires, on n'a pas tout à fait le même son de cloche. Sur le territoire français, 5 000 bureaux de poste ont été fermés depuis dix ans. Outre ces fermetures, le volume horaire des bureaux de poste se réduit considérablement, et ne garantit plus à l'usager une présence postale de qualité. Dans mon département, comme dans d'autres, il y a eu des cas de fermetures sans que les élus locaux y soient associés parce que le contexte ne leur permettait pas d'utiliser leur droit de veto. Et la simple prise d'avis du maire me paraît bien mince face à cette décision. Les nombreux échanges avec la commission départementale de présence postale territoriale n'ont pas été très efficaces parce que cette commission n'est pas très associée à la réflexion. On peut avoir un discours général et partager votre avis, dire que vous êtes un visionnaire, et même un bon stratège. Mais, quand on descend sur le territoire, c'est plus compliqué. Imaginez-vous une réflexion plus approfondie pour associer les élus locaux ? Vous avez évoqué votre filiale Urby à propos de la décarbonation. Vous dites que vous avez signé des contrats avec 19 des 22 métropoles, dont Saint-Étienne. Mais j'observe que rien ne suit, en pratique, la signature de ces contrats. Comment allez-vous les faire vivre ? Concernant les livraisons de colis, j'ai constaté par moi-même que les facteurs ne sonnent même plus à la porte du destinataire. Ils se contentent de déposer un avis de passage. Le travail n'est pas si bien fait que ça !

Mme Agnès Constant. - J'admire votre dynamisme et votre enthousiasme, mais sur le terrain, dans l'Hérault, les MSAP qui se sont installées dans certaines Postes ne remplissent pas le contrat. Vous dites que vous êtes engagés dans les missions de service public et que La Poste est une entreprise solution pour les services publics. Quel a été l'accompagnement auprès de vos postiers ? On me dit que les guichetiers n'ont absolument pas été formés ni mis au courant, et qu'ils ne souhaitent pas faire ce métier. Que prévoyez-vous pour les former ? Si une MSAP doit offrir un service public à des personnes en difficulté, et que les élus, sans concertation, apprennent que La Poste ne sera ouverte que de 14 heures à 16 heures en plein été, ce n'est pas cohérent.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je m'interroge sur l'avenir de la logistique. Votre premier client est Amazon, qui est aussi votre premier concurrent ! Comment envisagez-vous la gestion de cette contradiction ? J'imagine qu'Amazon fait pression sur les prix. Comment pensez-vous reconquérir des parts de marché dans ce domaine ?

M. Martial Bourquin. - Garder durablement cette présence postale est essentiel. Sur les 17 000 points de contact, 10 000 sont des bureaux de poste de plein exercice. Le problème, sur les territoires, c'est le non-remplacement de postiers qui partent dans un bureau plus important. Pourquoi ne pas faire de ces points de contact des points numériques de haut niveau ? Avec la fibre, la question des usages va se poser avec une acuité particulière.

Sur l'assurance emprunteur, je vous ai écrit : il semble que La Poste ait du mal à faire en sorte que, lorsqu'on veut la renégocier, on obtienne une réponse.

Tous ces changements peuvent avoir un impact sur la santé au travail. Quel est le climat social ?

M. Pierre Cuypers. - J'ai bien écouté votre présentation et les orientations que vous donnez au groupe que vous présidez depuis 2013. Merveilleux, fabuleux, c'est une belle entreprise ! Mais revenons sur le terrain : la dernière fois que nous nous sommes rencontrés, je vous ai signalé ma ruralité, à 65 kilomètres de Paris, et le dysfonctionnement permanent, qui s'aggrave même depuis un an, dans la distribution du courrier. Cela ne peut plus continuer. Nous recevons les nouvelles avec huit jours de retard, sans parler des colis. Ce dysfonctionnement est lié à l'organisation de la distribution. Les jeunes qui arrivent ne connaissent rien, vont sur les réseaux et ne savent pas où sont les boîtes aux lettres : ils passent devant, ils s'en vont... Voilà la ruralité !

Mme Élisabeth Lamure. - Concernant la distribution des colis, vous avez indiqué une forte tension sur les prix. Pour y répondre, vous vous dirigez vers des investissements et une ouverture du capital. Le fait que La Poste se soit bien engagée dans le développement durable, est-ce un argument auprès de vos clients ?

M. Serge Babary. - Vous avez mentionné les impératifs écologiques de décarbonation du transport, en particulier dans une vingtaine de métropoles françaises, et vous dites que vous vous intéresserez ensuite aux villes moyennes et aux plus petites villes. Quand allez-vous mettre en oeuvre ce dernier kilomètre, qui est celui qui intéresse tout le monde, en particulier dans les villes moyennes et petites ?

M. Pierre Louault. - Je serai beaucoup moins critique que mes collègues. Pour avoir présidé une association de maires pendant dix ans, je sais que, à chaque fois qu'il y a eu une adaptation ou une fermeture de bureau de poste, nous avons toujours trouvé un interlocuteur sérieux, et des solutions. Dans ma commune, une agence fermée depuis trente ans vient de rouvrir grâce à une autre, qui a contribué à l'investissement et qui apporte un financement mensuel pour ce service public. Le travail que vous faites est positif, même s'il reste encore quelques marges de manoeuvre, notamment sur l'accessibilité aux espèces, pour laquelle votre système semble obsolète. C'est vrai aussi que les colis ne sont pas toujours bien distribués.

Mme Sylviane Noël. - Entre 2015 et 2019, plus de 2 400 communes françaises ont fusionné pour donner naissance à 754 communes nouvelles, ce qui a causé quelques bouleversements dans la distribution du courrier. Dans mon département de la Haute-Savoie, depuis le début du mois d'octobre, la commune nouvelle de Talloires-Montmin n'est quasiment plus distribuée. Pendant plusieurs mois, les habitants ne recevaient quasiment plus de courrier, ou alors avec un retard considérable, ce qui a engendré des difficultés importantes. Je vous avais alerté sur ce cas, et vous avez agi localement, ce dont je vous remercie, mais des difficultés persistent. Je suppose que d'autres communes nouvelles verront le jour dans les mois à venir. Le groupe La Poste a-t-il réfléchi à des solutions techniques pour faire face à ces difficultés ?

M. Bernard Buis. - J'ai longtemps été président de la commission départementale de présence postale territoriale dans la Drôme. Nous avions pu financer, grâce au fonds de péréquation, la mise en place de distributeurs automatiques de billets dans les communes qui en étaient dépourvues. Se pose désormais la question du fonctionnement de ces distributeurs, car leur approvisionnement coûte assez cher. Serait-il envisageable d'en financer aussi une partie ?

M. Franck Montaugé. - Je souscris aux propos tenus par l'ensemble de mes collègues sur la nécessité de la présence territoriale. J'aurais aimé que, dans votre présentation, vous indiquiez ce que coûte aux collectivités leur contribution à votre présence territoriale. Cela se compte en centaines de millions d'euros, d'investissement et de fonctionnement.

Sur les données de santé, je regrette qu'un sujet aussi fondamental ne fasse pas l'objet d'un débat impliquant le Parlement. La manière dont vous avez présenté les choses interroge sur l'évolution du capital de votre entreprise, comme l'a souligné M. Roland Courteau. Cela soulève des questions de souveraineté et de liberté pour l'ensemble des citoyens français, sans parler des enjeux commerciaux gigantesques. J'ai ouï dire que vous envisagez de vous engager dans des market places, à l'instar d'autres entreprises qui font de la distribution de produits marchands. Si c'est le cas, envisagez-vous des partenariats avec les commerçants locaux qui parsèment nos territoires, pour qu'ils ne soient pas victimes de cette démarche et qu'ils puissent au contraire en bénéficier ?

M. Alain Duran. - Vous avez dit que le plan stratégique 2030 devrait être partagé par tous les acteurs. Pouvez-vous confirmer que l'accord préalable des maires sera toujours pris en compte pour toutes les transformations à venir ? Il peut s'agir de la transformation des bureaux de poste, mais aussi de changements d'horaires, qui peuvent être une arme redoutable pour réduire la fréquentation. Nos administrés ont de plus en plus de mal à se procurer des espèces. Dans le cadre de la multiactivités, que vous appelez de vos voeux, la création du grand pôle de banque et assurance publique ne pourrait-elle pas apporter une réponse ?

M. Franck Menonville. - Vous avez évoqué la signature d'une convention entre l'AMF et le ministère de la cohésion des territoires. Quelles sont les pistes de mutualisation ? Dans le milieu rural, la mise en place des agences postales communales avait dégagé des synergies intéressantes et permis aussi l'élargissement des permanences des secrétariats de mairie. Cette dynamique sera-t-elle prolongée ? Quelles garanties pouvez-vous nous donner sur la répartition des coûts et sur l'engagement financier de La Poste dans ces mutualisations ?

M. Henri Cabanel. - Je vais enfoncer le clou : la qualité des services n'est pas toujours au rendez-vous. Quant au bien-être de vos salariés, êtes-vous sûr que les postiers, surtout dans les communes rurales, sont heureux de faire ce qu'ils font ? Votre activité de courrier est en baisse, certes, mais est-il indispensable d'augmenter le prix du timbre, comme vous le faites régulièrement ?

M. Marc Daunis. - Vous savez mon attachement viscéral à La Poste. Je confirme la dichotomie décrite par mes collègues. Pour autant, nous sommes en train de réussir à sauver La Poste, ce qui n'était pas gagné. Gratitude, donc. Des orientations stratégiques qui ont été prises s'avèrent pertinentes et doivent être consolidées. J'ai apprécié le mot que vous avez eu pour les salariés de La Poste, car rien n'aurait été possible sans une implication extraordinaire de son personnel. Le prix qui a été payé par ce personnel pour que nous maintenions une entreprise telle que La Poste est important. Cela nous impose de revoir dans toute la nouvelle architecture la part que l'État doit prendre à vos côtés pour consolider ce maillage territorial stratégique et faire en sorte que l'accès au service public soit garanti pour nos concitoyens.

Mme Marie-Christine Chauvin. - Vous avez affirmé votre volonté de conserver la distribution du courrier six jours sur sept, et je vous en remercie, parce que c'est très important en milieu rural. Pour la distribution, quand nous avons notre facteur attitré, tout se passe très bien. Mais quand ce précieux facteur est absent, dans le meilleur des cas, il y a un remplaçant ou une remplaçante, et alors, cela ne se passe pas toujours très bien. Est-ce un problème de recrutement du personnel ? De formation ?

M. Philippe Wahl. - Nous avons connu beaucoup de problèmes dans le Val-de-Marne et dans l'Essonne, c'est vrai. Pourquoi ? Parce que les réorganisations ont été ratées, ce qui arrive aussi ! Dans ce cas, il faut un an pour tout reconstruire, et nous sommes en train de le faire, par de nombreuses réunions avec les préfets et les maires de ces deux départements.

La Poste Mobile est devenue importante pour notre groupe, avec une contribution supérieure à 60 millions d'euros, et 1,8 million de clients, contre zéro en 2011. Je regrette vraiment que nous vous ayons perdue, madame la sénatrice, et je nous fixe comme objectif d'essayer de vous récupérer comme cliente ! Cela nous intéresse toujours de savoir pourquoi les clients nous quittent. Cela dit, nous en avons 200 000 de plus que l'année dernière. En tout cas, c'est une diversification qui fonctionne.

Vous avez évoqué notre présence territoriale. Il est logique qu'il y ait un écart entre la vision stratégique et ce qui se passe sur le terrain. Je ne l'organise pas, bien sûr, mais lorsque vous tracez pour une immense entreprise ses orientations et ses priorités, vous devez vous efforcer de faire en sorte qu'elles soient enthousiasmantes, positives et claires. Mais, dans la réalité, comme il y a 250 000 personnes, 46 000 tournées, 18 000 implantations, la complexité arrive. Je crois donc que nous devons changer notre système, comme nous l'avons fait depuis cinq ans, mais je crois aussi à tout le système d'alerte et de partenariat. Associer les élus, c'est avoir un dispositif d'alerte. Dans nos process postaux, c'est une obligation professionnelle d'avoir averti les élus. Les commissions départementales de présence postale territoriale fonctionnent, avec des élus extrêmement engagés. Il est vrai que le non-cumul des mandats pose une difficulté, puisque nous n'avons plus de parlementaires. Je serais tout à fait prêt, cela dit, à accueillir dans ces commissions un représentant du Sénat et un représentant de l'Assemblée nationale. Tout ce qui nous permet de traiter les sujets avec vous est une bonne chose. Anticiper la saisine des élus est une obligation professionnelle !

Vous m'interrogez sur la mutualisation. Ce qui se passe dans notre pays, c'est la polarisation des activités et la digitalisation. Résultat : les points de contact sont moins fréquentés. Or, ce qui détermine les heures d'ouverture, c'est la fréquentation. Comme il y a 17 000 points de contact, il peut y avoir des dysfonctionnements : merci de nous le signaler ! Mais nous avons des procédures, que nous respectons. Le nouvel accord avec l'AMF prévoit, notamment, des obligations très précises sur les fermetures estivales : si nous fermons un bureau de poste pendant plus de quinze jours, il faut toujours qu'un autre bureau du même bassin de vie reste ouvert.

La transformation a eu lieu, et il y a à peu près une moitié de bureaux de poste et une moitié de points de partenariat. Avec un point de partenariat, on perd la possibilité d'avoir un conseil financier dans l'endroit en question. Mais ce qu'on gagne, c'est l'extension des horaires d'ouverture ! L'accord signé avec l'AMF de François Baroin - et qui le sera avec Mme Gourault la semaine prochaine - prévoit que le retrait et le dépôt de cash pourront passer de 350 à 500 euros. Et nous sommes prêts à utiliser le fonds départemental de présence postale territoriale pour cofinancer des distributeurs de billets non rentables, à condition que leur coût de fonctionnement soit aussi couvert. L'un de vos collègues s'était d'ailleurs engagé sur ce sujet, à travers le dépôt d'une proposition de loi. Nous sommes à vos côtés pour trouver une solution. Les horaires d'ouverture doivent faire l'objet d'un consensus, dans la mesure du possible, mais La Poste reste une entreprise. Clairement, les points de partenariat permettent souvent une extension considérable de ceux-ci, notamment en secteur urbain.

Sur la logistique urbaine, nous avons déjà signé avec 19 des 22 métropoles françaises. Dès le mois d'avril, après les élections municipales, nous allons engager un Tour de France de la logistique urbaine pour dire aux maires ou aux présidents de ces métropoles que nous souhaitons réaliser avec eux, d'ici à 2026, la décarbonation de la totalité de leur transport de marchandises. Certains voudront 100 %, d'autres 50 % : nous nous adapterons. Ensuite, nous diffuserons ces pratiques dans les villes moyennes et petites. Il nous faut commencer là où c'est rentable, pour accumuler des résultats positifs plutôt que des pertes. Mais le but est bien de décarboner la totalité de la logistique. Pour la logistique rurale, il faudra que nous trouvions des solutions. Vous avez été nombreux à souligner que, comme La Poste passe partout, elle pourrait transporter autre chose que les colis. Nous faisons déjà du transport de médicaments sous pli scellé. Ce matin, à l'Assemblée nationale, on nous a proposé de distribuer du pain en zone rurale. Si nous sommes payés pour le faire, nous le ferons !

Quant à notre expansion internationale, le chiffre d'affaires de cette année atteint 10,1 milliards d'euros. Au-delà de l'Europe, nous allons nous développer en Asie du Sud-Est, grâce à une participation minoritaire dans un opérateur qui est actif à Singapour et dans l'Asie du Sud-Est. Nous sommes présents auprès d'une famille indienne, en Inde : nous avons 45 % du capital, et la famille en a 55 %. Nous nous sommes implantés au Brésil, et nous allons rayonner dans l'Amérique latine. Nous commençons aussi à nous implanter progressivement en Afrique, car nous pensons qu'il y a beaucoup de potentiel sur ce continent. En termes de chiffres d'affaires, nous étions à moins de 5 milliards l'année dernière, à plus de 10 l'année dernière, en 2025, nous devrions être très sensiblement au-dessus de ces 10 milliards. Nous sommes déjà, grâce à GeoPost, le premier opérateur de logistique français, et de très loin. Nous tenons demain à Berlin un forum avec tous ses managers.

Vous m'interrogez sur la prise de majorité par la CDC. Il y avait deux actionnaires de La Poste, il y aura les deux mêmes. Comme la CDC est un établissement public sui generis contrôlé par le Parlement, cela reste assez puissamment public. Bref, je ne trouve pas de trace, même homéopathique, d'intérêts privés dans le capital de La Poste à ce stade. Bien sûr, la CDC est plus financière, dans son approche - tout en restant publique - que l'État, qui a des responsabilités politiques et régaliennes. Mais, dans la mesure où l'État reste au capital, où il préside le comité des services publics, où il reste culturellement l'État en France, je ne suis pas inquiet sur les missions de service public, d'autant que la CDC y trouve un intérêt économique, puisqu'elles sont compensées, et non surcompensées, comme le vérifie régulièrement la Commission européenne. De plus, la grande priorité de la CDC d'Éric Lombard est de lutter contre les fractures territoriales. J'attends de mes actionnaires qu'ils contribuent à notre développement, y compris par des augmentations de capital à venir.

Pour l'accessibilité des métiers bancaires, nous utilisons le Livret A gratuit pour tout le monde, et nous avons accru la collecte et le retrait de 350 euros à 500 euros.

Vous avez évoqué le climat social. Nous sommes une très grande entreprise, qui connaît de temps en temps des conflits sociaux, d'autant que nous sommes en pleine transformation. Nous résolvons à chaque fois ces conflits par la négociation. Les postiers participent massivement aux élections professionnelles : 75 % de participants aux dernières élections. Ils sont engagés dans le mouvement que nous impulsons. Nous n'avons pas de grève générale même si les participations aux journées d'action ont été significatives, sans pour autant troubler le service universel postal. En tout cas, nous donnons la priorité au dialogue social, nous passons des accords sociaux et nous associons nos syndicats à la réflexion stratégique sur notre avenir. Ainsi, nous allons lancer le 27 février prochain, dans le cadre de notre journée sur les résultats de La Poste en 2019, une grande démarche participative sur notre plan stratégique « La Poste 2030 ». Nous allons consulter les 220 000 postières et postiers français dans le cadre de l'organisation de plus de 15 000 tables rondes, en leur demandant de se prononcer sur ce que nous allons faire. Vos facteurs vont se réunir pendant une heure et ils vont répondre à des questions. Et si vous m'invitiez à vous présenter le résultat de ces consultations, je viendrais avec plaisir. Nous travaillerons aussi avec l'AMF, l'Association des départements de France et Régions de France. Et nous allons consulter les clients. Nous nous préparons à devenir une entreprise avec une raison d'être, une mission, et un comité des parties prenantes.

Dans les communes nouvelles, pour La Poste, il est compliqué d'avoir cinq places de la République, six rues de La Poste et quinze places du général de Gaulle - sans parler des squares de l'église : pour parler franchement, ce n'est pas de la tarte !

Sur le numérique, nous sommes un acteur public qui garantit la souveraineté nationale. Nous avons un accord de certification numérique pour cinq ans.

Tout ce que nous faisons avec les territoires, nous le faisons dans le cadre des institutions que vous avez vous-même créées, et notamment de l'Observatoire national de la présence postale territoriale, fondée par un sénateur. La commission supérieure du numérique et des postes est également présidée par un sénateur !

Je termine avec le prix du timbre. Nous perdons chaque année 600 millions d'euros de chiffre d'affaires. Le prix du timbre nous compense à peu près la moitié. Sans cette moitié, je ne sais pas comment nous ferions. Tous les pays d'Europe le font, et ils ont commencé bien avant nous ! Les plus malins dans cette affaire ont été les postiers allemands, qui ont procédé au début de leur transformation à des hausses considérables du prix du timbre, ont amassé des profits et les ont utilisés pour la réaliser. Il n'y a pas d'alternative à la hausse du prix du timbre. Tant que nous n'avons pas fait pivoter notre modèle, nous allons poursuivre, avec l'Arcep - car ce n'est pas nous qui le décidons -, la hausse du prix du timbre.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci. Nous allons procéder au vote.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination de M. Philippe Wahl aux fonctions de président du conseil d'administration de La Poste

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons procédé à l'audition de M. Philippe Wahl, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration de La Poste.

Nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletins secrets comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de la loi du 23 juillet 2010, il ne peut y avoir de délégation de vote.

Nous procéderons ensuite au dépouillement ; nous sommes en contact avec la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale afin de procéder de manière simultanée.

L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Philippe Wahl aux fonctions de président du conseil d'administration de La Poste.

Voici le résultat du scrutin :

- nombre de votants : 34

- pour : 31

- contre : 3

La commission donne un avis favorable à la nomination de M. Philippe Wahl aux fonctions de président du conseil d'administration de La Poste.

La réunion est close à 12 h 30.