Mercredi 27 novembre 2019

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Hommage aux militaires morts au Mali

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, je vous propose de débuter notre réunion par quelques instants de recueillement.

En ces instants, la commission de la défense est très durement touchée par le terrible accident survenu au Sahel, qui a entraîné la perte de treize de nos plus vaillants soldats.

Certains, pour des raisons qui sont les leurs, tentent de rouvrir la polémique sur l'utilité de nos forces armées au Mali. Il convient pour l'instant de respecter le temps du recueillement même si, à l'évidence, il faut que le Parlement organise un débat annuel sur les OPEX.

Aujourd'hui, je vous invite à vous recueillir en pensant à ces familles, et particulièrement à celle de Pierre-Emmanuel, fils aimé de notre collègue Jean-Marie Bockel, dont il parlait avec tant de fierté.

Il devait le voir la semaine dernière lors du forum de Dakar, mais Pierre-Emmanuel lui avait dit qu'il partait en opération.

C'est un événement dramatique qui le frappe. Le président Larcher a fait part à notre collègue de notre immense tristesse, de notre compassion, de notre sympathie et de notre affection.

Jean-Marie Bockel connaît bien le Sahel de par les responsabilités ministérielles qu'il a eues. C'est là un terrible coup du sort. Nous pensons à lui, aux villes de Pau, Gap, Varces-Allières-et-Risset, Saint-Christol, et aux familles qui sont dans la peine.

Avant de nous recueillir quelques instants, je voudrais citer les noms de chacun de ces soldats :

- capitaine Nicolas Mégard, 5e régiment d'hélicoptères de combat de Pau ;

- capitaine Benjamin Gireud, 5e régiment d'hélicoptères de combat de Pau ;

- capitaine Clément Frison-Roche, 5e régiment d'hélicoptères de combat de Pau ;

- lieutenant Alex Morisse, 5e régiment d'hélicoptères de combat de Pau ;

- lieutenant Pierre-Emmanuel Bockel, 5e régiment d'hélicoptères de combat de Pau ;

- adjudant-chef Julien Carette, 5e régiment d'hélicoptères de combat de Pau ;

- brigadier-chef Romain Salles de Saint-Paul, 5e régiment d'hélicoptères de combat de Pau ;

- capitaine Romain Chomel de Jarnieu, 4e régiment de chasseurs de Gap ;

- maréchal-des-logis-chef Alexandre Protin, 4e régiment de chasseurs de Gap ;

- maréchal-des-logis Antoine Serre, 4e régiment de chasseurs de Gap ;

- maréchal-des-logis Valentin Duval, 4e régiment de chasseurs de Gap ;

- maréchal-des-logis-chef Jérémy Leusie, 93e régiment d'artillerie de montagne de Varces-Allières-et-Risset ;

- sergent-chef Andreï Jouk, 2e régiment étranger de génie de Saint-Christol.

Les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées se lèvent et observent une minute de silence.

Je vous remercie.

Je serai amené à céder la présidence de cette réunion à l'issue de cette audition, souhaitant me rendre devant les médias pour tenter de combattre les bas bruits qui circulent, selon lesquels les Français sont présents au Mali non pour protéger les Maliens, mais pour y exploiter les richesses aurifères entre autres. Des âmes sombres animent ce débat. C'est affligeant, d'abord parce que cela n'a aucun sens. Ceux qui y sont allés savent que, pour faire un kilomètre au-delà de Gao, il faut circuler avec cinq véhicules blindés. Je ne vois pas comment on pourrait exploiter industriellement une mine dans ces conditions.

Il y a toujours eu et il y aura toujours des gens pour lesquels la mission de la France n'est pas d'être au Mali. Je rappelle pourtant que nous sommes au Mali à la demande du gouvernement malien. Il faut regarder une carte : quand on voit où se situe le Mali au coeur du Sahel, au flanc sud du Maghreb, on comprend le danger. Si le Mali basculait, le Maghreb, suivant la théorie des dominos, risquerait de connaître de larges bouleversements. Or le Maghreb, c'est la frontière sud de la France, avec la Méditerranée entre les deux. Il faudrait que certains dirigeants politiques français s'en souviennent ! Chacun a toutefois le droit de s'exprimer comme il l'entend.

Situation au Moyen-Orient et action de la France - Audition de M. Christophe Farnaud, directeur Afrique du Nord et Moyen-Orient au ministère de l'Europe et des affaires étrangères

M. Christian Cambon, président. - Nous allons entendre M. Christophe Farnaud, directeur Afrique du Nord et Moyen-Orient au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, à propos de la situation au Moyen-Orient et sur l'action de la France dans cette région.

Monsieur le directeur, merci de vous être rendu disponible pour cette première audition devant notre commission. Nous avons souvent entendu le ministre, mais aussi votre prédécesseur, M. Jérôme Bonnafont, sur la situation au Moyen-Orient.

Lors de la dernière audition du ministre, j'avais dit que, hormis l'Irak, tous les grands dossiers de la région semblaient évoluer dans un sens défavorable. Aujourd'hui, nous voyons que, même en Irak, la situation est plus fragile encore que ce que nous espérions.

Les sujets d'inquiétude sont nombreux, et nous n'aurons sans doute pas le temps de les aborder tous. J'évoquerai très rapidement les principaux :

- l'Iran, d'abord, avec des développements récents très inquiétants, que ce soit au niveau international, avec la tentation de tester les lignes rouges dans le Golfe, à travers l'attaque de la raffinerie saoudienne le 14 septembre, ou au niveau interne, avec la répression brutale des manifestations de ces derniers jours contre la hausse du prix du pétrole. Peu d'informations circulent, mais on sait que la répression est en marche. On peut se demander quels effets peut avoir la contestation populaire, qui vise aussi les protégés de l'Iran en Irak et au Liban ;

- l'Irak, où le gouvernement peine à trouver les réponses à la colère de la rue. Lorsque j'y avais accompagné le ministre, nous n'avions pas cette sensation et pensions au contraire que l'Irak était sur la bonne voie ;

- la Syrie, où l'offensive turque et la valse-hésitation des États-Unis ont entièrement rebattu les cartes, et ce dans toute la région ;

- le Yémen, effroyable bourbier qui absorbe l'énergie et la réputation de nos partenaires de la région ;

- le processus de paix au Proche-Orient enfin, dont on ne sait si on doit dire qu'il est au point mort ou qu'il régresse. Je rappelle que notre commission consacrera une mission d'information qui se rendra à la fois en Israël et dans les territoires palestiniens à ce sujet en 2020.

Lorsqu'on examine tous ces dossiers et leur évolution inquiétante, une question vient : où est donc l'Europe dans cette région ? Où en est la France ? La tentation américaine du repli, avec tous les dangers dont elle est porteuse, nous ouvre-t-elle une nouvelle fenêtre pour essayer d'influer sur le cours des événements dans la région et éviter le pire ? L'Europe est-elle pour longtemps exclue des solutions qui peuvent être envisagées dans cette région ?

M. Christophe Farnaud, directeur Afrique du Nord et Moyen-Orient au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie pour votre invitation. Il est important que le ministre et les fonctionnaires que nous sommes puissent vous faire part de leurs analyses et vous informent de ce qui est fait. Je suis ici pour répondre à vos questions.

J'ai pris mes fonctions il y a quatre mois. J'ai connu la région il y a quelques années. Ce qui me frappe aujourd'hui, c'est l'aggravation des tensions qui y règnent et leur complexité. Fernand Braudel disait, parlant du Moyen-Orient, qu'il était le centre dangereux du monde. Cette expression reste valable, non que ce monde, qui a beaucoup évolué, n'ait pas d'autres centres aujourd'hui, mais le Moyen-Orient, par les enjeux qu'il regroupe et les risques qu'il traverse actuellement, est un des centres dangereux du monde.

Je ferai trois grands points rapides pour illustrer mon propos et laisser place à la discussion.

Je reviendrai tout d'abord sur le fait qu'il s'agit d'une région en profonde mutation, où les tensions sont croissantes. J'étudierai ensuite la façon dont le jeu se redistribue entre les acteurs, internationaux ou régionaux, puis la place de la France et le rôle qu'elle souhaite et doit jouer selon nous.

La région est en profonde mutation. Derrière la crise se déroulent des événements qui l'expliquent, la complètent et qui sont parfois des objectifs et des enjeux à long terme.

Cette région est, comme le reste du monde, en plein dans la mondialisation. Elle a toujours été un centre commercial pour le monde, mais elle l'est encore plus aujourd'hui avec l'évolution des technologies, des marchés mondiaux, et l'intensification des enjeux commerciaux et énergétiques.

Elle en subit aussi les évolutions en ce sens que ce sont des projets de société qui l'agitent aujourd'hui. Je pense en particulier aux pays du Golfe et à la façon dont les dirigeants doivent faire face à des évolutions profondes. C'est le sens, par exemple, de la vision 2030 que développe l'Arabie saoudite.

Il ne s'agit pas seulement de la vision d'un homme, Mohammed ben Salmane, le Prince Héritier, mais du choix, comme d'autres pays, d'entrer dans l'après-pétrole et de construire une nation sur des références qui n'étaient pas présentes auparavant.

Ceci explique pour beaucoup la politique intérieure et ses évolutions, qu'il s'agisse du droit des femmes ou de l'évolution de la jeunesse.

Cette évolution vers l'après-pétrole, avec des sociétés qui ont des exigences différentes, se retrouve dans l'ensemble de la région : on pourrait mentionner le Koweït, le Qatar, les Émirats arabes unis.

C'est aussi la mondialisation sociale qui est à l'oeuvre au Moyen-Orient. C'est une clé qu'il faut avoir à l'esprit. Les médias ont commencé à en parler, mais n'ont pas totalement creusé cet aspect des choses. Les émeutes auxquelles on assiste en Irak ou au Liban ont amené la jeunesse à se mobiliser et révèlent des aspirations économiques, sociales et politiques profondes qu'il est difficile pour les systèmes de prendre aisément en compte.

Au Liban, c'est autour du projet d'imposition sur WhatsApp que la situation a dérapé. En Irak, c'est le limogeage d'un général qui s'était illustré dans la lutte contre Daech qui a mis le feu aux poudres. En Iran, c'est un projet d'augmentation de la taxe sur les carburants qui a servi de base aux émeutes. À chaque fois, la société se mobilise et recourt aux réseaux sociaux.

Cette région est au coeur de tensions grandissantes. Je mentionnerai trois facteurs clés. Le premier, c'est l'attitude de l'Iran qui, avec son programme nucléaire, a focalisé l'attention. Nous souhaitons pour notre part que l'Iran revienne à la pleine application de l'accord de Vienne (JCPoA), qui permettait de s'assurer qu'il n'avait pas accès à un programme nucléaire militaire. Ceci reste pour nous un axe fondamental.

C'est là le premier facteur des tensions actuelles. Notre rôle est d'essayer de nous inscrire dans un processus de désescalade, d'où les efforts de la France pour continuer à dialoguer de manière à prendre ces risques en compte, tout en restant dans une voie de stabilité, de paix et de maîtrise des problèmes.

Le deuxième grand facteur de tensions réside dans la politique de pression maximale exercée par les États-Unis choisie par le président Trump. Cette pression s'exerce d'abord sur l'Iran, mais il s'agit d'une attitude générale. En imposant des sanctions de manière à obtenir des concessions de l'Iran, les États-Unis n'ont fait que renforcer les tensions dans la région. Nous le leur avons dit. Ceci est malheureusement sans doute appelé à durer.

Cette politique de pression est partagée par certains acteurs de la région. Israël pense également que c'est une bonne méthode vis-à-vis de l'Iran, mais aussi de ses « proxies », en Syrie ou au Liban.

Cette politique risque en réalité de renforcer les risques de déstabilisation.

Le risque terroriste est une donnée très forte pour l'ensemble de cette région, qui en est la première victime, mais aussi pour la France et l'Europe. C'est la raison de notre engagement. La menace de Daech n'a jamais disparu.

La défaite territoriale du califat - terme que je n'aime pas utiliser parce qu'il confère à cette organisation une forme de légitimité qu'elle ne mérite pas - n'a pas suffi à éliminer la menace. La situation dans le Nord-Est de la Syrie, avec la récente opération turque dans le Nord-Est, n'a fait qu'accroître le risque sécuritaire et humanitaire, ajoutant une source de difficultés politiques supplémentaires pour ce pays.

Comment apprécier le rôle des acteurs dans ce contexte ? Ce rôle a changé depuis quelques années, et les stratégies sont malheureusement souvent divergentes, qu'il s'agisse des acteurs internationaux ou locaux.

Un des facteurs lourds, qui s'est notamment illustré par les frappes du 14 septembre contre les raffineries et les sites de production de pétrole d'Arabie saoudite, réside dans le repli américain. Il est perçu par nombre d'acteurs comme stratégique, même s'il reste relatif et réversible techniquement. Les Américains conservent une puissance dont personne ne dispose.

Ce repli s'est opéré depuis le président Obama. L'analyse stratégique des Américains, différente de celle d'il y a quelques années, les conduit à penser que cette région est moins importante pour eux. Ils sont re-devenus producteurs d'hydrocarbures et ont opéré un pivot vers le Pacifique qui fixe d'autres priorités. Plus conjoncturellement, le président Trump est dans une phase préélectorale et s'est engagé à ramener les boys aux États-Unis.

Cette phase de repli s'est illustrée deux fois récemment, la première en n'intervenant pas en Arabie saoudite, la seconde en laissant se dérouler l'opération turque et en annonçant un retrait de Syrie qui, au demeurant, n'est resté que partiel.

Tous leurs partenaires au Moyen-Orient en ont pris acte et considèrent qu'il s'agit d'une crise de confiance. Cette crise est peut-être encore plus sérieuse que le repli en lui-même, car elle mine la relation des alliés des États-Unis dans la région. Ceci remonte à quelques années. On le voit à présent en Arabie saoudite, où les États-Unis n'ont pas été en mesure de réagir à ce qui s'est passé avec les frappes du 14 septembre, dans un contexte plus large de tensions dans le Golfe.

Les Saoudiens ont pu considérer que c'était, de fait, une remise en cause du « pacte du Quincy », coeur de l'alliance de 1945 entre Abdelaziz Al Saoud et le président Roosevelt. Il ne faut pas sous-estimer le problème. Bien sûr, les Américains occupent une place particulière, mais elle est aujourd'hui moins nette.

On assiste symétriquement à un remarquable retour en force de la Russie, qu'il va falloir que nous prenions pleinement en compte. Nous le voyons en Syrie. Ce n'est pas un hasard si c'est avec le président Poutine que le président Erdoðan a négocié les modalités de sa présence en Syrie.

C'est en quelque sorte l'après-1991 que le président Poutine continue à vouloir régler. La Russie était une puissance régionale au Moyen-Orient. Elle a perdu son influence à la suite de la chute de l'URSS. Elle est en train de la regagner avec un engagement politique très habile, un positionnement diplomatique fort, mais aussi une présence militaire sur le terrain.

Ce message-là a été capté par tout le monde : la Russie est de retour. Elle est également en train de revenir en Libye, corollaire direct de cette politique régionale. Le président Poutine a effectué, après l'opération turque en Syrie, une visite remarquée en Arabie saoudite et aux Émirats. Le ministre Lavrov s'est rendu en Irak.

Notre ministre est allé successivement à Bagdad et Abou Dabi : les échos que nous avons eus à propos des Américains et de la Russie traduisaient la réalité que je viens de décrire.

Quant à la Chine, elle est en train de pénétrer cette région diplomatiquement et économiquement. On oublie parfois que le premier client de l'Aramco est aujourd'hui la Chine. Le roi Salman s'y est rendu en visite, ainsi qu'à Moscou. Ce ne sont pas des hasards.

Aujourd'hui, la Chine prend bien plus nettement position au Conseil de Sécurité sur les sujets liés à la région, et ce n'est pas une coïncidence.

La Turquie figure également au nombre des acteurs internationaux dont le poids est en train de grandir. C'est de ce point de vue un acteur, très présent, qui fonctionne aussi au rapport de force. L'Union européenne demeure malheureusement bien silencieuse. Nos relations économiques collectives avec cette région sont fortes, mais plus faibles politiquement.

Il est typique qu'un exposé sur cette région se focalise aujourd'hui plus sur l'Iran, l'Irak, le Golfe ou la Syrie que sur le processus de paix au Proche-Orient. C'est le fait de l'actualité, beaucoup plus brutale et inquiétante ailleurs. Mais, la situation au Proche-Orient, où les Européens cherchent à rester actifs, nous inquiète fortement.

Même si ce sujet n'est pas au centre de l'actualité, ce problème va rester fondamental. Le processus de paix au Proche-Orient est une des données majeures de la situation régionale. Le blocage est porteur de danger, notamment à Gaza.

La France reste engagée en faveur de la solution des deux Etats, qui est la seule possible. Même si certains considèrent qu'il n'y a plus de sujet israélo-palestinien, il suffit de se référer à la rhétorique des jihadistes, qui tentent de justifier la radicalisation par ce qu'ils considèrent être l'injustice faite aux Palestiniens et aux musulmans. Nous devons l'avoir à l'esprit et contribuer à trouver des solutions.

En ce qui concerne les acteurs locaux, l'Iran joue bien sûr un rôle fondamental. Son antagonisme avec l'Arabie saoudite reste structurant pour la région. L'Iran est en position d'influence croissante, avec une résilience certaine. Il subit les sanctions américaines, mais sa population, son économie et ses capacités de défense en font une véritable puissance régionale.

Ses « proxies » se trouvent en Irak, en Syrie, au Liban, mais l'Iran a aussi une influence sur les mouvements palestiniens radicaux ou au Yémen, et souhaite la conserver...

Face à cela, l'Arabie saoudite veut défendre sa primauté. Elle a été touchée par les frappes et la crise de sécurité dans le Golfe, le 14 septembre jouant un rôle spécifique. L'Arabie saoudite souhaite aujourd'hui obtenir des assurances auprès de ses différents alliés, dont les Américains. Bien qu'il ait effectué sa première visite en Arabie saoudite, Donald Trump n'a donné aucun gage. L'Arabie saoudite est donc à la recherche d'un nouvel équilibre. Il ne faut pas sous-estimer l'aspect défensif de la posture adoptée par Mohammed ben Salmane.

Les Émirats et le Qatar jouent désormais un rôle régional. Le Qatar, depuis 2017, s'est retrouvé en opposition avec les membres du CCEAG, dont le processus est aujourd'hui grippé. Le Qatar s'en est plutôt bien sorti, mais demeure néanmoins dans cette phase d'opposition. Des rumeurs circulent sur une réconciliation du Qatar avec l'Arabie saoudite et les autres pays du Golfe, mais il est difficile de savoir à quelle allure tout cela va évoluer.

Les Émirats ont une puissance économique considérable et une influence politique grandissante. Ils souhaitent s'affirmer comme une puissance modernisatrice.

L'équilibre est donc en train de bouger. Les puissances traditionnelles de la région se sont relativement effacées. C'est le cas en particulier de la Syrie, aujourd'hui totalement déchirée. L'Irak est en reconstruction, après une longue phase de lutte contre Daech, dont les Irakiens sont sortis victorieux, même si le combat n'est pas encore terminé. On imagine mal une solution rapide à la crise irakienne, le Gouvernement irakien n'ayant pas encore pris les mesures destinées à aller dans le sens de l'apaisement.

Ce jeu régional est d'autant plus complexe qu'Israël toujours inquiet pour sa sécurité, a évolué formidablement en termes de capacités militaires et économiques et se trouve dans une position contrastée.

La France a, et doit avoir, un rôle important face à cette complexité. Nos intérêts dans la région demeurent liés à la sécurité, mais aussi à l'économie et à la culture. C'est une zone où notre présence est appréciée. Nous sommes présents diplomatiquement et militairement. Nous faisons partie des pays auxquels les Saoudiens se sont adressés, après le 14 septembre. Nous avons marqué notre solidarité. Même s'ils n'ont pas soutenu notre approche de désescalade face à l'Iran, l'Arabie saoudite a fortement apprécié ce que nous faisons pour elle.

Nous sommes souvent considérés comme le pays européen le plus fiable et le plus actif dans la région par tous nos partenaires. C'est ce qui a été dit lors de l'Assemblée générale des Nations unies à New York. Le Président de la République et le ministre ont eu des entretiens avec des responsables irakiens, libanais et autres. La France reste perçue comme chef de file européen. C'est un rôle que nous devons jouer, sans amalgame mais aussi sans hésitation.

Les efforts diplomatiques se poursuivent dans le cadre de la crise iranienne. La fenêtre politique tend à se fermer du fait des dernières annonces des Iraniens, qui sortent progressivement du JCPoA. Nous considérons cependant qu'il reste toujours une carte à jouer.

Il y a également une forte demande de France au Liban. Aucun pays n'est dans la position de la France. Nous ne réglerons pas le problème seuls : c'est aux Libanais de le faire, mais nous sommes les mieux placés pour parler aux Libanais et mobiliser la communauté internationale. Nous avons tous intérêt à préserver un Liban stable dans la région. C'est ce que j'ai expliqué à mon homologue américain.

En Syrie, même si nous n'avons pas les atouts de la Russie, nous faisons partie des interlocuteurs réguliers. C'est pourquoi nous devons être là et jouer un rôle sur le long terme. En Irak, nous nous sommes beaucoup associés aux efforts de reconstruction et de développement. Je mentionnerai la mise en place de la faculté de médecine de Mossoul, qui est plus qu'un symbole.

Au-delà, nous avons une capacité d'influence culturelle réelle. Non seulement elle place la France à un niveau de premier plan, mais elle nous permet aussi, à travers le dialogue culturel, d'aller à l'encontre du risque de choc culturel. Je mentionnerai à ce propos le Louvre d'Abou Dabi, où nous avons inauguré une très belle exposition il y a quelques semaines. C'est un projet porteur d'un rayonnement français mais aussi utilisé de façon stratégique par les Émiriens eux-mêmes, qui y voient la possibilité d'aller à l'encontre des tentatives de radicalisation et d'utilisation politique de l'islam.

Le partenariat que nous développons sert non seulement à la mise en valeur d'un patrimoine, mais aussi au dialogue culturel fondamental et à l'expertise que cette région n'a pas encore, mais qu'elle est en train de développer avec les universités, la Sorbonne Abou Dabi, HEC au Qatar, etc. Ce travail culturel est très directement lié à notre volonté d'évoluer et de développer notre influence.

Je souligne enfin que la diplomatie parlementaire a toute sa place à jouer dans ce contexte. Vous êtes des artisans de ce dialogue.

M. Gilbert Roger. - J'ai du mal à accepter ce que j'appelle la diplomatie policée, qui essaye de distiller l'idée qu'Obama et Trump, c'est « blanc bonnet et bonnet blanc ». Or les paroles de M. Trump, qui sont décriées jusque dans son propre pays, ne sont pas les mêmes que celles du président Obama ! Je trouve les diplomates souvent un peu « lisses ». Je le dis d'autant plus que, s'agissant du conflit entre Israël et la Palestine, les provocations systématiques du président américain actuel n'arrangent rien. L'assourdissant silence de l'Union européenne et de la France pose également question. Avec trois collègues de la commission, nous nous sommes rendus en avril en Jordanie : les Jordaniens voudraient bien entendre la parole de la France, mais elle est inaudible dans ce dossier.

Je suis élu des territoires populaires dits du « 9-3 ». On y trouve des jeunes comme ceux dont vous avez parlé, qui partent rejoindre Daech. Tant que la question de la Palestine ne sera pas réglée, on connaîtra des difficultés avec une grande partie de notre jeunesse, et c'est dramatique !

M. Joël Guerriau. - La région est déstabilisée depuis 2003 avec l'intervention des États-Unis en Irak. Les populations souffrent de plus en plus de la guerre. L'Iran ne cesse de prendre de l'importance dans ce paysage, et il faudrait que ce pays se stabilise. Or une centaine de villes ont connu durant cinq jours des manifestations extrêmement violentes. Les liaisons Internet ont été interrompues. Les vidéos que l'on commence à voir montrent des snipers tirant sur la foule. On compte 143 morts, 180 personnes emprisonnées selon la police iranienne et 4 000 selon les exilés iraniens. Bref, la situation est extrêmement grave. Que penser du pouvoir politique en place ? Croyez-vous que l'on peut espérer retrouver une stabilité politique, que ce soit en Syrie, en Iran ou ailleurs ? Peut-on avoir un poids diplomatique au Moyen-Orient dans les années à venir ?

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Les médias traitent très peu de la crise au Liban, alors que nous connaissons tous les équilibres très fragiles de cette zone. Certains annoncent que le Hezbollah se serait doté d'armes de longue portée. D'autres expliquent que des influences internationales sont derrière cette crise. Que doit-on en penser ? À qui profite le crime ? Si le Liban est déstabilisé, c'est toute la zone qui est en danger, et cela amènera inévitablement une migration très forte en direction de l'Europe face aux jihadistes. On connaît les problématiques de corruption de la société libanaise. Le dossier devrait être au coeur des préoccupations de la France.

Que fait la France pour aider le Liban à sortir de la crise ? On ne peut le laisser dans cette situation. On sait qu'il faudra sans doute aller plus loin. Je crains que cette situation ne finisse par mal tourner pour le Liban, mais également pour les pays voisins.

M. Jacques Le Nay. - En juin dernier, le Wall Street Journal révélait les dysfonctionnements et les insuffisances du programme de sanctions de l'ONU contre le financement du terrorisme. Il précisait notamment qu'au Qatar un proche parmi les proches de l'ancien Premier ministre et ministre des affaires étrangères Hamad ben Jassem al-Thani, lui-même ancien haut cadre de la banque centrale du Qatar, finançait les groupuscules terroristes. Celui-ci figure d'ailleurs sur la liste noire onusienne des financiers du terrorisme. Ne sommes-nous pas dans une ambivalence ubuesque dans notre lutte contre l'obscurantisme, compte tenu de nos intérêts commerciaux avec ces pétromonarchies ?

M. Olivier Cigolotti. - Vous avez évoqué la situation de la Turquie. On sait que les tensions sont fortes entre Erdoðan et Donald Trump, notamment depuis l'achat par Ankara de missiles russes. Aujourd'hui se pose la question de l'adhésion de la Turquie aux valeurs de l'Europe et de sa place au sein de l'Alliance atlantique. Quelle est votre vision à ce sujet ?

M. Cédric Perrin. - Le 14 septembre dernier a eu lieu l'attaque des raffineries en Arabie saoudite. J'y suis allé il y a quinze jours en compagnie de Jean-Marie Bockel pour y rencontrer certaines personnalités. Trois d'entre elles m'ont particulièrement marqué : Adel al-Joubeir, pro américain, Abdelaziz ben Salmane, ministre de l'énergie, qui nous a expliqué qu'il voudrait développer le nucléaire civil, mais ne voulait aucun boulon américain dans sa centrale nucléaire, et le ministre de la culture, qui nous a parlé d'Al-Ula, projet qui représente 50 milliards d'euros d'investissement. La France est aux avant-postes. Le ministre de l'économie d'Arabie saoudite exprime un besoin de France. L'ambassadeur de France lui-même réclame un certain nombre de contacts pour développer des affaires avec ce pays. Ceux qui en font actuellement, ce sont les Russes ou les Espagnols, mais nous passons à côté d'un certain nombre de choses. Allons-nous pouvoir reprendre les échanges avec l'Arabie saoudite malgré l'affaire Khashoggi ?

M. Hugues Saury. - Il y a un mois, on annonçait la mort d'Abou Bakr al-Baghdadi. Il semblerait qu'un nouveau chef, Abou Ibrahim al-Hachemi al-Qourachi, ait été proclamé. Que sait-on de ce nouveau leader ? Peut-il y avoir une incidence sur la stratégie de Daech ?

M. Alain Cazabonne. - On sait que le PIB de la Russie est à peine supérieur à celui de l'Espagne. Comment ce pays peut-il avoir une telle influence par rapport à l'Europe ?

M. André Vallini. - Monsieur le directeur, je ne partage pas votre appréciation concernant la question palestinienne. Je suis victime, comme beaucoup, d'une forme de pessimisme par rapport à cette question. Rien ne se passe depuis Oslo, et Israël continue à implanter des colonies en territoire palestinien, ce qui rend chaque jour un peu plus impossible la solution à deux États. Les pays arabes sont de plus en plus indifférents au sort des Palestiniens. En Iran, la population n'approuve pas l'aide qu'apporte le pays au Hamas. On peut donc se poser la question de savoir si l'Iran ne va pas, à son tour, abandonner le peuple palestinien.

M. Ladislas Poniatowski. - Mme Parly a évoqué le repli américain devant nos troupes il y a quatre jours. Elle a estimé que celui-ci était dramatique pour nos propres forces sur place. Vous avez dit que ce repli était stratégique. Il est aussi politique. Donald Trump avait promis de ramener les soldats pendant la campagne électorale. Il tient donc sa promesse. Vous avez estimé que ce repli était réversible. Quelle est la position de l'administration américaine, de la CIA et de l'armée américaine, qui n'ont pas grand-chose à voie avec les tweets de M. Trump ?

Mme Christine Prunaud. - Le Président des États-Unis a reconnu il y a peu les colonies comme « légales ». Notre Gouvernement a certes critiqué cette décision, mais notre influence est cependant inexistante dans ce conflit. Plus le temps passe, plus nombreux sont les gens qui pensent qu'il n'y aura pas deux États, mais un seul - les progressistes palestiniens sont sur la même ligne depuis quelque temps -, et les Palestiniens devront lutter pour leurs droits. Il va bien falloir que les partis politiques disent les choses - même le mien. Je voulais connaître votre position à ce sujet.

M. René Danesi. - La révolte des Iraniens est une conséquence directe des sanctions économiques américaines, qui a provoqué une inflation de 40 %, ce qui a considérablement fait baisser leur pouvoir d'achat. Par ailleurs, les exportations de pétrole représentent 40 % des recettes de l'Iran. La stabilisation du baril autour de 60 dollars n'arrange évidemment pas les affaires de Téhéran. Selon une étude du FMI, l'Iran aurait besoin d'un tarif à 194 euros le baril pour maintenir son PIB, lequel diminuera encore cette année de 10 %.

Suite à la dégradation de la situation de la République islamique d'Iran, pensez-vous que ce régime cherchera à diminuer sa coûteuse activité de déstabilisation des pays voisins pour consacrer les ressources qui lui restent à sa population, ou pensez-vous au contraire qu'il optera pour son intensification, espérant ainsi mobiliser sa population contre un ennemi extérieur ?

M. Michel Boutant. - Qu'en est-il aujourd'hui des chrétiens d'Orient ?

M. Jean-Pierre Vial. - Vous avez évoqué le besoin de France dans les enjeux du Moyen-Orient. Tous ceux qui suivent cette situation en sont conscients. En Syrie, les États-Unis se retirent sur le plan militaire mais, en même temps, sont présents à travers les sanctions et les embargos qui se font de plus en plus lourds. Ceux qui profitent de l'embargo s'enrichissent, et les populations souffrent de plus en plus, ce qui montre bien que les sanctions n'ont pas toujours les effets directs qu'on en attend. Le bilan impose une révision de cette position, même du côté syrien, car la situation de l'économie syrienne pèse aujourd'hui directement sur la vie libanaise. La France ne pourrait-elle prendre une initiative dans ce domaine, que le représentant du CICR a évoquée lorsqu'il a été auditionné ici il y a quelques mois ?

M. Christophe Farnaud. - S'agissant d'Israël et de la Palestine, la situation n'est absolument pas satisfaisante. Je ne suis malheureusement pas optimiste, mais nous ne pouvons nous en satisfaire. Ce sujet reste selon moi au coeur des préoccupations de la région. Tout le montre, et je rejoins vos propos de ce point de vue.

Vous avez évoqué l'approche choisie par les États-Unis. Je reconnais que, sur ce point, la politique de Barack Obama et de Donald Trump n'est pas du tout la même. Si je les ai évoquées, c'est que, très objectivement, avec des prémices différentes, les deux ont conduit à un relatif repli américain de la région. C'est indéniable, mais je n'ai pas dit que leur politique était identique. Il est évident que notre proximité avec Barack Obama n'a rien à voir avec la relation que nous avons avec le président Trump sur l'ensemble des sujets de la région - et spécialement sur Israël et la Palestine.

L'approche américaine de « deal du siècle » est une approche économique qui n'a pas porté ses fruits, puisque les pays de la région sont hésitants. Pour nous, l'approche doit être d'abord politique.

Nous considérons la politique de colonisation comme illégale. C'est justement parce que nous souhaitons une solution politique qu'il faut être très clair sur le fait que nous maintenons notre référence au statut spécial de Jérusalem, à la création de deux États, à la prise en compte de la question des réfugiés, au caractère illégal des colonies. L'opinion internationale est lasse du conflit israélo-palestinien, mais la France ne compte pas céder. Nous nous sommes exprimés lorsque M. Netanyahou a fait son annonce - en partie électorale - à propos de l'annexion de la vallée du Jourdain. Les Européens aussi. Nous avons également pris la parole lorsque les Américains ont déclaré que la colonisation n'était pas illégale, revenant sur leur propre position. Sur ce dossier, on peut parler d'optimisme de la volonté et de pessimisme de la raison, pour reprendre la formule de Gramsci. Il faut agir, et sans aucune hésitation. D'ailleurs, la France agit politiquement et soutient les actions humanitaires en direction de la population palestinienne, particulièrement touchée en ce moment.

S'agissant de l'Iran, il ne faut sous-estimer ni l'épreuve infligée au peuple iranien ni la capacité du régime à durer malgré les sanctions. Certes, sa politique actuelle vise à obtenir la levée des sanctions, mais le régime iranien est loin d'être mis à bas. Il tient le pays dans une main de fer, et les sanctions la renforcent. C'est une des leçons que l'on peut en tirer après les manifestations des derniers jours. Ils ont su techniquement maîtriser mieux que précédemment la coupure d'Internet et le black-out sur le terrain. Par ailleurs, les pressions américaines font le jeu des durs du régime.

Dans le contexte actuel, il faut s'attendre à ce que l'Iran, qui souffre beaucoup de ces sanctions, s'en tienne néanmoins à son orientation actuelle. Le Liban a été évoqué plusieurs fois. La France est très mobilisée sur cette question. C'est une histoire ancienne. La crise est très grave. Elle est dangereuse pour la stabilité du pays, parce qu'elle est à la fois politique et économique. Sur le plan économique, la situation est plus inquiétante que par le passé. Ce n'est pas la première crise que connaît le Liban, mais c'est la plus sérieuse. Le système bancaire lui-même est touché. On a une double crise, une crise de liquidité immédiate et une crise structurelle. Cette dernière est liée au manque de compétitivité et de réformes. C'était pour remédier à cette situation que nous avons organisé la Conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises (CEDRE), l'an dernier. La France est donc très mobilisée.

La crise de liquidité immédiate est aussi liée au manque de confiance dans le système bancaire. Elle est très préoccupante parce qu'elle risque, d'ici quelques semaines, peu à peu, d'empêcher le pays de fonctionner. La France en est très consciente et fait passer le message. Le Premier ministre libanais a démissionné. Un nouvel équilibre politique n'a pas encore été trouvé et les manifestations ne cesseront pas avant un moment.

Aujourd'hui, aucun équilibre autour d'un nom pour un nouveau Premier ministre, ne se fait. Face à ce blocage, le Président de la République et le ministre m'ont demandé de me rendre au Liban afin d'y porter un message disant qu'il fallait rapidement trouver un gouvernement efficace et crédible répondant aux demandes de la population. Je l'ai relayé auprès de tout le monde. Cependant, c'est aux Libanais eux-mêmes de trouver la solution. Je pense que ce message a été entendu. Nous sommes donc en train de travailler à une mobilisation de la communauté internationale. Cela ne pourra toutefois être un chèque en blanc. Ce n'est pas possible. S'il y a soutien économique, il y aura parallèlement une exigence de réformes extrêmement forte. C'est d'ailleurs ce qu'attendent les autres bailleurs et la population libanaise elle-même.

C'est donc la France qui est à la manoeuvre. Je partage l'analyse de plusieurs d'entre vous selon laquelle un Liban déstabilisé serait préjudiciable à tous. Cela ne fait aucun doute, à tous points de vue. Le projet d'Al-Ula est en effet un projet très important et extrêmement emblématique de la vision actuellement portée par l'Arabie saoudite. C'est à la fois un projet politique, économique et culturel. Il est très réfléchi. On accepte le passé anté-islamique et on laisse venir des étrangers. Ce sont des aménagements considérables, qui assurent le développement local. Le pays se construit une identité qu'il n'avait pas jusqu'alors. Il faut l'accompagner.

Il existe certes une part d'ombre dans tout cela. L'affaire Khashoggi en est un exemple. Il faut demeurer prudents et exigeants, mais il faut concrétiser ces échanges. La visite que vous avez effectuée avec M. Bockel était fort bien venue. On a besoin de davantage de dialogue avec l'Arabie saoudite. C'est pour nous une priorité.

Concernant les chrétiens d'Orient, la France, par une longue tradition qui remonte à François 1er et aux capitulations, reste très mobilisée. Les chrétiens d'Orient ont longtemps été des interlocuteurs privilégiés de notre pays, que ce soit au Liban, en Palestine ou ailleurs. Aujourd'hui, on sait qu'ils sont parmi les premières cibles de Daech, dans une perspective d'intolérance absolue et de violence insoutenable. Nous avons lancé en 2015 une conférence pour les victimes des violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient. Les chrétiens en font partie. Ils ne sont pas les seuls, et je pense notamment à la communauté Yazidie, mais c'est la principale communauté à laquelle nous pensons. Notre objectif est de monter en 2020 une nouvelle conférence de Paris. Nous sommes dans un dialogue permanent avec eux dans toute la région, y compris en Égypte. Ce n'est pas une coïncidence si le pape copte, qui était à Paris il y a quelques semaines, a rencontré le Président de la République en tant que chef d'une communauté religieuse, dans le cadre d'une visite équivalente à celle d'un chef d'État. Le rapport Personnaz a également été rendu en début d'année. Il fournit des propositions et des idées.

En Irak, on projette de restaurer des mosquées rasées par les mouvements jihadistes, mais aussi des églises, et ce en parfaite entente avec les autorités. Ce sujet va demeurer. La mobilisation française est très forte.

M. Christian Cambon, président. - Un mot sur ce point. Il m'est donné de participer assez souvent aux entretiens internationaux que conduit le président du Sénat, très engagé pour le dialogue avec les hiérarchies des différentes communautés religieuses. Depuis un an ou deux, le langage change : on nous dit que la France fait des conférences internationales et des déclarations mais que rien ne suit, notamment en matière d'éducation et d'écoles, ce qui ne représente pourtant pas des sommes considérables. Certains de nos collègues de la commission ont suggéré qu'on demande à l'AFD, qui a été dotée de 13 milliards d'euros, de coopérer. Il semble que le président de République, lors de sa récente entrevue avec le pape copte, ait reconnu qu'il fallait véritablement faire quelque chose.

J'insiste sur le fait qu'il faut étudier ce sujet de près. L'AFD est richement dotée. Elle peut coopérer. M. Rioux ne s'y est d'ailleurs pas opposé lorsque nous l'avons auditionné.

M. Christophe Farnaud. - J'en prends bonne note. L'éducation et les écoles sont au nombre des questions à traiter. Nous restons extrêmement présents au Liban, où une bonne partie du dispositif scolaire, lié à la France, est composée d'écoles chrétiennes. On pourra en reparler si vous le souhaitez. L'éducation fait partie des priorités de l'AFD. On peut donc braquer le projecteur sur ce sujet.

S'agissant du retour américain, si un président décide de réinvestir ce champ, il y sera le bienvenu. Notre devoir est d'aider à la stabilité de la région en montrant qu'on reste engagé, mais les États-Unis ont encore des milliers d'hommes sur le terrain, dont certains en Syrie. Ils ont compris qu'ils ne pouvaient en partir complètement - et nous y sommes d'ailleurs pour quelque chose. Je ne dis pas que ce sera simple ou évident.

Pour ce qui est de l'obscurantisme, de l'ambivalence et du financement du terrorisme, nous avons un dialogue avec tous les pays du monde. Il est difficile d'en avoir une image précise. En revanche, tous les gouvernements n'ont pas les mêmes postures. Mais le dialogue sur le financement des mosquées en France, par exemple, s'est beaucoup amélioré avec des pays comme l'Arabie saoudite.

On ne met pas les difficultés sous le tapis. C'est un élément fondamental de sécurité, et la réponse est à plusieurs niveaux. Les Émirats arabes unis ont une ligne très stricte contre l'islam radical. Les choses doivent évoluer en ce sens. Nous n'avons pas le choix.

On sous-estime souvent les dons privés. Il convient de les expertiser. Nous avons un certain nombre d'instruments pour ce faire.

Quant à l'identité du successeur d'al-Baghdadi, je pense qu'il s'agit d'un surnom destiné à protéger l'individu. Nous avons des indications potentielles, mais nous ne sommes certains de rien. Fondamentalement, le changement d'homme ne modifie rien à la menace que représente Daech. Ce mouvement a été affaibli par la reconquête territoriale à laquelle la coalition s'est livrée avec succès. Daech est aujourd'hui à nouveau présent, notamment grâce à la réactivation de cellules discrètes, mais aussi du fait d'une certaine dissémination. On sait par exemple que cette organisation est toujours présente en Libye. Il faut demeurer en alerte, et c'est une fort bonne chose que la coalition, lors de sa réunion du 14 novembre, ait réaffirmé son engagement dans cette lutte. Avec le ministre, nous sommes allés à Bagdad et à Erbil. Cette ville est située à 60 kilomètres d'une zone territoriale qui reste contrôlée par Daech, qui y compte toutes sortes de réseaux.

Enfin, s'agissant de l'influence russe, je suis d'accord avec le fait que la Russie a un PIB à peine plus important que celui de l'Espagne. Cela montre l'habileté de la puissance russe. La Russie constitue une puissance classique, réaliste, en matière de relations internationales, contrairement à l'Europe, qui veut abolir le rapport de force, qui est dans l'idéalisme et s'appuie sur les conventions et le multilatéralisme.

M. Christian Cambon, président. - Nous nous apprêtons à démarrer le tome 2 de notre rapport entre le Conseil de la Fédération russe et le Sénat. Nous allons mettre à jour les six chapitres que nous avions écrits dans le premier co-rapport.

Audition de M. François Geleznikoff, directeur des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA-DAM)

M. Cédric Perrin, président. - Monsieur le Directeur, nous sommes très heureux de vous accueillir pour cette audition destinée à nous informer plus avant sur un acteur essentiel de la crédibilité de la dissuasion : la Direction des applications militaires du CEA.

La dissuasion repose, en effet, sur un double écosystème :

- un écosystème militaire, avec les forces opérationnelles des composantes aéroportées et maritimes et leur soutien, d'une part ;

- un écosystème technologique et industriel souverain permettant de produire à tout moment les armes, leurs vecteurs, leurs plateformes et l'ensemble des capacités critiques nécessaires, d'autre part.

Dans cet écosystème, votre Direction a pour mission de concevoir, fabriquer et maintenir en condition opérationnelle les armes de la dissuasion.

Je vous rappelle, chers collègues, que la loi de programmation militaire 2019-2025 comprend un volet « dissuasion » important puisqu'elle prévoit la modernisation des deux composantes de la dissuasion :

- celle de la composante océanique avec la fin de la modernisation de l'ensemble des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) et la conception du sous-marin de nouvelle génération (SNLE 3G), la mise en service du missile M51.3 et le développement de la version suivante ;

- celle de la composante aéroportée avec le passage au RAFALE comme porteur unique, la rénovation à mi-vie du missile air-sol (ASMPA) et les études de développement de son successeur (ASM 4G).

Dans cet effort, je n'oublie évidemment pas ce dont vous allez nous entretenir et qui constitue le coeur de métier de la DAM : l'adaptation des armes aux exigences opérationnelles et la garantie de leur efficacité et de leur sécurité, ce qui impose la poursuite du programme de simulation s'appuyant sur le laser-mégajoule, les moyens de radiographies des armes, les moyens de calcul intensif numérique, programme qui comprend une dimension franco-britannique à travers TEUTATES, un accord contemporain de celui de Lancaster House.

Je souhaiterais que nous puissions évoquer plusieurs questions soit dans votre intervention liminaire, soit en réponse aux questions :

- celle des évolutions technologiques majeures dans le domaine balistique avec l'apparition de vecteurs hyper véloces et les conséquences potentielles sur les armes et sur la détection ;

- celle de vos moyens budgétaires et humains pour conduire vos missions ;

- celle de la préservation de nos compétences technologiques et industrielles dans des domaines et des spécialités rares, mais souveraines ;

- celle enfin des retombées économiques et industrielles des activités de la DAM au-delà de son aspect essentiel de contribution à la crédibilité de la dissuasion.

Je vous laisse la parole pour cet exposé qui fait l'objet, et c'est exceptionnel, d'un enregistrement audiovisuel et d'une diffusion sur internet. Nous comprendrons naturellement, compte tenu de la sensibilité de certaines informations pour la sécurité nationale, que vous puissiez ne pas répondre de façon précise à certaines questions, mais nous tenions à vous remercier pour cet effort de transparence et de pédagogie qui contribuera, j'en suis persuadé, à développer auprès de nos concitoyens une « culture » de la dissuasion et de ses outils, sans préjuger, naturellement de leur libre appréciation de ces sujets.

M. François Geleznikoff. - Merci, Monsieur le vice-président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, de me donner l'opportunité de témoigner devant vous de ce que fait la direction des applications militaires du CEA dans le domaine de la dissuasion nucléaire française.

Je vais essayer comme vous me l'avez demandé de faire un peu de pédagogie sur ce que l'on fait.

Donc, nos missions concernent les têtes nucléaires (nous avons cette responsabilité), les chaufferies nucléaires embarquées (donc c'est le deuxième grand délivrable que nous avons à réaliser), les matières nucléaires qui sont nécessaires pour à la fois les têtes et les chaufferies, et nous devons assister les autorités nationales et également internationales dans la lutte contre la prolifération et le terrorisme.

Je vais d'abord faire une petite précision de terminologie sur ce que c'est qu'une tête nucléaire. Je vous projette également sur l'écran, comme vous l'avez souligné, simplifiée, une tête nucléaire.

Sa fonction première est de délivrer l'énergie. Cela se fait dans un sous-ensemble que vous voyez en rouge sur l'écran qui s'appelle la « charge nucléaire ». Il faut également que cette tête soit capable de pénétrer les défenses (elles ne le font pas toutes seules mais elles ont aussi cette vocation-là), et que cette tête soit capable, si nous sommes dans l'océanique, de rentrer à longue portée dans l'atmosphère, ce qui est assez sollicitant pour les têtes nucléaires. Donc c'est réalisé majoritairement par l'enveloppe de la tête mais pas que. En bleu sur cette image de l'objet interne simplifié, ce sont les équipements qui font fonctionner à la fois la charge nucléaire et la tête quand elle arrive à l'objectif.

Pour montrer un peu mieux comment fonctionne une tête nucléaire, je vais prendre l'exemple d'une tête océanique. Donc elles sont embarquées dans les sous-marins, mises à poste par un missile, donc le M 51 pour le cas d'aujourd'hui. Cette mise à poste est suivie d'une phase balistique (puisque la tête est lancée par le missile), qui se termine par une phase de rentrée atmosphérique. Paradoxalement, une tête n'arrive pas comme ça. Elle tourne déjà sur elle-même, c'est pour assurer sa stabilité. Deuxième objectif, c'est de la rendre invisible aux radars et pas seulement aux premiers radars, à tous les radars que la tête est capable d'avoir sur sa trajectoire et, le dernier point, c'est de rentrer dans l'atmosphère tout en étant intègre, à la fois pour résister aux premiers échauffements quand on dépasse 120 km d'altitude. Dans la deuxième phase, où l'air devient plus dense, donc les sollicitations de l'air deviennent plus importantes, par conception on fait en sorte que la tête qui pivote sur elle-même se repointe automatiquement sur l'objectif, pour assurer sa précision en final. Nous travaillons également avec l'ONERA pour tout ce qui concerne les écoulements de fluides autour de la tête. Enfin, dans la dernière phase, l'air est très dense, l'extérieur de la tête chauffe énormément - on a en pointe avant de la tête de l'ordre de 4 000°C - et, il faut imaginer que, à l'intérieur, pour que la charge nucléaire et les équipements fonctionnent bien, il faut que la température reste dans un domaine raisonnable ce qui est le cas pour tous nos objets. Il faut également résister aux sollicitations de décélération. Nous faisons donc des calculs et les validations expérimentales correspondantes. Et puis sur cette image, vous voyez, dans un essai d'une maquette de tête nucléaire qu'on envoie à plus de 5 000 km, la rentrée des couches en terminal, ce qui permet de valider en final que l'on a la précision voulue à l'objectif. Donc nous faisons peu d'essais, mais ils sont très bien instrumentés.

Sur les chaufferies, nous travaillons sur celles des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, donc 4 chaufferies, des six sous-marins nucléaires d'attaque et sur les deux chaufferies du porte-avions Charles de Gaulle.

Pour expliquer la problématique des chaufferies nucléaires des sous-marins, il faut considérer qu'elles sont similaires aux réacteurs nucléaires du parc électronucléaire, miniaturisées et avec moindre puissance. L'objectif est de créer de la vapeur qui va actionner un turbo-alternateur électrique, ce qui permet de produire l'énergie électrique nécessaire au bateau et va également mettre en condition la turbine qui, par transmission sur un axe, par un arbre, va actionner l'hélice pour propulser le navire. Le réacteur nucléaire a un coeur qui va produire de la fission. Nous chauffons l'eau dans un compartiment primaire, qui est très isolé. Cette eau va monter dans un générateur de vapeur, et échanger avec l'eau d'un deuxième circuit. Cette eau vaporisée va alimenter le turbo-alternateur et la turbine pour produire l'énergie et la propulsion du bateau. Enfin grâce à un troisième circuit avec de l'eau de mer, on va recondenser la vapeur qui a été mise en oeuvre pour la retransformer en eau et renvoyer cette eau dans le réacteur pour que ça refonctionne avec le cycle que j'ai indiqué tout à l'heure.

Un point maintenant sur la troisième fonction qui consiste en la lutte contre la prolifération nucléaire et le terrorisme. Je vais parler de la lutte contre la prolifération nucléaire. Sur des critères prioritaires qui sont donnés par le ministère des Armées, nous avons une mission de surveillance d'un nombre important de pays, à la fois pour regarder leur capacité scientifique à concevoir des armes, leur capacité technique à les fabriquer (principalement, l'objet prioritaire ce sont les matières nucléaires) et leur capacité à garantir leur fonctionnement jusqu'à l'essai nucléaire. Pour l'illustrer sur cette figure, notre suivi est majoritairement aujourd'hui sur la Corée du Nord et l'Iran, c'est un travail que nous effectuons en symbiose avec la DGSE, la DRM et le ministère des Armées, globalement. Ainsi voit-on sur cette image, le président nord-coréen en train de montrer à la télévision ce qu'il qualifie d'arme thermonucléaire et la journée d'après, nous avons recueilli les signaux sismiques de la dernière explosion nucléaire nord-coréenne, c'était en 2017, qui montraient une énergie élevée. Notre objectif derrière ça c'est d'avoir une capacité d'analyse autonome pour notre pays, de donner la vision de ce que ce pays est capable de faire avec son armement nucléaire. Il y a également, en complément, un aspect « missiles » qui est regardé par la DGA. Il faut se souvenir qu'en 2003, nous avons de même donné notre vision de ce qu'était capable de faire l'Irak, ce qui a permis également à nos autorités politiques de ne pas vouloir aller détruire des armes de destruction massive que nous n'avons pas décelé dans ce pays.

J'en viens au travail que nous effectuons sur les têtes nucléaires futures, quand on doit renouveler les composantes. La France a signé et ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires, donc nous avons changé de méthodologie. Et pour pouvoir être conforme aux engagements de notre pays, nous ne faisons plus d'essais nucléaires et nous nous appuyons sur le programme Simulation. C'est un programme qui est en trois volets. Le premier, qu'on voit sur l'image en jaune, qui consiste à optimiser les outils de modélisation physique des armes nucléaires. Ces modèles sont ensuite introduits dans des codes de calculs qui sont quasiment les plus importants que l'on peut avoir dans le monde. Ces codes sont tellement importants qu'on a besoin de calculateurs de puissance de plus en plus élevée. Avant nous validions les codes en final avec les essais nucléaires, maintenant nous les validons autrement, en s'appuyant sur deux outils principaux. C'est principalement l'outil EPURE, que nous partageons avec le Royaume-Uni et qui est dédié à la partie primaire de fonctionnement des armes, et l'outil laser Mégajoule, qui est dédié à la partie du fonctionnement de l'étage de puissance dans les armes nucléaires françaises.

Ce programme lancé en 1996 est aujourd'hui totalement achevé. Nous ne faisons pas un programme de physique pour faire un programme de physique. Nous le faisons pour concevoir et garantir les armes nucléaires. Et la concrétisation de ce lancement, c'est le fait que nous avons pu à la fois développer une nouvelle tête nucléaire aéroportée, associée au missile ASMPA, et une nouvelle tête nucléaire océanique associée au missile M51, garanties par les équipes via la simulation.

Pour expliquer plus finement l'usage de l'installation Epure, nous allons passer à quelque chose d'idéalisé sur la formule nucléaire puisque c'est l'exercice qu'on peut faire aujourd'hui. A l'intérieur d'une enveloppe (c'est ce qu'on a vu tout à l'heure), on a simplifié la charge nucléaire (c'est la boule dorée que l'on voit sur l'image) et on va en voir ses composants. Donc, sur l'image, de l'extérieur vers l'intérieur, la partie verte, c'est une partie qui va confiner l'explosif, un explosif chimique spécial, puis une matière fissile, le plutonium, pour la fission et, pour la fusion, un mélange de deux corps, deutérium et tritium. Dans une première phase, l'explosif va détonner et faire imploser la coquille rose en plutonium pour la densifier et faire en sorte que la fission puisse démarrer. On peut valider ce fonctionnement-là par la radiographie X, c'est ce que l'on fait dans l'installation Epure. Après, on entre dans la phase nucléaire. C'est une phase où les réactions en chaîne se développent. Le plutonium, comme il chauffe énormément, va avoir tendance à exploser mais il va également faire imploser le matériau fusible, au sens nucléaire, donc deutérium-tritium. On va l'amener dans des conditions de température de millions de degrés et de densité très forte. Le deuterium-tritium va fusionner et finalement produire énormément de neutrons qui vont décupler l'énergie de fission que l'on a dans le plutonium. C'est ce qu'on a dans les armes modernes comme celles de la France et cela permet d'obtenir sur cette partie primaire l'énergie qui va bien pour faire fonctionner l'étage de puissance thermonucléaire dont je ne peux pas parler ici. Au sein de la DAM, moins d'une personne sur dix a accès à ce secret puisque cela permet d'avoir un avantage énorme pour faire diminuer la taille des armes nucléaires.

L'intérêt de la machine radiographique est de permettre de savoir si la densité du plutonium que l'on a dans nos calculs est celle que l'on a dans l'expérience et donc que l'énergie de fission que l'on va produire est celle que l'on souhaite avoir sans que l'on ait besoin de faire des expériences avec de la fission, comme nous le faisions auparavant avec l'essai nucléaire, puisque maintenant on n'y a plus recours. Donc on fait des expériences qui sont en conformité avec les traités signés et ratifiés par la France, le TICE et le TNP. C'est également la volonté du Royaume-Uni qui a, comme la France, signé et ratifié ces deux traités.

Les expériences au Laser Mégajoule se font avec de petits édifices expérimentaux au millimètre. Vous voyez donc que ce ne sont pas des expériences nucléaires que l'on fait au Laser Mégajoule. Je vais en venir à la partie conception et garantie des têtes nucléaires. Comme vous l'avez souligné Monsieur le vice-président, on va travailler avec les outils de validation des codes de calculs en expérimentation que je viens de mentionner, mais également avec des outils numériques très performants. Dès 2001, nous avons voulu avoir une industrie souveraine des grands calculateurs et recréer une industrie nationale des calculateurs. Nous nous sommes alors associés à Bull (maintenant Atos-Bull). Dès 2005, nous disposions ainsi de calculateurs compétitifs au niveau mondial, avec la première machine, appelée TERA-10. Aujourd'hui nous en sommes à TERA-1000-1 et TERA-1000-2, depuis 2017. Ce sont les calculateurs dont nous avons besoin pour concevoir les têtes futures pour les deux composantes, mais ils ne servent pas que pour la dissuasion. Ils sont aussi utilisés pour d'autres applications du ministère des Armées. Nous avons de plus mis en place sur ce même type de calculateur une machine à vocation de développement industriel, avec une quinzaine d'industriels qui travaillent sur cette machine dite Cobalt. Nous disposons de surcroît d'un calculateur à vocation de recherche académique européenne, qui est sur le même modèle que les machines que l'on utilise pour la dissuasion.

Pour les têtes futures, les performances demandées sont plus importantes que celles qui sont nécessaires pour les têtes TNA et TNO que j'ai citées tout à l'heure et nous devrons développer des modèles plus performants, et faire de plus en plus de calculs en 3D (alors qu'on était majoritairement en 2 dimensions avant), ce qui nécessite de continuer à accroître la puissance de nos calculateurs, avec des machines de la classe exaflopique, c'est-à-dire capable de réaliser des milliards de milliards d'opérations par seconde et nous avons besoin de les utiliser 7j/7, 24h/24 pour la dissuasion nucléaire puisque les calculs sont très demandeurs de puissance de machine.

Nous avons aujourd'hui un industriel au meilleur niveau mondial, puisqu'il est classé 4e ou 5e dans les classements mondiaux. Il est compétitif. Nos collègues britanniques achètent également des calculateurs Bull, qui vend d'ailleurs plus de la moitié de ses calculateurs à l'étranger, pour différentes applications. Nous comptons poursuivre cette coopération dans le futur, mais nous aurons besoin de ressources de développement lancées au niveau européen de la recherche technologique numérique pour au moins deux applications : la première c'est pour avoir un processeur européen souverain - nous travaillons beaucoup avec Intel mais nous ne voulons pas être soumis à une incapacité d'avoir ces processeurs-là - et la deuxième, ça va être les machines quantiques que l'on regarde aujourd'hui.

S'agissant des chaufferies nucléaires embarquées, nos programmes actuellement en cours sont celles des six sous-marins nucléaires d'attaque de la classe Barracuda, donc six chaufferies. La première est actuellement dans le Suffren, le premier de la série, dont le coeur devrait diverger à la fin de cette année pour un bateau à la mer l'année prochaine. Le programme prévoit la livraison d'une chaufferie à peu près tous les 2,5 ans. C'est un programme qui se déroule correctement.

Sur les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de 3e génération, qui vont remplacer ceux de la classe « Triomphant », en cohérence avec ce que fait le bateau (puisqu'on ne peut pas faire une chaufferie indépendamment du sous-marin), nous sommes en phase d'avant-projet détaillé. Cette phase devrait se terminer en 2020 (bateau et chaufferie) et le ministère devrait lancer la phase de réalisation du bateau et de sa chaufferie à la fin de l'année prochaine. Ce programme se déroule tout à fait correctement.

Concernant le remplacement du Charles de Gaulle à terme, j'ai vu que l'Amiral Prazuck, dans cette instance, vous en avait parlé. Nous sommes en totale cohérence avec l'état-major de la Marine et la DGA sur ce sujet-là. Il y a deux besoins. Un besoin prioritaire qui est opérationnel : c'est d'avoir une chaufferie qui pousse un bateau plus lourd que le Charles de Gaulle, et de l'avoir dans les délais de remplacement du Charles de Gaulle. Nous n'avons pas fait d'innovation majeure, nous sommes partis sur les concepts que nous avons développés pour le SNLE3G et le Barracuda, concepts qui datent des années 90. Nous avons adapté la puissance de ces réacteurs pour la taille du bateau, telle qu'il est prévisible pour les années entre 2035 et 2040. Aujourd'hui, nous avons une bonne confiance dans cette capacité performances et délais. L'amiral Prazuck a souligné également qu'il faudra être capable, pour le maintien en condition opérationnelle des bateaux de la flotte dans la longue durée et lorsqu'il faudra changer les SNA Barracuda et lancer les programmes dans les années 2040, d'avoir des concepteurs de chaufferies chez TechnicAtome et chez Naval Group capables de le faire. Le fait de concevoir une chaufferie plus importante que celle qu'on a mise dans le Barracuda et les SNLE 3G va régénérer cette compétence pour le grand futur. Donc un premier objectif opérationnel et un second de régénérescence des capacités de conception des chaufferies.

La DAM doit être en mesure de répondre rapidement à l'évolution du contexte stratégique et technologique. Comment fait-on cela ? Le programme Simulation nous permet d'aller plus vite : moins de gros essais et moins d'itérations sur les gros essais. Ensuite, nos têtes nucléaires sont à présent conçues de façon modulaire et nous sommes capables d'accroître une performance dans un domaine sans avoir à changer toutes les têtes et en changeant uniquement ce qui doit être changé. Le point important également, c'est que nous faisons un travail de veille technologique avec le ministère des Armées. Que peut-on nous opposer dans le grand futur ? Des vecteurs hypersoniques, mais cela peut être d'autres choses notamment dans le domaine des radars. Cela nous permet de réduire nos temps de réaction si nous devions modifier les têtes mais plus généralement les systèmes d'armement nucléaires.

Une autre problématique est importante : la maîtrise des coûts des programmes, puisqu'il nous est demandé d'une génération de tête à une autre, de réduire les coûts de la conception à la réalisation des têtes nucléaires qui succèderont aux TNA et TNO actuelles, ainsi que leurs coûts de maintien en condition opérationnelle. Nous allons nous appuyer sur la simulation et la conception modulaires, mais nous faisons aussi l'effort sur les infrastructures nucléaires que l'on doit renouveler et nous essayons de ne pas faire porter la totalité du poids de la sûreté nucléaire sur la totalité des installations.

Le troisième point concerne le maintien des compétences industrielles dans la longue durée. Je l'ai mentionné sur la propulsion nucléaire mais c'est vrai également pour les têtes. Nous travaillons avec environ 3 000 entreprises industrielles. Nous avons fait un tri pour sélectionner les plus stratégiques d'entre elles. Ce suivi est partagé avec le ministère des Armées, en vue de conserver les compétences de ces industriels au profit de nos programmes.

Le dernier point consiste à s'assurer que nous disposons bien des matières nucléaires dans la longue durée pour les armes et pour les chaufferies nucléaires embarquées. Pour les armes nucléaires, sur les matériaux pour la fission, donc le plutonium et l'uranium hautement enrichi, nous vivons sur un stock existant. Sur le matériau pour la fusion, donc le tritium, à terme, il faudra le refabriquer et donc un programme a été lancé pour pouvoir le faire. En ce qui concerne les chaufferies nucléaires embarquées, la France a choisi d'avoir de l'uranium faiblement enrichi qui a la même teneur isotopique (même enrichissement) que le taux qu'on a dans les réacteurs civils et donc nous nous appuyons sur les industriels du civil, ce qui permet d'économiser des crédits pour la défense.

Enfin, sur les aspects budgétaires, je peux, comme l'ont dit mes collègues et comme l'a dit la Ministre devant vous, vous confirmer que la loi de programmation militaire est pour nous parfaitement respectée. Donc les crédits 2019 ont été parfaitement respectés et ce que vous avez votés, c'est-à-dire les crédits 2020, 21, 22 sont suffisants pour réaliser le travail qui nous est demandé. Je précise que nous avons la particularité de recevoir notre budget en Titre V (« investissement »). Ces crédits sont exprimés en coûts complets, taxes comprises, et donc nos crédits financent à la fois la main-d'oeuvre CEA, les contrats passés avec les industriels, les taxes, nos frais généraux et le renouvellement des infrastructures nucléaires, à la fois pour la réalisation des armes nucléaires et des chaufferies. Sur les crédits du programme 146 pour 2020, nous redonnons à l'Etat un peu plus de 200 millions d'euros de taxes, ce qui n'est pas négligeable.

Les retombées au niveau de l'emploi en France sont importantes. Seul un tiers du travail est réalisé en maîtrise d'oeuvre interne à la direction des applications militaires du CEA et les deux autres tiers sont sous-traités à nos partenaires industriels, quasiment exclusivement français. Une étude réalisée par l'INSEE sur les retombées emplois de la DAM pour l'année 2017 a montré que 1'emploi DAM génère 3 emplois dans les contrats, 3 emplois qui sont dans l'industrie française et sur le territoire national. Nous sommes de plus très exigeants en termes de performance sur ce que l'on demande à nos partenaires industriels. Nous profitons donc des deux côtés de la dualité entre ce qui est demandé pour la dissuasion et ce qui est demandé pour d'autres applications. Enfin, en majeur, la dissuasion a permis de recréer une industrie des supercalculateurs et de développer une industrie optique et laser en Nouvelle-Aquitaine autour du Laser Mégajoule.

M. Cédric Perrin, président. - Le budget 2020 devrait donc être respecté, mais nous sommes inquiets de la phase budgétaire post-2022, liée à la dissuasion.

M. René Danesi. - Le DAM est notamment chargé de la surveillance de la prolifération nucléaire. Lors de votre dernière audition par les députés, vous aviez indiqué que cette surveillance reposait sur un réseau international mis en place par l'OTICE. Sur les 321 stations du système global de surveillance, 24 appartiennent à la France, ce qui fait de notre pays le premier pays doté d'armes nucléaires à avoir rempli ses obligations vis-à-vis de l'OTICE.

En ce qui concerne la surveillance des États, vous avez particulièrement pointé la Corée du Nord et l'Iran. Cependant, deux autres pays ne pourraient-ils pas être regardés de plus près ? Avec sa nouvelle centrale nucléaire d'Akkuyu, la Turquie semble présenter toutes les caractéristiques requises pour militariser sa technologie. En outre, les activités nucléaires d'Israël sont anciennes, mais ne semblent pas susciter beaucoup de curiosité.

M. Joël Guerriau. - Vous avez évoqué les sous-marins nucléaires SNA et SNLE. Si deux SNLE se percutent de façon violente et que les chaufferies nucléaires continuent de fonctionner dans une condition catastrophique, quels seraient les conséquences et les moyens d'intervention ?

Par ailleurs, vous avez évoqué les futurs porte-avions. Or à ma connaissance, il n'a pas été décidé que ces bâtiments seront propulsés de façon nucléaire. Qu'en pensez-vous ?

M. Jacques Le Nay. - Quel est le rôle de la DAM dans les activités de renseignement en matière nucléaire ? Quelle coopération entre les services sur le dossier iranien ? Pouvons-nous être certains que l'arsenal nucléaire iranien a violé le cadre d'accord de 2015 ? Quelle est l'articulation entre la politique de dissuasion française et la défense de l'Otan et de l'UE ? Sont-elles indépendantes, complémentaires ou concurrentes ? Existe-t-il un cadre de discussion autour du nucléaire dans ces instances ?

M. Olivier Cigolotti. - Ma question rejoint celle de Joël Guerriau et porte sur le porte-avions de nouvelle génération, qui est censé remplacer le Charles de Gaulle en 2028. Le choix de la propulsion n'a effectivement pas été arrêté à ma connaissance. Un autre type de propulsion peut-il être envisagé ? Dans l'hypothèse d'une propulsion nucléaire, cette dernière pourrait-elle bénéficier d'évolutions technologiques par rapport au Charles de Gaulle ?

M. Michel Boutant. - Ma question porte sur la prévention de la prolifération. Quelle est la relation entre la DAM et l'AIEA, notamment par rapport au programme iranien ? Savez-vous où en est l'Iran ? D'autres nations dans le monde se préparent-elles à construire la bombe ?

Mme Christine Prunaud. - Vous avez beaucoup parlé du traité de non-prolifération, qui nous intéresse ici beaucoup. Dans ce traité, nous surveillons certains pays, mais nous devons nous aussi démilitariser progressivement s'agissant de l'armement nucléaire. C'est une dissuasion, mais cette modernisation a un coût budgétaire. Si nous utilisons cette force nucléaire, quels dommages sommes-nous capables d'infliger à un autre pays ?

M. Bruno Sido. - J'ignore si vous me répondrez, mais je voulais vous poser deux questions. La première porte sur la recherche sur les ordinateurs quantiques. Chacun sait que Google est très performant en matière de calculateurs par le biais d'ordinateurs quantiques. Où en est notre recherche dans ce domaine ?

Ma deuxième question a déjà été posée deux fois, mais je tenais à la préciser. Je veux parler des porte-avions à propulsion nucléaire. Le nucléaire est indispensable sur les SNLE et les SNA, mais je ne vois pas l'intérêt du nucléaire sur les porte-avions. En effet ceux-ci doivent être ravitaillés régulièrement en munitions, en pièces détachées, en carburants avions et en alimentation et ils seront de plus la cible d'ennemis potentiels. Ils peuvent donc couler et causer un accident nucléaire. Quand sera prise la décision du remplacement du Charles de Gaulle et quel serait le type de propulsion de ce nouveau bâtiment ?

M. Cédric Perrin, président. - L'essentiel des questions posées nécessitera sans doute des explications ultérieures. Je souhaitais poser une question à mon tour. Vous avez largement évoqué le sujet de la préservation des compétences. Nous avons tous conscience de l'importance de la souveraineté de la France en matière énergétique. Quelles seraient les conséquences de l'abandon de la propulsion nucléaire sur le Charles de Gaulle s'agissant du maintien des compétences de nos entreprises ?

Je souhaitais aussi vous entendre sur le sujet balistique et la détection de nos armes, compte tenu des nouveaux vecteurs hypervéloces.

M. François Geleznikoff. - Sur les réseaux de surveillance, la contribution française consiste à mettre 24 stations à disposition de l'OTICE. C'est déjà fait. Mais nous sommes en train d'en changer une pour la mettre à un autre endroit. Donc, à la fin de l'année 2019, nous serons encore le premier pays à avoir rempli nos obligations vis-à-vis de l'OTICE.

À part la Corée du Nord et l'Iran, le ministère des Armées nous demande de surveiller un certain nombre d'autres pays, mais nous n'avons pas tendance à surveiller nos alliés. La Turquie fait encore partie de l'OTAN et Israël est un allié naturel dans la durée, mais cela ne nous empêche pas de regarder de par le monde tout ce qui peut se faire, en regardant même des pays un peu au-delà mais sans regarder trop précisément comme on le fait sur des pays d'intérêt qu'on nous demande de regarder. Par exemple, dans la région de l'Iran, certains pays comme l'Arabie Saoudite ou l'Egypte se sont déclarés volontaires pour se doter d'armements nucléaires, au cas où l'Iran s'armerait, nous avons donc une attention sur ce genre de pays.

Concernant notre relation avec l'AIEA, l'OTICE dépend de l'ONU, comme l'AIEA. Le président actuel de cette instance a eu le soutien de la France pour son élection. Nous travaillons avec ces organismes, ne serait-ce que pour défendre une position française de conformité des engagements de notre pays envers le TNP et le TICE. Chacun peut vérifier que nous ne procédons plus à des essais nucléaires. Le passage au programme Simulation fait que les expérimentations que l'on fait dans des quantités infimes ne sont pas en contradiction avec notre engagement dans ces traités. En ce qui concerne le traité de non-prolifération, nous avons sensiblement réduit le nombre de têtes et de missiles. Les présidents de la République successifs ont indiqué que notre pays a moins de 300 têtes nucléaires, selon un principe de juste suffisance. Nous sommes aussi le premier pays à avoir arrêté de fabriquer des matières nucléaires fissiles pour ses armes (nous sommes quasiment le seul pays dans ce cas-là) et nous sommes le seul pays n'ayant plus de champ de tir nucléaire pour reprendre les essais, celui du Pacifique ayant été démantelé. Ce sont aussi des arguments que l'on peut faire valoir dans les instances internationales et qui seront d'ailleurs sans doute repris lors de la rediscussion qui se tiendra aux Nations unies sur le TNP en 2020.

Sur notre relation nucléaire avec l'OTAN, vous savez que la France ne participe pas au plan de frappes OTAN. Cela n'empêche pas notre pays d'avoir des négociations avec ses alliés sur ce que représente la dissuasion française pour la protection des pays européens, sans qu'on puisse parler de parapluie de ce côté-là.

Pour revenir à votre question Madame, sur les dommages, le Président de la République a rappelé que l'objectif de la dissuasion était de faire en sorte qu'elle fonctionne, et donc de ne pas utiliser les armes nucléaires. En cas d'attaque contre ses intérêts vitaux, la France pourrait riposter en créant des « dommages inacceptables », et ce terme est réservé au Président de la République. C'est lui qui choisit ce que signifie cette expression et comme la notion d'« intérêts vitaux », elle n'est pas précisée ouvertement.

Sur la propulsion du porte-avions, les deux options sont à l'étude et aucune décision n'a été prise à ce stade. Il y a une option classique et une option nucléaire. Nous travaillons sur l'option nucléaire avec pour objectifs de montrer que nous sommes capables dans les délais et pour les performances de propulsion, de le faire conformément à ce qui nous est demandé, aux spécifications. Nous regardons également, ce sera une des conséquences, la problématique du coût par rapport à un porte-avions classique. Nous devrions en principe rendre notre copie en cohérence avec le ministère des Armées, à la Ministre des Armées au début de l'année 2020. La décision lui appartiendra avec sans doute l'accord de l'autorité suprême de notre pays.

Pour des raisons de délais et de coûts, nous resterons dans la continuité. Nous apporterons des gains sur ce qui concerne la problématique de la sûreté (même si on a déjà quelque chose d'extrêmement sûr) et sur la problématique de la réduction des bruits des chaufferies, qui permet de rendre les sous-marins indétectables. Nous entendons également gagner en disponibilité tout en réduisant les moments où l'on a besoin de changer les coeurs des chaufferies nucléaires pour donner de la disponibilité dans la durée au bateau. Ce sont les trois points majeurs qu'on va apporter sur les chaufferies. Donc document pour décision début 2020. Ce dossier est suivi au plus haut niveau, par le ministère des Armées.

Concernant la recherche sur le quantique, il faut se méfier des annonces. En effet, des ordinateurs peuvent être réputés très puissants, mais selon l'opération à réaliser (dissuasion, cryptage ou calcul industriel), ils peuvent s'avérer décevants. Le CEA, indépendamment de la DAM, travaille sur des composants pour les calculateurs quantiques, toujours en collaboration avec Bull. Nous entendons prévoir à l'avance les gains de performance des codes de calculs pour la dissuasion qui pourraient être apportés par ces calculateurs quantiques. Nous avons acquis chez Bull un prototype qui n'est pas quantique, mais qui va fonctionner comme un calculateur quantique, et qui va nous permettre en avance de phase de voir si ce type de calculateur dans le futur sera plus performant que les calculateurs classiques que l'on a aujourd'hui pour les programmes de dissuasion. Nous travaillons également avec ces matériels sur d'autres applications, dans les domaines de la recherche et de l'industrie. Vu les coûts de développement, nous aurons sans doute besoin d'un appui de Bruxelles sur ces sujets-là. Nous aurons, avec la nomination de M. Thierry Breton à la Commission européenne, un interlocuteur parfaitement informé de ces questions, même s'il aura peut-être un devoir de réserve.

Sur les compétences, pour les armes et la propulsion, nous sommes autant attachés au travail mené au CEA que chez nos partenaires industriels. Au CEA, une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences nous permet de suivre les compétences à l'unité près dans une vision de long terme. Nous étudions aussi les compétences industrielles de nos grands groupes et de nos PME partenaires, qui sont parfois très pointues, pour éviter les pertes dans la durée. Nous initions ainsi des petits programmes relais, pour éviter d'un système à un autre, toute perte de compétences. C'est vraiment un souci majeur. Nous n'avons pas besoin que des grands instruments, nous avons aussi besoin en priorité d'avoir ces compétences. Aujourd'hui, le nucléaire civil est peut-être moins flamboyant que par le passé, ce qui pose effectivement des questions en matière de conservation des compétences pour préserver la dualité entre nucléaire civil et nucléaire défense. Un audit a été demandé à Yannick d'Escatha sur ce sujet et des pistes vont être mises en application. En ce qui concerne les compétences relatives au réacteur nucléaire, nous avons effectivement besoin d'une autre conception de réacteur sur le futur porte-avions pour régénérer ces compétences de conception pour les chaufferies nucléaires embarquées du futur.

Vous m'avez en outre posé une question qui relève sans doute davantage de la compétence du chef d'état-major de la Marine. L'utilisation d'un porte-avions nucléaire plutôt que d'un porte-avions conventionnel relève selon moi d'un critère opérationnel. L'Amiral Prazuck vous a en partie répondu et je dirai donc la même chose que lui sur ce sujet.

Je reviens maintenant sur l'hyper-vélocité. Nous avons travaillé sur ce thème, pour nous prémunir d'armes adverses hyper-véloces qui auraient pour mission d'intercepter nos têtes, et aussi, il y a un peu plus de dix ans, pour voir comment on était capable de mettre en place ce type de concept. Ces sujets sont donc étudiés. Nos objets sont furtifs et indétectables aux radars. De plus, les têtes nucléaires sont hyper-véloces par nature, leur vitesse excède déjà celle des missiles du futur. Cette hyper-vélocité naturelle des têtes participe, en complément de la furtivité, de leurs capacités de pénétration des défenses. Avec l'EMA et la DGA, en avance de phase, nous travaillons pour être toujours avec des systèmes d'armes qui ont l'efficacité voulue.

M. Cédric Perrin, président. - La commission a décidé de lancer un rapport sur le porte-avions pour 2020. Nous serons donc amenés à nous rencontrer pour évoquer ces sujets à nouveau et clarifier certains points qui mériteraient de l'être.

Merci beaucoup pour votre intervention sur ce sujet passionnant.

M. François Geleznikoff. - J'ajoute que nos centres vous sont ouverts pour tous ceux qui ont envie de les visiter. On vous accueillera bien volontiers.

La séance est levée à 12 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.