Mardi 13 juillet 2010

- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -

La réforme des retraites en Allemagne - Présentation du rapport d'information

La commission entend M. Alain Vasselle, président de la Mecss, et Mme Christiane Demontès sur la présentation du rapport de la Mecss consacré à la réforme des retraites en Allemagne.

M. Alain Vasselle, président de la Mecss, rapporteur. - La Mecss a décidé de consacrer l'essentiel de ses travaux de 2010 à la question des retraites. Après le rapport de Christiane Demontès et Dominique Leclerc sur les enjeux du rendez-vous 2010, la mission a souhaité analyser l'organisation, le pilotage et le financement des retraites en Allemagne. Une délégation de la mission s'est donc rendue à Berlin en juin dernier.

Le cas allemand est intéressant à plusieurs titres : la situation démographique y est plus préoccupante qu'en France, puisque le vieillissement de population s'accompagne d'un taux de natalité très bas ; les gouvernements successifs ont conduit plusieurs réformes au cours des deux dernières décennies, qui ont concerné tous les paramètres du système ; l'Allemagne a la réputation de savoir, mieux que la France, mener des évolutions en concertation avec les partenaires sociaux ; enfin, elle s'est engagée dans le développement d'un système d'épargne retraite individuelle original, conçu pour favoriser dans toute la mesure du possible les personnes ayant les revenus les plus modestes. Pour toutes ces raisons, le modèle allemand est susceptible d'éclairer utilement les débats parlementaires de l'automne prochain sur la réforme des retraites.

Mme Christiane Demontès, rapporteure. - Aujourd'hui, le système allemand repose sur trois piliers : l'assurance retraite légale ; les retraites d'entreprise ; l'épargne retraite individuelle.

L'assurance retraite légale et les pensions des fonctionnaires représentent, aujourd'hui encore, la très grande majorité des ressources des retraités : environ 80 %, contre 5 % pour les retraites d'entreprise et un peu plus de 10 % pour le pilier privé facultatif.

Ce premier pilier est composé d'un régime général, plus couramment appelé l'« assurance légale allemande » et de plusieurs régimes spécifiques à certaines professions (fonctionnaires, agriculteurs, professions libérales).

L'assurance légale, universelle et obligatoire a conservé jusqu'à présent les principales caractéristiques de ses origines bismarckiennes :

- un financement par cotisations : la branche vieillesse est majoritairement financée par des cotisations assises sur un salaire brut sous plafond, les prestations relevant de la solidarité nationale devant, en principe, être couvertes par l'impôt. Le produit de ces cotisations ne représente toutefois que les trois quarts des recettes totales de l'assurance légale, le quart restant est assuré par des versements provenant du budget de l'Etat fédéral ;

- un financement égal employeur-employé : le taux de cotisation, actuellement de 19,9 %, est partagé par moitié entre le salarié et l'employeur, soit 9,95 % chacun ;

- une gestion paritaire : l'assurance retraite allemande est, comme les autres branches, gérée de manière paritaire par les représentants des assurés et des employeurs.

Calculée en annuités jusqu'en 1992, la pension de retraite légale est, depuis lors, exprimée en points, même si le système est en fait intermédiaire entre un régime à annuités et un régime par points puisque, en pratique, la pension versée dépend du nombre d'années de cotisations et du montant du salaire perçu.

L'assuré accumule des points tout au long de sa vie, sur la base d'un point par an pour le paiement de cotisations correspondant à une année pleine au salaire moyen. Les cotisations sont toutefois plafonnées ; l'assuré ne peut pas accumuler plus de deux points par an. A l'inverse, les situations de moindre cotisation donnent droit à des bonifications (faible revenu, période d'éducation des enfants) ou à une modulation du niveau des cotisations (période de chômage).

Comme ses voisins européens, l'Allemagne doit faire face aux conséquences financières et sociales du vieillissement de sa population, qui exerce mécaniquement une pression sur l'assurance retraite légale, contrainte de verser des pensions plus longtemps. Mais le défi démographique que le pays doit surmonter va bien au-delà du seul problème du vieillissement. L'Allemagne se caractérise en effet par l'un des taux de fécondité les plus bas d'Europe (1,38 enfant par femme en 2008).

La conjugaison de ces deux phénomènes se traduit par un véritable déclin démographique : la population devrait passer de quatre-vingts millions d'habitants aujourd'hui à soixante-cinq ou soixante-dix millions d'ici 2060. L'Allemagne perdrait alors son statut de pays le plus peuplé de l'Union européenne, au profit de la Grande-Bretagne.

Plusieurs des interlocuteurs de la délégation ont expliqué que la société allemande continue à exercer une pression morale sur les femmes qui décident de poursuivre leur activité professionnelle, tout en élevant leurs enfants. Heureusement, les mentalités évoluent et les pouvoirs publics commencent à prendre des mesures destinées à faciliter la garde d'enfants. Mais beaucoup reste encore à accomplir, notamment en matière d'infrastructures.

Dès les années quatre-vingt-dix, l'Allemagne a entrepris une adaptation de son système de retraite, rendue nécessaire par la réunification et l'apparition des premiers déficits. Celle-ci s'est poursuivie au tournant des années 2000, sous le gouvernement du chancelier Schröder, dont la priorité était de garantir, dans le contexte de la mondialisation, la compétitivité de l'économie allemande. Les objectifs affichés étaient clairs : stabiliser les taux de cotisations et ralentir la dynamique des dépenses.

La réforme la plus emblématique a consisté à développer le deuxième pilier de retraite d'entreprise et, surtout, à renforcer le troisième pilier par capitalisation, le but étant de compenser la diminution attendue des taux de remplacement dans le régime de base. Parallèlement, plusieurs modifications importantes ont été introduites dans le premier pilier afin d'assurer sa viabilité à long terme.

Deux dispositions législatives adoptées en 2001 encadrent strictement l'évolution du régime d'assurance retraite par répartition :

- un plafond de taux de cotisations : celui-ci ne doit pas dépasser 20 % jusqu'en 2020 et 22 % jusqu'en 2030. En cas de non-respect de ces objectifs, le gouvernement fédéral est tenu de proposer des mesures correctrices ;

- un plancher de taux de remplacement net (après cotisation mais avant impôt) : celui-ci ne doit pas passer en dessous des 46 % jusqu'en 2020 et des 43 % jusqu'en 2030. En cas de franchissement de ce seuil, le gouvernement fédéral a l'obligation légale de proposer des mesures appropriées pour accroître le niveau des pensions.

L'Allemagne a également cherché à ralentir la dynamique des dépenses de retraite, en jouant sur le mécanisme de revalorisation des pensions. L'indexation des pensions repose aujourd'hui sur l'évolution du salaire brut moyen, mais aussi sur deux autres facteurs :

- le « facteur Riester » qui sert à tenir compte d'une part, de l'évolution des taux de cotisations à l'assurance légale, d'autre part, des contributions effectuées par les assurés dans un dispositif de prévoyance vieillesse facultatif. Concrètement, le développement des contrats d'épargne retraite affecte négativement l'évolution des pensions de base ;

- le « facteur de viabilité » qui reflète l'évolution du rapport de dépendance économique (c'est-à-dire du rapport entre le nombre de retraités et le nombre de cotisants). En pratique, lorsque ce rapport de dépendance économique se dégrade, la progression du salaire brut moyen n'est répercutée qu'en partie, limitant ainsi la revalorisation des pensions.

Ces deux facteurs, respectivement introduits en 2001 et 2004, ont pour effet de minorer l'évolution des pensions telle qu'elle résulterait uniquement de l'évolution du salaire brut moyen.

Malgré son caractère a priori automatique, le mécanisme de revalorisation des pensions n'a, en réalité, été appliqué stricto sensu qu'en 2007. Son application à la lettre aurait en effet conduit à une diminution des pensions. Il est cependant prévu que les retards pris dans l'application des mécanismes correctifs devront être rattrapés au cours des prochaines années.

Enfin, après une nouvelle hausse du taux de cotisations au 1er janvier 2007 - celui-ci s'établissant désormais à 19,9 % -, la « grande coalition » a décidé de relever progressivement l'âge de départ à la retraite de soixante-cinq à soixante-sept ans entre 2012 et 2029. L'âge légal de départ à la retraite sera augmenté d'un mois par an les douze premières années et de deux mois par an les six années suivantes. Le nouvel âge de soixante-sept ans s'appliquera donc aux personnes nées à partir de 1964.

La loi du 9 mars 2007 relevant l'âge légal maintient toutefois la possibilité de partir dès soixante-trois ans, dès lors que l'assuré justifie de trente-cinq années de cotisations mais avec une décote de 3,6 % par année manquante. Elle prévoit également des aménagements pour certaines catégories de population (salariés ayant effectué une longue carrière, handicapés lourds, accidentés du travail, mineurs de fond, etc.).

Selon les responsables de l'assurance retraite légale, les gains financiers de cette mesure pour le régime seraient faibles à moyen terme pour deux raisons :

- d'une part, étant donné le caractère très progressif de la réforme, une petite partie seulement des retraités auront réellement liquidé leur pension à soixante-sept ans d'ici 2030 ;

- d'autre part, le fait que les actifs travailleront plus longtemps va améliorer le ratio de dépendance qui, en conséquence, jouera d'autant moins à la baisse sur le niveau des pensions.

Les premiers effets financiers ne devraient donc être véritablement observés qu'à partir de 2040.

L'ensemble de ces réformes commence à porter ses fruits sur le plan financier puisque le régime de l'assurance légale est structurellement équilibré et dégage même chaque année des excédents. Ainsi, l'assurance retraite légale disposait, en 2008, d'environ 244 milliards d'euros de recettes pour 240 milliards de dépenses. Selon les projections de l'assurance retraite datant de 2008, les excédents attendus dans les prochaines années permettraient d'atteindre l'objectif fixé par la loi d'un niveau de réserves équivalent à un mois et demi de prestations retraite, puis d'amorcer une réduction des taux de cotisation à partir de 2012.

Il existe donc aujourd'hui un certain consensus en Allemagne pour estimer que le système est viable financièrement à moyen terme. Certes, la crise économique n'a pas permis, en 2009, d'augmenter les réserves, contrairement à ce qui était prévu, mais la bonne résistance du marché du travail allemand devrait préserver le volume des recettes de cotisations.

Au-delà des enjeux en termes de financement de l'assurance légale, la question de l'allongement de la durée de la vie active revêt une importance particulière dans une Allemagne confrontée à des perspectives démographiques sombres, qui risquent d'entraîner à l'avenir des problèmes de main-d'oeuvre pouvant, in fine, compromettre sa compétitivité.

Les pouvoirs publics ont donc mis en place, depuis quelques années, une politique dite de « vieillissement actif », dont l'objectif est d'augmenter le taux d'emploi des seniors et de mieux réintégrer les chômeurs âgés sur le marché du travail. Plusieurs mesures ont été prises dans ce sens : encouragement de la formation professionnelle continue pour les seniors, revalorisation de la subvention versée aux entreprises qui recrutent des travailleurs âgés, allégement de charges sociales, extinction progressive des dispositifs de départ anticipé, etc.

Cette politique volontariste conjuguée à un âge légal de la retraite assez élevé commence à produire ses effets puisque le taux d'emploi des seniors est passé de 44,9 % en 2005 à 55 % aujourd'hui.

Les syndicats ne contestent pas ces résultats encourageants mais font néanmoins valoir que le report à soixante-sept ans de l'âge légal de départ à la retraite est une mesure qui « n'a pas de sens », tant que les seniors continueront à avoir des difficultés à se maintenir dans l'emploi. De leur côté, les employeurs prennent progressivement conscience qu'ils doivent mettre en place des actions de formation personnalisée à destination de leurs salariés âgés.

Le report de l'âge légal de départ à la retraite a aussi soulevé la question de la pénibilité de certaines professions : appuyée par certains syndicats, une partie du SPD a fermement revendiqué des aménagements spécifiques pour les professions considérées comme pénibles, tels les couvreurs et les infirmières. Ces propositions se sont toutefois rapidement vu opposer une fin de non-recevoir au motif qu'elles étaient difficilement réalisables.

En contrepartie, la loi de 2007 a instauré un nouveau dispositif permettant aux assurés ayant effectué une longue carrière - plus de quarante cinq ans de cotisations - de partir à soixante-cinq ans sans décote.

Au vu de la difficulté à définir et mesurer la pénibilité du travail, les syndicats estiment préférable de ne pas classer les métiers selon leur degré de pénibilité, ce qui pourrait poser des problèmes d'ordre technique mais aussi engendrer des inégalités entre catégories de travailleurs. Ils plaident toutefois pour l'adaptation du dispositif de retraite anticipée pour incapacité de travail afin d'offrir davantage de protection, notamment aux travailleurs les plus fragiles. Ils insistent aussi sur la nécessité de prévenir la pénibilité en améliorant les conditions de travail.

M. Alain Vasselle, président de la Mecss, rapporteur. - La philosophie des réformes conduites au cours des dernières années soulève des interrogations sur le niveau des pensions. Il apparaît clairement que ces évolutions ont pour conséquence une diminution du taux de remplacement. Le taux de remplacement brut, qui était de 48 % en 2003, ne serait plus que de 39 % en 2030.

C'est pourquoi, la réforme de 2001 a mis l'accent sur l'épargne retraite en encourageant à la fois les retraites d'entreprise et l'épargne retraite individuelle, qui constituent les deuxième et troisième piliers du système. Pour tous les acteurs du secteur, cette réforme a marqué un changement de paradigme dans la conception du système de retraite allemand : jusqu'alors, on attendait du système de retraite légal qu'il offre à chaque assuré les moyens de subvenir à ses besoins pendant la retraite ; désormais, la pension de base doit être combinée aux deux autres piliers pour y parvenir.

Les retraites d'entreprise existent depuis plus de cent cinquante ans en Allemagne. Ces régimes, dont la mise en oeuvre a toujours été laissée au libre choix des entreprises elles-mêmes, ont connu leur apogée pendant les années soixante-dix mais déclinent depuis lors. La réforme de 2001 a donc tenté de les relancer : à la demande de leurs salariés, les entreprises doivent leur permettre de placer une partie de leur rémunération sur un dispositif de retraite d'entreprise assorti d'avantages fiscaux.

Cette faculté n'a pas entraîné de bouleversement spectaculaire : certes, le nombre de salariés bénéficiant d'une retraite d'entreprise a un peu augmenté - ils sont dix-sept millions aujourd'hui - mais les syndicats constatent le désengagement des entreprises, ce qui, combiné au plafonnement du taux de cotisations, marque une tendance forte à l'individualisation de la retraite.

La partie la plus intéressante de la réforme « Riester » de 2001 est celle qui concerne l'épargne retraite individuelle, troisième pilier du système de retraite. L'Allemagne a en effet mis en place un dispositif de subventionnement direct de l'épargne retraite assez original. Depuis cette réforme, tous les salariés qui cotisent directement à un plan de retraite agréé ont droit à une subvention, versée sur le compte d'épargne du bénéficiaire. Elle se compose d'un montant de base et d'un supplément par enfant.

Pour bénéficier du montant maximal de la subvention (154 euros par an), il faut placer 4 % de son salaire annuel brut sur un produit d'épargne retraite agréé. Une épargne inférieure donne droit à une prime proratisée à l'euro près. Le supplément par enfant s'élève à 185 euros par an et par enfant, et même à 300 euros pour ceux nés après 2008.

Les foyers les plus modestes bénéficient d'un régime dérogatoire qui leur permet d'obtenir le montant maximal de la prime en ne souscrivant que le minimum obligatoire de 60 euros par an, même s'il est inférieur à 4 % de leur revenu. Pour certains foyers, la subvention représente en conséquence 90 % de l'épargne constituée.

Une deuxième forme d'incitation consiste en des déductions du revenu imposable des sommes versées sur le produit d'épargne retraite. Ce système, qui est alternatif au précédent et plafonné à 2 100 euros par an, est généralement plus avantageux pour les salariés dont les revenus sont élevés.

Ce troisième pilier du système allemand a démarré assez timidement, notamment parce que le régime juridique des contrats était très complexe. Les conditions de certification des contrats ont été simplifiées et les avantages relatifs des produits d'assurance vie ont été supprimés, ce qui a permis une accélération du développement de l'épargne retraite « Riester ». Ainsi, à la fin de l'année 2009, treize millions et demi de personnes avaient souscrit un contrat, soit 30 % environ des quarante-trois millions d'actifs, ce qui est loin d'être négligeable pour un dispositif qui demeure purement facultatif. Il a coûté 2,5 milliards d'euros à l'Etat en 2009 au titre des subventions et 6,5 milliards depuis son entrée en vigueur.

Près de dix ans après sa création, le dispositif « Riester » fait encore l'objet de débats. Faute d'étude approfondie sur les personnes souscrivant ces contrats, la part de la population qui n'est couverte ni par une retraite d'entreprise ni par un dispositif « Riester » n'est pas connue avec précision. Les syndicats estiment que les salariés aux revenus les plus faibles ou dont la situation sur le marché du travail est la plus précaire restent à l'écart de ces contrats d'épargne retraite.

La principale interrogation concerne la capacité de ce système à compenser la diminution du taux de remplacement dans la retraite légale. Le ministère du travail publie régulièrement un tableau démontrant que cette compensation est bien assurée, mais à condition que chaque assuré utilise à plein le dispositif « Riester » pendant toute la durée de sa carrière, ce qui n'est naturellement pas le cas aujourd'hui. Dans ces conditions, l'efficacité des retraites « Riester » demeure débattue, mais ces produits sont de plus en plus utilisés par les Allemands, qui souhaitent profiter des avantages importants qui leur sont associés.

L'une des particularités du système allemand réside dans l'efficacité du dispositif d'information des assurés pendant leur vie active, beaucoup plus complet qu'en France : dès l'âge de vingt-sept ans, chacun reçoit un document annuel sur les règles de fonctionnement du régime de base de retraite, mais aussi les éléments relatifs à sa propre carrière et surtout trois estimations du montant futur de sa retraite de base en fonction de trois hypothèses d'évolution de ses revenus. Ces projections permettent de sensibiliser très tôt les salariés à l'utilité de compléter leur future pension légale en recourant aux dispositifs d'entreprise ou à l'épargne retraite individuelle. Périodiquement, ils reçoivent également le récapitulatif des éléments de carrière connus de l'assurance retraite, ce qui leur permet de signaler des erreurs pour obtenir des rectifications.

Ce dispositif implique l'envoi de trente-six millions de lettres aux assurés chaque année. Le ministère du travail et l'assurance retraite ont écarté l'hypothèse de création de comptes individuels en ligne, en raison de son coût et des difficultés de protection des données individuelles à l'égard de tiers.

L'information des assurés est donc meilleure que par le GIP Info retraite institué par la loi Fillon, mais il faut reconnaître que le nombre réduit de régimes d'assurance vieillesse a facilité la mise en place de ce droit à l'information en Allemagne.

Enfin, à ces courriers s'ajoutent un numéro unique de renseignement et l'accueil individuel des assurés dans l'un des soixante-dix centres de consultation sur la retraite. S'il leur est formellement interdit de conseiller les assurés sur des produits d'assurance complémentaire, individuels ou d'entreprises, il leur revient de les informer sur les régimes d'aide à l'épargne retraite individuelle.

Le déplacement de la Mecss à Berlin a été l'occasion de constater que le fameux consensus social allemand, souvent loué, a été écorné ces dernières années. La cogestion a sans doute facilité la réforme importante de 2001, mais les évolutions ultérieures ont été beaucoup moins concertées. Les échanges avec les représentants des syndicats, du patronat et du ministère fédéral des affaires sociales et du travail ont révélé de profondes divergences de vues entre les partenaires sociaux, en particulier sur la question du report de l'âge légal de départ décidé en 2007. Alors que les employeurs ont, dès l'origine, soutenu cette mesure, les syndicats continuent de la combattre avec force. Le seul consensus entre gouvernement et partenaires sociaux en matière de retraite porte actuellement sur l'emploi des seniors.

Le système allemand, sans être un modèle pour la France, est donc riche d'enseignements. Ses évolutions reposent sur une volonté, assumée par une population qui fait peu d'enfants, de ne pas transférer aux générations futures la charge des retraites d'aujourd'hui. Le recours à l'épargne retraite a pris, dans ce pays, une forme originale dans le souci d'en faire bénéficier la totalité de la population. Enfin, l'information donnée aux assurés sur les retraites y est beaucoup plus complète qu'en France, et c'est là un exemple à suivre.

Mme Catherine Procaccia. - Cet éclairage est intéressant mais je suis dubitative sur les enseignements que l'on pourrait en tirer.

Pourriez-vous préciser quel était l'âge légal de départ à la retraite en Allemagne avant que celui-ci ne passe de soixante-cinq à soixante-sept ans en 2007 ? Comment sont pris en charge les polypensionnés, c'est-à-dire ceux qui changent de régime de retraite de rattachement au cours de leur carrière : les artisans et professions libérales ont-ils le même système que les salariés et sont-ils moins pénalisés outre-Rhin qu'en France ? Enfin, le système de retraite allemand tient-il compte des carrières effectuées dans l'ex-RDA ou à l'étranger ? Je pense, entre autres, aux Hongrois, aux Polonais ou encore aux Français.

Pour terminer, permettez-moi une anecdote. Lors du dîner de clôture de la présidence espagnole de l'Union européenne auquel j'assistais en tant que vice-présidente de la commission, nos collègues présidents de commission parlementaire m'ont interrogée sur les raisons de la grève du 24 juin. « Le report de l'âge légal de la retraite de soixante à soixante-deux ans », leur ai-je répondu. J'ai fait rire tout le monde ! Des Hollandais en passant par les Lituaniens et les Allemands, jusqu'aux Roumains, qui songent, eux, modestement à porter l'âge de départ à la retraite de soixante-deux à soixante-quatre ans. L'âge moyen de départ à la retraite est en moyenne de soixante-quatre à soixante-cinq ans en Europe et certains envisagent de l'allonger à soixante-sept ou soixante-neuf ans pour pérenniser leur système de retraite.

M. Jacky Le Menn. - La comparaison avec l'Allemagne, le pays avec lequel nous avons le plus d'affinités commerciales et économiques, n'est pas sans intérêt. Néanmoins, comparaison n'est pas raison : outre que leur population vieillissante est en déclin - ce qui n'est pas notre cas -, il n'existe pas de régimes complémentaires obligatoires. Le but avoué de la réforme allemande est d'assurer l'équilibre financier du système en diminuant le niveau des pensions. D'où l'opposition des partenaires sociaux. L'implication forte des régions dans le financement des retraites constitue-t-elle un élément à importer en France ? Enfin, les Allemands n'ont pas résolu les problèmes de l'emploi des seniors et de la pénibilité. En bref, l'exemple allemand ne constitue pas une solution toute faite, notamment sur le report de l'âge légal de départ à la retraite, combattu à juste titre dans notre pays. D'autant qu'il ne permet pas de réaliser les économies globales nécessaires à la pérennisation du système de retraite par répartition.

M. Alain Gournac. - Les cultures allemandes et françaises sont profondément différentes : imaginez la stupéfaction d'un Français de vingt-sept ans recevant une information sur la retraite qu'il prendra à soixante-sept ans. Les jeunes Allemands, au contraire, sont intéressés car ils doivent prendre des décisions très tôt. Pourquoi cependant, les centres d'information sur la retraite ne peuvent-ils donner des informations sur les produits d'épargne retraite individuelle ? Gardons-nous de porter au pinacle le système à l'allemande, il n'est pas parfait. Quid de leur politique nataliste ? Augmenter la subvention à l'épargne retraite pour chaque enfant va-t-il suffire ? Enfin, quel était le système de retraite en Allemagne de l'Est ? Et que s'est-il passé au moment de la réunification ?

Mme Gisèle Printz. - Le système de retraite allemand comporte-t-il des dispositions spécifiques pour les femmes ?

Mme Isabelle Debré. - En somme, l'Allemagne est passée progressivement à un mix intégrant le système par points, lequel a la faveur de la Suède. Pour moi, l'important est que les Allemands, qui sont d'ailleurs très intéressés par notre système de participation, d'intéressement et d'épargne, ont cherché à faciliter la retraite par capitalisation. Les Français sont prêts à emprunter cette voie complémentaire tant ils savent que leur retraite ne sera pas celle attendue. Pour preuve, les plans d'épargne pour la retraite collectifs (Perco) qui ont bondi de 49 % fin 2009 pour un encours aujourd'hui de l'ordre de 2,7 milliards. Je regrette que l'on n'ait pas exploré cette piste dans la réforme des retraites. A titre personnel, je déposerai à ce sujet des amendements au projet de loi de finances.

Mme Christiane Demontès, rapporteure. - En Allemagne, l'âge légal de départ à la retraite a été porté à soixante-cinq ans à partir de 1992, pour tous. Auparavant, il était de soixante-trois ans pour les hommes et de soixante ans pour les femmes. Le report de soixante-cinq à soixante-sept ans, décidé en 2007, s'étale sur une période très longue, j'insiste sur ce point. Le cas des polypensionnés pose moins de problèmes outre-Rhin, car le nombre des régimes de retraite y est beaucoup plus réduit qu'en France. La mission n'a pas creusé la question de la prise en compte des carrières étrangères. En revanche, nous savons que le niveau des pensions demeure inférieur dans les Länder de l'ex-RDA.

J'indique à Jacky Le Menn qu'il n'est pas question de « modèle allemand », mais de repérer les bonnes et les mauvaises idées à l'étranger. J'ai, pour ma part, été très frappée par le sentiment de culpabilité des Allemands vis-à-vis des générations futures en raison de leur déclin démographique.

Mme Isabelle Debré. - Pourquoi ce déclin ?

Mme Christiane Demontès, rapporteure. - Les Allemands n'ont rien fait pour encourager les femmes à travailler et à avoir des enfants. De l'organisation de la petite enfance jusqu'à celle de l'école, tout concourt à privilégier la garde de l'enfant à la maison par sa mère. Certes, l'Etat fédéral et certains Länder s'interrogent sur la construction d'équipements de garde collective. Mais le coût sera élevé, d'autant qu'ils partent de rien. Résultat, les femmes qui travaillent, pour la plupart, n'ont pas l'intention d'avoir des enfants.

Mme Isabelle Debré. - Il serait intéressant de disposer de statistiques plus précises sur la population active féminine. L'avantage lié à la naissance des enfants bénéficie-t-il aux femmes ?

Mme Christiane Demontès, rapporteure. Plutôt aux familles ! Mais il existe un système de majoration.

M. Alain Gournac. - Les Allemands ont retiré aux femmes les trois ans d'avantage en termes de durée de cotisations, ils n'ont ni crèche ni système de garde d'enfants en entreprise.

M. Alain Vasselle, président de la Mecss, rapporteur. - Les subventions à l'épargne retraite individuelle ne sont pas accordées par les Länder mais par l'Etat fédéral.

Parmi les enseignements à tirer du système allemand, il y a notamment l'information des assurés très en amont, dès l'âge de vingt-sept ans.

Les Allemands savaient que leur système de retraite par répartition ne pourrait assurer de manière pérenne un taux de remplacement acceptable pour les futurs retraités. Ils ont donc imaginé ce troisième pilier, accessible même aux personnes à revenus modestes grâce aux subventions.

Sommes-nous certains que le système de retraite par répartition assurera à nos enfants et petits-enfants un pouvoir d'achat équivalent à celui des retraités actuels ? Si tel n'est pas le cas, il faut réfléchir dès aujourd'hui, parallèlement aux réformes paramétriques, à une réforme systémique, par exemple celle du basculement vers un système de retraite par points d'ici vingt ans, que le précédent rapport de la Mecss a envisagé. A moins d'une croissance soutenue du Pib, la progression des retraites risque d'être freinée : il faudra donc qu'elle soit complétée par des revenus autres que ceux des retraites complémentaires, elles-mêmes confrontées à des réformes douloureuses, à l'instar de l'Agirc-Arrco. Sans nécessairement reproduire le système allemand, il faut commencer à réfléchir à une réforme plus structurelle.

En Allemagne, le passage de l'âge légal de départ de soixante-cinq à soixante-sept ans a provoqué la fin du consensus entre les partis politiques et les partenaires sociaux, d'autant que les résultats financiers ne semblent pas devoir être à la hauteur des espérances. C'est pourtant le report de l'âge légal à soixante-cinq ans, en 1992, qui a permis au système de dégager un léger excédent. Nous n'échapperons pas au report de l'âge légal : de nouvelles ressources ne feraient que repousser l'échéance...

M. Jacky Le Menn. - Une véritable réforme systémique à l'horizon de quinze ou vingt ans exigera un consensus, car elle devra être portée par l'ensemble de la société. On ne peut pas passer en force.

M. Alain Vasselle, président de la Mecss, rapporteur. - Il faudrait travailler à l'horizon 2030-2040, non à l'horizon 2020, ce qu'envisage notre future réforme. On ne pourra agir uniquement sur les paramètres : il faut se préparer à une réforme plus structurelle.

Mme Christiane Demontès, rapporteure. - Notre rapport souligne qu'il faut y travailler dès maintenant, sans attendre 2020.

M. Jacky Le Menn. - On ne peut se permettre de perdre vingt ans.

Mme Christiane Demontès, rapporteure. - Pour répondre à Isabelle Debré, le taux d'emploi des femmes de moins de vingt-quatre ans est de 30 % en France, contre 48 % en Allemagne ; celui des femmes de vingt-cinq à quarante-neuf ans est identique, soit 80 % dans les deux pays ; celui des cinquante - cinquante-neuf ans, de 60 % en France contre 69 % en Allemagne. La différence essentielle tient au fait que les femmes qui travaillent n'ont pas d'enfant : je l'ai dit, le taux de fécondité y est de 1,38, contre 2,01 chez nous.

Sans être un modèle, le système allemand mérite qu'on s'y intéresse. Sa principale réussite est d'avoir pu porter le taux d'emploi des seniors de 45 % à 55 % en quelques années, ce que nous ne sommes pas parvenus à faire encore.

Mme Isabelle Debré. - En France, nous avons aussi augmenté le taux d'emploi des cinquante - cinquante-cinq ans, certes dans une moindre mesure. C'est la tranche d'âge suivante qui reste à l'écart du marché du travail, ce qui s'explique pour partie par la proximité de l'âge légal de départ de soixante ans.

La Mecss adopte le rapport d'information, dont la commission autorise la publication.

Nomination d'un rapporteur

La commission désigne ensuite Alain Vasselle, rapporteur général, comme rapporteur du projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale, sous réserve de son adoption en Conseil des ministres et de son dépôt.