Allocution du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
à la mémoire du Général de Gaulle
(Brazzaville, Square Charles de Gaulle, le 29 mars 2024)

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Ministre de la Défense,
Monsieur le Vice-président du Sénat,
Madame l’Ambassadrice de France,
Monsieur le Haut-commissaire aux vétérans et aux victimes des conflits armés,
Messieurs les Maires d’arrondissement,
Mesdames et Messieurs,

1940 - 1944 - 2024 : à Brazzaville, loin de Paris, mais si proche par les liens de l’histoire, de ce square De Gaulle s’élève la clameur toujours retentissante de la France libre !

La clameur du manifeste de Brazzaville du 27 octobre 1940 : lorsque la France libre a renoué avec la France. En consacrant le ralliement au Général de Gaulle de l’Afrique équatoriale française d’alors, le manifeste de Brazzaville constitue un tournant militaire et politique déterminant. Un tournant moral plus encore.

Avec Brazzaville pour capitale, la France libre, qui se réduisait à un quartier de Londres, n’est plus seulement l’hôte de l’Angleterre. Elle redevient une Nation, avec un territoire, des populations ; elle retrouve un destin ; elle se reprend à espérer.

Le manifeste de Brazzaville donne toute sa résonnance à l’appel du 18 juin 1940. Le coup d’éclat de la parole se mue, ici, en puissance incontournable et en force qui marche.

En 1944, à Brazzaville, la voix du Général de Gaulle se fait à nouveau entendre. Conscient que la France aurait sombré sans le ralliement de Brazzaville, sans l’Afrique et le sacrifice de nombre d’Africains, le Général revient sur les lieux d’où tout est parti. Alors que la France subit encore le joug de l’occupation, il prononce son célèbre discours. Nous sommes le 30 janvier 1944, tout près de ces lieux.

Le Général de Gaulle, lui, a compris que les temps ont changé ; il sait que l’apport des Africains à la Libération oblige la France et la conduit à accompagner les aspirations de ceux qui, à leur tour, se préparent à prendre en mains leur destin. Fini le code de l’indigénat. Si le discours de Brazzaville n’est pas l’indépendance, il est parcouru par son souffle annonciateur !

En contribuant à la libération de la France et de l’Europe, les Africains se sont aussi libérés. Ils n’ont pas mené une guerre qui leur était étrangère : les Nazis refusaient aux Africains combattants jusqu’aux honneurs rendus aux guerriers, rasant les monuments aux morts des seuls soldats africains. Pire : mettant à part et massacrant les soldats africains qui les avaient défiés, comme ce fut le cas à Chasselay près de Lyon.

Ou torturant pendant plusieurs heures, sans succès, ceux qui comme Jean Moulin, alors Préfet d’Eure-et-Loir, ont tenté de s’interposer et refusé de condamner des pires crimes, des soldats africains qui n’avaient fait que résister vaillamment. À bout de force, mais refusant de « dire des choses contraires à l’honneur » contre les Africains, comme il l’écrit à sa mère et à sa sœur, Jean Moulin, désespéré, tente de se suicider.

Mesdames et Messieurs, la souffrance et le sang humain n’ont pas de couleur de peau.

Le Général de Gaulle avait raison de déclarer à Brazzaville que la guerre avait un enjeu : « Ni plus ni moins la condition de l’Homme ».

Qui mieux qu’un descendant d’esclave, ayant gravi tous les échelons de l’administration française, eût pu comprendre la sourde lutte qui se jouait alors entre un « Ordre nouveau » fait de racisme et d’asservissement, et les « chemins nouveaux » qu’entrouvrait la France ?

Je tiens donc à associer à cet hommage le gouverneur général Felix Éboué. Il a toute sa place dans le Panthéon partagé de nos grands hommes.

En ces lieux, je tiens à associer également l’Amiral Philippe de Gaulle, qui vient de nous quitter : croix de guerre 1939 – 1945, il fut le 1er compagnon du Général de Gaulle, son père.

Alors que nous nous apprêtons cette année à commémorer le 80e anniversaire des Débarquements en Normandie et en Provence, j’ai voulu ici à Brazzaville contribuer à réparer ce qui est parfois perçu comme une injustice : le point de départ ne s’est pas écrit sur les côtes normandes ou provençales ; il est venu, pour la France, du cœur de l’Afrique.

J’ai voulu rappeler, avec solennité, combien Brazzaville a compté dans ce que furent deux des entreprises les plus marquantes du siècle écoulé : la victoire sur le nazisme ; l’avènement des indépendances.

J’ai voulu rappeler combien le rôle de Brazzaville mérite d’être mieux connu et reconnu.

Et combien Brazzaville a acquis sa place, en lettres capitales, non seulement dans l’histoire de la France, de l’Europe ou de l’Afrique, mais dans l’histoire de la Liberté.

Vive la France libre ! Vive la France, et vive le Congo !