COM(2023) 776 FINAL  du 11/12/2023

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 15/12/2023


Proposition de décision du Conseil établissant la position à prendre, au nom de l'Union européenne, au sein de la 13e Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce, concernant l'adhésion de la République démocratique du Timor-Oriental à l'OMC

COM(2023) 776 FINAL - Texte EE18435

Compte rendu de la réunion de la commission des affaires européennes du 8 février 2024

Politique commerciale - Prochaine conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce : communication de MM. Alain Cadec et Didier Marie

M. Jean-François Rapin. - Nous poursuivons nos travaux avec un sujet qui n'est pas très éloigné, puisqu'il concerne lui aussi les échanges commerciaux : il s'agit de la préparation de la prochaine conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Nos collègues Alain Cadec et Didier Marie vont nous présenter son ordre du jour et ils nous amèneront, eux aussi, à nous interroger sur les mécanismes de règlement des différends et d'arbitrage entre investisseurs et États qui sont souvent méconnus mais pourtant porteurs d'enjeux souvent très lourds pour les États. Je leur laisse la parole.

M. Didier Marie. - Nous associons à cette communication notre collègue François Bonneau, qui ne pouvait être présent ce matin. Notre commission a été saisie de quatre propositions de décisions du Conseil1(*) sur les positions à prendre, au nom de l'Union européenne, au sein de la 13e Conférence ministérielle de l'OMC, qui aura lieu du 26 au 29 février, à Abou Dhabi.

Disons-le d'emblée, ces projets de décisions ne présentent guère d'intérêt en eux-mêmes, puisque la position proposée pour l'Union consiste à « adhérer au consensus dégagé entre les membres de l'OMC en vue d'adopter des décisions ». Nous considérons donc qu'il n'y a pas lieu de proposer de résolution européenne.

En revanche, examiner ces textes nous permet d'apporter un éclairage utile sur les négociations en cours à l'OMC. Pour préparer cette communication, nous avons auditionné le délégué permanent de la France auprès de l'OMC, M. Etienne Oudot de Dainville. Nous nous sommes également appuyés sur les informations dont nous disposons sur les travaux en cours au Conseil.

Si l'on en croit les sujets identifiés dans les propositions de décisions, cette conférence ministérielle de l'OMC pourrait adopter des décisions concernant 17 points, listés à l'écran2(*). En réalité, les propositions de décisions couvrent tous les champs susceptibles de faire l'objet d'un accord. Il est très peu probable qu'un accord définitif soit trouvé sur l'ensemble de ces dossiers. De bonnes surprises sont naturellement toujours possibles. La 12e conférence ministérielle de l'OMC, qui s'était tenue à Genève en juin 2022, avait été un succès, à la surprise quasi générale.

Plusieurs décisions opérationnelles avaient alors été adoptées, notamment concernant les vaccins contre la covid-19 ou un accord sur les subventions à la pêche fixant de nouvelles règles mondiales pour réduire les subventions préjudiciables et protéger les stocks mondiaux de poissons, tout en tenant compte des besoins des pêcheurs des pays en développement et des pays les moins avancés. L'OMC soulignait à cet égard qu'il s'agissait du premier accord de l'organisation ayant pour clé de voûte la durabilité environnementale.

La 12e réunion ministérielle s'était également soldée par un soutien à la perspective de réforme de l'OMC, mais aussi par le lancement d'une coalition des ministres du commerce pour le climat. Faut-il attendre de nouvelles avancées importantes dans le cadre de la 13ème conférence ministérielle ? C'est difficile à évaluer aujourd'hui, tant les conférences de ce type se dénouent à la dernière minute.

Nous n'allons pas traiter dans le détail de l'ensemble des sujets évoqués dans les propositions de décisions du Conseil mais nous souhaitons mettre en lumière quelques points.

Le premier sujet, majeur pour l'Union européenne, concerne l'organe de règlement des différends. Le 23 janvier dernier, le commissaire européen chargé du commerce, Valdis Dombrovskis, a affirmé que l'Union européenne « a un intérêt fondamental à ce que l'OMC soit forte et réformée, afin qu'elle puisse répondre efficacement aux défis et aux enjeux commerciaux du 21e siècle », en soulignant que « les règles actuelles de l'OMC, qui régissent toujours la majeure partie du commerce mondial, sont notre meilleur garde-fou contre la fragmentation de l'économie mondiale ».

Dans cette perspective, il a formé le voeu que la conférence ministérielle d'Abou Dhabi « aboutisse à une réforme du règlement des différends ou, au moins, à ce qu'elle nous rapproche de cet objectif et nous offre une perspective claire pour trouver une solution ». Nous ne pensons pas qu'un accord formel soit possible à ce stade.

Certes, par rapport à la période de présidence de Donald Trump, les États-Unis se montrent plus ouverts et ne bloquent plus le fonctionnement de l'OMC. Ils participent aux réunions et n'agitent plus la menace de sortie de l'organisation. Pour autant, les fondamentaux de l'analyse américaine en matière de politique commerciale, et tout particulièrement s'agissant de l'organe d'appel du mécanisme de règlement des différends, n'ont pas varié. Les États-Unis continuent de paralyser l'organe d'appel en ne nommant pas de juges et n'ont pas affiché de volonté de trouver un accord pour le rétablir.

Les États-Unis acceptent de participer à des négociations informelles sur l'organe de règlement des différends. Des discussions intéressantes ont ainsi pu avoir lieu pour améliorer le fonctionnement des groupes spéciaux ou « panels », qui constituent la première instance de l'organe de règlement des différends. Des négociations substantielles ont été menées sur plusieurs points importants, comme les conditions de nomination des membres des panels, sur les enjeux de formation ou encore sur l'accessibilité du mécanisme de règlement des différends, qui reste problématique pour de nombreux pays africains. Néanmoins, on ne traite pas là du volet le plus complexe et le plus bloquant pour l'Union européenne, à savoir l'organe d'appel. Améliorer la première instance sans apporter de remède de fond au blocage de l'appel n'aurait guère de sens.

En outre, tout ceci reste à un stade informel. Pour envisager un accord en bonne et due forme à Abou Dhabi, il faudrait passer à des comités formels de négociation, qui supposeraient une plus grande implication du Congrès des Etats-Unis. Or, dans le contexte électoral intérieur, une ouverture en matière commerciale, surtout de ce niveau-là, paraît totalement exclue.

Rappelons que les États-Unis et l'Union européenne ne sont pas parvenus, en décembre dernier, à trouver une solution pérenne concernant le différend sur l'acier et l'aluminium. On se souvient qu'au nom d'une prétendue menace sur la sécurité nationale, le Président Donald Trump avait eu recours à la « section 232 » du Trade Expansion Act et imposé en 2018 des droits de douane élevés sur les importations d'acier et d'aluminium européens, fixés à 25 % pour l'acier et à 10 % pour l'aluminium. En contrepartie, l'Union avait instauré des droits sur certains produits américains, comme le bourbon ou les motos Harley-Davidson.

Un accord provisoire avait pu être trouvé en 2021 pour suspendre ces droits mais il prenait fin à la fin du mois de janvier 2024. Aucun accord pérenne n'a pu être trouvé mais la trêve commerciale a pu être prolongée jusqu'au 31 mars 2025. Ce sera donc l'un des premiers dossiers commerciaux épineux du prochain Président des États-Unis...

Au regard des propos de Valdis Dombrovskis, on peut donc s'attendre à conserver un processus actif de négociation, plus qu'à déboucher sur la réforme de l'organe d'appel que l'Union européenne appelle de ses voeux.

D'après les données qui nous ont été communiquées, 22 rapports de panels ont fait l'objet « d'appels dans le vide » depuis que l'organe d'appel a cessé de fonctionner. L'Union européenne a bien proposé un système d'appel provisoire mais il ne concerne qu'une dizaine d'États membres de l'OMC et n'a que très peu été mis en oeuvre concrètement.

On remarque toutefois qu'à ce stade, d'après les informations qui nous ont été communiquées, les États-Unis n'ont pas fait « appel dans le vide » dans des dossiers les opposant à l'Union européenne.

Parmi les contentieux en cours en première instance au niveau de l'OMC, on peut mentionner trois dossiers dans lesquels l'Union européenne est à l'offensive :

- les exportations d'olives espagnoles vers les États-Unis : l'Union européenne a contesté l'imposition par les États-Unis de droits antidumping et compensateurs visant les olives mûres provenant d'Espagne. Un groupe spécial a reconnu en décembre 2021 que les États-Unis avaient adopté des mesures contraires aux règles de l'OMC. Les États-Unis estiment aujourd'hui s'être mis en conformité avec leurs obligations mais l'Union européenne le conteste et a demandé, en juillet 2023, la constitution d'un groupe spécial pour apprécier cette mise en conformité ;

- deux différends avec la Chine concernant des restrictions commerciales visant la Lituanie et l'entrave à des recours en justice des entreprises européennes sur leurs brevets.

Je veux également mentionner un différend avec l'Inde concernant les droits de douane qu'elle a imposés sur les produits des technologies de l'information et de la communication. L'Inde a perdu devant le groupe spécial mais elle a tout récemment décidé de faire appel dans le vide.

L'Union européenne se trouve par ailleurs en position défensive dans d'autres dossiers. On peut citer :

- les litiges avec l'Indonésie et la Malaisie concernant la décision de l'Union d'interdire l'incorporation d'huile de palme dans les biocarburants d'ici à 2030 : les rapports des groupes spéciaux devraient être rendus assez rapidement ;

- un litige avec l'Indonésie concernant les droits compensateurs et droits antidumping imposés par l'Union visant les produits plats laminés à froid en aciers inoxydables en provenance d'Indonésie : le groupe spécial a été constitué en septembre 2023 et ne devrait pas rendre son rapport avant fin 2024 ;

- un troisième litige avec l'Indonésie concernant le biodiesel importé de ce pays, l'Union considérant qu'il bénéficiait de subventions à la production d'huile de palme : le panel a été établi le 27 novembre 2023 mais n'est pas encore constitué. Il n'y aura donc vraisemblablement pas de décision avant la fin de l'année 2024.

Enfin, on remarquera que les contentieux opposant l'Union européenne à la Russie sont à ce stade gelés, l'Union ne souhaitant pas en discuter dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Pour prendre un exemple très concret, l'Union européenne avait initié une procédure à l'encontre de la Russie pour contester des mesures favorisant les produits et services nationaux fournis par des entités nationales par rapport aux produits et services étrangers fournis par des entités étrangères. Le groupe spécial qui avait été mis en place a suspendu ses travaux, à la demande de l'Union européenne, le 8 mars 2022, quelques jours après l'invasion russe en Ukraine, et il est devenu caduc le 8 mars 2023.

M. Alain Cadec. - Le deuxième sujet important que nous souhaitons évoquer ce matin concerne la pêche. 56 États, dont les 27 membres de l'Union européenne, ont accepté l'accord conclu lors de la 12e conférence ministérielle de l'OMC, qui nécessite toutefois une ratification par les deux tiers des membres de l'Organisation pour entrer en vigueur. L'accord de juin 2022 interdit les subventions à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, les subventions à la pêche des stocks surexploités, ainsi que les subventions à la pêche en haute mer non réglementée.

Il prévoit également la prise de mesures additionnelles afin d'aboutir à un accord complet sur la pêche, si possible lors de la 13e conférence ministérielle. Or ces négociations, qui portent notamment sur les conditions requises pour pouvoir accorder des subventions à la pêche en vue de renforcer la durabilité, s'avèrent difficiles. L'Union européenne considère que la politique commune de la pêche (PCP), par le système de gestion de la ressource halieutique qu'elle impose, est pleinement conforme à cet objectif. Toutefois, certains membres de l'OMC critiquent la PCP et demandent que des règles plus contraignantes s'appliquent aux États qui pêchent et subventionnent beaucoup.

Le deuxième sujet de négociation concerne le traitement spécial et différencié, les pays les moins avancés demandant des mesures ambitieuses en leur faveur. La cible 14.6 des Objectifs de développement durable des Nations Unies précise que « l'octroi d'un traitement spécial et différencié efficace et approprié aux pays en développement et aux pays les moins avancés doit faire partie intégrante des négociations sur les subventions à la pêche menées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce ».

Les pays les moins avancés soutiennent une approche permettant de les exonérer largement des efforts de gestion des ressources en prônant un seuil de minimis de pourcentage des captures mondiales, en-dessous duquel le régime d'interdiction des subventions à la pêche prévu par l'accord de 2022 ne s'appliquerait pas, cumulable avec une période de transition qui aurait le même effet. L'Union européenne soutient plutôt une approche selon laquelle, au-delà du seuil de 0,8 % des captures mondiales de poissons, les États concernés seraient soumis au régime d'interdiction des subventions prévu par l'accord de 2022.

Celui-ci prévoit déjà des mesures facilitantes pour les pays en voie de développement : « clause de paix », modération de l'approche vis-à-vis des pays les moins avancés, régime de notification allégé en-dessous du seuil de captures mondiales de 0,8 % et assistance technique pour mettre en oeuvre l'accord.

Le troisième gros sujet de négociation concerne les accords bilatéraux de pêche avec les pays en voie de développement. On observe une offensive des pays africains pour interdire de tels accords, ce qui place l'Union européenne dans une position défensive, de même que la Chine et la Russie.

Les négociations d'ensemble sur ce volet relatif à la pêche sont donc délicates et la capacité à aboutir d'ici la fin février apparaît incertaine, sinon improbable. On observe également, sans surprise, des sensibilités différenciées des États de l'Union européenne en fonction de leur exposition interne à ce sujet.

M. Didier Marie. - Le troisième grand bloc de négociations porte sur les questions agricoles. Les crispations sont nombreuses en la matière et l'ambition paraît plutôt être de parvenir à des orientations politiques de travail sur ce volet qu'à un accord abouti. Le président turc de l'organe de négociations sur les questions agricoles a bien mis en circulation, le 30 janvier dernier, un projet de texte devant servir de base aux négociations, mais il a été assez franc en déclarant qu'il était temps « de se concentrer sur ce qui est réalisable à la CM13 et d'ouvrir la voie à un résultat plus concret à la CM14 ».

Parmi les points qui font l'objet de débats, on citera notamment les enjeux d'accès aux marchés et les subventions. L'Inde, soutenue par les pays du G90 (alliance des pays les plus pauvres), plaide pour des subventions de stockage public de denrées alimentaires à des fins de sécurité alimentaire, ce qui suscite notamment l'opposition des États du groupe de Cairns. Le risque est bien entendu que, sous couvert de subventions pour stockage public, on assiste à des mesures de dumping. L'enjeu des différentes négociations pour l'Union est de préserver la boîte verte de la PAC, calibrée pour être « non distorsive » au regard des critères de l'OMC.

Je n'évoquerai que brièvement l'enjeu de l'accompagnement des pays qui sortent de la catégorie des pays les moins avancés (PMA). Cette catégorie qui comprend 45 pays aujourd'hui a été établie en 1971 pour réunir les pays en développement caractérisés par un faible niveau de revenu, des obstacles structurels à la croissance et la nécessité de mesures particulières pour traiter ces problèmes. Quinze pays sont en voie de sortir de cette catégorie des PMA.

Les négociations sont évidemment intenses. Elles portent pour l'essentiel sur trois points demandés par les pays les moins avancés, qui réclament « une transition sans heurt et durable », conformément à la résolution 67/221 adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 21 décembre 2012. Ils souhaitent ainsi obtenir :

- la prolongation, pour une période appropriée, des dispositions relatives au traitement spécial et différencié figurant dans un certain nombre d'accords et de décisions spécifiques de l'OMC ;

- une transition permettant d'éviter le recours au mécanisme de règlement des différends pendant une période appropriée ;

- et enfin, la garantie, pendant une certaine période, d'un accès continu à tous les programmes et installations d'assistance technique et de renforcement des capacités spécifiques à la catégorie des PMA fournis dans le cadre du système de l'OMC.

Je souhaite en revanche évoquer trois autres sujets qui m'apparaissent très sensibles.

Le premier concerne la prorogation du moratoire sur les droits de douanes applicables au commerce électronique, qui représente un enjeu important pour la stabilité du cadre douanier. Reconduit tous les deux ans depuis 1998, ce moratoire est de plus en plus contesté par l'Inde, l'Afrique du Sud et l'Indonésie, à la fois pour des raisons de fond et pour des motifs de stratégie globale de négociation au sein de l'OMC.

Une très vaste majorité de membres de l'OMC, dont l'Union européenne, souhaite proroger ce moratoire mais certains pays en voie de développement veulent le réguler.

Un rapport de l'OCDE publié en octobre 2023 conclut que les implications potentielles du moratoire sur les recettes fiscales sont faibles, s'élevant en moyenne à 0,68 % des recettes douanières totales. Un rapport conjoint de l'OMC, du FMI, de la Banque mondiale et de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement aboutit à des conclusions similaires concernant l'effet minime de ce moratoire sur les recettes fiscales des États.

L'OCDE plaide en faveur de la reconduction du moratoire, considérant que son non-renouvellement entraînerait une plus grande incertitude politique ainsi qu'une diminution des échanges, et que les droits de douane sur les transmissions électroniques réduiraient la compétitivité. L'OCDE précise que les effets négatifs seraient plus prononcés pour les pays à faible revenu et les petites entreprises. Néanmoins, si l'Inde, l'Afrique du Sud et l'Indonésie persistent dans leur opposition, le moratoire pourrait tomber, ce qui soulèverait un certain nombre de difficultés à résoudre.

Deux autres sujets créent des frictions.

Le premier concerne la dérogation à la protection conférée par l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Lors de la 12e conférence ministérielle, en 2022, un accord avait été trouvé pour permettre aux membres de l'OMC de prendre des mesures directes afin de diversifier la production de vaccins contre la covid-19 et de passer outre à l'effet exclusif des brevets au moyen d'une dérogation ciblée limitée dans le temps.

La question de l'élargissement de l'extension éventuelle de cette dérogation temporaire à la production et à la fourniture d'outils de diagnostic et de traitements contre la covid-19 devait ensuite être étudiée dans la perspective de la 13e conférence. À ce stade, les négociations sont bloquées et aucun accord ne se dessine en vue d'une telle extension. Certains États, comme l'Afrique du Sud, pourraient utiliser ce sujet comme un élément de pression politique.

Le second sujet concerne l'approche environnementale développée par l'Union européenne. On sait que la 13e conférence ministérielle donnera lieu à des débats intenses sur les conditions de concurrence équitable, le « level playing field », notamment concernant le volet industriel. Ce sera également le cas concernant la prise en compte des enjeux climatiques dans le commerce international, dans le prolongement de la mise en place d'une coalition des ministres du commerce pour le climat, qui rassemble aujourd'hui 59 États.

Il apparaît clairement et sans surprise que certaines mesures adoptées récemment par l'Union européenne, en particulier le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et l'instrument de lutte contre la déforestation, sont mal perçues par un certain nombre d'États, et parfois mal comprises. La Commission européenne doit faire preuve de davantage de pédagogie pour les expliquer.

De nombreux États considèrent que, sous couvert de lutte contre le changement climatique et de défense de l'environnement, l'Union européenne adopte une approche « néo-coloniale » en matière de commerce. Les déclarations du Président brésilien dans le cadre des négociations sur l'accord avec le Mercosur reflétaient d'ailleurs assez largement cette approche. Il faut y prendre garde car cela alimente un discours politique à l'encontre de l'Union européenne dont certains rivaux ne manquent pas de se servir.

Voici donc en quelques mots notre perception des enjeux de cette conférence ministérielle. En dépit des difficultés, des lourdeurs et du temps d'aboutissement parfois extrêmement long, l'OMC demeure une organisation multilatérale qui fonctionne et à laquelle l'Union européenne attache une grande importance.

On ne peut également qu'être frappé par les stratégies très virulentes déployées par des pays comme l'Inde ou l'Indonésie. Cela doit nous faire réfléchir alors que l'Union européenne est engagée dans des négociations en vue de conclure un accord commercial avec ces deux États.

Enfin, au regard des tensions que l'on perçoit, il nous semble que notre commission devrait approfondir au cours des prochains mois son analyse sur les enjeux liés à la sécurité économique de l'Union.

M. Alain Cadec. - Il est clair qu'une réforme de l'OMC est nécessaire et qu'elle doit évoluer concernant les clauses miroirs, mises en avant par le gouvernement français au moment de la présidence française du Conseil, auxquelles l'organisation s'oppose aujourd'hui au motif qu'il s'agirait d'une distorsion de concurrence.

Mme Audrey Linkenheld - Après avoir entendu les deux communications concernant le traité sur la charte de l'énergie et l'OMC, je crois que nous devons cesser d'être policés sur ces sujets. Nous sommes à quelques mois d'élections européennes qui seront importantes. Les populismes peuvent prospérer sur les dérives du libre-échange. Le libre échange présente de très forts inconvénients et ne justifie pas tout. Nos travaux doivent le montrer. Il faut aussi accepter de ne pas signer des accords qui ne nous conviennent pas car ils sont trop déséquilibrés. Je pense au Mercosur mais je repense également aux négociations qui avaient lieu en vue d'un partenariat transatlantique de commerce et d'investissement. Cela renvoie à la fois aux enjeux concernant les négociations entre les États et la manière de traiter les différends entre les États et les acteurs privés. Cela ne signifie pas refuser tout commerce international mais il faut poser des limites.

M. Pierre Cuypers. - Je souhaiterais avoir des précisions sur les différends avec l'Indonésie concernant les importations d'huile de palme et de biocarburants.

M. Didier Marie. - Nous pourrons vous transmettre une note plus précise sur ces sujets, qui portent à la fois sur les distorsions de concurrence liées au soutien apporté par l'Indonésie au soutien à la production d'huile de palme et sur les décisions prises par l'Union européenne en matière de lutte contre la déforestation, lesquelles prévoient notamment l'interdiction progressive d'incorporation d'huile de palme dans les biocarburants.

Cela me permet à nouveau de souligner la grande sensibilité de l'action de l'Union européenne en matière de lutte contre la déforestation, qui entre en conflit en l'espèce avec les pratiques indonésiennes.

Mme Florence Blatrix Contat. - On voit bien, malgré tout, que l'OMC ne fonctionne plus très bien depuis l'Uruguay Round et l'inclusion de l'agriculture dans ces accords. Les négociations du Millenium Round n'ont jamais abouti. On entre dans une nouvelle ère. On ne peut évidemment revenir au localisme mais le changement climatique et le coût, à la fois monétaire et climatique, des transports doivent conduire à développer une nouvelle approche globale du commerce international. Trop peu d'économistes s'y intéressent selon moi. Quels échanges restent pertinents, comment limiter les transports ou réduire leur empreinte carbone, comment prendre en compte la nouvelle donne géopolitique dans ce contexte de changement climatique ? On tâtonne encore beaucoup.

M. Daniel Gremillet. - Il y a un lien entre les sujets abordés dans la communication concernant le traité sur la charte de l'énergie et celle relative à la conférence ministérielle de l'OMC. Je veux souligner le poids de l'Union européenne mais aussi ses limites dans l'approche concernant certaines importations qui ne respectent pas nos règles de production. L'OMC doit assurément évoluer. Cela vaut aussi en matière énergétique, alors que l'Europe se trouve face à un mur d'investissement.

Mme Amel Gacquerre. - Je partage les constats de nos collègues. Il y a le fond, bien entendu, mais aussi les modalités de mise en oeuvre. Je crois que nous devons en la matière faire preuve de davantage d'agilité, notamment grâce à des clauses de revoyure.

M. Alain Cadec. - Le lien très fort entre l'Union européenne et l'OMC tient aussi aux personnalités qui ont traité des sujets commerciaux, comme Karel De Gucht ou aujourd'hui Valdis Dombrovskis, qui sont des ultralibéraux. Une réforme de l'OMC est nécessaire mais l'approche de la Commission européenne en matière de politique commerciale doit aussi évoluer.

M. Didier Marie. - Les relations internationales sont en pleine mutation. Les aspirations des pays émergents -je pense notamment aux BRICS- s'affirment plus fortement, ce qui fait bouger les lignes. L'Union européenne est quasiment la seule puissance économique à plaider en faveur du multilatéralisme. Elle a tout intérêt à investir des organisations comme l'OMC qui, malgré ses faiblesses ou ses imperfections, fonctionne, occasionne des échanges, permet encore d'aboutir à des accords et continue à définir les règles du commerce international. En revanche, le principal point de blocage, auquel il faudra apporter une réponse, demeure l'organe d'appel de l'organe de règlement des différends. Si nous voulons que l'approche européenne prévale dans les relations commerciales internationales, au-delà des accords bilatéraux que nous signons, l'Union européenne, qui est une grande puissance commerciale mais ne parvient pas encore à s'imposer comme une grande puissance politique, doit continuer à s'impliquer activement dans le fonctionnement de l'OMC.

M. Alain Cadec. - Je partage ce qui vient d'être dit mais nous ne devons pas être naïfs. L'Union européenne doit s'affirmer politiquement. L'OMC est une instance mondiale de régulation du commerce international qui est nécessaire mais qui doit être réformée pour être crédible et adaptée aux enjeux du XXIe siècle. À ce stade, je ne vois pas les Etats-Unis accepter des concessions permettant d'envisager une telle réforme.


* (1) 1 Textes COM(2023)756 final, COM(2023) 776 final, COM(2023) 784 final et COM(2024) 4 final.

* (2) 2 Les 17 points évoqués dans les projets de décisions couvrent les thèmes suivants : réforme du règlement des différends ; subventions à la pêche ; sécurité alimentaire ; améliorations de la transparence dans l'agriculture ; détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire ; soutien interne dans l'agriculture ; restrictions à l'exportation dans l'agriculture ; concurrence à l'exportation dans l'agriculture ; accès au marché dans l'agriculture ; mécanisme de sauvegarde spéciale (MSS) dans l'agriculture ; coton ; dérogation au titre de la décision de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) ; traitement spécial et différencié ; proposition de sortie de la catégorie des pays les moins avancés -- « mesures de soutien » dans un certain nombre d'accords et de décisions spécifiques de l'OMC ; adhésion de la République démocratique du Timor-Oriental à l'OMC ; adhésion de l'Union des Comores à l'OMC ; ajout de l'accord sur la facilitation de l'investissement pour le développement à l'accord instituant l'OMC.