COM(2023) 733 FINAL  du 16/11/2023

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Ø Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2018/1806 en ce qui concerne les titulaires d'un passeport serbe délivré par la direction de coordination serbe (Koordinaciona uprava) (COM (2023) 733 final)

Conformément à l'article 77 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)1(*), le règlement (CE) n°1244/2009 du 30 novembre 2009, par la suite remplacé par le règlement (UE) 2018/1806 du 14 novembre 2018, fixe la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures de l'espace Schengen2(*) et celle des pays tiers dont les ressortissants sont exemptés d'une telle obligation.

Le régime d'exemption de visas est aujourd'hui en vigueur entre les États membres de l'Union européenne et 60 pays tiers, sur la base d'un principe de réciprocité (les pays tiers concernés sont mentionnés à l'annexe II du règlement précité). Il permet aux ressortissants des pays tiers intéressés d'entrer dans l'espace Schengen sans visa pour des courts séjours qui n'excèdent pas 90 jours sur toute période de 180 jours. Signalons à cet égard que la France constitue la deuxième destination (après l'Espagne) de ces ressortissants lorsqu'ils se rendent dans l'espace Schengen.

Pour rappel, à l'issue d'une guerre avec la Serbie en 1999, le Kosovo a proclamé son indépendance le 17 février 2008. Il convient cependant de noter, d'une part ,que cette indépendance n'est reconnue ni par la Serbie ni par 5 des 27 États membres de l'Union européenne (voir encadré ci-dessous) et, d'autre part, que les Serbes du Kosovo - principalement installés au nord du pays - bénéficient d'une large autonomie, affichant une très grande proximité avec Belgrade.

Encadré : Un bref rappel de la situation des Serbes du Kosovo

Ancienne province autonome de la Fédération yougoslave, le Kosovo a été le théâtre, en 1999, d'une guerre entre forces de sécurité yougoslaves et milices albanaises de l'Armée de libération du Kosovo (UÇK). Les Albanais, majoritaires dans la province, estimaient alors être discriminés, alors que les Serbes considèrent le Kosovo comme le « berceau » de leur pays.

Après une intervention de l'OTAN, le Kosovo fut alors placé sous administration provisoire des Nations unies, sans que rien ne soit tranché sur son statut. La mission de l'OTAN alors déployée, la Kfor, est toujours en place, même si ses effectifs sont passés de 40 000 à 4000 hommes.

Dans ce contexte, le 17 février 2008, l'indépendance du Kosovo fut proclamée. Mais elle n'a jamais été reconnue par la Serbie. L'Union européenne mène un dialogue politique entre le Kosovo et la Serbie afin de mettre fin aux contentieux qui les opposent mais, même en son sein, cinq États membres refusent de reconnaître l'indépendance du Kosovo (Chypre, Espagne, Grèce, Slovaquie et Roumanie).

À l'heure actuelle, les tensions demeurent vives entre le gouvernement kosovar et les Serbes du Kosovo, qui ne sont que 120 000 sur 1,8 million d'habitants mais demeurent majoritaires dans le nord du pays. Dans cette zone, les bâtiments serbes sont pavoisés de drapeaux serbes et c'est le dinar serbe qui est utilisé pour les paiements.

C'est pourquoi l'Union européenne, représentée par son émissaire Miroslav Lajcak, et appuyée par les États-Unis, la France, l'Allemagne et l'Italie, a poussé les gouvernements serbes et kosovars à reprendre leurs négociations. L'accord d'Ohrid, verbalement accepté en février 2023, doit permettre, d'une part, la reconnaissance du Kosovo par plusieurs organisations internationales et la reconnaissance par la Serbie des symboles nationaux kosovars dans le nord du pays (drapeaux ; plaques d'immatriculation ; passeports...) et, d'autre part, l'octroi d'une réelle autogestion pour les communes à majorité serbe et leur institutionnalisation au sein d'une association des municipalités à majorité serbe du Kosovo.

Mais au printemps dernier, des manifestations violentes ont eu lieu dans les communes du nord du Kosovo après des élections municipales boycottées par les formations politiques serbes, alors que des maires albanais y avaient été élus. La Kfor a été déployée et plusieurs de ses soldats ont été blessés lors de heurts. Puis, fin septembre, un commando composé de Serbes du Kosovo a tué un policier kosovar.

Ces évènements ont de nouveau enrayé le processus de négociation. En conséquence, le rapport de la Commission européenne sur l'état d'avancement de la Serbie et du Kosovo vers l'adhésion à l'Union européenne, rendu public le 8 novembre dernier, n'a pu que constater la faiblesse des progrès dans le respect de leurs obligations et les mettre en garde : « La normalisation des relations [entre les deux États] est une condition essentielle sur la voie européenne des deux parties, qui risquent de perdre d'importantes opportunités en l'absence de progrès. »

En 2009, les titulaires de passeports kosovars ont été soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (inscription du Kosovo à l'annexe I du règlement « visas » précité). Puis, en 2012, la Commission européenne a ouvert un dialogue avec le Kosovo sur la libéralisation du régime de visas. Ce dialogue ayant été fructueux, la Commission européenne a proposé, en 2016, d'inscrire le Kosovo parmi les pays tiers bénéficiant de l'exemption de visa (transfert de la mention du Kosovo à l'annexe II du règlement « visas » précité).

En pratique, le règlement (UE) 2023/850, qui a modifié le règlement (UE) 2018/1806 précité, a inséré les citoyens kosovars titulaires d'un passeport biométrique parmi les catégories de ressortissants de pays tiers exemptés de visas pour franchir les frontières de l'Union européenne. Ce dispositif est entrée en vigueur le 1er janvier dernier.

À la suite de l'adoption du règlement (UE) 2023/850, les titulaires d'un passeport serbe délivré par la coordination serbe3(*) demeurent les seuls citoyens des pays des Balkans occidentaux qui seront encore soumis à l'obligation de visa pour se rendre dans l'Union européenne à cette date.

1. Le contenu de la proposition législative de la Commission

La Commission européenne a considéré que l'exemption de visa visant les titulaires d'un passeport serbe délivré par la direction de coordination serbe n'était pas justifiée et a proposé, en conséquence, dans le présent texte, de les mentionner dans la liste des ressortissants de pays tiers devant être exemptés de visas pour franchir les frontières de l'Union européenne et séjourner dans un État membre pour une durée n'excédant pas 90 jours sur une période de 180 jours. Cette exemption doit entrer en vigueur le vingtième jour suivant celui de la publication du présent texte au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE).

2. Cette proposition législative est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?

a) La base juridique est-elle correcte ?

La proposition de règlement examinée modifierait le règlement (UE) 2018/1806 et est, tout comme ce dernier, fondée sur les dispositions de l'article 77, paragraphe 2, point a) du TFUE, qui autorisent Parlement européen et Conseil à mettre en place une politique européenne des visas. Cette base juridique est donc parfaitement justifiée.

b) La proposition est-elle nécessaire ? Apporte-t-elle une valeur ajoutée européenne ?

Tout d'abord, il faut rappeler que les compétences très étendues de la Commission européenne en matière d'octroi de visas peuvent surprendre de prime abord mais résultent d'une délégation ancienne par les États membres de cette politique des visas à l'Union européenne et, en partie, à la Commission européenne. Cette dernière négocie ainsi des accords d'exemption de visas avec des pays tiers et propose ensuite de modifier ce régime d'exemption, en fonction des circonstances géopolitiques, dans le cadre d'une proposition normative discutée devant le Conseil et le Parlement européen (comme c'est le cas en l'espèce) ou par un acte délégué.

Dans le respect de ce cadre juridique, le présent texte met en oeuvre une « ligne directrice » de la diplomatie des États membres de l'Union européenne depuis 2008, à savoir la libéralisation des visas au profit des ressortissants des pays des Balkans occidentaux. En pratique, cette libéralisation est devenue effective en 2009 pour les citoyens du Monténégro, de la Macédoine du nord, et de Serbie, en 2010 pour les ressortissants d'Albanie et de Bosnie-Herzégovine et, comme rappelé supra, en 2023 pour les citoyens du Kosovo. Dans ce contexte, l'octroi du bénéfice de l'exemption de visa pour les titulaires d'un passeport serbe délivré par la direction de coordination serbe vient achever cet objectif général de libéralisation des visas dans les Balkans occidentaux.

Cette mesure appartient également aux « mesures de réassurance » que l'Union européenne souhaite mettre en oeuvre pour affirmer de nouveau la perspective européenne des pays des Balkans occidentaux, qui sont à la fois de nouveau l'objet de troubles (heurts évoqués au nord du Kosovo) et préoccupés par l'annonce, les 14 et 15 décembre derniers, de l'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne concernant l'Ukraine et la Moldavie.

c) La modification du règlement (UE) 2018/1806 est-elle proportionnée ?

Répondant aux objectifs d'intérêt général mentionnés en b), la présente proposition de modification du règlement (UE) 2018/1806 n'apparaît pas contraire au principe de proportionnalité. A contrario, elle empêche la mise en place d'une exclusion de l'exemption de visa ciblant les seuls titulaires de passeports serbes délivrés par la direction de coordination serbe qui, elle, aurait pu être interprétée comme une sanction à l'encontre des autorités du nord du Kosovo et comme une mesure disproportionnée.

La proposition de règlement ne semble donc pas porter atteinte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Le paragraphe 2 de cet article précise que le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures sur « la politique commue des visas et d'autres titres de séjour de courte durée. »

* 2 L'espace Schengen est constitué de 23 des 27 États membres de l'Union européenne (tous en sont donc membres, à l'exception de Chypre, de la Bulgarie, de la République d'Irlande et de la Roumanie) et de 4 États associés (Islande ; Liechtenstein ; Norvège ; Suisse).

* 3 La direction de coordination serbe a été instaurée dans le cadre du dialogue politique avec l'Union européenne sur la libéralisation des visas, afin de remplacer les sept directions régionales de la police installées sur le territoire serbe qui avaient jusqu'alors été en charge de délivrer les passeports aux Serbes du Kosovo. Ces passeports sont biométriques et utilisés par leurs titulaires pour se rendre dans l'Union européenne.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 05/12/2023