COM(2023) 642 FINAL  du 18/10/2023

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2018/1806 en ce qui concerne la révision du mécanisme de suspension - COM(2023) 642 final

Conformément à l'article 77 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)1(*), le règlement (UE) 2018/1806 du 14 novembre 2018 fixe la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures de l'espace Schengen2(*) et celle des pays tiers dont les ressortissants sont exemptés d'une telle obligation.

Le régime d'exemption de visas est aujourd'hui en vigueur entre les États membres de l'Union européenne et 60 pays tiers, sur la base d'un principe de réciprocité (les pays tiers concernés sont mentionnés à l'annexe II du règlement précité). Il permet aux ressortissants des pays tiers intéressés d'entrer dans l'espace Schengen sans visa pour des courts séjours qui n'excèdent pas 90 jours sur toute période de 180 jours. Signalons à cet égard que la France constitue la deuxième destination (après l'Espagne) de ces ressortissants lorsqu'ils se rendent dans l'espace Schengen.

L'article 8 de ce règlement prévoit cependant un mécanisme de suspension temporaire de l'exemption de visa accordée aux ressortissants d'un pays tiers. Ce dernier peut être mis en oeuvre dans les hypothèses suivantes :

a) un accroissement substantiel3(*) du nombre de ressortissants d'un pays tiers bénéficiant de l'exemption de visa qui se sont vu refuser l'entrée dans un État membre ou qui y séjournent sans en avoir le droit ;

b) un accroissement substantiel du nombre de demandes d'asile déposées par les ressortissants d'un pays tiers bénéficiant de l'exemption de visa pour lequel le taux de reconnaissance est faible4(*) ;

c) une diminution de la coopération d'un pays tiers bénéficiant de l'exemption de visa en matière de réadmission ;

d) un accroissement des risques ou une menace imminente pour l'ordre public ou la sécurité intérieure des États membres.

Encadré : la procédure de suspension temporaire se déroule en trois phases :

1) Un État membre touché par l'une des évolutions précitées depuis au moins deux mois, doit le notifier à la Commission européenne. Si cette dernière, qui doit par ailleurs assurer une veille permanente sur le respect des critères ayant justifié l'exemption de visas, estime la demande justifiée, elle adopte un acte d'exécution5(*) rendant effective la suspension pour une durée de neuf mois.

Simultanément elle doit mener un dialogue approfondi avec le pays tiers visé afin de résoudre la situation.

2) Si, néanmoins, les difficultés recensées persistent, la Commission européenne peut, deux mois avant l'expiration de la période de neuf mois, adopter cette fois, un acte délégué6(*) afin de mettre en oeuvre la suspension temporaire pour une période de dix-huit mois ;

3) Enfin, si les problèmes demeurent, la Commission peut proposer la levée définitive du régime d'exemption de visa à l'égard des ressortissants du pays visé.

À chaque étape, la Commission européenne fait rapport au Parlement européen et au Conseil.

Or, les rapports de suivi du régime d'exemption de visas établis par la Commission européenne ont démontré :

- d'une part, « un accroissement de l'immigration irrégulière du fait du dépassement de la durée de séjour autorisée par les voyageurs exemptés de l'obligation de visa ou en raison du nombre élevé de demandes d'asile introduites par des ressortissants de pays tiers bénéficiant de l'exemption et pour lequel le taux de reconnaissance est faible »7(*) ;

- d'autre part, les risques et menaces pour l'ordre public ou la sécurité intérieure des États membres constitués par les programmes de citoyenneté par investissement dans certains États membres, dans un contexte de guerre menée par la Russie en Ukraine et de tentatives de déstabilisation de la Russie sur les sociétés démocratiques européennes. En effet, ces programmes permettent à des ressortissants de pays tiers d'obtenir rapidement le passeport de l'État membre auteur du programme et, par conséquent, le droit de circuler sans visa dans l'espace Schengen, moyennant un dépôt bancaire ou le financement de programmes immobiliers dans cet État membre. Moyens de contourner les contrôles aux frontières extérieures, ils comportent d'évidents risques « d'infiltration par la criminalité organisée, de blanchiment d'argent, d'évasion fiscale et de corruption ».

1. Le contenu de la proposition législative de la Commission

La proposition de refonte du règlement (UE) 2018/1806 présentée par la Commission européenne tend, à titre principal, à remédier aux risques et menaces précités en :

a) mentionnant de nouveaux motifs de suspension du régime d'exemption des visas : non-respect par un pays tiers des critères ayant présidé au choix de l'Union européenne d'exempter ses ressortissants de visas ; défaut d'alignement d'un pays tiers sur la politique européenne des visas ; bénéfice pour un pays tiers, d'un programme de citoyenneté par investissement dans un État membre, « en échange de paiements ou d'investissements prédéterminés » dans ce dernier ;

b) prévoyant une possibilité, pour la Commission européenne, de déclencher le mécanisme de suspension du régime d'exemption de visas à l'égard d'un pays tiers en dehors des seuils fixes prévus pour ce déclenchement, à l'issue d'une évaluation au cas par cas ;

c) allongeant les délais prévus pour les périodes de suspension (la période initiale passant de neuf à douze mois et l'éventuelle prolongation par acte délégué, de dix-huit à vingt-quatre mois) ;

d) instituant une procédure d'urgence permettant à la Commission européenne d'adopter des actes d'exécution immédiatement applicables pour une durée de douze mois.

2. Cette proposition législative est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?

a) La base juridique est-elle correcte ?

La proposition de règlement examinée n'est qu'une refonte du règlement (UE) 2018/1806 qui, tout comme ce dernier, est fondée sur les dispositions de l'article 77, paragraphe 2, du TFUE, qui autorisent Parlement européen et Conseil à mettre en place une politique européenne des visas. Cette base juridique est donc parfaitement justifiée.

b) La proposition est-elle nécessaire ? Apporte-t-elle une valeur ajoutée européenne ?

À l'heure actuelle, la politique des visas, en droit et en pratique, est très largement déléguée à l'Union européenne et même à la Commission européenne, qui négocie des accords d'exemption de visas avec des pays tiers et modifie ensuite ce régime d'exemption par des actes d'exécution et des actes délégués, en fonction des circonstances géopolitiques.

Dans le respect de ce cadre juridique, la proposition de « refonte » du règlement (UE) 2018/1806 se contente d'adapter ce dernier aux bouleversements internationaux récents - au premier rang desquels la guerre en Ukraine - et au regain des flux migratoires irréguliers vers l'Union européenne, par un enrichissement de la liste des situations nécessitant un réexamen du régime d'exemption de visas et par un assouplissement des conditions de déclenchement du mécanisme de suspension.

Il est vrai que cette refonte conforterait de nouveau les prérogatives de la Commission européenne :

-d'une part, en lui permettant de déclencher le mécanisme de suspension temporaire, même en l'absence de notification d'une telle demande de déclenchement par un État membre (article 8 nouveau) ;

-d'autre part, en lui donnant la possibilité de déclenchement sans délai du mécanisme de suspension du régime d'exemption des visas pour une durée de douze mois, « lorsqu'il existe des raisons d'urgence impérieuses dûment justifiées » (article 8 sexies)

Néanmoins, ces nouvelles prérogatives n'entameraient pas les compétences des États membres, déjà quasi nulles dans ce mécanisme. En outre, l'obligation d'information du Parlement européen et du Conseil serait renforcée, prévue à chaque étape importante de la procédure ou à leur demande.

c) La modification du règlement (UE) 2018/1806 est-elle proportionnée ?

Pour les raisons mentionnées en b), la proposition de refonte du règlement (UE) 2018/1806 apparaît conforme au principe de proportionnalité.

La proposition de règlement ne semble donc pas porter atteinte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Le paragraphe 2 de cet article précise que le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures sur « la politique commue des visas et d'autres titres de séjour de courte durée. »

* 2 L'espace Schengen est constitué de 23 des 27 États membres de l'Union européenne (c'est-à-dire, à l'exception de Chypre, de la Bulgarie, de la République d'Irlande et de la Roumanie) et de 4 États associés (Islande ; Liechtenstein ; Norvège ; Suisse).

* 3 Le considérant 23 de l'exposé des motifs du règlement précise qu'un « accroissement substantiel » signifie un accroissement excédant un seuil de 50%.

* 4 Le considérant 24 de l'exposé des motifs du règlement indique qu'un faible taux de reconnaissance des demandes d'asile signifie un taux de reconnaissance de l'ordre de 3 à 4%.

* 5 Aux termes de l'article 291, paragraphe 2, du TFUE, « lorsque des conditions uniformes d'exécution des actes juridiquement contraignants de l'Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d'exécution à la Commission... ».

* 6 L'article 290, paragraphe 1, prévoit en effet qu'un « acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif. »

* 7 Exposé des motifs (p 2) de la proposition de règlement.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 25/10/2023