COM(2023) 324 FINAL  du 19/06/2023

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Ø Proposition de directive du Conseil relative au dégrèvement plus rapide et plus sûr de l'excédent de retenues à la source - COM(2023) 324

1°) Contexte et objectifs de la proposition de directive

Ce texte s'inscrit dans la droite ligne d'autres initiatives prises par la Commission européenne ces dernieÌres anneìes afin de lutter contre la fraude et les pratiques abusives d'optimisation fiscale.

En 2016, la directive sur la lutte contre l'eìvasion fiscale (dite « ATAD » selon son acronyme anglais)1(*) a veillé aÌ la mise en oeuvre coordonneìe, dans les Eìtats membres, de mesures cleìs de lutte contre l'eìvasion fiscale dans le cadre des actions internationales menées en matieÌre de lutte contre l'eìrosion de la base d'imposition et le transfert de beìneìfices.

 En outre, la directive relative aÌ la coopeìration administrative (dite « DAC » selon son acronyme anglais)2(*) a, depuis son adoption en 2011, eìteì reìviseìe et eìtendue aÌ plusieurs reprises afin de permettre un eìchange aÌ grande eìchelle et en temps utile d'informations relatives aÌ la fiscaliteì dans l'ensemble de l'UE. La directive « DAC2 » 3(*) instaure un cadre pour une plus grande transparence fiscale au sein de l'UE en ce qui concerne les informations relatives aux comptes financiers.

 La directive « DAC6 »4(*) exige des intermeìdiaires qu'ils informent les autoriteìs fiscales des dispositifs transfrontieÌres susceptibles d'e?tre utiliseìs aÌ des fins de planification fiscale agressive.

 En 2021, la directive pour la lutte contre l'utilisation abusive d'entiteìs eìcrans (c'est-aÌ-dire des entiteìs eìtablies dans l'Union europeìenne qui n'ont pas d'activiteì eìconomique ou une activiteì eìconomique minime)5(*) a visé à réduire leur utilisation à des fins d'eìvasion fiscale ou d'eìvitement fiscal.

Toutefois, les instruments existants de l'UE ne contiennent pas de mesures speìcifiques pour lutter contre les pratiques fiscales abusives ayant trait aux proceìdures de retenue aÌ la source. Les reÌgles existantes ne preìvoient pas la communication d'informations relatives aux transactions sur titres aux administrations fiscales des Eìtats membres de la source, en particulier sur les deìtails de la chai?ne des versements en ce qui concerne le paiement des dividendes ou des inteìre?ts par des intermeìdiaires financiers.

C'est cette lacune, ayant donné lieu à des pratiques d'arbitrages nombreuses, douteuses et frauduleuses, portant sur des montants très importants, que le présent texte propose de combler.

L'arbitrage de dividendes est en effet une technique répandue d'optimisation fiscale qui profite aux actionnaires étrangers. Elle consiste à transférer temporairement (juste avant la période de versement des dividendes) la propriété des actions d'un client à un autre client résidant dans une juridiction à fiscalité réduite. Les économies fiscales réalisées grâce à cette transaction sont ensuite partagées entre l'intermédiaire financier à l'origine du montage et le client.

En France, les retenues à la source peuvent atteindre 30% des dividendes versés par les entreprises françaises aux actionnaires étrangers, selon la résidence fiscale de l'actionnaire. L'arbitrage de dividendes permet de réduire, voire d'échapper complètement, aux retenues fiscales sur les dividendes. Certaines pratiques permettent même à des actionnaires étrangers de demander au fisc français des remboursements d'impôts qui n'ont pas été nécessairement retenus sur leurs dividende... Des montages financiers complexes, dits « Cum/Cum » permettent ainsi d'échapper en tout ou partie à l'impôt prélevé par l'État français sur les dividendes versés aux actionnaires étrangers d'une société française, en jouant notamment sur des dispositions avantageuses de certaines conventions fiscales bilatérales.

La France et d'autres États membres de l'UE ont ratifié une convention multilatérale, développée sous l'égide de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), permettant de refuser les avantages des conventions fiscales dès lors que l'un des objets principaux du montage financier est d'obtenir un avantage fiscal indû, ce qui limite l'effet de ces pratiques abusives.

Néanmoins, des montages frauduleux, dits «Cum/Ex», permettant de soumettre plusieurs demandes de remboursement de dégrèvements ou de retenues à la source, persistent à utiliser des lacunes dans les dispositifs existants de coopération entre les États membres ou les différences entre les législations et réglementations nationales au sein de l'Union européenne, nuisant à l'efficience de l'Union des marchés de capitaux (UMC) et soustrayant des recettes fiscales considérables pour certains États membres6(*).

En outre, les proceìdures de retenue aÌ la source permettant aux investisseurs non reìsidents de beìneìficier de conventions fiscales ou d'avantages fiscaux nationaux sont souvent lourdes, coûteuses et longues ; elles varient consideìrablement d'un Eìtat membre aÌ un autre, aussi bien en ce qui concerne les documents aÌ remettre par le contribuable en vue d'obtenir le deìgreÌvement de la retenue aÌ la source qu'eu égard à leur degreì de numeìrisation, qui demeure inégal au sein de l'UE.

D'où la nécessité d'une directive européenne pour simplifier et moderniser ces procédures, en réduisant à terme les coûts induits pour les opérateurs et les États, ainsi que les risques de fraudes et d'utilisation de montages abusifs.

De plus, le statu quo actuel tend à deìcourager les investissements transfrontieÌres au sein de l'Union, tout particulieÌrement pour les investisseurs de deìtail : il ressort d'une enque?te reìcente que preÌs de 70 % des investisseurs de deìtail qui seraient eìligibles aÌ un taux de retenue aÌ la source reìduit n'en ont pas fait la demande, eìvoquant, comme principales raisons, la longueur, le cou?t eìleveì et la complexiteì des proceìdures, qui conduisent 31 % d'entre eux aÌ deìcider de vendre leurs actions de sociétés établies dans d'autres Etats membres. Cela nuit fondamentalement aux objectifs de l'union des marcheìs des capitaux (UMC) et du paquet sur les investissements de deìtail adopteì le 24 mai 20237(*), et compromet la compeìtitiviteì du marcheì de l'UE dans son ensemble.

Selon les estimations des services de la Commission européenne (DG TAXUD, direction générale Fiscalité et Union Douanière), les cou?ts globaux associeìs aux proceìdures de retenue aÌ la source avoisinent les 6,62 milliards d'euros. Selon l'analyse d'impact, les dispositions proposées entraineraient des retombeìes treÌs pratiques et utiles pour les investisseurs, permettant aÌ ces derniers de reìaliser des eìconomies importantes, estimeìes aÌ environ 5,17 milliards d'euros par an.

La preìsente proposition tend donc à améliorer le fonctionnement de l'UMC, qui a pour ambition de rendre les financements plus accessibles aux entreprises de l'UE, de faciliter les investissements des particuliers et des entreprises et d'inteìgrer les marcheìs des capitaux nationaux au sein d'un veìritable marcheì unique.

Selon la Commission européenne, rendre ces proceìdures de retenue aÌ la source plus rapides, plus efficaces et moins couteuses contribuera aÌ fac?onner un veìritable marcheì unique des capitaux au sein de l'UE.

Bien que les intermeìdiaires financiers soient ameneìs aÌ supporter des cou?ts importants aÌ court terme pour mettre sur pied les systeÌmes neìcessaires afin de se conformer aÌ la nouvelle directive, ils devraient également beìneìficier aÌ long terme d'eìconomies (estimeìes par la Commisison européenne aÌ environ 13,5 millions d'euros par an) du fait des proceìdures simplifiées, notamment gra?ce aÌ la numeìrisation, au recours au certificat de reìsidence fiscale numeìrique ou à la rationalisation des demandes de deìgreÌvement en grandes quantiteìs.

Enfin, les administrations fiscales seront mieux eìquipeìes pour lutter contre les montages abusifs, ce qui, aÌ terme, devrait évidemment produire une incidence positive sur les recettes fiscales. Cette initiative pourrait conduire, selon la Commission européenne, aÌ une hausse du PIB de l'ordre de 0,025 %.

Le certificat de reìsidence fiscale numeìrique qui devra, aux termes de cette proposition de directive, e?tre introduit par tous les Eìtats membres permettra de mettre en place un processus administratif rapide, simple et su?r pour confirmer la reìsidence fiscale des contribuables de l'UE.

La proposition imposera en outre des exigences de communication d'informations aux intermeìdiaires financiers. L'obtention d'informations deìtailleìes est essentielle pour les administrations fiscales des Eìtats membres de la source, afin d'e?tre en mesure d'eìvaluer et d'appliquer les taux de retenue aÌ la source reìduits adeìquats et de deìtecter efficacement les pratiques abusives, ce qui permettra de reìaliser l'un des objectifs de l'initiative.

Pour limiter la charge lieìe aÌ la communication d'informations, les informations que les intermeìdiaires financiers seront tenus de communiquer ont eìteì limiteìes aÌ ce qui est neìcessaire aux Eìtats membres pour reconstituer la chai?ne de versement des dividendes et des inteìre?ts, dans la mesure ouÌ ces informations sont aÌ la disposition des intermeìdiaires financiers deìclarants.

La communication d'informations sera effectueìe aÌ l'aide de formulaires informatiseìs types et suivant des exigences communes applicables aux canaux de communication que la Commission européenne fixera par voie d'actes d'exeìcution.

Dans un souci de simplification et d'alleìgement des exigences applicables aux proceìdures de retenue aÌ la source pour les petits investisseurs, une reÌgle de minimis a eìteì prescrite pour les obligations de communication d'informations et le devoir de vigilance. Cette reÌgle consiste aÌ ne pas demander d'informations ayant trait aux accords financiers ou aÌ la peìriode de deìtention minimale aux investisseurs qui perc?oivent des dividendes dont le montant ne deìpasse pas 1000 euros.

2°) Base juridique

La base juridique pour les initiatives leìgislatives en matieÌre de fiscaliteì est l'article 115 du traiteì sur le fonctionnement de l'Union europeìenne (TFUE). Bien qu'aucune reìfeìrence aÌ la fiscaliteì directe ne soit explicite dans cet article, il eìvoque le fait d'arre?ter des directives pour le rapprochement des leìgislations nationales qui ont une incidence directe sur l'eìtablissement ou le fonctionnement du marcheì unique.

Au titre de l'article 115 du TFUE, les directives constituent l'instrument juridique adeìquat pour l'UE dans ce domaine.

Rappelons que l'article 288 du TFUE dispose que les directives sont contraignantes pour les Eìtats membres quant au reìsultat aÌ atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compeìtence quant aÌ la forme et aux moyens.

3°) Conformité au principe de subsidiarité

Par définition, la nature transfrontieÌre du probleÌme traité par ce texte exige une initiative commune couvrant l'ensemble du marcheì unique.

En l'absence d'une telle initiative, la fragmentation des proceìdures nationales de retenue aÌ la source entrave le bon fonctionnement des proceìdures de deìgreÌvement pour les opeìrations transfrontieÌres et, partant, le bon fonctionnement du marcheì unique. Une action commune, au niveau de l'Union, est donc neìcessaire pour uniformiser les proceìdures pour les investisseurs nationaux et eìtrangers ainsi que pour les intermeìdiaires nationaux et non reìsidents.

La nature même des fraudes et abus contre lesquels ce texte entend lutter repose sur la disparité entre les régimes applicables et implique que chaque État membre ne puisse lutter au moyen de sa seule législation.

Le principe de subsidiarité paraît donc respecté.

La simplification proposée n'allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser les objectifs des traités, en particulier le bon fonctionnement du marché unique, respecte en outre le principe de proportionnalité.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution


* 1 Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 e'tablissant des re`gles pour lutter contre les pratiques d'e'vasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marche' inte'rieur (JO L 193 du 19.7.2016, p. 1).

* 2 Directive 2011/16/UE du Conseil du 15 fe'vrier 2011 relative a` la coope'ration administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO L 64 du 11.3.2011, p. 1).

* 3 Directive 2014/107/UE du Conseil du 9 de'cembre 2014 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'e'change automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal (JO L 359 du 16.12.2014, p. 1).

* 4 Directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'e'change automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontie`res devant faire l'objet d'une de'claration (JO L 139 du 5.6.2018, p. 1).

* 5 Proposition de directive du Conseil du 22 de'cembre 2021 e'tablissant des re`gles pour empe^cher l'utilisation abusive d'entite's e'crans a` des fins fiscales et modifiant la directive 2011/16/UE [COM(2021)565 final]

* 6 En 2018, une enquête, connue sous le nom de CumEx File et menée par un consortium international de journalistes (dont Le Monde et le quotidien allemand Die Zeit), avait exposé les transactions CumCum et CumEx au grand jour. Selon cette enquête, la perte de recettes sur 15 ans pour plusieurs pays européens (dont la France et l'Allemagne), s'élèverait à 150 milliards d'euros. Le préjudice pour l'État français s'élevait quant à lui à 33,4 milliards d'euros.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 26/07/2023