COM(2023) 280 final  du 31/05/2023

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Ø Proposition de règlement relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des mesures et la coopération en matière de protection des adultes (COM (2023) 280)

I) État du droit

Avec la proposition de décision du Conseil COM(2023) 281 final1(*), la proposition de règlement COM(2023) 280 final forme un ensemble normatif présenté par la Commission européenne, le 31 mai dernier, pour améliorer la protection des adultes vulnérables dans des situations transfrontières.

Pourquoi la présentation d'un tel paquet normatif ?

À l'heure actuelle, il n'existe aucun texte européen pour encadrer les actions et les décisions de protection de ces adultes.

La proposition de règlement part d'un constat simple : le nombre d'adultes vulnérables, c'est-à-dire qui ne sont pas en état de pourvoir à leurs intérêts en raison d'une altération ou d'une insuffisance de leurs facultés, augmente continuellement dans l'Union européenne. Selon l'analyse d'impact de la proposition, le nombre d'adultes vulnérables protégés dans l'UE 262(*) est de 5,1 millions de personnes3(*) (soit 1,4% de la population totale)4(*).

Les raisons de cette augmentation sont connues : vieillissement de la population européenne ; incidence des maladies liées à l'âge ; nombre croissant de personnes handicapées.

Certes, la convention sur la protection internationale des adultes (dite convention de La Haye du 13 janvier 2000), négociée dans le cadre de la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH), représente un outil international efficace de protection des adultes vulnérables. Mais elle n'a été ratifiée que par 12 des 27 États membres5(*).

Bien sûr, certains États membres comme la France disposent d'ores et déjà d'un droit national précis. Cependant, pour les autorités françaises comme pour la Commission européenne, l'absence de texte européen pour mettre en oeuvre la convention de La Haye est aujourd'hui problématique car elle engendre une réelle insécurité juridique et des difficultés pratiques (échanges d'information parcellaires ; absence d'interlocuteur pré-identifié dans le suivi des adultes vulnérables dans un État membre non signataire de la convention de La Haye ; absence de reconnaissance des pouvoirs conférés au représentant d'une personne vulnérable dans un État membre, dans les tribunaux ou par les acteurs privés d'un autre État membre...).

Les autorités françaises et la Commission européenne ont donc promu depuis plusieurs mois l'élaboration d'un cadre juridique européen. Dans cette perspective, la France avait d'ailleurs organisé, le 21 avril 2022, un colloque sur la protection des adultes vulnérables pendant sa présidence semestrielle du Conseil de l'Union européenne.

***

II) Le contenu de la proposition de règlement

A. Le champ d'application de la proposition de règlement

L'article 2 de la proposition précise que la réforme proposée vise à protéger et à soutenir les personnes adultes dans des situations transfrontières qui, en raison d'une altération ou d'une insuffisance de leurs facultés, ne sont pas en état de pourvoir à leurs propres intérêts.

Par le terme « adultes » (article 3), sont visées l'ensemble des personnes âgées d'au-moins dix-huit ans se trouvant sur le territoire de l'un des États membres, qui sont soit les nationaux de cet État, soit des ressortissants d'un autre État membre, soit des ressortissants de pays tiers, et qui sont en situation de vulnérabilité.

Le critère retenu pour définir ces adultes vulnérables - celui de la protection dont ils bénéficient - permet de viser les adultes souffrant d'un handicap, d'une maladie physique invalidante ou d'une maladie psychologique/neurologique grave (ex : maladie d'Alzheimer), qui, de ce fait, doivent être placées sous une mesure de protection, quelle que soit le statut juridique de cette dernière (tutelle/curatelle/sauvegarde...).

Ces définitions sont inspirées de la convention de La Haye et du code civil français.

Seraient, à titre principal, explicitement compris dans le champ d'application de la réforme, la détermination de l'incapacité d'un adulte et l'institution d'un régime de protection, le placement de l'adulte sous la protection d'une autorité (administrative ou judiciaire), la tutelle, la curatelle ou procédures analogues, les modalités de désignation du représentant de l'adulte vulnérable, ainsi que les décisions de placement de ce dernier dans un établissement et d'administration de ses biens.

A contrario, seraient exclus du champ d'application de la proposition de règlement : les obligations alimentaires ; la formation et l'annulation du mariage ou d'une union légalement reconnue, les régimes matrimoniaux, les successions, la sécurité sociale, les mesures publiques générales dans le domaine de la santé, les mesures prises en conséquence d'une infraction pénale commise par la personne, les décisions relatives au droit d'asile et en matière d'immigration, ainsi que les mesures ayant pour seul objet de sauvegarder la sécurité publique.

B. La définition des règles générales de compétence internationale et de la loi applicable

Les articles 5 et 8 de la proposition de règlement précisent que les règles générales de compétence internationale et la loi applicable seraient définies par une référence directe aux dispositions des chapitres II et III de la convention de La Haye précitée.

Selon ce texte, il revient en principe à l'autorité compétente de l'État de résidence habituelle de la personne concernée d'intervenir.

L'article 6 de la proposition de règlement prévoit cependant une exception à ces règles de répartition des compétences en reconnaissant la possibilité, pour l'adulte vulnérable considéré, de choisir les autorités d'un autre État membre de l'Union européenne que celui où il réside habituellement, lorsque ce choix est dans son intérêt et lorsque les autorités prévues par la convention n'ont pas exercé leur compétence.

Il précise ensuite que les autorités de l'État membre de résidence habituelle de l'adulte vulnérable concerné sont compétentes lorsque celles choisies par l'adulte n'ont pas exercé leur compétence ou y ont renoncé.

Quant à la loi applicable, le principe posé est clair : les autorités compétentes doivent appliquer leur législation nationale6(*). Et l'institution, la modification ainsi que l'extinction des pouvoirs de représentation d'un adulte vulnérable sont régies par la loi de l'État de résidence habituelle de cette personne. Ces dispositions s'appliquent même si la législation concernée est celle d'un État non contractant à la convention. Seul un motif d'ordre public peut écarter l'application de ces règles.

C. La reconnaissance automatique des mesures de protection prises par les États membres et l'établissement d'un certificat européen de représentation

La proposition de règlement détaille les modalités de reconnaissance mutuelle des mesures de protection et de coopération entre autorités compétentes.

Aux termes de la proposition de règlement (article 9), une mesure prise par les autorités d'un État membre devrait être reconnue dans les autres États membres sans qu'il soit nécessaire de recourir à une procédure spéciale. La mesure devrait alors être mise en oeuvre en conformément aux dispositions législatives de cet État.

Les motifs de refus de reconnaissance d'une telle mesure seraient limités aux hypothèses suivantes :

-la mesure a été prise, hors cas d'urgence, sans que la personne devant bénéficier de la mesure de protection puisse être entendue ;

-cette mesure est incompatible avec une autre, prise postérieurement dans un pays tiers reconnu compétent ;

-la procédure prévue par la proposition de règlement (article 14) pour adopter la mesure n'a pas été respectée7(*).

De plus, une telle mesure serait exécutoire dans un autre État membre « sans qu'une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire. » (Article 11). Elle serait en principe régie par la loi de cet État et ne pourrait alors faire l'objet de révision « quant au fond. »

De même, un acte authentique établi dans un État membre aurait la même force probante dans un autre État membre. Une personne souhaitant utiliser cet acte authentique dans un autre État membre pourrait cependant demander à l'autorité qui en est à l'origine de remplir un formulaire8(*) décrivant la force probante de cet acte authentique.

En complément, la proposition de règlement (chapitre VII) institue un certificat européen de représentation.

Ce certificat pourrait être demandé par tout représentant désigné par une mesure de protection d'un adulte vulnérable. Il serait délivré dans l'État membre dans lequel une mesure de protection d'un adulte vulnérable a été prise (ou celui dans lequel les pouvoirs de représentation d'une personne à l'égard d'un adulte vulnérable ont été confirmés) sans pour autant se substituer aux documents nationaux pertinents et aurait une valeur facultative.

Ce certificat attesterait l'existence des éléments établis en vertu de la loi applicable à la mesure de protection9(*). En conséquence, le représentant désigné par ce certificat serait présumé disposer des pouvoirs de représentation qui y seraient mentionnés.

Pour délivrer un tel certificat, l'autorité émettrice vérifierait que le demandeur est habilité à demander un certificat, que les éléments à certifier sont conformes à la mesure de protection de la personne concernée et que cette mesure n'est pas caduque. Si tous ces éléments sont réunis, cette autorité délivrerait le certificat sans délai. Sa décision (de délivrance ou de refus) pourrait néanmoins être contestée par toute personne ayant un intérêt légitime.

D. Le renforcement des modalités de coopération entre États membres et l'instauration d'une obligation de communication numérique

La proposition de règlement prévoit des modalités de coopération opérationnelle entre États membres dans la protection des adultes vulnérables : désignation d'une ou de plusieurs autorités centrales pour mettre en oeuvre ces dispositions par chaque État membre (article 18) et affirmation d'un principe de coopération entre elles, en particulier pour localiser un adulte ayant besoin de protection ou une personne susceptible d'apporter un soutien à ce dernier (articles 19 et 20) ou concernant le placement d'un adulte vulnérable dans un établissement d'un autre État membre (article 21) ; de même, si un adulte vulnérable est exposé à un grave danger, obligation d'information de l'ensemble des États membres sur ce danger et sur les décisions prises par les autorités compétentes de l'État membre concerné (article 26).

En outre, dans les deux ans suivant l'entrée en vigueur de la proposition de règlement, chaque État membre devrait créer et tenir à jour un ou plusieurs registres consignant les mesures de protection décidées à l'égard d'adultes et, lorsque leur loi nationale l'impose, la mention des pouvoirs de représentation de ces adultes.

Ces registres devraient être interopérables, interconnectés par un système informatique décentralisé mis en place par la Commission européenne (par la voie d'actes d'exécution). Les informations inscrites dans les registres devraient y être mises gratuitement à la disposition des autorités compétentes (chapitre VIII).

E. Une délégation donnée à la Commission européenne pour préciser les modalités de la coopération entre autorités compétentes

Enfin, la proposition de règlement confère à la Commission européenne le soin d'établir les documents prévus par la proposition de règlement pour formaliser la coopération européenne en matière de protection des adultes vulnérables, par la voie des actes délégués prévus par l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)10(*). On peut citer, à titre principal, l'attestation mentionnant le contenu d'une mesure de protection (article 15 et annexe I), le formulaire décrivant la force probante d'un acte authentique dans son État membre d'émission (article 16 et annexe II), le certificat européen de représentation (article 38 et annexe III) et le formulaire d'information sur le choix d'une juridiction (article 6 et annexe IV).

Force est de constater que ces délégations sont nombreuses mais qu'elles concernent bien les modalités pratiques de la coopération prévue et la formalisation de ces documents, correspondant donc bien à des « éléments non essentiels » de la proposition, conformément à la définition posée par l'article 290 précité.

***

III) La proposition de règlement est-elle conforme au principe de subsidiarité ?

La base juridique choisie est-elle pertinente ? Oui. L'article 81, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, applicable à la coopération judiciaire en matière civile, prévoit que le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent adopter des mesures visant à assurer la reconnaissance mutuelle entre États membres des décisions judiciaires et extrajudiciaires, et leur exécution, ainsi que la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires, la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflit de lois et de compétence ou encore l'élimination des obstacles au bon déroulement des procédures civiles.

La proposition de règlement répond à ces critères pour assurer une meilleure protection des adultes vulnérables qui, par leurs décisions, leurs actes ou leurs déplacements, se trouvent en situation transfrontière.

La proposition de règlement est-elle nécessaire et apporte-t-elle une valeur ajoutée ?

La réponse à cette question fondamentale est également positive : en effet, à l'heure actuelle, selon la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice, l'absence de ratification de la convention de La Haye par plusieurs États membres de l'Union européenne engendre des difficultés de suivi des adultes vulnérables qui s'y déplacent ou s'y installent et d'identification des autorités compétentes. Les obligations de désignation de telles autorités, de coopération opérationnelle entre ces autorités et de tenue de registres, prévues par la proposition de règlement, seraient ainsi un gage indéniable de sécurité juridique et de renforcement de l'efficacité des procédures, au profit des personnes vulnérables. En cela, la proposition examinée répond à un objectif d'intérêt général.

On peut certes déplorer l'absence de définition, dans la proposition, des « situations transfrontières » qui ont justifié la présentation de ce texte. Il convient par ailleurs de souligner que la mise en oeuvre du certificat européen envisagé devra être précisée au cours des discussions à venir au Conseil et au Parlement européen, afin de ne pas faire « doublon » avec les attestations prévues pour préciser le contenu d'une mesure de protection (article 15). À défaut, les négociateurs européens devraient logiquement procéder à la suppression de ce dispositif inspiré de ceux prévus par le règlement « successions »11(*) et par la proposition de règlement instaurant un certificat européen de filiation. 12(*) Les autorités françaises sont cependant conscientes des lacunes de cette rédaction initiale et ont déjà annoncé leur intention d'y remédier, lors des discussions au Conseil.

Enfin, cette réforme est-elle proportionnée aux objectifs visés ?

La réponse est encore positive. Bien sûr, cette réforme aurait pu être présentée par la voie d'une directive, qui confère une obligation de résultat et non de moyens aux États membres et non d'un règlement d'application directe, mais l'usage d'un règlement, en l'espèce, n'apparaît pas disproportionné aux exigences de renforcement de la protection des adultes vulnérables connaissant des situations transfrontières.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Proposition de décision du Conseil autorisant des États membres à devenir ou à rester parties, dans l'intérêt de l'Union européenne, à la convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes.

* 2 Le Danemark ne participe pas à la coopération judiciaire européenne en matière civile.

* 3 Sur l'ensemble de ces personnes, le nombre d'entre eux vivant à l'étranger varie entre 144 649 (pour les bénéficiaires d'une mesure de protection décidée par la justice) et 780 169 (pour les adultes souffrant de problèmes de santé). De là, d'autres adultes vulnérables peuvent se retrouver « partie prenante » de situations transfrontières : « par exemple, (ces) adultes peuvent être amenés à gérer leur patrimoine ou leurs biens immobiliers situés dans un autre pays, à subir des soins médicaux d'urgence ou programmés à l'étranger ou à déménager dans un autre pays pour diverses raisons. » (Exposé des motifs de la proposition de règlement, p 1.

* 4 Le nombre de personnes adultes ayant une santé fragile dans l'UE26 est quant à lui évalué à 27,4 millions (7,5% de la population totale).

* 5 Allemagne ; Autriche ; Belgique ; Chypre ; Estonie ; Finlande ; France ; Grèce ; Lettonie ; Malte ; Portugal ; République tchèque. D'autres États membres ont signé la convention sans, pour l'instant, la ratifier : Irlande ; Italie ; Luxembourg ; Pays-Bas ; Pologne. Une dernière catégorie d'États membres est demeurée extérieure au dispositif de la convention : Bulgarie ; Croatie ; Danemark ; Espagne ; Hongrie ; Lituanie ; Roumanie ; Slovaquie ; Slovénie ; Suède. Précisons également que cette convention est complétée, pour les personnes handicapées, par la convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), adoptée par l'Assemblée générale de L'Organisation des Nations unies (ONU), le 13 décembre 2006.

* 6 Par exception, si la protection de la personne concernée ou de ses biens le requiert, la législation d'un autre État « avec lequel la situation présente un lien étroit », peut être appliquée (article 13 de la convention de La Haye du 13 janvier 2000).

* 7 La personne demandant ou contestant l'exécution d'une mesure de protection adoptée dans un État membre devant les autorités d'un autre État membre devrait produire une copie de la mesure réunissant les conditions pour en apprécier la validité et une attestation délivrée par l'autorité de l'État membre ayant adopté la mesure (le format de cette attestation étant normalisé par l'annexe I de la proposition de règlement). L'autorité de l'État requis serait toutefois en mesure d'exiger de cette personne une traduction.

* 8 Ce formulaire serait normalisé par l'annexe II de la proposition de règlement.

* 9 En pratique, l'original serait conservé par l'autorité d'émission, qui délivrerait une ou plusieurs copies certifiées conformes au demandeur.

* 10 Pour rappel, aux termes de cet article, « un acte législatif peut déléguer à la Commission [européenne] le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif ».

* 11 Règlement (UE) n°650/2012 du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen.

* 12 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance des décisions et à l'acceptation des actes authentiques en matière de filiation ainsi qu'à la création d'un certificat européen de filiation, COM(2022) 695 final.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 27/06/2023


Justice et affaires intérieures

Justice et affaires intérieures

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des mesures et la coopération en matière de protection des adultes

COM(2023) 280 final - Texte E17889

Proposition de décision du Conseil autorisant des États membres à devenir ou à rester parties, dans l'intérêt de l'Union européenne, à la convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes

COM(2023) 281 final - Texte E17890

1. État du droit

Avec la proposition de décision du Conseil COM(2023) 281 final1(*), la proposition de règlement COM(2023) 280 final forme un ensemble normatif présenté par la Commission européenne, le 31 mai dernier, pour améliorer la protection des adultes vulnérables dans des situations transfrontières.

Pourquoi la présentation d'un tel paquet normatif ?

À l'heure actuelle, il n'existe aucun texte européen pour encadrer les actions et les décisions de protection de ces adultes.

La proposition de règlement part d'un constat simple : le nombre d'adultes vulnérables, c'est-à-dire qui ne sont pas en état de pourvoir à leurs intérêts en raison d'une altération ou d'une insuffisance de leurs facultés, augmente continuellement dans l'Union européenne. Selon l'analyse d'impact de la proposition, le nombre d'adultes vulnérables protégés dans l'UE 262(*) est de 5,1 millions de personnes3(*) (soit 1,4 % de la population totale)4(*).

Les raisons de cette augmentation sont connues : vieillissement de la population européenne ; incidence des maladies liées à l'âge ; nombre croissant de personnes handicapées.

Certes, la convention sur la protection internationale des adultes (dite convention de La Haye du 13 janvier 2000), négociée dans le cadre de la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH), représente un outil international efficace de protection des adultes vulnérables. Mais elle n'a été ratifiée que par 12 des 27 États membres5(*).

Bien sûr, certains États membres comme la France disposent d'ores et déjà d'un droit national précis. Cependant, pour les autorités françaises comme pour la Commission européenne, l'absence de texte européen pour mettre en oeuvre la convention de La Haye est aujourd'hui problématique car elle engendre une réelle insécurité juridique et des difficultés pratiques (échanges d'information parcellaires ; absence d'interlocuteur pré-identifié dans le suivi des adultes vulnérables dans un État membre non signataire de la convention de La Haye ; absence de reconnaissance des pouvoirs conférés au représentant d'une personne vulnérable dans un État membre, dans les tribunaux ou par les acteurs privés d'un autre État membre...).

Les autorités françaises et la Commission européenne ont donc promu depuis plusieurs mois l'élaboration d'un cadre juridique européen. Dans cette perspective, la France avait d'ailleurs organisé, le 21 avril 2022, un colloque sur la protection des adultes vulnérables pendant sa présidence semestrielle du Conseil de l'Union européenne.

***

2. Le contenu des textes présentés

a. Le champ d'application de la proposition de règlement

L'article 2 de la proposition précise que la réforme proposée vise à protéger et à soutenir les personnes adultes dans des situations transfrontières qui, en raison d'une altération ou d'une insuffisance de leurs facultés, ne sont pas en état de pourvoir à leurs propres intérêts.

Par le terme « adultes » (article 3), sont visées l'ensemble des personnes âgées d'au-moins dix-huit ans se trouvant sur le territoire de l'un des États membres, qui sont soit les nationaux de cet État, soit des ressortissants d'un autre État membre, soit des ressortissants de pays tiers, et qui sont en situation de vulnérabilité.

Le critère retenu pour définir ces adultes vulnérables - celui de la protection dont ils bénéficient - permet de viser les adultes souffrant d'un handicap, d'une maladie physique invalidante ou d'une maladie psychologique/neurologique grave (ex : maladie d'Alzheimer), qui, de ce fait, doivent être placées sous une mesure de protection, quelle que soit le statut juridique de cette dernière (tutelle/curatelle/sauvegarde...).

Ces définitions sont inspirées de la convention de La Haye et du code civil français.

Seraient, à titre principal, explicitement compris dans le champ d'application de la réforme, la détermination de l'incapacité d'un adulte et l'institution d'un régime de protection, le placement de l'adulte sous la protection d'une autorité (administrative ou judiciaire), la tutelle, la curatelle ou procédures analogues, les modalités de désignation du représentant de l'adulte vulnérable, ainsi que les décisions de placement de ce dernier dans un établissement et d'administration de ses biens.

A contrario, seraient exclus du champ d'application de la proposition de règlement : les obligations alimentaires ; la formation et l'annulation du mariage ou d'une union légalement reconnue, les régimes matrimoniaux, les successions, la sécurité sociale, les mesures publiques générales dans le domaine de la santé, les mesures prises en conséquence d'une infraction pénale commise par la personne, les décisions relatives au droit d'asile et en matière d'immigration, ainsi que les mesures ayant pour seul objet de sauvegarder la sécurité publique.

b. La définition des règles générales de compétence internationale et de la loi applicable

Les articles 5 et 8 de la proposition de règlement précisent que les règles générales de compétence internationale et la loi applicable seraient définies par référence directe aux dispositions des chapitres II et III de la convention de La Haye précitée.

Selon ce texte, il revient en principe à l'autorité compétente de l'État de résidence habituelle de la personne concernée d'intervenir.

L'article 6 de la proposition de règlement prévoit cependant une exception à ces règles de répartition des compétences en reconnaissant la possibilité, pour l'adulte vulnérable considéré, de choisir les autorités d'un autre État membre de l'Union européenne que celui où il réside habituellement, lorsque ce choix est dans son intérêt et lorsque les autorités prévues par la convention n'ont pas exercé leur compétence.

Il précise ensuite que les autorités de l'État membre de résidence habituelle de l'adulte vulnérable concerné sont compétentes lorsque celles choisies par l'adulte n'ont pas exercé leur compétence ou y ont renoncé.

Quant à la loi applicable, le principe posé est clair : les autorités compétentes doivent appliquer leur législation nationale6(*). Et l'institution, la modification ainsi que l'extinction des pouvoirs de représentation d'un adulte vulnérable sont régies par la loi de l'État de résidence habituelle de cette personne. Ces dispositions s'appliquent même si la législation concernée est celle d'un État non contractant à la convention. Seul un motif d'ordre public peut écarter l'application de ces règles.

c. La reconnaissance automatique des mesures de protection prises par les États membres et l'établissement d'un certificat européen de représentation

La proposition de règlement détaille les modalités de reconnaissance mutuelle des mesures de protection et de coopération entre autorités compétentes.

Aux termes de la proposition de règlement (article 9), une mesure prise par les autorités d'un État membre devrait être reconnue dans les autres États membres sans qu'il soit nécessaire de recourir à une procédure spéciale. La mesure devrait alors être mise en oeuvre conformément aux dispositions législatives de cet État.

Les motifs de refus de reconnaissance d'une telle mesure seraient limités aux hypothèses suivantes :

- la mesure a été prise, hors cas d'urgence, sans que la personne devant bénéficier de la mesure de protection puisse être entendue ;

- cette mesure est incompatible avec une autre, prise postérieurement dans un pays tiers reconnu compétent ;

- la procédure prévue par la proposition de règlement (article 14) pour adopter la mesure n'a pas été respectée7(*).

De plus, une telle mesure serait exécutoire dans un autre État membre « sans qu'une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire. » (article 11). Elle serait en principe régie par la loi de cet État et ne pourrait alors faire l'objet de révision « quant au fond. »

De même, un acte authentique établi dans un État membre aurait la même force probante dans un autre État membre. Une personne souhaitant utiliser cet acte authentique dans un autre État membre pourrait cependant demander à l'autorité qui en est à l'origine de remplir un formulaire8(*) décrivant la force probante de cet acte authentique.

En complément, la proposition de règlement (chapitre VII) institue un certificat européen de représentation.

Ce certificat pourrait être demandé par tout représentant désigné par une mesure de protection d'un adulte vulnérable. Il serait délivré dans l'État membre dans lequel une mesure de protection d'un adulte vulnérable a été prise (ou celui dans lequel les pouvoirs de représentation d'une personne à l'égard d'un adulte vulnérable ont été confirmés) sans pour autant se substituer aux documents nationaux pertinents et aurait une valeur facultative.

Ce certificat attesterait l'existence des éléments établis en vertu de la loi applicable à la mesure de protection9(*). En conséquence, le représentant désigné par ce certificat serait présumé disposer des pouvoirs de représentation qui y seraient mentionnés.

Pour délivrer un tel certificat, l'autorité émettrice vérifierait que le demandeur est habilité à demander un certificat, que les éléments à certifier sont conformes à la mesure de protection de la personne concernée et que cette mesure n'est pas caduque. Si tous ces éléments sont réunis, cette autorité délivrerait le certificat sans délai. Sa décision (de délivrance ou de refus) pourrait néanmoins être contestée par toute personne ayant un intérêt légitime.

d. Le renforcement des modalités de coopération entre États membres et l'instauration d'une obligation de communication numérique

La proposition de règlement prévoit des modalités de coopération opérationnelle entre États membres dans la protection des adultes vulnérables : désignation d'une ou de plusieurs autorités centrales pour mettre en oeuvre ces dispositions par chaque État membre (article 18) et affirmation d'un principe de coopération entre elles, en particulier pour localiser un adulte ayant besoin de protection ou une personne susceptible d'apporter un soutien à ce dernier (articles 19 et 20) ou concernant le placement d'un adulte vulnérable dans un établissement d'un autre État membre (article 21) ; de même, si un adulte vulnérable est exposé à un grave danger, obligation d'information de l'ensemble des États membres sur ce danger et sur les décisions prises par les autorités compétentes de l'État membre concerné (article 26).

En outre, dans les deux ans suivant l'entrée en vigueur de la proposition de règlement, chaque État membre devrait créer et tenir à jour un ou plusieurs registres consignant les mesures de protection décidées à l'égard d'adultes et, lorsque leur loi nationale l'impose, la mention des pouvoirs de représentation de ces adultes.

Ces registres devraient être interopérables, interconnectés par un système informatique décentralisé mis en place par la Commission européenne (par la voie d'actes d'exécution). Les informations inscrites dans les registres devraient y être mises gratuitement à la disposition des autorités compétentes (chapitre VIII).

e. Une délégation donnée à la Commission européenne pour préciser les modalités de la coopération entre autorités compétentes

Enfin, la proposition de règlement confère à la Commission européenne le soin d'établir les documents prévus par la proposition de règlement pour formaliser la coopération européenne en matière de protection des adultes vulnérables, par la voie des actes délégués prévus par l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)10(*). On peut citer, à titre principal, l'attestation mentionnant le contenu d'une mesure de protection (article 15 et annexe I), le formulaire décrivant la force probante d'un acte authentique dans son État membre d'émission (article 16 et annexe II), le certificat européen de représentation (article 38 et annexe III) et le formulaire d'information sur le choix d'une juridiction (article 6 et annexe IV).

Force est de constater que ces délégations sont nombreuses mais qu'elles concernent bien les modalités pratiques de la coopération prévue et la formalisation de ces documents, correspondant donc bien à des « éléments non essentiels » de la proposition, conformément à la définition posée par l'article 290 précité.

Compte tenu de ces éléments, la commission a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ces textes.


* (1) 1 Proposition de décision du Conseil autorisant des États membres à devenir ou à rester parties, dans l'intérêt de l'Union européenne, à la convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes.

* (2) 2 Le Danemark ne participe pas à la coopération judiciaire européenne en matière civile.

* (3) 3 Sur l'ensemble de ces personnes, le nombre d'entre eux vivant à l'étranger varie entre 144 649 (pour les bénéficiaires d'une mesure de protection décidée par la justice) et 780 169 (pour les adultes souffrant de problèmes de santé). De là, d'autres adultes vulnérables peuvent se retrouver « partie prenante » de situations transfrontières : « par exemple, (ces) adultes peuvent être amenés à gérer leur patrimoine ou leurs biens immobiliers situés dans un autre pays, à subir des soins médicaux d'urgence ou programmés à l'étranger ou à déménager dans un autre pays pour diverses raisons. » (Exposé des motifs de la proposition de règlement, p 1).

* (4) 4 Le nombre de personnes adultes ayant une santé fragile dans l'UE26 est quant à lui évalué à 27,4 millions (7,5 % de la population totale).

* (5) 5 Allemagne ; Autriche ; Belgique ; Chypre ; Estonie ; Finlande ; France ; Grèce ; Lettonie ; Malte ; Portugal ; République tchèque. D'autres États membres ont signé la convention sans, pour l'instant, la ratifier : Irlande ; Italie ; Luxembourg ; Pays-Bas ; Pologne. Une dernière catégorie d'États membres est demeurée extérieure au dispositif de la convention : Bulgarie ; Croatie ; Danemark ; Espagne ; Hongrie ; Lituanie ; Roumanie ; Slovaquie ; Slovénie ; Suède. Précisons également que cette convention est complétée, pour les personnes handicapées, par la convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), adoptée par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ONU), le 13 décembre 2006.

* (6) 6 Par exception, si la protection de la personne concernée ou de ses biens le requiert, la législation d'un autre État « avec lequel la situation présente un lien étroit », peut être appliquée (article 13 de la convention de La Haye du 13 janvier 2000).

* (7) 7 La personne demandant ou contestant l'exécution d'une mesure de protection adoptée dans un État membre devant les autorités d'un autre État membre devrait produire une copie de la mesure réunissant les conditions pour en apprécier la validité et une attestation délivrée par l'autorité de l'État membre ayant adopté la mesure (le format de cette attestation étant normalisé par l'annexe I de la proposition de règlement). L'autorité de l'État requis serait toutefois en mesure d'exiger de cette personne une traduction.

* (8) 8 Ce formulaire serait normalisé par l'annexe II de la proposition de règlement.

* (9) 9 En pratique, l'original serait conservé par l'autorité d'émission, qui délivrerait une ou plusieurs copies certifiées conformes au demandeur.

* (10) 10 Pour rappel, aux termes de cet article, « un acte législatif peut déléguer à la Commission [européenne] le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif ».