COM(2022) 732 final  du 19/12/2022

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Proposition de directive concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes (COM (2022) 732)

I) Une coopération européenne efficace qui doit cependant aujourd'hui s'adapter à de nouveaux défis

1) Définition de la traite des êtres humains au niveau européen

La traite des êtres humains est une forme de criminalité grave et complexe, qui touche principalement les femmes et les enfants. L'Union européenne dispose depuis 2002 d'un cadre législatif visant à favoriser la coopération entre États membres dans la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre cette criminalité.

À l'heure actuelle, c'est la directive 2011/36/UE1(*), qui favorise et systématise cette coopération judiciaire et policière par la fixation d'exigences minimales.

Cette directive rappelle que la traite des êtres humains constitue une « infraction pénale grave » et la caractérise par les actes intentionnels suivants :

-« Le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, y compris l'échange ou le transfert du contrôle exercé sur ces personnes, par la menace de recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité (qui suppose que la personne concernée n'a pas d'autre choix que de se soumettre à cet abus), ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre, à des fins d'exploitation. » ;

-« L'exploitation comprend, au minimum, l'exploitation de la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, y compris la mendicité, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude, l'exploitation d'activités criminelles ou le prélèvement d'organes. »

2) La traite des êtres humains, un phénomène mondial et une menace grave pour l'Union européenne

La traite des êtres humains, forme de criminalité violente commise par des réseaux de criminalité organisée, est un phénomène mondial qui touche chaque pays, et qui est malheureusement bien présent dans les États membres de l'Union européenne.

Ainsi, sur la base des données disponibles pour l'année 2021 dans l'Union européenne2(*), les constats suivants peuvent être émis :

-Le nombre de victimes de la traite des êtres humains augmente dans l'UE (7 155 en 2021, en augmentation de 9,5% par rapport à 2020), soit 16 pour 1 million d'habitants. Les plus forts taux sont observés dans les États membres suivants : Luxembourg (79 pour 1 million d'habitants), Pays-Bas (45), Autriche (44), Lettonie (32) et France (27). Ces taux élevés signifient très probablement que les services compétents de ces États sont plus efficaces dans l'identification des victimes ;

- Les deux-tiers de ces victimes sont des femmes ;

- 43,9% des victimes sont originaires de l'État membre à l'origine du signalement, 15,4%, d'autres États membres, et 40,7%, de pays tiers ;

-Les motifs de l'exploitation des victimes ont été avant tout l'exploitation sexuelle (dans 55,7% des cas), puis le travail forcé (28,5% des cas) et les autres cas (15,8% des cas : criminalité, mendicité forcée...).

En France, où une mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) a été instituée en 2013, 4 868 victimes ont été repérées et 2 872 aidées par l'une des 44 associations partenaires de l'État, en 2021-2022.

39% de ces victimes avaient été exploitées à la fois en France et à l'étranger. 74% de ces personnes ont été victimes d'exploitation sexuelle, 18%, de travail forcé et 6% ont été contraintes à commettre des délits. La majeure partie des victimes accompagnées étaient des femmes (77%). Cependant, 57% des victimes mineures étaient des garçons et 63% étaient des mineurs non accompagnés.

Enfin, l'écrasante majorité des personnes exploitées (3/4) étaient originaires d'Afrique, en premier lieu du Nigéria et de Côte d'Ivoire.

3) L'évolution des formes prises par la traite des êtres humains

Dans son évaluation de la directive 2011/36/UE établie en 20213(*), la Commission européenne a reconnu les « progrès accomplis ces dix dernières années pour renforcer la réaction de l'Union face à la traite des êtres humains. » La coopération entre les principaux acteurs, y compris au niveau politique, a permis de nombreuses poursuites judiciaires et condamnations de criminels, amélioré l'identification des victimes et conforté leur accompagnement. En outre, des campagnes de sensibilisation et des programmes d'éducation ont été mises en place pour réduire les risques de nouvelles victimes.

Simultanément, cette évaluation souligne qu'une actualisation de la directive est nécessaire pour plusieurs motifs :

-la pandémie de COVID-19 a accentué la vulnérabilité économique et sociale de certains personnes, susceptibles de tomber sous la coupe des trafiquants, et a ralenti la réponse pénale face à cette criminalité ;

-les trafiquants ont développé de nouveaux modes de « recrutement » en ligne ;

-la traite des êtres humains demeure une activité très lucrative pour les groupes criminels : ainsi, dans l'Union européenne, la seule exploitation sexuelle engendrerait 14 milliards d'euros de recettes criminelles4(*) ;

-les entreprises de certains secteurs légaux (hôtellerie ; habillement ; pêche ; agriculture ; construction) peuvent avoir recours en connaissance de cause à la main d'oeuvre de personnes victimes de la traite des êtres humains ;

-enfin, la protection des femmes et des filles doit être mieux assurée. En particulier, les enfants représentent un quart des victimes de la traite d'êtres humains dans l'Union européenne.

***

II) L'objet de la proposition de directive

La présente proposition de directive complète et conforte la directive 2011/36/UE pour s'adapter aux mutations récentes de la traite des êtres humains.

1) Compléter la définition de la traite des êtres humains

Forte des constats effectués par la Commission européenne, par Europol et par les services répressifs nationaux, la proposition ajoute « le mariage forcé » et « l'adoption illégale »5(*) à la liste des actes intentionnels caractérisant la traite des êtres humains (article premier).

En outre, elle prend acte de la numérisation de ces pratiques criminelles (recrutement, organisation ou prise en charge du transport, du transfert, de l'hébergement ou de l'accueil des victimes...) dans un nouvel article 2 bis dans la directive 2011/36/UE.

2) Introduire un régime obligatoire de sanctions à l'encontre des personnes morales, différencié lorsqu'il s'agit d'une infraction standard ou d'une infraction aggravée

En l'état du droit, l'article 6 de la directive 2011/36/UE dispose que les États membres prennent les mesures nécessaires pour que toute personne morale tenue pour responsable d'infractions liées à la traite des êtres humains soit passible de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, qui incluent a minima des amendes pénales ou non pénales. Cet article ajoute que ces sanctions peuvent comprendre : a) des mesures d'exclusion du bénéfice d'un avantage ou d'une aide publics ; b) des mesures d'interdiction temporaire ou définitive d'exercer une activité commerciale ; c) un placement sous surveillance judiciaire ; d) une mesure judiciaire de dissolution ; e) la fermeture temporaire ou définitive d'établissements ayant servi à commettre l'infraction.

L'évaluation précitée souligne que les États membres ont bien mis en place des amendes mais que seule une minorité d'entre eux a transposé les mesures facultatives.

En conséquence, la proposition de directive soumise à votre examen renforce ce cadre législatif européen en distinguant :

-la situation où une personne morale est déclarée responsable de traite des êtres humains (infraction standard). Elle pourrait alors toujours être sanctionnée d'une amende et, le cas échéant, de mesures d'exclusion du bénéfice d'un avantage, d'une aide ou d'une subvention publics et de la fermeture (temporaire ou définitive) d'établissements ayant servi à commettre l'infraction ;

-la situation dans laquelle une personne morale est déclarée responsable de traite des êtres humaines avec un facteur aggravant (victimes particulièrement vulnérables, dont des enfants ; infraction commise dans le cadre d'une organisation criminelle ; infraction commise avec mise en danger de la vie de la victime ou avec des violences graves). Dans cette hypothèse, cette personne morale devrait être sanctionnée de mesures d'interdiction temporaire ou définitive, d'un placement sous surveillance judiciaire et d'une mesure judiciaire de dissolution.

3) Ajouter une référence au cadre juridique relatif au gel et à la confiscation des avoirs

Une actualisation du régime du recouvrement et de la confiscation d'avoirs a été proposée le 25 mai dernier par la Commission européenne. Cette proposition de directive6(*) doit faciliter le gel et la confiscation, dans les États membres, des avoirs détenus par les ressortissants russes et biélorusses considérés faisant l'objet de sanctions de l'Union européenne au titre de leur responsabilité dans le déclenchement de la guerre en Ukraine. L'article 7 de la directive 2011/36/UE est modifié pour assurer sa coordination avec la réforme en cours.

4) Sanctionner pénalement le fait d'utiliser les services d'une personne en sachant qu'elle est victime d'une infraction liée à la traite des êtres humains

En l'état du droit (article 18, paragraphe 4 de la directive 2011/36/UE), les États membres ont la faculté, mais pas l'obligation, de sanctionner le fait d'utiliser les services d'une personne victime de traite des êtres humains en connaissance de cause.

La proposition de directive modifierait l'état du droit en demandant aux États membres de qualifier obligatoirement cette « exploitation de la misère » comme une infraction pénale.

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III) La proposition de règlement est-elle conforme au principe de subsidiarité ?

Les bases juridiques choisies sont-elles pertinentes ? L'article 82, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), autorise en effet le Parlement européen et le Conseil, statuant par voies de directives, conformément à la procédure législative ordinaire, à établir des règles minimales portant en particulier, sur « les droits des victimes de la criminalité ». Quant à l'article 83, paragraphe 1, il vise une procédure similaire pour « établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière ». Ces bases sont donc, en l'espèce, pertinentes.

La proposition de directive est-elle nécessaire et apporte-t-elle une valeur ajoutée ?

Là encore, la réponse est positive. Malheureusement, la traite des êtres humains est un fléau qui persiste dans l'Union européenne et dans son voisinage immédiat. Elle ne peut être combattue que par une coopération européenne efficace. Sur ce point, la directive 2011/36/UE a répondu aux attentes mais elle doit aujourd'hui être « rafraîchie » afin de prendre en considération les nouveaux développements de cette traite, comme les activités en ligne.

Enfin, cette réforme est-elle proportionnée aux objectifs visés ?

La réponse est également positive. En effet, conformément aux dispositions du TFUE visées, ce cadre juridique pose des « règles minimales », et concilie nécessaire coordination des efforts des États membres et toute aussi nécessaire « marge nationale d'appréciation » dans les modalités de cette lutte, permettant aux États membres d'adapter ces règles minimales européennes à leur contexte juridique national par des mesures de transposition.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène

* 2 Source : Eurostat.

* 3 Communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions relative à la stratégie de l'Union européenne visant à lutter contre la traite des êtres humains (2021-2025), COM(2021) 171 final, 14 avril 2021.

* 4 Union européenne, cartographie du risque d'infiltration d'entreprises légitimes par la grande criminalité organisée, mars 2021.

* 5 La gestation pour autrui (GPA) ne figure pas dans la proposition de la Commission, mais on peut se demander si elle ne pourrait pas être considérée comme un acte caractérisant la traite des êtres humains.

* 6 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au recouvrement et à la confiscation des avoirs, COM(2022) 245 final.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 26/01/2023


Justice et affaires intérieure

Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes
COM(2022) 732 final - Texte E17430

(Procédure écrite du 10 avril 2023)

La commission a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-4 de la Constitution.