du 11/10/2007

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 13/10/2007
Examen : 17/10/2007 (délégation pour l'Union européenne)


Institutions européennes

Communication de Mme Marie-Thérèse Hermange
sur la répartition des sièges au Parlement européen

Texte E 3650

(Réunion du 17 octobre 2007)

En application de l'article 88-4 de la Constitution, et au titre de la clause facultative, notre délégation pour l'Union européenne a été saisie le 12 octobre dernier, de la résolution du Parlement européen sur sa propre composition.

Le 23 juin dernier, le Conseil européen avait en effet invité le Parlement européen à présenter, au plus tard en octobre 2007, un projet « en vue d'ouvrir la voie au règlement de la question de la future composition du Parlement européen en temps utile avant les élections de 2009 ». Le Parlement européen avait répondu favorablement à cette invitation en juillet et il avait désigné deux rapporteurs, notre compatriote Alain Lamassoure (PPE-DE), et le député européen roumain Adrian Severin (PSE), qui ont préparé le projet de résolution, adopté jeudi dernier en séance plénière.

Je vais donc vous présenter cette réforme, afin que notre délégation puisse se prononcer sur son bien-fondé et adopter, si vous en êtes d'accord, des conclusions.

POURQUOI REVOIR LA COMPOSITION DU PARLEMENT EUROPÉEN ?

Aujourd'hui et jusqu'à la fin de la législature 2004-2009, le Parlement européen comprend 785 députés, selon la répartition figurant dans le tableau annexé à la présente communication (colonne « sièges jusqu'en 2009 »). En effet, si l'article 190 du traité des Communautés européennes, résultant des modifications apportées par le traité de Nice, fixe le nombre de députés européens à un maximum de 736, le protocole relatif aux conditions et modalités d'admission de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne, annexé au traité d'adhésion du 25 avril 2005, permet de porter provisoirement le nombre de membres du Parlement à 785.

Pour les élections de 2009, le même protocole prévoit de revenir au nombre global de 736, répartis non plus entre 25, mais entre 27 États membres, de telle sorte que tous les États membres sauf l'Allemagne, la Slovénie, l'Estonie, Chypre, le Luxembourg et Malte, perdraient plusieurs sièges (la perte maximale étant de six pour la France, le Royaume-Uni et l'Italie, et la perte minimale d'un siège pour tous les États membres compris entre la Suède et la Lettonie). Ces nombres figurent également dans le tableau (colonne « Nice révisé »).

Cette nouvelle répartition des sièges s'appliquerait en l'absence de nouvelle modification des traités. Mais, comme vous le savez, le Conseil européen a donné mandat, en juin dernier, à la Conférence intergouvernementale (CIG) d'intégrer dans le nouveau « traité modificatif » les dispositions relatives à la composition du Parlement européen qui figuraient dans le projet de traité constitutionnel. Ainsi, les dispositions qui figuraient à l'article I-20 du projet de traité constitutionnel devraient être reprises, à quelques modifications de forme près (1(*)), dans l'article 9 A du titre III du traité sur l'Union européenne :

« Le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l'Union. Leur nombre ne dépasse pas sept cent cinquante. La représentation des citoyens est assurée de façon dégressivement proportionnelle, avec un seuil minimum de six membres par État membre. Aucun État membre ne se voit attribuer plus de quatre-vingt seize sièges.

Le Conseil européen adopte à l'unanimité, sur initiative du Parlement européen et avec son approbation, une décision fixant la composition du Parlement européen, dans le respect des principes visés au premier alinéa. »

Le projet de traité qui sera soumis aux ratifications nationales, si la CIG réussit, fixe donc un nombre maximal de 750 députés européens avec un plancher de 6 députés européens et un plafond de 96 députés européens par État membre, mais renvoie la question de la répartition des sièges à une décision du Conseil européen, à l'unanimité, sur initiative et avec approbation du Parlement européen. Il était donc logique que le Conseil européen invite le Parlement européen à adopter rapidement une résolution sur ce thème. Si la proposition du Parlement européen est adoptée à l'unanimité par le Conseil européen, elle sera jointe à l'acte final de la CIG, pour entrer en vigueur immédiatement après la ratification du traité modificatif.

QUELLES SONT LES PROPOSITIONS DU PARLEMENT EUROPÉEN ?

Avant toute chose, l'initiative du Parlement européen est encadrée par les dispositions du projet de traité modificatif, à savoir les dispositions chiffrées précitées, mais également des dispositions de fond : les parlementaires européens sont des représentants des citoyens de l'Union et la représentation de ces citoyens doit être assurée de façon « dégressivement proportionnelle ».

La proposition de résolution du Parlement européen préparée par MM. Lamassoure et Severin respecte ces conditions puisque, dans son article premier, elle indique que « le principe de proportionnalité dégressive » s'applique de telle sorte que plus un pays est peuplé, plus il a droit à un nombre de sièges élevé et plus le nombre d'habitants que chacun de ses députés européens représente est élevé. Le tableau de répartition des sièges figurant à l'article 2 de la résolution en atteste (colonne « nouvelle proposition »).

Cependant, la résolution s'appuie sur la population de chaque État membre pour définir le nombre de ses parlementaires européens, en prenant comme référence les statistiques d'Eurostat. Cela correspond aux nombres utilisés pour définir la pondération des voix au Conseil en l'absence de définition commune des « citoyens européens », mais ce n'est pas pleinement satisfaisant dans la mesure où la population résidant sur le territoire de chaque État membre ne correspond pas directement au nombre de citoyens européens. Le Parlement européen devrait donc, comme indiqué dans le projet de déclaration annexé à la résolution, retravailler sur ce thème pour les élections de 2014.

Pour ce qui concerne les nombres minimum et maximum fixés par le projet de traité, la résolution non seulement les respecte, mais choisit de les utiliser « pleinement ». Il en résulte que le maximum de députés possible, soit 96, est accordé au pays le plus peuplé (l'Allemagne) et que le chiffre plafond de 750 sièges est entièrement réparti entre les actuels États membres sans prendre en compte d'éventuels élargissements, considérant qu'un dépassement temporaire, déjà utilisé pour l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie, sera possible. Dans son article 3, la résolution précise en tout état de cause que la décision sur la composition du Parlement européen sera révisée « suffisamment longtemps avant le début de la législature 2014-2019 ». Comme l'a fait valoir le rapporteur Alain Lamassoure, il n'était pas possible, dans le temps imparti, de construire un système idéal et définitif.

Ainsi, le Parlement européen choisit, non pas de remettre à plat toute la distribution des sièges, mais d'utiliser la « marge » existante entre le chiffre prévu par les traités actuels de 736 et le nouveau plafond de 750 sièges, pour « distribuer » ces sièges supplémentaires aux États les moins bien dotés. Seule l'Allemagne, en raison du plafond, voit son nombre de sièges diminuer de trois unités. Les sièges supplémentaires sont répartis comme suit : France + 2 ; Royaume-Uni + 1 ; Espagne + 4 ; Pologne + 1 ; Pays-Bas + 1 ; Suède + 2 ; Autriche + 2 ; Bulgarie + 1 ; Lettonie + 1 ; Slovénie + 1 ; et Malte + 1. Il s'agit d'une approche pragmatique, et non mathématique.

La commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen a adopté mardi 2 octobre le rapport de MM. Lamassoure et Severin, par 17 voix pour, 5 contre et 3 abstentions. Le rapport a été adopté en séance plénière le 11 octobre (378 voix pour, 154 contre et 109 abstentions).

QUELLE APPRÉCIATION PORTER SUR CETTE INITIATIVE ?

Comme on pouvait s'y attendre, la proposition de nouvelle répartition des sièges a soulevé les passions.

Tout d'abord, même si les nouvelles règles de double majorité au Conseil prévues dans le traité modificatif ne s'appliquent qu'en 2014, le principe de « surreprésentation » des États petits et moyens au Parlement européen a été défendu par ces États comme une contrepartie légitime et indispensable à leur faiblesse relative au Conseil. Aussi, l'initiative un moment soutenue par la CDU allemande, tendant à accroître la proportionnalité des sièges au Parlement européen et donc à donner davantage de sièges aux grands États, n'a pas été soutenue. De même, si le nombre minimum de 6 députés pour Malte est reconnu comme élevé, le principe de « bonus » aux petits États est fortement défendu.

Les critiques sont plutôt apparues en raison de ruptures de traitement entre des États membres, qui se considéraient à égalité. Ainsi, alors que la Pologne s'était battue au sommet de Nice pour être traitée sur un pied d'égalité avec l'Espagne, tant au Conseil qu'au Parlement européen, les changements de population intervenus depuis lors (2(*)) conduisent à accorder désormais plus de sièges à l'Espagne. De même, l'Italie conteste qu'elle puisse disposer de moins de députés européens (72) que le Royaume-Uni (73) ou la France (74). Le représentant permanent italien a écrit aux autres pays membres pour proposer des solutions alternatives et s'indigner qu'il soit tenu compte du critère de population et non de citoyenneté. La réaction de l'Italie s'inscrit surtout sur le plan symbolique, car, la population italienne étant plus faible que celle du Royaume-Uni et de la France, il est logique que le nombre de députés européens soit différent.

Au-delà des critiques de certains États membres, il faut observer que les propositions du Parlement européen consolident tout de même les décisions prises antérieurement, alors qu'une « remise à plat » complète de la composition du Parlement européen aurait pu conduire à des résultats sensiblement différents. On observe ainsi que, même si l'Allemagne perd trois députés européens par rapport au statu quo, le nombre qui lui est accordé, soit le plafond prévu par le traité (96), reste encore très favorable. D'un strict point de vue arithmétique, la France compte par exemple 19,2 millions d'habitants de plus que l'Espagne et se voit accorder 20 députés européens supplémentaires alors que l'Allemagne compte 19,5 millions d'habitants de plus que la France et se voit accorder 22 députés européens supplémentaires. Pour les petits pays, on constate que l'Estonie, qui compte 1,3 million d'habitants, dispose de 6 députés européens, comme Malte, qui compte moins de 400.000 habitants. Il conviendra que le nouveau dispositif pour la législature 2014-2019 permette une redistribution des cartes plus objective. Dans le temps imparti, le Parlement européen ne pouvait évidemment procéder à une réflexion d'ensemble ni proposer de formule mathématique pour la répartition des sièges, mais une telle formule permettrait pourtant de donner des résultats incontestables.

Je vous propose donc que notre délégation adopte des conclusions qui, tout en se félicitant de la proposition du Parlement européen, invitent à oeuvrer pour une répartition des sièges en 2014-2019 qui tienne compte de critères objectifs et, si possible, mathématiques. J'ajoute que la question de la répartition des sièges au Parlement européen est très importante car en découle la répartition des parlementaires dans les commissions permanentes et l'attribution des rapports législatifs. Le critère de nationalité ne joue pas seul puisque s'applique la règle d'Hondt, prenant en compte la répartition dans les groupes politiques.

QUELLES SONT LES PROCHAINES ETAPES ?

Le Conseil européen doit se prononcer les 18 et 19 octobre prochains sur la proposition de décision adoptée par le Parlement européen, en même temps que sur le projet de traité modificatif.

En raison notamment de l'opposition italienne, il existe actuellement un risque que le Conseil européen ne parvienne pas à un accord à l'unanimité sur la composition du Parlement européen. Dans ces conditions, la décision pourrait être renvoyée à un autre Conseil européen, puisque, si la décision doit intervenir « suffisamment longtemps » avant les élections européennes, elle peut encore être prise dans le courant de l'année 2008. Il faudra cependant que la question soit résolue au plus tard sous présidence française, sauf à appliquer le régime prévu par les traités précédents, ramenant le nombre de parlementaires européens à 736.

Par ailleurs, si, juridiquement, l'accord sur la composition du Parlement européen peut être dissocié de l'accord sur le traité, deux États membres au moins, l'Espagne et Malte, ont déclaré précédemment qu'un tel accord était indispensable pour qu'ils adoptent le projet de traité. La levée des réserves italiennes pourrait donc devenir un enjeu important pour l'adoption du traité modificatif.

Enfin, si la nouvelle composition du Parlement européen est adoptée, il faut rappeler que sa mise en oeuvre dépendra, bien entendu, de la ratification du nouveau traité modificatif. Cette ratification devra intervenir suffisamment longtemps avant les élections européennes, soit si possible avant mars 2009, pour que les nouvelles dispositions puissent s'appliquer.

M. Hubert Haenel :

Je remercie notre collègue Marie-Thérèse Hermange pour sa communication empreinte de sagesse. Comme elle l'a souligné, les rapporteurs du Parlement européen, dont notre collègue Alain Lamassoure, ont fait de leur mieux pour procéder à l'attribution des sièges compte tenu des contraintes de l'exercice. Lors de la réunion de la COSAC qui s'est tenue hier au Portugal, j'ai d'ailleurs eu l'occasion d'évoquer cette question avec nos collègues italiens. Ils m'ont informé que l'ordre du jour du Sénat devait comporter aujourd'hui même une interpellation du Président Romano Prodi à propos de la composition du Parlement européen. En ce moment même, le Sénat adopte donc une motion engageant le gouvernement à refuser son consentement à une décision qui altérerait, dans la composition du Parlement européen, les équilibres établis entre les pays par les traités actuellement en vigueur et qui serait en contradiction avec le texte de l'article 9A du projet de traité qui devrait faire l'objet d'un accord politique lors de la réunion du Conseil européen de cette semaine. Cet article, comme nous l'a rappelé Marie Thérèse Hermange, précise en effet que « le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l'Union ». Il est intéressant de noter que cette interpellation se déroule au Sénat, et non à la Chambre des députés italienne, alors même que la majorité en faveur du gouvernement Prodi est particulièrement étroite au Sénat.

À l'issue de ce débat, la délégation a adopté des conclusions à l'unanimité.

Conclusions

La délégation pour l'Union européenne du Sénat :

Vu la résolution du Parlement européen du 11 octobre 2007 sur la composition du Parlement européen (P6_TA(2007)0429),

1. Se félicite que le Parlement européen soit parvenu à adopter en temps utiles une résolution définissant la composition du Parlement européen qui correspond à une représentation adaptée des citoyens européens, compte tenu des limites posées par le Conseil européen ;

2. Comprend les observations des autorités italiennes sur la nécessité de mieux prendre en compte le nombre exact de citoyens européens, mais estime que, en l'absence de données statistiques, la réflexion ne pourra être engagée que pour la législature 2014-2019 ;

3. Souhaite une redéfinition de la composition du Parlement européen dans le respect du principe de proportionnalité dégressive pour la législature 2014-2019, par la mise en oeuvre de principes objectifs et, si possible, de formules mathématiques pour la répartition des sièges.

TABLEAU

EM

Population

(en millions)

% de l'UE-27

Sièges jus-qu'en 2009

«Nice» rév. 2009-2014

«Nice» rév. - Ratio population/MPE

«Nouvelle propo-sition »

2009-2014

«Nouveau» - ratio population/MPE

Proposi-tion (effets)

Allemagne

82,438

16,73%

99

99

832 707

96

858 729

-3

France

62,886

12,76%

78

72

873 417

74

849 811

+2

Royaume-Uni

60,422

12,26%

78

72

839 194

73

827 699

+1

Italie

58,752

11,92%

78

72

816 000

72

816 000

 

Espagne

43,758

8,88%

54

50

875 160

54

810 333

+4

Pologne

38,157

7,74%

54

50

763 140

51

748 176

+1

Roumanie

21,61

4,38%

35

33

654 848

33

654 848

 

Pays-Bas

16,334

3,31%

27

25

653 360

26

628 231

+1

Grèce

11,125

2,26%

24

22

505 682

22

505 682

 

Portugal

10,57

2,14%

24

22

480 455

22

480 455

 

Belgique

10,511

2,13%

24

22

477 773

22

477 773

 

Rép. tchèque

10,251

2,08%

24

22

465 955

22

465 955

 

Hongrie

10,077

2,04%

24

22

458 045

22

458 045

 

Suède

9,048

1,84%

19

18

502 667

20

452 400

+2

Autriche

8,266

1,68%

18

17

486 235

19

435 053

+2

Bulgarie

7,719

1,57%

18

17

454 059

18

428 833

+1

Danemark

5,428

1,10%

14

13

417 538

13

417 538

 

Slovaquie

5,389

1,09%

14

13

414 538

13

414 538

 

Finlande

5,256

1,07%

14

13

404 308

13

404 308

 

Irlande

4,209

0,85%

13

12

350 750

12

350 750

 

Lituanie

3,403

0,69%

13

12

283 583

12

283 583

 

Lettonie

2,295

0,47%

9

8

286 875

9

255 000

+1

Slovénie

2,003

0,41%

7

7

286 142

8

250 375

+1

Estonie

1,344

0,27%

6

6

224 000

6

224 000

 

Chypre

0,766

0,16%

6

6

127 667

6

127 667

 

Luxembourg

0,46

0,09%

6

6

76 667

6

76 667

 

Malte

0,404

0,08%

5

5

80 800

6

67 333

+1

 

492,881

100,0%

785

736

669 675

750

657 175

 


* (1) Le terme de décision « européenne » est modifié, la phrase selon laquelle « les nouvelles règles de composition dont l'adoption est prévue entreront en vigueur en 2009 » est supprimée.

* (2) 5 millions d'habitants supplémentaires en Espagne, 500.000 habitants en moins en Pologne.