Date d'adoption du texte par les instances européennes : 20/10/2003

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 11/02/2003
Examen : 30/09/2003 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et affaires intérieures

Communication de M. Hubert Haenel sur le projet d'accord
entre Europol et la Fédération de Russie

Texte E 2200

(Réunion du 30 septembre 2003)

Nous sommes saisis d'un projet d'accord entre Europol et la Fédération de Russie qui s'inscrit dans le cadre des accords conclus par l'Office européen de police avec plusieurs pays tiers.

Ce texte figure à l'ordre du jour du Conseil « Justice et Affaires intérieures » des 2 et 3 octobre prochains où il devrait en principe être adopté, toutes les délégations ayant levé leurs réserves.

Bien que ce projet ne soulève plus de difficultés pour notre gouvernement, je voudrais cependant vous faire part de trois sujets de préoccupations.

Tout d'abord, il existe une certaine ambiguïté à propos de la transmission des données à caractère personnel.

Alors que l'article 2 du texte précise que l'accord ne comprend pas l'échange de telles données, qui devrait faire l'objet d'un accord distinct, le Conseil d'État a fait, dans son avis, une analyse différente.

Il a en effet estimé que cet accord comprend des dispositions relatives à la transmission de données à caractère personnel. L'Autorité de contrôle commune s'est d'ailleurs émue de ne pas avoir été consultée sur ce texte, ce qui va dans le sens de l'avis du Conseil d'État.

Les négociateurs français expliquent cette divergence par le fait que le contenu du texte a évolué au fur et à mesure des négociations. Ils affirment que la dernière version est claire sur ce point et que le projet d'accord ne comprend pas l'échange de données à caractère personnel.

Compte tenu du caractère sensible de ce sujet, il me semble nécessaire de rappeler au Gouvernement notre préoccupation à l'égard de la transmission des données à caractère personnel, afin de lever toute ambiguïté.

La deuxième inquiétude concerne le champ de la coopération entre Europol et les services russes qui me paraît aller au-delà des compétences reconnues par les traités à l'office européen de police.

La liste des domaines de coopération, prévue à l'article 4, est en effet très large puisqu'elle comprend, par exemple, les atteintes à la vie ou à la santé des personnes ou encore la prostitution.

Il serait donc préférable de faire explicitement référence à la Convention et aux compétences d'Europol, comme c'est d'ailleurs généralement la règle pour ce type d'accord.

Enfin, une curieuse disposition figure à l'article 15 d'après laquelle « pour le déroulement de la coopération prévue par le présent accord, les parties utilisent la langue russe et anglaise ».

D'après cette disposition, nos fonctionnaires devaient donc s'exprimer en anglais lorsqu'ils participent à des séminaires et l'échange d'informations devrait s'effectuer uniquement dans cette langue.

Au moment où l'on parle de renforcer la présence française, y compris linguistique, au sein des institutions européennes en général et d'Europol en particulier, il me paraît particulièrement choquant d'exclure ainsi notre langue au profit de l'anglais.

Cela contrevient, en effet, aux dispositions européennes qui n'établissent en aucun cas un monopole linguistique.

Par ailleurs, ce cas pourrait constituer un dangereux précédent dans le contexte de l'élargissement.

La délégation a décidé d'adresser au ministre de l'Intérieur une lettre faisant état de ces trois préoccupations.

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

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DÉLÉGATION
POUR
L'UNION EUROPÉENNE

LE PRÉSIDENT

Paris, le 30 septembre 2003

Monsieur le Ministre,

Comme vous le savez, la délégation pour l'Union européenne du Sénat que je préside s'efforce, dans l'exercice de sa mission au titre de l'article 88-4 de la Constitution, de faciliter la tâche de votre Gouvernement en matière de négociations des textes européens.

Ayant été informée assez tardivement que le projet d'accord entre Europol et la Fédération de Russie (texte E 2200) figurait à l'ordre du jour du Conseil Justice et Affaires intérieures des 2 et 3 octobre prochains, en vue d'une adoption, notre délégation a donc examiné ce texte lors de sa réunion du 30 septembre 2003.

Bien que ce projet ne semble plus soulever d'objections de la part des différents États au sein du Conseil, et notamment de notre pays, je voudrais néanmoins vous faire part de trois sujets de préoccupations exprimés par la délégation pour l'Union européenne du Sénat à propos de ce texte.

Tout d'abord, il apparaît une certaine ambiguïté sur le fait de savoir si cet accord comprend ou non l'échange de données à caractère personnel. Alors que l'article 2 du texte précise que l'accord ne comprend pas l'échange de telles données, qui devront faire l'objet d'un accord distinct, le Conseil d'État a, en effet, fait, dans son avis, l'analyse opposée en considérant que cet accord comprenait bien des dispositions relatives à la transmission de données à caractère personnel. Compte tenu du caractère extrêmement sensible de ce sujet, il me semble qu'une clarification serait nécessaire afin de lever toute ambiguïté sur ce point.

.../

Monsieur Nicolas SARKOZY

Ministre de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure

et des Libertés locales

Place Beauvau

75800 PARIS

Notre deuxième inquiétude porte sur le champ de la coopération prévu entre Europol et les services de la Fédération de Russie, qui paraît aller au-delà des compétences reconnues par les traités à l'Office européen de police. Nous estimons qu'il aurait été préférable de faire explicitement référence à la Convention instituant Europol et aux compétences reconnues à cet Office, comme c'est d'ailleurs généralement la règle pour ce type d'accord.

Enfin, notre délégation vous fait part de son étonnement à l'égard d'une curieuse disposition figurant à l'article 15, d'après laquelle, « pour le bon déroulement de la coopération prévue par le présent accord, les parties utilisent la langue russe et anglaise ».

Cette disposition méconnaît, en effet, tant les normes européennes, qui reconnaissent notre langue comme une langue officielle et de travail dans les institutions européennes, que les règles issues de notre droit interne, qui imposent aux fonctionnaires français de s'exprimer uniquement dans notre langue.

Au moment où l'on parle de renforcer la présence française au sein des institutions européennes en général et d'Europol en particulier, il peut sembler surprenant d'exclure ainsi notre langue au profit de l'anglais. En outre, ce cas pourrait constituer un dangereux précédent dans le contexte de l'élargissement.

J'ai d'ailleurs noté avec un grand intérêt la contribution des autorités françaises sur Europol que vous avez présentée lors du Conseil Justice et Affaires intérieures des 12 et 13 septembre derniers. Cette contribution rejoint en effet très largement les préoccupations exprimées par le Sénat sur Europol, et en particulier la nécessité d'assurer un contrôle parlementaire des activités de l'Office qui devrait faire intervenir les parlements nationaux, comme vous l'aviez souligné lors de votre audition au Sénat.

Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, à l'assurance de ma considération distinguée.

Hubert HAENEL