COM (2000) 302 final  du 20/06/2000
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 19/01/2001

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 17/10/2000
Examen : 24/10/2000 (délégation pour l'Union européenne)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Energie

Communication de M. Lucien Lanier
sur les dispositions relatives à l'heure d'été (E 1568)

(Réunion du 24 octobre 2000)

En octobre 1996, voici quatre ans déjà, notre collègue Philippe François nous avait présenté un rapport d'information concernant l'heure d'été. En effet, le Gouvernement d'alors envisageait de modifier, voire de supprimer un système consistant, deux fois l'an, à retarder ou à avancer nos pendules d'une heure, et qui nous conduit à être en avance d'une heure en hiver sur l'heure solaire et de deux heures en été.

L'Assemblée nationale avait également reçu, dans le même temps, le rapport de M. François-Michel Gonnot, parlementaire en mission, sur le sujet.

Il s'est trouvé alors que, par ces deux rapports, le Sénat et l'Assemblée concluaient dans un sens identique au peu de nécessité qu'il y avait à laisser se perpétuer un dispositif perturbant pour la continuité de rythme des êtres et des choses, et dont l'argument clef, à savoir l'économie d'énergie, avait en grande partie perdu de son intérêt et de sa valeur.

Bref, notre collègue Philippe François nous avait démontré qu'à l'évidence, la question du choix de l'heure nationale relevait de la compétence de chacun des Etats membres, et qu'en l'occurrence s'appliquerait le principe de subsidiarité, fort débattu à l'époque.

Tout en l'admettant, la Commission européenne souhaitait, non sans raison également, à tout le moins, harmoniser l'action des pays membres adhérant au système de l'heure d'été.

C'est en ce sens que, dès juillet 1997, une directive (la huitième sur ce thème) du Parlement européen et du Conseil reconduisait pour une période de quatre ans - de 1998 à 2001 - les dispositions par lesquelles l'heure d'été commence le dernier dimanche de mars pour se terminer le dernier dimanche d'octobre dans tous les pays membres, sans exception.

Ajoutons que, pour mieux affirmer cette décision, les Etats membres refusaient à très large majorité d'insérer dans la directive toute possibilité de dérogation pouvant permettre à un Etat membre de ne pas appliquer le régime d'heure d'été, ainsi caporalisé. C'est-à-dire que les Etats membres étaient, selon l'interprétation de la directive, dans l'obligation d'appliquer à la fois un régime d'heure d'été, et un calendrier commun pour la fixation des périodes de l'heure d'été.

Tout cela aurait été fort clair, répondant au voeu, au demeurant louable, de la Commission d'unifier dans l'Union le système de l'heure d'été, si ce n'est que la directive, subissant le penchant des textes internationaux pour ménager la chèvre et le chou, reconnaissait « qu'en vertu du principe de subsidiarité, la fixation de l'heure en vigueur dans chacun des Etats membres relève d'une décision purement nationale ». Mais qu'en s'opposant à toute dérogation, les Etats avaient, a contrario, imposé le système de l'heure d'été dans sa totalité, effaçant ainsi en l'occurrence tout appel à la subsidiarité. Considération pour le moins spécieuse, reconnaissons-le.

Et pour mieux étayer le bien-fondé de sa thèse, la Commission commanditait l'élaboration d'un rapport d'information sur les avantages et les inconvénients du système de l'heure d'été.

*

Nous voici maintenant à l'heure de vérité, à la fin de la période prorogeant le système pour quatre ans jusqu'en 2001.

Cela conduit aujourd'hui la Commission à proposer la prolongation du système - sans désormais le limiter dans le temps à une seule période probatoire - de l'heure d'été, espérant ainsi le rendre définitif, autant que cohérent, au sein de l'Union.

Pour ce faire, la Commission s'appuie sur le fameux rapport d'information déposé en mars 1999, après appel d'offres, par un consultant indépendant. Ce rapport, très dense, s'est voulu complet dans son étude des impacts de l'heure d'été sur l'ensemble des questions économiques et sociales.

Malheureusement, ledit rapport apparaît fort scolastique et, pourquoi ne pas le dire, passablement « diafoirique ». A force d'analyses très techniques, le pour et le contre s'annihilent dans des conclusions incertaines.

A titre d'exemple, concernant l'agriculture, le rapport conclut - je me contente d'en extraire quelques citations - « Malheureusement, l'absence de données détaillées, le faible taux de réponse au questionnaire, ne permet pas de conclure avec certitude sur une prédominance d'effets négatifs ou positifs sur ce secteur. » Ce qui signifie en clair que l'heure d'été agit différemment entre le nord et le sud, l'est et l'ouest, et que les vaches, même bien gardées, ne réagissent pas de la même façon selon qu'elles sont autrichiennes, allemandes ou écossaises.

Autre exemple concernant l'environnement : le rapport d'information s'engage à fond dans l'étude de la pollution et de la formation d'ozone, pour conclure « qu'une diminution de la quantité d'hydrocarbures entraînera une diminution du taux d'ozone, et que pendant la nuit les concentrations d'ozone sont à leur minimum ». Que n'a-t-on confié le rapport à M. de La Palice ?

Il est vrai, ajoute prudemment le rapporteur, « qu'il existe peu d'études scientifiques détaillées sur le sujet et que les conclusions divergent largement d'une école l'autre ».

On ne saurait être plus précis dans le flou, ce qui permet d'écrire encore que « les mécanismes sous-jacents aux effets produits par la pollution ne sont pas encore bien compris... il semble bien difficile, voire impossible, de tirer des conclusions concernant un impact direct de l'heure d'été sur l'environnement... ».

Mais, trêve d'ironie et de critique, pour ne retenir que l'honnêteté du rapporteur quant à ses conclusions. Car tout n'est pas médiocre dans cet illustre rapport. Nous apprenons en effet que, concernant le problème crucial des économies d'énergie qui est à l'origine du système heure d'été, les économies sont en réalité très limitées, quoique variables selon les Etats et, bien sûr, leur situation géographique. L'énergie économisée serait en moyenne de 0,3 %, et en termes financiers évaluée entre 2 à 2,7 milliards d'euros. Faut-il, là encore, citer le rapporteur : « ... il ne semble pas possible d'aboutir à des résultats offrant une réelle fiabilité et précision ».

Les résultats de l'enquête sont tout aussi flous concernant la santé et la sécurité routière, même s'ils donnent lieu à une étude poussée sur l'influence de la mélatonine dans la fonction du sommeil.

En définitive, le rapport d'information n'est vraiment favorable à l'heure d'été que concernant les loisirs.

Pour ce qui est du tourisme et des transports, le système heure d'été inclut des modifications fréquentes d'horaires suivant les changements de calendrier qui se traduisent souvent par un véritable casse-tête. La Commission en tire la conclusion qu'il est impératif d'harmoniser les créneaux horaires. L'exemple des compagnies d'aviation est à cet égard patent.

Disons en conclusion que le fameux rapport sur lequel s'appuient les convictions de la Commission ne peut vraiment servir car il n'emporte notre conviction ni dans un sens ni dans l'autre.

Toutefois, la Commission propose la prolongation du système de changement d'heures deux fois par an - sans le limiter par une nouvelle période probatoire - et le rend définitif et surtout imposable sans dérogation, aux Etats membres autant qu'aux Etats candidats. Ainsi la période de l'heure d'été commencera le dernier dimanche de mars pour s'achever le dernier dimanche d'octobre.

Pour mettre un bémol, la Commission propose d'élaborer tous les cinq ans un calendrier daté, et surtout la présentation d'ici à 2008 d'un nouveau rapport d'information... De quoi rouvrir éternellement le débat.

Ces dernières propositions sont, semble-t-il, sans cohérence avec le souci, compréhensible en soi, de la Commission d'en finir une bonne fois avec ce sujet de l'heure d'été, en créant le pouvoir de l'imposer uniformément aux nouveaux membres nés de l'élargissement à venir. Sans dénigrer les motivations très administratives de la Commission, ne peut-on penser qu'un soin plus attentif devrait être porté à la différence des situations géographiques et des fuseaux horaires ?

C'est pourquoi la position pérenne du Sénat à cet égard a toujours été beaucoup plus nuancée afin de serrer au maximum le bon sens ; c'est aussi ce que conclut la proposition de résolution qui vous est soumise.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Avant d'ouvrir le débat, je vous précise que, selon une appréciation constante du Conseil d'Etat, la fixation de l'heure ne relève pas du domaine législatif. C'est pourquoi il ne nous avait pas été possible de déposer, ni a fortiori d'adopter, une résolution sur la proposition de directive de 1996. Toutefois, la révision constitutionnelle de janvier 1999 a introduit, dans l'article 88-4 de la Constitution, la clause qui permet au Gouvernement de soumettre à l'Assemblée nationale et au Sénat les textes européens qui ne comportent pas de dispositions de nature législative. Sachant l'intérêt que le Sénat avait porté à cette question par le passé, j'ai fait part au Gouvernement de notre souhait que cette nouvelle proposition de directive nous soit soumise dans le cadre de l'article 88-4. Le Gouvernement a bien voulu répondre favorablement à cette demande, ce qui nous permet aujourd'hui d'examiner une proposition de résolution.

M. Pierre Fauchon :

A titre personnel, je suis favorable au système horaire actuel qui permet de bénéficier de longues soirées durant la période estivale.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je comprend parfaitement cette considération hédoniste, mais il faut bien dire que le monde rural, comme d'autres populations sensibles, est très sensible à ce problème d'heure d'été et aux difficultés de vie quotidienne résultant de ce changement horaire semestriel.

M. Jean-Paul Emin :

D'après le rapport technique présenté à l'appui de la proposition de directive, il semble que seul le domaine des loisirs tire avantage de ce système horaire. Suivant l'opinion des sociologues, nous irions vers une civilisation des loisirs. C'est pourquoi j'approuve votre proposition finale consistant à réintégrer notre fuseau horaire naturel, ce qui permettra tout à la fois d'allonger les soirées d'été et de limiter le décalage de notre heure légale avec l'heure solaire.

M. Aymeri de Montesquiou :

J'ai été surpris par le chiffre évoqué dans le rapport technique en matière d'économies d'énergie permises par ce dispositif horaire : 0,3 % de la consommation énergétique annuelle, soit 2,1 à 2,7 milliards d'euros par an. C'est une somme considérable.

M. Lucien Lanier :

En réalité, il faut relativiser largement ce chiffre qui n'est qu'une hypothèse de départ. Le rapport précise ensuite, je vous le lis, que « compte tenu de la nécessité de déduire le coût supplémentaire lié à la consommation accrue d'énergie due au chauffage le matin au moment du changement horaire et la consommation de carburant supplémentaire engendrée par l'augmentation du trafic à des fins de loisirs, la valeur des économies se réduirait à 0,8 milliard d'euros par an. De plus, déduction faite du coût lié à la surconsommation de carburant par les voitures, on aboutirait à une économie estimée aux alentours de 200 millions d'euros par an pour l'ensemble de l'Union. Bien évidemment, compte tenu du nombre d'hypothèses considérées sur lesquelles se fondent les estimations, il ne semble pas possible d'aboutir à des résultats offrant une réelle fiabilité et précision. Par conséquent, ce chiffre n'a été fourni qu'à titre d'indication. » On peut donc considérer que l'économie d'énergie permise par l'heure d'été confine au symbolique.

M. Aymeri de Montesquiou :

Effectivement, seule la considération des loisirs semble désormais pertinente pour la poursuite de ce système horaire. N'y a-t-il toutefois pas de complication particulière liée au fait de ne pas avoir une heure unique en Europe ?

M. Hubert Haenel :

Pour des raisons évidentes, liées à sa géographie, l'Union affiche déjà trois heures différentes : celle en vigueur au Royaume-Uni, en Irlande et au Portugal ; celle applicable à l'Europe continentale, et celle particulière à la Grèce.

A l'issue de ce débat, la délégation a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les dispositions relatives à l'heure d'été (E 1568),

Demande au Gouvernement de s'opposer à l'adoption de ce texte, tendant à prolonger le dispositif de l'heure d'été au-delà de 2001 et ce, sans limitation de durée, pour les motifs suivants :

- le rapport scientifique sur lequel il fonde sa position n'apporte pas d'élément convaincant, notamment pour ce qui concerne les économies d'énergie induites par ce mécanisme ; l'utilité du changement d'heure n'est donc pas patente, compte tenu des inconvénients qu'il comporte par ailleurs en termes de pollution de l'air et de confort de vie ;

- le choix de l'heure en vigueur dans chacun des Etats membres relève, selon la Commission européenne elle-même, d'une décision purement nationale, en vertu du principe de subsidiarité ; il est donc inexact d'affirmer l'impossibilité pour un Etat membre de déroger au dispositif sans l'accord du Conseil ;

- l'intégration du dispositif de l'heure d'été à l'acquis communautaire imposable aux Etats candidats à l'entrée dans l'Union ne tient pas suffisamment compte de leurs spécificités géographiques.

Invite en conséquence le Gouvernement à rechercher une solution durable à ce problème récurrent de la fixation de l'heure légale :

- en renonçant au dispositif de changement d'heure et en maintenant, sur l'année, l'horaire GMT plus une heure ;

- à défaut, en conservant le système actuel, mais en réintégrant la France dans son fuseau horaire naturel conduisant à l'application de l'heure GMT en hiver et GMT plus une heure en été.