COM (1999) 331 final  du 08/07/1999

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 28/07/1999
Examen : 03/11/1999 (délégation pour l'Union européenne)


Politique commerciale

Position de l'Union européenne
en vue du cycle du millénaire de l'OMC

Proposition E 1285 - COM (99) 331 final

(Réunion du 3 novembre 1999)

M. Jean Bizet :

Le 15 avril 1994, à l'issue du cycle de l'Uruguay, l'accord de Marrakech a donné naissance à l'Organisation mondiale du commerce, qui compte, à ce jour, 134 Etats membres, les pays en voie de développement étant largement majoritaires en son sein. Même si certains pays en sont encore absents (la Russie et la Chine notamment), l'autorité de cette institution s'est progressivement affermie.

Selon les règles de fonctionnement de l'OMC, une Conférence ministérielle réunissant tous les pays partenaires se tiendra à Seattle du 30 novembre au 3 décembre prochains. Conformément à « l'agenda intégré » préfixé par l'accord de Marrakech, elle doit être l'occasion d'un cycle de négociations portant sur de nouvelles mesures de libéralisation dans l'agriculture et les services.

Or, depuis mai 1996 -notamment sous l'impulsion initiale de Sir Leon Brittan, alors Vice-président de la Commission européenne-, l'Union souhaite avec constance que cette échéance constitue l'occasion de l'ouverture de négociations plus vastes, allant au-delà de cet agenda intégré.

Dans cette perspective, la Commission a exposé en juillet 1999, dans le document E 1285 soumis à notre examen, ce que pourrait être la position de l'Union durant cette négociation qu'elle intitule « du millénaire ».

Dans un souci d'efficacité, nous avons souhaité exclure de l'étude de la délégation l'aspect relatif au secteur agricole, agro-alimentaire et à la sécurité alimentaire des produits bien que ces questions soient au coeur des futures négociations. Elles feront en effet l'objet d'une analyse globale par la Commission des Affaires économiques et du Plan dans un rapport d'information consacré plus largement à l'avenir du secteur agro-alimentaire et donneront lieu au dépôt d'une proposition de résolution spécifique. Notre collègue Marcel Deneux vous en parlera dans un instant.

1. Le programme de travail présenté par la Commission

Afin de préparer la position qui pourrait être celle de l'Union pour le nouveau cycle de l'OMC, la Commission a défini la liste des thèmes qu'il serait opportun d'inscrire à l'ordre du jour de la Conférence de Seattle et les objectifs que devrait poursuivre l'Europe durant les négociations.

Trois points dominent sa réflexion :

- le souci de favoriser le développement durable, qui constitue déjà, pour l'Union, une priorité retenue dans les différentes politiques communautaires ;

- la prise en compte des spécificités des pays en voie de développement pour les accompagner dans leur intégration au commerce international, les dernières années ayant montré que la mondialisation avait plus accru les écarts de développement qu'elle n'avait soutenu l'essor des économies émergentes ou en voie de développement ;

- la prise en considération des préoccupations des citoyens européens et la sensibilisation de l'opinion publique aux avantages socio-économiques du système de l'OMC.

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Le cadre souhaité par la Commission est celui d'une négociation globale : elle suppose que l'ensemble des points qui seront en discussion fasse l'objet d'un accord et exclut une approche sectorielle plus limitée. En effet, celle-ci, en ne permettant pas une répartition des avantages entre tous les participants, pourrait compromettre les chances d'aboutir à un résultat final acceptable par tous.

De ce document émerge un programme ambitieux visant à négocier une libéralisation et une réglementation plus poussées dans les domaines suivants : agriculture, services, droits de douane sur les produits non agricoles, investissements, concurrence, facilitation du commerce, marchés publics et rapports entre commerce et environnement.

La Commission considère qu'un cycle de négociation de trois ans pourrait être souhaitable pour étudier l'ensemble des domaines pressentis. La complexité des discussions lors du cycle de l'Uruguay et les sept années de négociations nécessaires à son achèvement sont pour beaucoup dans cet optimisme affiché.

2. La position commune arrêtée par les Quinze

Au prix d'une activité diplomatique intense, les quinze Etats membres sont parvenus à formaliser une position commune définissant en quelque sorte le mandat confié à la Commission pour conduire la négociation en leur nom. Celle-ci explore l'ensemble des thèmes que l'Union propose d'inscrire à l'ordre du jour des futures négociations, si ses partenaires en étaient d'accord.

Celle-ci a été acquise en deux temps : d'abord le 11 octobre sur la majeure partie des questions en discussion ; ensuite le 26 octobre sur les deux questions essentielles qui restaient jusqu'alors encore en suspens :

 L'exception culturelle

Le document préparatoire de la Commission ne mentionnait pas le domaine culturel, mais, comme vous le savez, la France attachait une importance extrême à l'élaboration d'une position spécifique à cette matière en refusant de revenir sur les acquis du cycle de l'Uruguay qui, déjà sur influence française, avait imposé « l'exception culturelle ».

Après des discussions difficiles, notamment avec l'Espagne et le Royaume-Uni, une position de compromis a finalement été dégagée, n'excluant pas formellement la culture du champ des négociations, mais offrant aux Etats membres des garanties sur leur liberté de mettre en oeuvre des politiques audiovisuelles conçues pour préserver la diversité culturelle.

Selon M. Moscovici, entendu par la délégation le 27 octobre dernier, l'accord final négocié entre les Quinze soutient la position française et confirme le souhait de l'Union de voir préservée l'exception culturelle.

 Les normes sociales

La question de la définition de normes sociales minimales que les membres de l'OMC s'engageraient à respecter avait déjà été abordée lors d'une précédente Conférence à Singapour, en décembre 1996.

Elle s'était alors heurtée à la résistance très vive des pays en voie de développement qui voyaient dans cet argument une menace protectionniste des pays développés et une remise en cause, illégitime à leur sens, de l'avantage comparatif dont ils disposent en raison du faible coût de leur main-d'oeuvre.

Le consensus s'était alors porté sur la demande d'une coopération sur ce thème entre l'OMC et l'organisation internationale du travail (OIT) qui n'a, pour l'heure, pas donné de résultats probants.

L'Allemagne, soutenue activement par la France, souhaitait que l'OMC elle-même puisse être désormais le cadre d'une discussion approfondie sur ce thème, plutôt que de réserver, sans succès d'ailleurs, son examen à l'OIT.

Le compromis final prévoit que l'Union soutiendra la création d'un « Forum permanent de travail conjoint à l'OIT et l'OMC sur le commerce, la mondialisation et les questions sociales » permettant un dialogue « entre toutes les parties intéressées (y compris les gouvernements, employeurs et syndicats) ».

Cette formule intermédiaire constitue sans doute la manière la plus adéquate d'introduire une question aussi controversée dans l'ordre du jour de Seattle et de convaincre les pays en voie de développement de la nécessité d'intégrer les progrès sociaux et la définition de normes sociales fondamentales dans leur propre réflexion.

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Sur les autres domaines susceptibles d'être inscrits à l'ordre du jour de la Conférence, la position commune des Quinze est largement inspirée des propositions initiales de la Commission : 

les services : les dossiers relevant de l'agenda précédent et qui n'ont pas été menés à bien -mesures de sauvegarde, subventions et marchés publics- devraient pouvoir être intégrés au prochain cycle.

les investissements : les Quinze se sont montrés favorables à l'établissement d'un cadre multilatéral de règles spécifiques destiné à assurer un climat stable et prévisible à l'investissement direct étranger, confortant la sécurité de l'apporteur de capitaux tout en préservant la faculté des pays d'accueil de réglementer l'activité des investisseurs sur leur territoire respectif.

Je vous rappelle qu'un projet d'objectif similaire avait précédemment été mis à l'étude dans un autre cadre, celui de l'OCDE, et avait fait alors l'objet d'une très vive contestation -notamment française- sous son appellation « AMI » (accord multilatéral sur l'investissement) avant d'être finalement ajourné. Ses détracteurs opposaient que le lieu adéquat de discussion de ce projet serait celui de l'OMC, ce qu'ils confirment aujourd'hui ; il avait également été combattu en raison du risque qu'il présentait pour le financement d'investissements culturels et audiovisuels. Il est souhaitable que ce dernier argument ne soit pas oublié, le cas échéant, lors des prochaines négociations.

les règles de concurrence : le Conseil souhaite que l'OMC puisse définir des approches communes à l'égard des pratiques anticoncurrentielles ayant une incidence significative sur le commerce.

la réduction des droits de douane sur l'ensemble des échanges, notamment la disparition de certains « pics » tarifaires -par lesquels les pays protègent quelques-uns de leurs produits en imposant des droits de douane très élevés aux productions importées équivalentes-, de même que la suppression des obstacles techniques au commerce et la simplification des procédures commerciales.

En matière de libéralisation des échanges, le domaine particulier de la pêche a d'ailleurs fait l'objet d'un développement spécifique, à l'initiative de l'Espagne, rappelant les obligations internationales de conservation des ressources de la mer.

les préoccupations environnementales : le Conseil préconise l'interaction entre politiques commerciales et environnement dans une perspective de soutien au développement durable. Il réclame également l'affirmation du principe de précaution qui concerne, outre le domaine alimentaire, la protection de l'environnement et la santé publique.

la propriété intellectuelle : l'entrée en vigueur de l'accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) a, certes, apporté quelques améliorations en la matière, mais ne garantit pas entièrement ces droits, notamment pour ce qui concerne les appellations d'origine et les règles de dépôt des brevets.

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La position de l'Union sort renforcée de l'élaboration d'une position commune aux quinze Etats membres. Toutefois, plus que d'une liste de thèmes à évoquer, c'est d'une réelle stratégie européenne qu'a besoin l'Union pour aborder une négociation sur laquelle pèsent encore de profondes incertitudes.

En effet, les propositions européennes, si elles sont appuyées par de nombreux partenaires tiers, ne recueillent pas l'assentiment de tous et rencontrent notamment une opposition américaine virulente.

- Les Etats-Unis, largement soutenus par la plupart des pays du groupe de Cairns, préconisent une négociation étroite, essentiellement centrée sur la libéralisation de l'agriculture et des services prévue à l'agenda intégré de l'accord de Marrakech. Considérant que le délai de trois années imparti aux négociations sera trop court pour mener à bien l'ambitieux programme européen, ils sont partisans d'accords sectoriels à acter au fur et à mesure de l'avancée de la négociation.

- A l'inverse, le Japon -mais aussi la Corée du Sud, le Canada ou le Mexique- soutient la position européenne. Il menace même de boycotter les futures négociations si les Etats-Unis s'obstinent à refuser d'élargir l'ordre du jour du nouveau cycle.

- Les pays en voie de développement restent, pour l'essentiel, très réservés sur l'opportunité de lancer un nouveau cycle de négociations, après le récent cycle d'Uruguay, dont ils estiment avoir tiré peu de bénéfices en contrepartie de l'ouverture de leurs marchés. Ils sont en particulier très demandeurs d'un assouplissement important des procédures anti-dumping que leur infligeraient les pays développés.

Or, la négociation qui s'ouvrira à Seattle sera très différente de celles conduites lors des précédents cycles. Au dialogue traditionnel Union européenne - Etats-Unis succédera un concert à trois voix avec, comme nouveaux partenaires, les pays en voie de développement qui composent les deux tiers de l'effectif des membres de l'OMC et qui sont eux-mêmes divisés entre les économies émergentes et les pays moins avancés.

Cette négociation est essentielle pour les pays accusant un retard de développement. Au fil des cycles de négociations tarifaires et des baisses substantielles des droits de douane, ils ont vu s'éroder les conditions privilégiées dont ils pouvaient être bénéficiaires. Si certaines économies ont su tirer partie des avantages de la mondialisation, d'autres pays ont, au contraire, souffert d'une nouvelle dégradation de leur situation.

Côté européen, la négociation devra également être conduite en gardant à l'esprit les dispositions de la Convention de Lomé, régissant les relations entre l'Union et soixante-et-onze pays ACP, dont le volet IV est actuellement en cours de renouvellement et qui pourrait aboutir à la fin de l'année 1999. Cette négociation s'est également avérée très délicate, la difficulté essentielle portant sur une exigence de « bonne gouvernance » des pays bénéficiaires en contrepartie des avantages qui leur sont consentis dans le cadre du partenariat. Cet aspect des relations entre pays industrialisés et pays en développement pourrait être utilement envisagé dans le cadre de la négociation à l'OMC.

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La conciliation de ces points de vue paraît donc un exercice d'une grande complexité. Une tentative de synthèse des positions en présence a échoué, le 19 octobre 1999, la plupart des 134 pays membres -y compris l'Union européenne- ayant jugé son orientation « trop américaine ». Réunis à Lausanne le 26 octobre dernier, les représentants des vingt-quatre principales puissances commerciales au monde ont toutefois confirmé leur détermination à surmonter leurs divergences.

M. Hubert Haenel :

Je vous remercie, mon cher Collègue, de cette proposition de résolution qui fait le tour de toutes les questions que nous nous posons sur cette négociation difficile.

Je laisse la parole maintenant à Marcel Deneux pour exposer le volet agricole qui sera abordé plus précisément à la Commission des Affaires économiques.

M. Marcel Deneux :

Nous avons élaboré en effet, dans le cadre du groupe de travail sur l'avenir du secteur agro-alimentaire, une proposition de résolution concernant l'aspect agricole de la négociation de Seattle, dont je souhaite vous dire quelques mots.

La Commission européenne, dans sa communication, traite de l'agriculture dans une troisième partie consacrée aux « secteurs et questions spécifiques ». Elle constate d'abord que les Etats membres ont respecté en grande partie les engagements qui avaient été pris à Marrakech, en matière d'accès au marché, de soutien interne, de subventions à l'exportation. Elle aborde ensuite les négociations du « cycle du millénaire » en rappelant que l'article XX de l'accord de l'Uruguay Round sur l'agriculture « établit un équilibre entre l'objectif à long terme -à savoir des réductions progressives et substantielles du soutien et de la protection, synonymes de réforme fondamentale- et d'autres préoccupations, telles que l'expérience tirée de la mise en oeuvre des engagements de réductions convenus en 1994, le traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement membres de l'OMC et les considérations autres que commerciales ».

La communication de la Commission est conforme aux orientations arrêtées le 14 septembre lors de la réunion informelle des ministres de l'Agriculture à Tampere et aux conclusions unanimes du Conseil de l'agriculture du 27 septembre dernier. Nous sommes maintenant en présence d'un mandat des Quinze à la Commission, qui inclut quelque chose auquel nous croyions à peine il y a six mois, qui est un modèle d'agriculture européen codifié et retenu par les Etats membres. Ce modèle inclut un type d'activité agricole, marqué par la multifonctionnalité, qu'il faudra « vendre » à nos partenaires américains lors de la négociation OMC.

Les objectifs de l'Union seront les suivants :

- en matière d'accès au marché, la Communauté doit agir dans le but de prendre part à l'expansion du commerce mondial qui résultera du nouveau cycle, en négociant notamment un abaissement des barrières commerciales dans le domaine agricole. En contrepartie, les partenaires commerciaux devraient autoriser l'Union européenne à améliorer les possibilités d'accès au marché pour ses exportateurs ;

- en ce qui concerne les soutiens internes, il est affirmé que les aides directes peuvent contribuer à certaines missions de l'agriculture multifonctionnelle, notamment dans le domaine du développement rural, ce qui constitue une nouveauté ;

- pour ce qui est des subventions à l'exportation, les ministres s'engagent à en négocier la réduction, pour autant que ce type de soutien soit traité sur une base commune avec l'ensemble des partenaires ;

- enfin, en ce qui concerne la sécurité et la qualité des produits alimentaires, le principe de précaution -en vertu duquel l'Union s'est opposée avec succès, momentanément, aux importations de boeuf américaines- doit être traité par l'Union européenne afin d'établir le niveau de protection approprié.

Toutes ces orientations constituent un compromis relativement vague -trop vague diront certains- dans le but de ménager toutes les susceptibilités nationales et de rallier les Quinze.

Il comporte toutefois des lacunes : la première, dans le domaine agricole, tient au fait que la position de la Commission s'avère un peu trop défensive puisqu'elle repose sur le principe de la PAC réformée ; la seconde a trait au domaine agro-alimentaire dont la spécificité n'apparaît pas suffisamment, alors que les futures négociations commerciales constituent un enjeu crucial pour les industries de ce secteur.

La proposition de résolution que nous soutiendrons tient en quelques points : nous demandons que la PAC réformée constitue bien le mandat de négociation de la Commission européenne ; nous estimons nécessaire, à cette fin, que les Quinze maintiennent leur unité de vue. Nous invitons l'Union à une attitude résolument offensive pour promouvoir notre modèle agricole et alimentaire. Nous voulons la reconnaissance de la multifonctionnalité de l'agriculture, la protection des appellations d'origine, le renforcement des normes internationales de sécurité sanitaire et agro-alimentaire définies notamment dans le cadre de l'OMS et de la FAO et nous citons le Codex Alimentarius.

Nous souhaitons que cette négociation permette le réexamen de statut dérogatoire dont bénéficient les pays émergents, afin de réserver le statut le plus protecteur aux pays les moins avancés.

Enfin, nous soulignons la nécessité pour l'Union de prendre en compte les pratiques restrictives de nos partenaires, notamment les Etats-Unis, telles les modalités contestables de certaines formes d'aides alimentaires et le recours abusif au crédit à l'exportation de produits agricoles.

Compte rendu sommaire du débat
consécutif à la communication

M. Robert Del Picchia :

Je m'interroge sur l'opportunité de mentionner les termes d'« exception culturelle » dans notre proposition de résolution alors que le langage retenu, en guise de compromis, porte plutôt sur la « diversité culturelle », comme l'ont souligné le Premier ministre et le Président de la République.

Mme Danièle Pourtaud :

Je crois qu'il serait utile que figure, dans le texte même de la proposition de résolution, le rappel de l'intérêt que nous portons à l'OMC. C'est en fonction de cet intérêt que la France a refusé la négociation de l'accord multilatéral sur les investissements dans le cadre de l'OCDE, considérant qu'elle aurait plus sa place dans les discussions à l'OMC. Je souhaiterais en outre que l'on puisse ajouter, dans un considérant supplémentaire, l'attachement de la France à l'OMC comme structure de règlement des conflits commerciaux et comme lieu privilégié d'expression des pays en voie de développement.

Par ailleurs, j'aimerais revenir sur la notion de « diversité culturelle », qui serait, nous dit-on, une appellation plus consensuelle de l'« exception culturelle ». Pour ma part, je considère qu'il faut réellement affirmer l'exception culturelle, dire que les oeuvres de l'esprit ne sont pas des marchandises et qu'elles doivent être exclues du champ de la négociation.

M. Pierre Fauchon :

Je rejoins tout à fait la préoccupation qui vient d'être exprimée par Mme Pourtaud. Il va de soi que nous souhaitons nous réserver la possibilité de faire la promotion de notre vie culturelle. Mais, plus encore, nous souhaitons évoquer la préservation de notre autonomie culturelle pour faire une exception aux règles d'échange. Passer de l'« exception culturelle » à la promotion de la « diversité culturelle » abaisse nettement le niveau de protection de ce domaine. Je souhaite la plus grande fermeté dans notre position.

M. Yann Gaillard :

J'aurais quelques modifications de forme à proposer, notamment pour ce qui concerne la « gestion du phénomène de la mondialisation », qui pourrait être remplacée par « la gestion des conséquences de la mondialisation ». De même, il serait utile de préciser que la volonté de soutenir les pays en voie de développement en vue de leur intégration dans le commerce international est bien celle exprimée par l'Union.

M. Bernard Angels :

Je serais partisan de mieux préciser les moyens dont nous souhaitons la mise en oeuvre pour aider l'intégration des pays en développement dans le commerce mondial.

Par ailleurs, concernant la reconnaissance des normes sociales, je préférerais que l'on affirme la nécessité de l'amélioration des conditions sociales comme élément du développement durable. J'irais même jusqu'à vouloir affirmer que l'utilisation des normes sociales ne doit pas être l'instrument d'un protectionnisme déguisé.

Enfin, concernant la protection de l'environnement, peut être pourrait-on davantage insister sur les liens à établir entre la libéralisation du commerce international et la protection de l'environnement.

M. Yann Gaillard :

Ne faisons pas d'angélisme : les normes sociales minimales ont aussi pour but de protéger nos industries contre une concurrence déloyale.

M. Pierre Fauchon :

Effectivement, il ne faut pas laisser croire que les normes sociales, une fois définies, peuvent être aisément écartées si elles gênent : elles sont justement faites pour gêner.

M. Denis Badré :

Il s'agit de l'ouverture de discussions commerciales, nous devons être réalistes dans notre approche de ces négociations. Mais derrière ce réalisme, nous avons aussi certaines ambitions : nous sommes d'accord avec l'idée que le développement s'appuiera sur une régulation et un renforcement des échanges commerciaux à travers le monde, qui est un facteur de développement, il faut le rappeler.

Les pays européens ont reconnu que les pays en développement méritaient une attention particulière. Mais il faut éviter les discours hypocrites que nous connaissons, notamment dans le domaine agricole, où les Etats-Unis et l'Union mettent en avant les pays en développement à l'appui de démarches diamétralement opposées.

Je souhaite que l'on réaffirme, dans notre proposition de résolution, que la position européenne est fondée sur le fait que nous condamnons le dumping social et le dumping écologique. Nous entendons que le développement du commerce mondial se fasse avec un haut niveau d'exigence sociale et environnementale.

Enfin, je souligne que le dossier agricole sera au centre de la future négociation et qu'il faudra être très vigilant sur la défense de notre PAC car sa position n'est pas aussi affermie que certains peuvent le penser.

M. Pierre Fauchon :

Je souhaiterais également que l'on améliore la rédaction du paragraphe consacré à l'affirmation du principe de précaution pour en alléger le texte.

A l'issue de ce débat, et compte tenu des modifications proposées par les différents intervenants, la délégation a conclu au dépôt de la proposition de résolution dans le texte suivant :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition E 1285 portant communication de la Commission relative à l'approche de l'Union européenne en vue du cycle du millénaire de l'Organisation Mondiale du Commerce,

Rappelant l'attachement que la France porte à l'Organisation Mondiale du Commerce, en raison de la place qu'elle offre à l'ensemble des pays, quel que soit leur état de développement, de son rôle éminent dans le règlement des conflits, et de sa contribution au développement des échanges, facteur de stabilité et de progrès ;

Constatant l'ouverture à Seattle, le 30 novembre 1999, d'un nouveau cycle de négociations dans le cadre de l'OMC, conformément à l'agenda incorporé figurant à l'accord de Marrakech ; estime indispensable qu'il y soit discuté, outre des questions relatives à l'agriculture et aux services, des questions nouvelles rendues nécessaires pour permettre une meilleure gestion des conséquences de la mondialisation ; souhaite ardemment que les membres de l'OMC puissent parvenir à s'accorder sur un ordre du jour élargi ;

Soutient la position défendue par la Commission et le Conseil d'un cycle global de négociations, supposant l'obtention d'un accord sur l'ensemble à l'issue des négociations, et non la recherche d'accords sectoriels qui seraient susceptibles de ne pas accorder à toutes les parties des avantages comparables et de remettre en cause le résultat final de la négociation ;

Se prononce avec force en faveur de la priorité accordée aux pays en voie de développement et soutient la volonté exprimée par l'Union de tenir compte de leurs particularismes et de leur fragilité pour accompagner leur intégration dans le commerce international ; souhaite l'amélioration des conditions d'échange qui pourraient leur être accordée ;

Se réjouit qu'une position commune aux Quinze ait pu être définie afin de confier à la Commission la conduite des négociations sur les thèmes de travail définis par les Conseils des 11 et 26 octobre 1999 ;

Souligne l'importance qu'elle attache au maintien et à la promotion de la diversité culturelle ; souhaite que les oeuvres de l'esprit soient exclues des négociations ; engage le Gouvernement à veiller, avec la plus grande vigilance, au respect de l'exception culturelle dans tous les aspects de la négociation qui pourraient la contredire, notamment lorsque sera abordé le principe d'un accord multilatéral relatif aux investissements ;

Reconnaît, par ailleurs, l'opportunité de l'élaboration d'un accord multilatéral permettant de fixer le cadre juridique de l'investissement international ;

Souhaite que, lors du débat consacré à la détermination internationale de normes sociales minimales, toutes assurances soient données aux pays en voie de développement pour que ces normes ne puissent être invoquées dans un seul but de protectionnisme, mais qu'elles répondent au souci de protéger les droits des travailleurs ;

Demande au Gouvernement de veiller à ce que l'Union européenne obtienne de ses partenaires commerciaux la réciprocité des avantages qu'elle leur consentira en matière de libéralisation dans le secteur des services, sans préjudice du traitement particulier consenti aux pays en voie de développement ;

S'inquiète, par ailleurs, du manque de précision des objectifs retenus en matière de défense de la propriété intellectuelle ; demande au Gouvernement de soutenir toute initiative permettant d'assurer, sur le plan international, le respect de la propriété intellectuelle, notamment en matière d'appellations d'origine qui demeurent insuffisamment protégées ; souhaite, en outre, l'harmonisation des conditions de brevetabilité et des procédures de délivrance des brevets ;

Confirme l'intérêt qu'elle porte au renforcement des synergies entre la libéralisation du commerce et la protection de l'environnement et des ressources naturelles ; demande que soit formellement imposé le respect des accords environnementaux multilatéraux et que soient prises en compte les exigences du développement durable ;

Souhaite également la confirmation du droit de recourir à des mesures commerciales restrictives unilatérales fondées sur le principe de précaution, lorsque la santé des citoyens ou la préservation de l'environnement le justifie ;

Observe que le Conseil a affirmé l'importance de maintenir des contacts étroits avec les Parlements tant lors de la préparation de la réunion de Seattle que pendant les négociations ultérieures ; demande donc au Gouvernement d'assurer l'information complète et régulière du Parlement sur le contenu et les développements de la négociation, permettant ainsi la sensibilisation des citoyens aux enjeux et avancées de celle-ci.

La proposition de résolution de MM. Jean Bizet et Marcel Deneux a été publiée sous le n° 47.