COM (97) 677 final  du 12/12/1997
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 27/04/1998

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 03/02/1998
Examen : 04/03/1998 (délégation pour l'Union européenne)


Politique commerciale

Communication et proposition de résolution
de M. James Bordas sur la proposition d'acte communautaire E 1001 relative aux mesures anti-dumping applicables à la Chine et à la Russie

Communication

La proposition E 1001 comporte deux volets :

-- d'abord, une communication de la Commission relative au traitement des anciens pays n'ayant pas une économie de marché dans les procédures anti-dumping ;

-- ensuite, découlant de ladite communication, une proposition de modification du règlement (CE) 384/96 relatif au dispositif anti-dumping.

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1. Quelles sont les bases actuelles du dispositif anti-dumping européen ?

Il existe une législation anti-dumping, destinée à protéger les producteurs européens contre la pratique commerciale déloyale qui consiste à vendre à l'exportation à un prix inférieur aux coûts de production locale.

L'estimation du « prix normal » est simple dans les pays pourvus d'une économie de marché : il suffit de se référer aux prix pratiqués sur le marché intérieur. Mais, lorsqu'il s'agit de pays à commerce d'Etat, cette valeur n'est pas représentative des coûts de production, puisque tous les moyens de production appartiennent à l'Etat, lequel contrôle également les exportations. Dans ce cas, la méthode employée consiste à se référer aux prix et coûts pratiqués dans un pays tiers analogue, lui-même doté d'une économie de marché.

Une liste des pays « à commerce d'Etat » a été établie : depuis que les Etats baltes en ont été retirés, au 1er janvier 1995, dix-sept pays y figurent encore, dont la Chine, la Russie, l'Ukraine, le Vietnam et la Corée du Nord.

2. Que souhaite la Commission ?

Cédant aux pressions russes -et, sous l'impulsion de Sir Leon Brittan, à ses tentations « anti anti-dumping »-, elle propose de retirer simultanément de la liste des pays à commerce d'Etat la Russie et la Chine, afin de tenir compte des progrès récemment accomplis dans la libéralisation de leur économie et de les encourager à poursuivre leurs efforts.

Toutefois, cette situation économique n'est pas suffisamment avancée dans l'ensemble des secteurs de production de ces pays pour appliquer immédiatement le régime général de l'économie de marché. Aussi, la Commission propose-t-elle d'instaurer un régime transitoire dans le règlement de base au profit de la Russie et de la Chine. Ce système dérogatoire consisterait à examiner, au cas par cas, si toutes ou certaines entreprises dans un secteur de ces pays opèrent dans des conditions permettant d'établir la valeur normale sur la base des prix et coûts en vigueur sur le marché interne.

Cet examen reposerait sur cinq critères :

-- les décisions des entreprises concernant les prix et les coûts des matières premières et la main-d'oeuvre, la production et l'investissement sont arrêtées en tenant compte des conditions du marché ;

-- les entreprises utilisent un seul jeu de documents comptables conformes aux normes internationales ;

-- les coûts de production et la situation financière des entreprises ne font l'objet d'aucune distorsion importante, induite par l'ancien système d'économie planifiée (troc, paiement sous la forme de compensation de dettes...) ;

-- les entreprises nationales et étrangères « bénéficient de l'application raisonnable de lois appropriées concernant la propriété et la faillite » ;

-- les opérations de change sont exécutées aux taux du marché.

La charge de la preuve incomberait aux sociétés exportatrices. S'il est prouvé que les conditions du marché prévalent alors, les données internes à ces deux pays seraient utilisées.

Dans le cas contraire, c'est-à-dire dans l'hypothèse où il serait impossible de démontrer la prédominance de conditions de marché, les données du pays analogue continueraient à être utilisées. Toutefois, la pratique du traitement de ce type de dossier par la Commission serait améliorée sur les deux points suivants :

-- Première dérogation : la Commission procéderait systématiquement à une enquête sur place afin de déterminer si la valeur normale du pays analogue doit être ajustée pour tenir compte d'un avantage comparatif que les producteurs russes ou chinois pourraient avoir par rapport aux producteurs du pays analogue choisi : en effet, si un tel avantage comparatif existe, il devient justifié que le prix local soit inférieur à celui en vigueur dans le pays analogue de référence ;

-- Deuxième dérogation : pour le traitement individuel des exportateurs russes ou chinois, la Commission continuerait à utiliser les mêmes critères qu'auparavant, mais procéderait à une évaluation plus globale du niveau d'indépendance des sociétés sur la base de l'ensemble des éléments, plutôt que d'exiger que chacun des critères soit entièrement satisfait dans tous les cas. L'objectif principal de cette évaluation globale serait de déterminer s'il y a ou non risque de contournement des droits.

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Telle est la proposition de la Commission. Je considère, pour ma part, qu'il s'agit là d'un dispositif hautement contestable.

Les justifications apportées par la Commission à l'appui de cette proposition ne sont en effet pas convaincantes : ce projet fait d'ailleurs, pour l'instant, l'objet d'une contestation par la majorité des Etats membres ne permettant pas d'atteindre la majorité qualifiée nécessaire à son adoption. Mais, cette situation peut se modifier rapidement au cours des négociations car la plupart des pays du Nord de l'Europe sont a priori favorables à l'assouplissement -voire la suppression- du dispositif anti-dumping de l'Union.

Les critiques essentielles portent sur les points suivants :

· la démarche de la Commission est prématurée car si la Russie et la Chine ont incontestablement enregistré des progrès substantiels vers l'économie de marché, les résultats sont encore inégaux selon les secteurs et demeurent fragiles. L'adoption de cette proposition pourrait avoir des conséquences importantes pour les producteurs communautaires, en modifiant de façon anticipée les procédures anti-dumping applicables à ces deux pays tiers. Il faut savoir que la Chine et la Russie sont aux deux premiers rangs des mesures anti-dumping européennes : 35 cas pour la Chine et 13 pour la Russie sur 148 mesures concernant l'ensemble des pays tiers en 1997.

L'assouplissement proposé est susceptible de poser de graves difficultés aux producteurs européens, notamment dans les secteurs fragilisés de la sidérurgie, de la potasse ou du textile.

En outre, il existe un risque de « contagion » car d'autres pays demanderont à bénéficier à leur tour d'un dispositif similaire : l'Ukraine a déjà fait savoir qu'elle souhaitait être soumise au même régime.

· L'argument suivant lequel cette proposition permettrait un traitement différencié des producteurs n'est pas satisfaisant car les règles existantes permettent d'ores et déjà de prendre en compte les progrès réalisés par les opérateurs de ces pays vers l'économie de marché.

Dans une note d'avril 1997, la Commission a elle-même établi une liste de huit critères -d'ailleurs distincts de ceux ci-dessus énoncés- permettant de faire bénéficier d'un traitement individuel les pays à commerce d'Etat.

La procédure de traitement individuel permet donc d'aménager le dispositif anti-dumping existant, au cas par cas, en offrant en particulier la possibilité à la Commission de récompenser les entreprises russes et chinoises qui font preuve de bonne volonté lors de l'instruction des dossiers anti-dumping. Il existe de nombreux exemples d'imposition de droits réduits pour les entreprises qui collaborent lors des enquêtes anti-dumping, avec des écarts de taxation qui peuvent aller du simple au triple.

· Enfin, il ne semble pas opportun que l'Union européenne fasse, unilatéralement, des concessions sur les mesures anti-dumping sans obtenir, en contrepartie, de la part de la Chine et de la Russie des avancées en matière d'application des règles du commerce international. Or, les négociations d'adhésion de ces pays à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) marquent le pas actuellement. Il conviendrait donc que l'Union établisse un lien entre, d'une part, l'adaptation des règles anti-dumping et, d'autre part, l'adhésion de ces pays à l'OMC.

En tout état de cause, il n'est pas opportun que l'Union se prive, d'elle-même, d'un élément de négociation aussi puissant que celui de son dispositif anti-dumping.

En outre, il faut rappeler que, depuis janvier 1997, un projet de réforme de la réglementation anti-dumping de l'Union est à l'étude, sous l'impulsion de Sir Leon Brittan, qui tend à restreindre le champ d'application de ce dispositif de protection commerciale et d'en assouplir une rigueur, déjà très relative lorsqu'on le compare au système américain. Différentes mesures y sont envisagées, parmi lesquelles, d'une part, la prise en compte de l'intérêt des consommateurs européens -et non plus seulement les intérêts des producteurs locaux- pour estimer la réalité des situations de dumping, d'autre part, le traitement particulier des PECO et des pays à commerce d'Etat.

Ce projet de réforme a été diversement accueilli, certains pays, dont la France, s'opposant à de telles avancées libérales sans contrepartie. On peut donc légitimement s'interroger sur le point de savoir si la Commission n'est pas tentée de faire adopter son projet initial non plus globalement, mais en fractionnant ses différentes dispositions.

A l'issue de cette présentation, la délégation a suivi les conclusions de son rapporteur et s'est prononcée en faveur du dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu la proposition d'acte communautaire E 1001,

Considérant que cette proposition a pour objet de retirer de la liste des pays à commerce d'Etat la Russie et la Chine, pour l'application du dispositif anti-dumping ; que cette modification, qui a pour objectif d'encourager la poursuite du mouvement de modernisation des économies de ces pays, semble prématurée comme l'indiquent les multiples dérogations prévues au profit de ces pays pour qu'ils bénéficient d'un système spécifique d'appréciation des coûts locaux de production ;

Considérant que le dispositif actuel d'anti-dumping autorise déjà une appréciation individualisée des producteurs correspondant au souhait affiché par la Commission à l'appui de la présente proposition ;

Considérant qu'il s'agirait, en l'espèce, d'une concession unilatérale de l'Union sans contrepartie de ces deux pays, notamment en termes d'avancée des négociations pour leur soumission au régime de l'OMC ;

Considérant que le dispositif anti-dumping européen est déjà très peu contraignant ; qu'il n'est pas justifié que l'Union se prive d'un instrument indispensable à la protection de ses producteurs et industriels ;

Se déclare favorable à la reconnaissance, par l'Union, des progrès accomplis par la Russie et la Chine dans la libéralisation de leur économie ;

Estime toutefois que la voie choisie par la Commission n'est pas adaptée à la situation ; qu'à tout le moins, il conviendrait d'obtenir de la Russie et de la Chine des contreparties en termes d'application des règles du commerce international à l'avantage qui leur est consenti ;

Demande en conséquence au Gouvernement de s'opposer à la proposition E 1001 en l'état et d'obtenir le maintien d'un dispositif anti-dumping cohérent et opérationnel indispensable à l'application de règles commerciales loyales entre les Etats.

La proposition de résolution de M. James Bordas a été publiée sous le n° 334 (1997-1998).