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Jeudi 8 février 2001

- Présidence de M. Denis Badré, président -

Audition de M. Jean Arthuis, sénateur

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Jean Arthuis, sénateur.

M. Jean Arthuis a tout d'abord rappelé le contexte qui l'avait conduit, lorsqu'il était rapporteur général de la commission des finances du Sénat, à réaliser un rapport d'information, publié en juin 1993, sur les délocalisations industrielles. Constatant, comme élu local, l'érosion du tissu économique et le poids des multiples obstacles sociaux et fiscaux grevant la compétitivité des entreprises, il avait alors voulu alerter les responsables politiques et économiques sur la nécessité de profondes réformes pour consolider nos entreprises et l'emploi, dans un contexte d'internationalisation et de concurrence entre les territoires.

M. Jean Arthuis a estimé que, depuis lors, deux éléments importants avaient profondément modifié l'appréciation de notre compétitivité : la création de l'euro, qui efface les fluctuations monétaires et leur incidence sur la compétitivité, et le développement considérable des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Citant l'exemple d'un chercheur français dans le domaine biomédical qui avait quitté la France pour les Etats-Unis, faute d'un environnement adapté à ses projets, M. Jean Arthuis a considéré que le problème des délocalisations d'activités demeurait néanmoins très actuel. A l'heure de la mondialisation, il a jugé plus nécessaire que jamais de s'interroger sur l'adaptation de notre système fiscal. Il a déploré, à cet égard, l'absence d'un véritable débat spécifique d'orientation, qui permettrait de définir les axes d'une fiscalité moderne. Soulignant le niveau trop élevé des charges pesant sur les salaires, il a souhaité que leur soient substitués des prélèvements à caractère plus universel, tels que l'impôt sur la consommation.

En conclusion, il a estimé que vouloir réduire les freins à la compétitivité conduisait à examiner l'ensemble de l'environnement social, fiscal et réglementaire et à engager l'indispensable réforme de l'Etat.

M. André Ferrand, rapporteur, s'est interrogé sur la possibilité de distinguer, dans les investissements effectués à l'étranger, ceux qui témoignent d'une perte de compétitivité de notre pays et ceux qui sont positifs pour l'économie nationale.

M. Jean Arthuis a tout d'abord souligné que la notion de nationalité des entreprises était de moins en moins pertinente, ce qui se traduisait par une moindre solidarité de fait entre les entreprises et l'Etat, garant de la cohésion nationale. S'agissant des investissements effectués à l'étranger, il a indiqué qu'ils pourraient bien entendu avoir des retombées bénéfiques, mais qu'il importait aussi de maintenir l'investissement effectué sur le territoire national. Il a déploré, à cet égard, l'insuffisante orientation de l'épargne nationale vers ce type d'investissements. Enfin, il a souligné la nécessité de veiller à un équilibre entre flux sortants et entrants. Il a regretté, à ce propos, l'absence de politique claire pour attirer en France des étrangers de haut niveau.

Evoquant l'idée de transférer sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) une part du financement de la protection sociale, M. André Ferrand s'est demandé si une telle solution était compatible avec l'harmonisation fiscale européenne.

M. Jean Arthuis a tout d'abord, une nouvelle fois, regretté l'absence de véritable débat d'orientation fiscale, le Parlement se contentant chaque année de se prononcer a posteriori sur des choix arrêtés au cours de l'été par le Gouvernement, dans le cadre contraint de l'examen de la loi de finances. S'agissant de la TVA, trop souvent injustement critiquée, il a estimé que si elle se substituait aux charges sociales sur salaires, nos produits se trouveraient favorisés à l'exportation alors que les importations viendraient contribuer au financement de notre système de solidarité. Les choix européens ont certes encadré l'évolution des taux de TVA, mais des disparités importantes demeurent entre les différents pays de l'Union européenne.

Répondant aux observations de MM. André Vallet, Robert Del Picchia et André Ferrand, rapporteur, M. Jean Arthuis a estimé que, faute d'avoir engagé les réformes structurelles nécessaires et réduit la dépense publique, la France demeurait confrontée à la réalité de prélèvements obligatoires élevés. Il a plaidé en faveur d'une révision de nos prélèvements qui pèsent trop lourdement sur l'entreprise, et a déploré l'absence d'harmonisation fiscale européenne, certains pays faussant le jeu de la libre circulation des personnes et des capitaux en pratiquant des taux de prélèvement exagérément bas sur certains types d'activités et de revenus. Il a également souligné l'inutilité de maintenir des taux d'imposition trop élevés, dès lors que ceux-ci aboutissent à provoquer des phénomènes d'évasion de la matière imposable et, finalement, de moindres rentrées fiscales.

M. Jean Arthuis a enfin souhaité que les conditions du débat politique permettent désormais d'absorber avec lucidité et franchise des enjeux tels que l'évolution de notre fiscalité et du financement de notre système social.

Audition de M. Michel Pébereau, président de BNP-Paribas

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la mission d'information a procédé à l'audition de M. Michel Pébereau, président de BNP-Paribas.

En introduction, M. Michel Pébereau a fait remarquer que le thème choisi par la mission d'information était fondamental, mais difficile à traiter en l'absence d'informations fiables au niveau macroéconomique. Il a ajouté que ses propos devraient être considérés comme un simple témoignage au niveau microéconomique sur les questions liées à l'expatriation des capitaux et des compétences.

M. Michel Pébereau a alors constaté que la France disposait de véritables atouts pour séduire les entreprises. D'abord, elle exerce une grande attractivité naturelle du fait de son climat, de son charme, de sa qualité de vie. Ensuite, les compétences et la capacité de travail de sa main-d'oeuvre sont reconnues par tous. Enfin, elle dispose d'une capacité d'épargne élevée, autant de la part des particuliers que des entreprises. Toutefois, de nombreux handicaps empêchent l'installation d'activités économiques en France, tandis qu'un certain nombre de nos concitoyens s'expatrient.

M. Michel Pébereau a ainsi souligné que si les grands pays européens qui ont adopté depuis quelques années des dispositifs visant à attirer les activités économiques à haute valeur ajoutée et les fortunes, la France n'a pas fait de même. Il a alors cité quatre exemples témoignant de cette spécificité française et concernant les salariés percevant de hautes rémunérations, les entrepreneurs sur le point de vendre leur entreprise, les patrimoines importants et les entreprises.

M. Michel Pébereau a tout d'abord évoqué l'exemple du secteur bancaire, où de fortes rémunérations sont perçues par un nombre significatif de salariés, du fait des bénéfices qu'ils font réaliser à l'entreprise qui les emploie, essentiellement dans les activités de marché de capitaux. Il a cité une étude de Francis Lefèvre utilisée par Paris Europlace qui compare les sommes qu'à salaire égal, un employeur doit verser selon la localisation du salarié. Ainsi, pour un revenu de 900.000 francs nets d'impôts et de charges sociales par an, un cadre célibataire coûtera à son employeur 3,663 millions de francs s'il est employé en France, 2,095 millions de francs en Allemagne, 1,584 million de francs au Royaume-Uni et 1,350 million de francs en Suisse. Cet écart joue un rôle important pour les choix de localisation d'activités, telles que les salles de marché ou la banque privée internationale, les intérêts convergents des entreprises et des cadres concernés n'étant guère favorables à une implantation en France.

M. Michel Pébereau a souligné que cet écart s'était creusé au cours des dix à vingt dernières années et était lié au déplafonnement des cotisations sociales, au fort taux marginal de l'impôt sur le revenu, désormais parmi les plus élevés depuis que nos principaux partenaires ont réduit leur propre taux marginal, et à des fiscalités spécifiques comme la taxe sur les salaires, qui pénalise les activités bancaires en France par rapport aux autres pays, plus lourdement encore pour les hautes rémunérations que pour les autres.

M. Michel Pébereau a précisé que la fusion entre la BNP et Paribas avait fourni l'occasion de mesurer l'importance de ces problèmes, puisqu'elle avait posé la question de la localisation de certaines activités de marché. Il a constaté que les spécialistes de marché se déplaçaient beaucoup plus facilement de Paris à Londres que de Londres à Paris, ce dernier mouvement étant en pratique très rare. Il a jugé cette situation d'autant plus préoccupante que la construction européenne entraînerait une concentration des places financières en Europe : sans mesure fiscale adaptée, Paris risquerait d'être défavorisée, alors que les banques françaises et les cadres français disposent, dans ce domaine, d'une excellente compétitivité. Il a alors suggéré deux réformes posant moins de problèmes de principe que l'abaissement du taux marginal de l'impôt sur le revenu, au niveau anglais ou allemand ou le replafonnement des cotisations sociales (qui seraient pourtant très rationnels) : la création d'un régime fiscal dérogatoire pour les étrangers qui s'installeraient temporairement à Paris et la révision de la taxe sur les salaires (son abrogation, ce qui serait le plus logique, ou l'unification de ses taux au niveau de la première tranche de 4,25 %).

M. Michel Pébereau a ensuite évoqué la question des entrepreneurs qui créent ou qui vendent leur entreprise. Il a constaté que la cession d'une entreprise entraînait en France des taxations répétées : impôt sur les plus-values réalisées lors de la cession, impôt sur le revenu selon un barème fortement progressif, impôt de solidarité sur la fortune et droits de mutation en cas de succession. En conséquence, de nombreux entrepreneurs quittent notre territoire pour échapper à cette taxation répétée. Trois destinations sont particulièrement prisées : la Suisse, pour l'entrepreneur qui a vendu son entreprise et ne reprend plus d'activité, le Royaume-Uni, pour celui qui crée ou gère une entreprise, et la Belgique pour des personnes qui n'ont pas d'activité salariée mais ont cédé leur entreprise ou ont un patrimoine important en valeurs mobilières. M. Michel Pébereau a souligné que la création du marché unique européen avait fait disparaître tout obstacle réglementaire, moral ou social à ces déplacements à l'intérieur de l'Union Européenne.

En ce qui concerne les patrimoines importants, M. Michel Pébereau a déclaré que la limitation du plafonnement de la cotisation de l'impôt de solidarité sur la fortune, votée en 1995, avait eu des conséquences désastreuses en matière de délocalisation des fortunes, dès lors qu'elle conduisait à prélever sur le capital lui-même, et non plus seulement sur ses produits. Il a, en outre, insisté sur l'effet du cumul de l'imposition sur les successions et de l'impôt sur la fortune. Il a estimé que l'impôt sur la fortune serait mieux accepté s'il était transformé en avance sur les droits de succession.

Puis M. Michel Pébereau a évoqué les deux obstacles auxquels se heurtent les entreprises pour rester compétitives, à savoir un système d'imposition de plus en plus pénalisant et une réglementation très complexe. Sur le plan fiscal, il a notamment signalé la persistance de taxes spécifiques, telles que la contribution spéciale sur les frais généraux des activités financières, vieille de 20 ans, qui n'avait plus de justification aujourd'hui. Sur le plan législatif, il a souligné la multiplication des régimes de sanctions pénales dans les textes liés à l'activité des chefs d'entreprises. Par ailleurs, il a critiqué la lourdeur et la complexité croissantes de la réglementation du travail. Il a également estimé que la réduction systématique du temps de travail par voie législative n'était pas favorable au développement de l'économie de services.

En conclusion, M. Michel Pébereau a considéré que sur les dix ou vingt dernières années, l'évolution de l'environnement fiscal et réglementaire français par rapport à celle des autres grands pays européens avait créé certains facteurs d'incitation à l'expatriation pour ceux qui créent ou vendent une entreprise, comme pour ceux disposant de rémunérations élevées. Il a observé que pour des entrepreneurs et cadres de haut niveau, il apparaissait préférable que les règles de droit confèrent au contrat avec le salarié une considération équivalente à la loi, et que la loi ne cherche pas à régler trop en détail les conditions de ces contrats. Il a estimé que des mesures ciblées permettraient de relancer la compétitivité de la France au regard de ses grands concurrents économiques.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. André Ferrand, rapporteur, a regretté que les atouts de la France soient gâchés par une fiscalité trop lourde. Il a également demandé des renseignements supplémentaires sur la position de la place financière de Paris par rapport à celle de Londres et sur les conséquences des fusions de grands établissements financiers en matière de localisation de leurs activités.

M. Robert Del Picchia a constaté que l'inadaptation de notre fiscalité et l'excessive réglementation constituaient les deux principaux obstacles à la capacité pour la France d'attirer les capitaux et les compétences étrangers. Il a alors demandé des précisions sur les mesures les plus urgentes à prendre pour " redorer " l'image de marque de la France.

M. Michel Pebereau a confirmé que les lourdeurs et la complexité de la législation du travail constituaient des éléments particulièrement dissuasifs pour les entrepreneurs. Il a souligné que si les prélèvements forfaitaires libératoires évitaient l'imposition au taux marginal de l'impôt sur le revenu à la plupart des revenus des placements à taux d'intérêt, cet avantage était refusé aux revenus des actions, alors que l'orientation de l'épargne vers les actions est à l'évidence un objectif essentiel pour le développement économique. Le patrimoine investi dans le capital des entreprises est ainsi pénalisé.

En ce qui concerne la concurrence entre les places financières de Paris et de Londres, il a rappelé que la suprématie de cette dernière ne s'était vraiment affirmée que depuis le début des années 80. Il a estimé que la France avait conservé de grands établissements bancaires, alors que les grandes banques d'affaires britanniques étaient passées sous contrôle étranger. Il a ajouté que Paris disposait de trois avantages : la France a adopté l'euro ; elle dispose d'un tissu économique plus dense ; enfin, Paris serait l'une des villes les plus attractives du monde pour des personnes à revenus élevés si sa pénalisation fiscale était supprimée ou sensiblement réduite. Si l'Etat et les acteurs de la profession conjuguaient leurs efforts, Paris pourrait avoir un rôle de grande place financière européenne, aux côtés de Londres.

M. Michel Pebereau a alors suggéré quelques réformes pour renforcer la compétitivité de notre pays. Il a proposé que l'impôt sur la fortune (ISF) soit assimilé au paiement anticipé des droits de succession sur le patrimoine transmis, que les actions détenues par les salariés des entreprises soient considérées comme des biens professionnels au regard de l'ISF et que le taux marginal de l'impôt sur le revenu soit sensiblement diminué afin de revenir à un niveau proche des taux pratiqués en Allemagne et au Royaume-Uni. Il a considéré que l'on était sans doute allé trop loin dans le déplafonnement des cotisations sociales et que l'on pourrait s'inspirer de certaines pratiques étrangères qui, par exemple, excluent les rémunérations supplémentaires exceptionnelles de l'assiette des cotisations.