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Mardi 3 avril 2001

- Présidence de M. Denis Badré, président -

Débat d'orientation sur les grandes lignes du rapport

La mission commune d'information a entendu un exposé de M. André Ferrand, rapporteur, puis a procédé à un débat d'orientation sur les grandes lignes du rapport.

M. André Ferrand, rapporteur, a tout d'abord remarqué que, depuis la constitution de la mission d'information, l'écho propagé auprès du grand public sur les questions liées à l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises s'était notablement transformé, puisque l'on semblait passer du cri d'alarme sur la perte des forces vives à une minimisation, voire une négation, des phénomènes de délocalisation. Il a estimé qu'il appartenait à la mission d'information d'éviter tant la dramatisation excessive que l'optimisme injustifié, et de rechercher, à travers une analyse objective de la situation, les moyens permettant à la France de tirer un meilleur parti de la mobilité généralisée des compétences, des capitaux et des entreprises.

S'appuyant sur les contacts établis lors de plus de soixante auditions et de plusieurs déplacements, ainsi que sur les nombreux témoignages parvenus au forum sur l'expatriation ouvert sur le site internet au Sénat, M. André Ferrand, rapporteur, a estimé que l'on pouvait d'ores et déjà dresser un premier constat d'ensemble faisant apparaître qu'au cours des années récentes, la France a su largement s'ouvrir sur l'extérieur mais que, dans le même temps, elle a trop souvent compromis ses nombreux atouts en matière d'infrastructures, de formation et de qualité de la vie en s'éloignant de ses principaux concurrents, en particulier sur les plans fiscal et réglementaire.

Au-delà de ce constat général, le rapporteur a souligné que l'expatriation et ses déterminants touchaient à pratiquement tous les volets de l'action gouvernementale, si bien qu'il lui semblait nécessaire de distinguer les orientations à long terme de nature à renforcer la compétitivité et l'attractivité de la France, que la mission d'information devra rappeler, et des propositions plus ponctuelles, susceptibles d'influer de manière efficace et directe sur les flux sortant de France ou y entrant, qu'il s'agisse de compétences, de capitaux ou d'entreprises. Il a estimé qu'il s'agissait tout autant d'éviter des départs préjudiciables que de mieux structurer et valoriser nos acteurs nationaux résidant à l'étranger, et enfin de favoriser, en sens inverse, l'arrivée en France d'apports positifs venant de l'étranger.

M. André Ferrand, rapporteur, a ensuite souhaité que la mission d'information puisse procéder à un débat d'orientation sur les différents axes autour desquels pourraient s'organiser les propositions qui seront formulées dans le rapport final. Ces propositions, à son sens, devraient tenter de répondre aux questions suivantes : que faire pour enrayer l'expatriation négative des compétences, des capitaux et des entreprises et pour permettre à la France de s'affirmer dans une économie mondiale globale ?

Le rapporteur a souligné qu'à ses yeux, il importait tout d'abord de s'inscrire dans la problématique générale de l'attractivité du territoire national, en désignant les divers handicaps qui, par leur caractère cumulatif, pénalisent notre pays, notamment le caractère décourageant du taux de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu, les effets négatifs de l'impôt sur la fortune, le poids des charges sociales, la complexité et l'instabilité réglementaires et les relations avec l'administration, ou encore la rigidité du droit du travail, et en particulier la réglementation de la durée du travail.

Au-delà de cet environnement général, le rapporteur a défini six objectifs que la mission d'information pourrait retenir, chacun d'entre eux étant assorti d'un nombre restreint de mesures bien ciblées, visant directement à mieux tirer parti de la mobilité internationale. Soulignant qu'à ce stade, les propositions formulées demeuraient exploratoires et n'étaient citées qu'à titre d'exemples, il a précisé que ces six objectifs pourraient être les suivants :

- privilégier l'excellence et l'initiative pour retenir les Français les plus dynamiques et leur permettre de donner toute leur mesure, par exemple en instaurant des conditions de financement adaptées pour les pôles de l'excellence en matière de recherche ou en alignant le régime des stocks options sur celui en vigueur chez nos principaux partenaires ;

- préserver la place de la France comme centre de décision, notamment en favorisant le maintien des quartiers généraux d'entreprises grâce à une suppression de l'imposition des plus-values sur les titres de participation ;

- attirer les meilleurs des étrangers, par exemple en renforçant les aides aux étudiants étrangers à fort potentiel, en amorçant une véritable politique d'immigration sélective ou en créant un régime fiscal favorable pour les étrangers résidents temporaires ;

- aider au retour des talents français, par l'extension éventuelle du régime fiscal des résidents temporaires aux Français ayant résidé à l'étranger durant un certain nombre d'années, ou encore par des financements spécifiques attribués à des projets sélectionnés en vue de permettre aux meilleurs de nos jeunes chercheurs ayant accumulé une expérience à l'étranger de revenir en France ;

- retenir ou faire revenir les patrimoines, par un aménagement de l'impôt sur la fortune, en particulier en matière de plafonnement ;

- tirer parti de la présence française à l'étranger, par exemple en créant un observatoire de l'expatriation destiné à mieux connaître et fédérer les communautés expatriées, en développant le réseau des écoles françaises à l'étranger ou encore en améliorant notre système d'appui à l'exportation, prioritairement dans le domaine de l'internationalisation des petites et moyennes entreprises.

En conclusion, M. André Ferrand, rapporteur, a souhaité que la mission d'information procède à un débat d'orientation sur les objectifs et les exemples de mesures qu'il venait d'exposer.

M. Robert Del Picchia a estimé qu'il convenait d'insister sur les effets du taux élevé d'imposition de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu. Il a précisé qu'en France, pour un cadre supérieur imposé à la tranche supérieure, un supplément de salaire net d'impôt et de cotisations sociales de 10.000 francs supposait, pour une entreprise, une charge globale supplémentaire de 45.000 francs. Il a considéré qu'une telle situation pesait sur les choix de localisation des cadres supérieurs et des états-majors d'entreprises. M. Robert Del Picchia s'est interrogé sur la possibilité de mettre en oeuvre une politique d'immigration sélective, compte tenu de l'absence de vision européenne commune en la matière et de la sensibilité de ce sujet dans notre pays. Enfin, il s'est demandé si la création d'un observatoire de l'expatriation ne viendrait pas concurrencer des instances existantes, notamment si cet observatoire se voyait confier des responsabilités dans la définition d'une politique des Français de l'étranger. S'agissant de l'approche statistique de l'expatriation, il a douté que l'on puisse établir un dénombrement exhaustif des Français de l'étranger, d'autant qu'en France, l'INSEE lui-même semble s'interroger sur l'utilité de procéder à de nouveaux recensements généraux de la population.

M. André Ferrand, rapporteur, a confirmé que de nombreux interlocuteurs de la mission avaient souligné le coût global trop élevé de l'emploi en France des cadres dirigeants, du fait de l'actuel barème de l'impôt sur le revenu et des charges sociales. Il a précisé que l'idée d'un observatoire des Français de l'étranger résultait de la nécessité de perfectionner des outils statistiques actuellement très insuffisants, en associant les différentes administrations intéressées, c'est-à-dire, au-delà du seul ministère des affaires étrangères, les ministères de l'économie et des finances, de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, de la recherche ou encore de l'emploi et de la solidarité. Il a estimé que cette démarche pouvait constituer un préalable à une meilleure approche, par le Gouvernement, des enjeux de l'expatriation, en vue notamment de mieux mobiliser les réseaux des communautés françaises à l'étranger.

M. Léon Fatous a rappelé que, depuis de nombreuses années, la nécessité de renforcer notre implantation à l'étranger était régulièrement soulignée, et il s'est, en conséquence, étonné que les phénomènes d'expatriation puissent aujourd'hui susciter une telle inquiétude. Citant l'exemple de grands groupes industriels français en Amérique du Sud, il a observé que de nombreux cadres français s'étaient, dans un premier temps, expatriés pour accompagner ces implantations, avant de laisser leur place à des cadres locaux et de revenir en France. Par ailleurs, il a estimé que le régime fiscal jouait un rôle bien moins important qu'on ne le prétendait souvent dans les décisions d'implantations d'entreprises. Il a cité le cas d'entreprises étrangères qui ont décidé de s'installer dans la région Nord-Pas-de-Calais sans considérer les aspects fiscaux, mais en accordant une attention particulière aux infrastructures, aux possibilités d'approvisionnement ou aux débouchés.

M. André Ferrand, rapporteur, a reconnu qu'il n'y avait, bien entendu, pas lieu de s'inquiéter de l'expatriation temporaire des cadres français suivant leur entreprise à l'étranger. Il a en revanche souligné que d'autres formes d'expatriation étaient moins positives, par exemple lorsque des enseignants ou des chercheurs quittent la France parce qu'ils n'y trouvent pas un environnement suffisamment favorable et stimulant. Des très nombreux contacts établis par la mission d'information, il a retiré l'impression qu'il n'y avait pas d'hémorragie mais que l'on devait néanmoins être préoccupé lorsque certaines décisions de délocalisations traduisent un manque de compétitivité ou d'attractivité de notre pays.

M. André Vallet a estimé que les questions fiscales, bien qu'importantes, ne constituent peut-être pas l'essentiel des déterminants de l'expatriation et qu'il convient donc d'en relativiser le poids. Il a également souligné que les entreprises étrangères retenaient souvent bien d'autres critères pour leurs décisions d'implantation en France.

M. André Ferrand, rapporteur, a convenu que des considérations totalement étrangères à la fiscalité pouvaient expliquer des décisions d'expatriation, par exemple dans le domaine de la recherche scientifique. Il a relevé qu'à l'inverse, certaines délocalisations répondaient à des motifs d'ordre purement fiscal, notamment les transferts de patrimoines en Belgique ou en Suisse.

M. Léon Fatous a rappelé que le taux de l'impôt sur les sociétés était passé en quelques années de 50 % à 33 %, ce qui montrait bien que l'on ne pouvait parler d'alourdissement insupportable du fardeau fiscal.

M. Marcel-Pierre Cleach a répondu que, parallèlement à la baisse de l'impôt sur les sociétés, bien d'autres charges supplémentaires étaient venues alourdir les prélèvements sur les entreprises. S'agissant des patrimoines privés, le cumul de l'imposition des plus-values lors de la vente d'une entreprise, de l'impôt sur la fortune et des droits de succession a fait franchir le seuil d'intolérance fiscale. C'est pourquoi on a pu observer, depuis plusieurs années, un mouvement continu de délocalisation des patrimoines organisé avec l'aide de grands cabinets de conseil fiscal.

M. André Ferrand, rapporteur, a ajouté que les effets du poids excessif de la fiscalité venaient d'être mis en lumière dans un rapport établi par M. Frédéric Lavenir, inspecteur des finances, et remis au ministre de l'économie et des finances. Le fait que le ministre ait confié à M. Michel Charzat, député, la mission de traduire en propositions de réforme certaines orientations définies par ce rapport démontre qu'une très large prise de conscience s'est opérée sur la nécessité de rendre la France plus compétitive, en particulier sur le plan fiscal.

M. Denis Badré, président, s'est réjoui que ce débat d'orientation permette de mieux préparer la suite des travaux de la mission d'information. Il a estimé qu'il ne fallait pas exagérer ni minimiser les phénomènes d'expatriation, mais qu'il était précisément de la responsabilité de la mission d'information d'établir un diagnostic aussi proche que possible de la réalité. Il a considéré qu'il faudrait également s'interroger sur des notions telles que la nationalité d'une entreprise, qui modifient la signification des phénomènes de mobilité internationale. Il a par ailleurs souhaité qu'au-delà de mesures fiscales ciblées, la mission d'information formule des propositions adaptées aux problèmes spécifiques du secteur de la recherche, secteur qui joue désormais un rôle de plus en plus important dans le développement des entreprises et la croissance économique.

M. Léon Fatous, revenant sur le volet fiscal des questions d'expatriation, s'est félicité qu'un large accord se réalise aujourd'hui sur la nécessité de ne plus alourdir, mais de réduire le niveau des prélèvements obligatoires.

M. Denis Badré, président, a estimé que s'intéresser aux délocalisations de patrimoines revenait à vouloir enrayer une perte de recettes fiscales qui pèse finalement injustement sur l'ensemble des contribuables.

M. Marcel-Pierre Cleach a ajouté que l'instauration, par la précédente loi de finances, d'une imposition des plus-values latentes pour les contribuables qui quittent le territoire national, constituait une reconnaissance implicite du phénomène d'expatriation des patrimoines.

M. André Vallet, tout en s'interrogeant sur le civisme de certaines personnalités qui ont quitté la France pour des raisons fiscales, a souligné que l'opinion publique, consciente du niveau désormais trop élevé atteint par les prélèvements fiscaux, devenait plus compréhensive face à ces formes de délocalisations.